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Petit roi du monde
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☽ Artifice ☾

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j'ai faim - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim - Page 2 Empty06.09.17 13:53

J'inaugure les Fées 2.0 hehehe !
Bourrasque est plus simple que mes autres comptes globalement mais je l'aime quand même ! Et petite précision : il n'y a aucune faute d'accord dans cette fiche, tout est fait exprès :smile:


Bourrasque


Trucs

Surnom : le Microbe
Groupe : Fée
Age : une saison
Rôle : fée des vents


Révérences

Avez-vous ce petit éclair zébrer le ciel du Pays de Jamais ? Je vous vois plisser les yeux, car vous n'avez pu distinguer les contours de cet éclair, et d'ailleurs cet éclair n'est pas un éclair, puisque cet éclair, c'est Bourrasque.
Bourrasque est une fée-éclair, une fée-courant d'air, une fée-vent, et elle n'a même pas besoin de se cammoufler pour ressembler à une humeur de ciel. Le jour de sa naissance, Bourrasque s'est formé très vite, avec empressement, et la Reine Mab a souri en le voyant, si petit et si vif. Comme un éclair. La Reine Mab a failli le nommer Foudre, mais elle dut avoir peur que cela n'encourage sa partie éclair plutôt que sa partie fée, aussi elle le nomma Bourrasque. Bourrasque était content d'être né, même si elle est né pendant la Pluie Salée.

Parce que Bourrasque n'a rien connu d'autre que le sel et la pluie. Bourasque ne trouve pas le monde plus beau sous le soleil. Bourrasque n'est pas bleu, pourtant, Bourrasque est gris. Ses cheveux ont la couleur de la cendre et ses yeux ont la couleur de l'orage, et même sa peau est comme la neige. Quand elle rougit, ses joues ont l'air couvertes de suie. Du coup, elle ne rougit pas, elle grisit, n'est-ce pas ? Elle grisit souvent. Un jour, un enfant a dit qu'elle était en noir et blanc, et Bourrasque était un peu fier, c'était du temps où elle aimait encore les enfants. Du temps où même si la vie était dure, la vie était partout.
La mort n'était que pour les autres.  

Le mentor de Bourrasque dit que c'est une fée courageuse. A votre avis, quelle est la qualité la plus importante ? A l'avis de Bourrasque, c'est le courage. Bourrasque a le coeur gonflé de courage, son courage est plus grand que lui, et aussi plus grand que sa conscience. Si le courage de Bourrasque s'effondre, c'est tout Bourrasque qui s'effondre, c'est la joie, c'est la bienveillance, c'est la paix. Tout le squelette de Bourrasque se tient en équilibre sur le courage. Bourrasque ne veut pas seulement être courageux, ou brave, ou valeureux, Bourrasque veut être héroïque. Parce que Bourrasque peut tout combattre : les Gargouilles, les Humains, les Moqueries, les Douleurs, les Doutes. Bourrasque a une épée, une armure en cuir de chataigner. Bourrasque a le coeur gonflé.

Le mentor de Bourraque est une fée grande en comparaison de ses pairs. En comparaison de Bourrasque. Elle porte une armure de cuir noir et de métal elfique serti d'éclats de lune, et cela la rend luisante. Vous, vous n'avez vu de fée semblable que dans les livres d'histoires, mais en voir une en vrai, ça ne fait pas le même effet. Sa peau est d'un gris pâle aux reflets bleutés et ses orbes sont d'un noir d'abysse.
Le mentor de Bourrasque est vieille, pour une fée, et chaque saison le rend plus digne.
Le mentor de Bourrasque s'appelle Tramontane et c'est la créature que Bourrasque aime le plus au monde.


Tramontane donne toujours des excuses à Bourrasque. Quand les anciens disent que Bourrasque est trop exalté et trop orgueilleux, puisque Bourrasque prétend qu'elle va tuer toutes les fées de sel, Tramontane dit qu'elle a une âme noble. Pour vous, ça ne veut pas dire grand chose, mais Bourrasque, ça fait frétiller ses ailes, ça gonfle son coeur déjà tellement rempli. Il suffit que Tramontane pose un regard doux sur Bourrasque, et Bourrasque peut affronter toutes les tempêtes, même celles qui tuent. Bourrasque peut embrasser son pied maudit. Le regard doux est un cocon qui le protège du sel du monde entier. Bourrasque n'en perd pas une miette. Bourrasque se nourrit d'aventures et de regards doux.

Grâce à son âme noble, Bourrasque ne prête pas attention à ceux qui lui disent : "c'est impossible, tu boites !" et "c'est insupportable, tu emportes la peste avec toi !". Elle entend, elle reçoit ce sel, mais son cocon est très solide. Bourrasque prend soin de le rembourrer à chaque regard. Bourrasque sait pourquoi on lui dit ça. Elle essaye de cacher son boitillement. Elle essaye de cacher ce qu'elle est.
Car la Pluie a touché Bourrasque. Et cette Pluie là n'est pas partie complètement, même avec le beau temps, elle est restée en lui et s'est fondue à sa peau. A cause de ça, il y en a qui ont voulu que Bourrasque parte. Le regard de Tramontane est devenu dur, cette fois, et il a protégé Bourrasque du rejet. Car quiconque se heurte au regard dur de Tramontane se fracasse les os. Tramontane peut faire ça. Et Bourrasque a honte d'avoir besoin d'un tel regard. Lui n'en a pas de pareil, et on ne combat pas le rejet avec une épée.

Pourtant, Bourrasque ne veut pas comprendre qu'elle est handicapé, ou maudit, ou toutes ces choses étourdissantes de gravité. Elle ne comprend pas, elle ne cherche pas. Le regard, le doux, le protège de ça aussi, du sel des mots et des regards, du sel des vérités si grandes pour les fées.
La vérité c'est ça : la Pluie a fait que Bourrasque contamine les autres, car en lui se cache le Virus. On ne sait pas bien d'où ça vient, comment ça s'est produit. Pourquoi. C'est un mystère, pas de ceux au parfum d'aventure et de secret, plutôt les mystères froids et morbides qui ressemblent à des grottes. On ne veut s'en approcher. On ne veut pas s'approcher de Bourrasque.
Bourrasque ne sait pas ce qu'est un Virus, elle sait que c'est une sorte de bête invisible, qui rend les autres malades, surtout les humains, surtout les enfants. Bourrasque n'est pas malade lui. Elle n'est que le transporteur. Alors ils l'ont appelé Microbe. Le Microbe.
Certains refusent de toucher Bourrasque et se couvrent le nez quand il s'approche, comme s'il puait, et ça fait grisir les joues de Bourrasque, à tel point que ça brûle. Pourtant le Virus ne sort pas toujours. Souvent même il dort. Il ne sort que quand il se réveille, alors son oeil s'ouvre sur le front de Bourrasque, Bourrasque se sent faible, et mal, puis Bourrasque ne sent plus rien, et le Virus crache son venin invisible sur les autres.
Bourrasque ne choisit pas. Bourrasque ne s'en rend pas vraiment compte. Il voit tout blanc, des vagues de glace et de lave déferlent dans son corps, et plus rien. Quand l'oeil se referme, ses ailes sont basses et son corps rompu. L'autre renifle, gémit, tousse, et le rejette. Bourrasque ne sait pas faire de regard dur, alors elle ne fait qu'un regard rond, et ça ne sert à rien.

Tramontane a bien dit que ce n'était pas sa faute, et Bourrasque le répète pour ne pas oublier. A chaque fois, après que le Virus soit sorti, Bourrasque est si vidé d'énergie que sa lumière est presque éteinte. Et sur le chemin du retour, elle se répète : ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute, jusqu'à ce que le cocon n'ait plus aucun trou.
Les plus jeunes fées ont moins le Rejet. Elles aussi sont nées de la Pluie Salée, même si elles n'ont pas le Virus. Il y en a qui se moquent de sa jambe, alors Bourrasque se moque de leur nez, et elle rit. C'est facile. Bourrasque a un rire très puissant, capable de sucrer le sel. C'est le rire du bébé qui l'a fait naitre.
Et de toutes façons, il y a Tramontane. Tramontane peut regarder la jambe de Bourrasque pendant une minute entière sans cligner des yeux. Tramontane peut toucher le front de Bourrasque sans avoir peur, en respirant à plein poumons. Tramontane peut faire ça, alors que peu craindre Bourrasque ? ...

Tramontane reste prudente, quand même.
Bourrasque n'est pas seulement trop sûr de lui, trop enthousiaste, trop dissipé, trop turbulent, trop électrique. Bourrasque n'est pas seulement un éclair.
Bourrasque se croit si fort, si résistant. Bourrasque n'a connu que le chaos. Bourrasque pense que l'air n'est qu'orage. Alors Bourrasque pense qu'elle peut l'affronter. Une fois, Bourrasque a failli mourir, puisque de la poussière de sel a touché son pied. C'était pendant une attaque de Gargouilles. Bourrasque a cru qu'il n'avait pas peur. Il était fort à l'épée, il avait le coeur gonflé, et il a même cru que son regard était dur. Il ne l'était pas assez. Pas autant que celui des Fées de Sel. C'est le regard qui l'a touché en premier.
Bourrasque a eu si mal que son courage s'est dégonflé pendant un temps qui, à vous, vous semblera court, mais qui pour lui était une éternité. Tramontane l'a sauvé, puisque Tramontane le sauve de tout, mais Bourrasque était touché.

Alors, son pied est devenu bleu et dur, puis tout le mollet, c'est allé très vite. Pendant des lunes, Bourrasque a du rester plongé dans la Rivière Mystérieuse et sa douleur est devenu presque aussi grande que son courage, Bourrasque a même eu peur que la douleur devienne plus grande encore. Alors elle serait mort. Comme les autres contaminées, qui n'avaient plus de lumière, et que Bourrasque voyaient emmenées par les fées guérisseuses. Le coeur de Bourrasque était gonflé d'angoisse alors, gonflé de panique. Il demandait "Comment est ma lumière ? Est-ce qu'elle est vive ? Est-ce qu'elle clignotte ?" et il s'efforçait de briller, briller, briller plus fort qu'une étoile. Il perdait des quantités de poussière et il demandait à Tramontane de la garder quelque part.

Il y avait une fée, en ce temps, qui venait laver ses étoles dans la Rivière Mystérieuse. C'était une fée des champs qui travaillait au Palais. C'était une fée qui n'avait pas peur de Bourrasque, malgré le Virus. Elle a fabriqué pour Bourrasque des potions de sommeil avec de la camomille. La douleur s'est un peu endormie, Bourrasque aussi.
Bourrasque n'a pas guéri, mais la douleur ne l'a pas mangé, ni lui ni le courage. La jambe de Bourrasque est restée bleue et dure et la plupart du temps, Bourrasque ne sent plus sa jambe, sauf quand le sel se réveille à son tour et que la douleur flambe. Il doit prendre ses bains régulièrement pour laver la jambe et faire en sorte que le sel ne grimpe pas. Un jour, Bourrasque le sait, ça ne suffira pas et le sel grimpera. Mais Bourrasque n'y pense pas, ce serait néfaste pour son courage. Parfois, elle ne peut plus marcher. Heureusement, son courage marche encore.
Bourrasque n'a même pas eu peur de mourir.
Bourrasque pense que mourir, ça ne fait pas peur. Dans les histoires, la mort est toujours héroïque.

Mais dans l'histoire d'aujourd'hui, elle est surtout triste.




Unique au monde

Voulez-vous entendre l'histoire de Bourrasque ? C'est forcément un conte de fée, mais vous qui êtes connaisseur, vous savez que les contes de fée sont des histoires plus compliquées qu'il n'y parait. Dans l'histoire de Bourrasque, il y a de la joie, de la peine, de la peur et de la beauté, car les fées éprouvent tous les sentiments du monde, même si elles ne peuvent en contenir qu'un à la fois.

Il était une fois une petite fée née dans l'orage le plus intense de l'univers, celui du Coeur de l'Imaginaire. La fée était courageuse, elle avait un virus dans le ventre et une jambe en sel, mais son courage était gigantesque comme l'orage. Elle aimait le monde et la vie même dans son désordre le plus désordonné. Elle aimait se battre, se défendre, elle aimait se débattre même avec une jambe bleue et les autres qui criaient "reste loin !". Elle aimait se débattre à coups d'épée, à coup de bouclier, à dos de libéplume, à force de sourires, d'histoires et d'efforts. C'était une fée courageuse de partout, parce que le courage existe dans les plus petits coeurs. De toutes façons, celui de Bourrasque était gros pour sa taille.

Cette nuit-là, son mentor Tramontane, une fée des vents neutre comme lui, avait voulu regonfler son coeur. Le coeur de Bourrasque avait été éprouvé aujourd'hui car elle avait ressenti deux émotions très lourdes : la honte et la douleur. Son coeur ne trouvait pas de place à d'autre sentiment, et tout son corps avait été noyé. C'était comme de la pierre, du feu et du givre en même temps, non, c'était comme du sel, ce foutu sel. Peut-être que c'était juste celui de sa jambe qui grimpait, les guérisseuses l'avaient bien dit. Les larmes de Bourrasques étaient très salées aussi.
Bourrasque s'était réfugié dans la mezzanine qui composait sa chambre et essayait de s'engluer dans le sommeil, ignorant l'oeil qui s'était ouvert sous sa frange. Encore. Celui du Virus.
Alors Tramontane avait grimpé l'échelle. Elle avait juste dit :

Cette nuit. Tu viens avec moi.

Bourrasque s'était retourné très vite vers Tramontane et ses yeux tout gris s'étaient arrondis, sous les larmes très salées.
Elle savait de quoi parlait Tramontane. Elle savait que cette nuit-là était une des nuits spéciales.

Tramontane était redescendue, Bourrasque avait laissé son coeur émettre cinq gros battement, puis elle avait bondit de son lit et brandit son épée dans les airs. Elle avait poussé un grand cri, et le cri avait regonflé son coeur d'un coup, et le troisième oeil avait disparu.


*


Bourrasque, reste près de moi !

Le vent soufflait fort dans le ciel d'absolu, celui qui liait le monde de Jamais et celui de l'Ordinaire.

Je suis là !

Bourrasque souriait de toutes ses dents. Les cheveux de jais de Tramontane dansaient sous le Grand Souffle – c'était le nom que donnaient les Fées de l'Archevent à l'Esprit Vent. Depuis la Grande Réforme, les fées se rendaient dans l'Ordinaire par escorte, car tout était devenu dangereux. Mais Bourrasque n'avait jamais connu l'Ère Insouciante. C'est pour ça qu'il était insouciant.
Foudre, la libéplume de Bourrasque, crevait le ciel de cabrioles que poursuivaient le rire de Bourrasque, son rire de bébé retentissant qui dérangeait les étoiles.

Tramontane hésita sûrement à le gronder, mais on ne résistait pas à ce rire-là.

Regarde, Bourrasque.

Bourrasque obéissait toujours à son mentor, aussi elle tira sur la bride afin d'équilibrer la posture de Foudre.

Les frontières de l'Autre Monde.

Ses yeux d'orage s'abîmèrent dans la contemplation du monde, l'autre monde, qui n'existait jusqu'alors que dans les légendes.

Le pays des bébés...

"A l'ouest ! Suivez les oies !" cria une voix, et aussitôt Bourrasque se pencha contre la carcasse duveteuse de Foudre, callant ses pieds dans les étriers qui encadraient son abdomen. Elle portait une petite cape de fourure, des gants de laine et un casque de cuir, car le ciel de tous les mondes subissaient le froid.
La corneille de Tramontane était la monture la plus impressionannte, et Bourrasque était fier que ce soit celle de de son mentor. Le coeur de Bourrasque, ce soir-là, était immense.


*


Avez-vous déjà assisté à l'oeuvre des fées ? Si l'on regarde bien, on peut voir les feuilles se colorer et le vent changer de vitesse. On peut voir les fleurs grandir et entendre l'eau chanter. Tout ceci, c'est l'oeuvre des fées. Les animaux et les bébés le savent, mais les autres ont oublié.

Bourrasque voit tout. Bourrasque veut tout voir. Bourrasque traverse le ciel noir comme une comète, les joues grisies par le froid, et le Sel de sa jambe est si loin alors, et le Virus de son ventre encore plus loin. Elle est si fier d'être une fée. Si fier de rendre le monde vivant.

Tramontane est occupé à enthousiasmer un vent paresseux. Bourrasque la rejoint avec Foudre. Quand Tramontane travaille, on dirait qu'elle danse, qu'elle enlace les bras de l'univers. C'est aussi magnifique que l'oeuvre des fées tout entière.

Mentor, pouvons-nous nous approcher d'une maison d'humain ? Notre doyen prétend qu'au sein de leur maison, on trouve à la fois du feu, de l'eau, des fleurs et des courants d'air. Est-ce vrai ?
Pas toutes les maisons, Bourrasque. Mais celles que tu vois ici, oui, car ces humains ont de la chance.
Ils doivent être si heureux.

Tramontane ne répond rien, mais Bourrasque ne remarque pas. Son esprit est un essaim de pensées.

Alors, pouvons-nous nous approcher ? On ne se fera pas voir.

Tramontane délaisse son travail, le vent s'est un peu remué.
Les autres fées sont occupées, plus loin.

Nous verrons une maison, une seule. Il ne faut pas s'approcher des humains de l'Ordinaire.
Seules les fées maraines le peuvent. récite Bourrasque.
Exactement. Viens avec moi. Non, Foudre reste ici. Nous serons plus discrets ainsi.

Il faut beaucoup d'effort à Bourrasque pour ne pas voler trop vite. Tramontane a toujours le vol tranquille et gracieux, même les oiseaux ne l'embêtent pas.
Tramontane le mène jusqu'à une grande fenêtre à la lumière jaune. C'est une chambre d'enfants, exactement comme sur les images du doyen. Bourrasque peine à croire que c'est réel. Elle se plaque à la fenêtre et scrute l'intérieur, les yeux à moitié cachés sous son casque.

Il y a un enfant !! Il y a un vrai enfant de l'Ordinaire !! Il est si différent des nôtres ! Regarde, Mentor, c'est un vrai enfant de l'Ordinaire !!!
Calme-toi Bourrasque, il ne faut pas que l'enfant nous entende.

Bourrasque se calme, mais pas son coeur, son immense coeur, qui bat plus vite qu'un bourdonnement d'Abelliqueuse.

Observe-le bien.

Bourrasque observe. Et Bourrasque voit.
L'enfant est assis dans un grand fauteuil, il lit un livre sur les dinosaures. Ses jambes pendent dans le vide. Et l'une de ces jambes...

OH !

Tramontane sourit.
L'une des jambes n'est pas en peau. C'est une jambe artificielle.

L'enfant est comme moi...

Le coeur de Bourrasque devient tout mou alors, mais une molesse douce et chaude, même si c'est presque lourd.

Je veux le voir de plus près !
Non Bourrasque !

Mais Bourrasque est déjà parti, son coeur est trop gros, il a pris toute la place. Plus de place pour les oreilles, pour la tête. Il n'y a que le coeur. Et le sentiment dans le coeur, en cet instant, est ce désir extraordinaire d'approcher l'enfant comme lui.

Bourrasque s'envole jusqu'à la cheminée. Les cris de Tramontane le poursuivent. Mais Bourrasque est déjà dans la cheminée et elle descend jusqu'en bas. Elle est couvert de suie, plus noir que gris. Elle déboule dans la chambre en crachant.
L'enfant le voit et reste figé, les yeux écarquillés. Il attrape une béquille à son côté. Les pires jours, Bourrasque a aussi une béquille.

Oh une grosse mouche !

Bourrasque s'agite de tous les côtés, son tintetement de clochettes ressemble à un grelot excité.

Non, je suis une fée ! Une fée !

Mais elle se souvient que l'enfant ne peut pas comprendre.
Alors Bourrasque se pose vite sur une table et s'essuie avec un bord de nape. Elle montre ses ailes, et surtout elle montre sa jambe. L'enfant le regarde toujours avec les mêmes yeux ronds. Bourrasque, lui, le regarde avec un sourire qui brille dans la suie et son coeur qui bourdonne.

Maman !! Papa ! Il y a une fée dans ma chambre !! crie l'enfant.

Bourrasque ôte son casque. Elle est prêt à faire une révérence aux parents qui entreront bientôt pour l'admirer. Le sentiment a pris tant de place dans son coeur qu'il a oublié, tout oublié des leçons du Doyen. Ne jamais se montrer aux humains.

Une voix répond, lointaine, étouffé, un peu comme si ce n'était pas vrai.

Chéri, les fées ça n'existe pas !

Le coeur de Bourrasque éclate.
Il n'est plus mou, il est brûlant, électrique. Sa petite figure grise semble s'éteindre, ses ailes s'abaissent. Elle fixe l'enfant. L'enfant le voit lui. L'enfant a vu ses ailes, entendu son grelot. L'enfant a vu sa jambe, sa jambe comme lui. Il ne peut qu'éprouver le même sentiment que Bourrasque. Celui qui gonfle le coeur.
C'est certain. C'est solide comme le cocon. C'est sûr comme le regard de Tramontane. C'est fort comme le coeur de Bourrasque. Pas vrai.

Et l'enfant répond, d'une voix givrée comme le vent du ciel, une voix qui dégringole.

Oui. Les fées, ça n'existe pas.

Bourrasque croit mourir alors. Et ce n'est pas héroïque, ce n'est pas comme affronter une Gargouille ou un Scarabelette. Ce n'est pas comme quand on a une épée et un regard dur, parce que le courage ne sert à rien face à ça. Le seul qui se fracasse les os, c'est Bourrasque.
Un froid plus froid que l'hiver, plus mordant qu'un serpent, plus féroce qu'un tigre, s'empare de tout son corps. Son coeur est glacé, on y a planté cent épines gelées.
L'enfant l'a tué. Il fait plus mal que le Virus et le Sel à la fois.
Et pourtant son coeur bourdonne encore, il bourdonne si fort et si vite, et chaque battement est une douleur.

La fenêtre de la chambre s'ouvre d'un seul coup, le vent s'y engouffre avec colère et il est glacé aussi. Les rideaux dansent, les ombres bougent sur les murs, l'enfant grelotte et Bourrasque tremble.
Sur le bord de la fenêtre, l'ombre d'un corbeau. Bourrasque croit reconnaitre la corneille de Tramontane. Mais lorsque le corbeau se tourne, il a trois yeux. Le coeur de Bourrasque s'ouvre en deux et la terreur s'engouffre dans la brèche.

Elle tarde tant à mourir. Pourquoi est-ce si long. Pourquoi le vent continue de gifler sa peau et fouetter ses ailes. Elle ne savait pas que la mort faisait si mal.
Mais Bourrasque n'a pas mal de mourir, Bourrasque a mal de vivre, et alors que l'enfant s'écarte, se plaque au mur loin de la fenêtre, Bourrasque trouve la force de s'envoler. Chaque battement essaye de le faire tomber, mais son courage le fait tenir.

Quand elle arrive sur la bordure, elle cherche le corbeau. Il a disparu. Un coassement le fait lever les yeux.
Cette fois, c'est bien la corneille de Tramontane. Cette fois, la honte prend toute la place dans son coeur qui se serre. Bourrasque aurait du écouter. Tramontane a toujours raison. Comme elle regrette. Comme son coeur se serre un peu plus alors qu'elle s'envole péniblement vers le toit, où s'est posée la corneille.

Bourrasque gagne le toit, la tête basse, le teint livide. La corneille n'arrête pas de coasser, battant les ailes, gonflant le froid du vent. Bourrasque ne l'a jamais vu ainsi. Bourrasque met du temps à comprendre.


*


Le corps de Tramontane est étendu sur le toit. Sur la gouttière. Elle porte encore son armure qui la fait luire dans la nuit, presque comme une étoile. Son éclat ressemble à celui de la Lune.
Bourrasque s'approche, elle n'a jamais volé si lentement. Elle se pose sur la gouttière. Elle ne comprend toujours pas. Pas tout à fait.

Mentor ? ... appelle Bourrasque, d'une voix minuscule.

La voix de Tramontane ne répond pas. Bourrasque commence à comprendre, mais elle refuse. Son coeur s'est fermé.

Mentor !

Le visage de Tramontane est lisse, serein, endormi. Ses sourcils bleu nuit sont légèrement froncés. Bourrasque sait que c'est de sa faute s'ils sont froncés.
C'est de sa faute si...
Si...

Mentor !! Pardon ! Pardon, pardon, pardon ! Je n'aurais pas du ! Réveille toi Mentor... Pardon... S'il te plait, s'il te plait, réveille-toi. Attends... Je. Ne dors pas maintenant, mentor, mentor. Relève-toi ! ALLEZ MENTOR !!

Bourrasque essaye de le soulever par les épaules. Elle le secoue, elle le tape, elle lui hurle dessus. RÉVEILLE TOI.

REVEILLE TOIIIIIII !!!!

Elle appelle à l'aide, mais c'est toujours Tramontane qui vient l'aider, lui. Ses larmes explosent dans le ciel, ce sont des larmes d'orage. Le vent souffle plus fort, il fouette ses cheveux, ceux de Tramontane aussi, comme s'il voulait faire croire à Bourrasque que Tramontane va se réveiller.
Bourrasque sert Tramontane, avec toute la force de ses bras, elle a l'impression que si elle lâche, le monde entier va s'écrouler.
Son coeur n'a plus de courage, ni d'insouciance, ni de désir, rien que cette brèche qui se creuse encore et sur laquelle on verse du sel, encore plus de sel. La douleur est si forte que celle de la jambe parait minuscule à présent.

L'orage éclate au loin, ou peut-être que c'est tout près, peut-être que c'est seulement dans le coeur de Bourrasque. Bourrasque n'entend bientôt plus ses propres pleurs.
Elle ne sait pas si c'est eux ou l'orage qui a attiré les autres fées. Elle ne les entend pas, elle ne les voit pas, il n'y a plus que le visage de Tramontane et ses yeux qui ne s'ouvrent pas.

On essaye d'enlever Bourrasque alors, de le calmer, de le rassurer, de le faire lâcher puisque les doigts gris de Bourrasques sont enfoncés dans le corps de Tramontane, puisque si elle lâche le monde va s'écrouler. Et Bourrasque hurle des coups de tonnerre, son corps est un éclair.
On l'enlace, on le camisole, même ceux qui ne voulaient pas l'approcher l'agrippent, le serrent, car sa douleur est tellement plus impressionnante que son Virus aujourd'hui.

Alors la corneille hisse Tramontane sur son dos, regarde Bourrasque longtemps, avec un regard qui, bizarrement, dépose un peu de sucre sur le coeur saturé de sel. On dirait le regard doux de Tramontane et ça paralyse Bourrasque. Bourrasque se tait, hoquette, respire, l'orage se calme un peu. La brèche est toujours béante.
La corneille s'envole alors, embrassant la nuit. L'armure de Tramontane luit toujours, son éclat s'éparpille dans le ciel.

La corneille l'emporte.
Vers la Lune.




Unique au monde

Le vent de Bourrasque est un vent agité, parfois même un peu orageux et électrique. Comme il n'est pas très assidu, il ne fait pas beaucoup de progrès pour le rendre plus calme.

Bourrasque a un compagnon. C'est une libellule à plumes et à fourure noire, violette et rouge. Elle s'appelle Foudre, elle. Elle dort sur le toit de la maison de Bourrasque, et quand il pleut elle rentre. Bourrasque a aussi recueilli une petite tarentule bleue qui lui arrive aux genoux. Elle est très affectueuse et quand Bourrasque pleure, elle se colle à lui.

Le rire de Bourrasque est grand comme son courage. C'est le rire du bébé qui l'a fait naitre. Il est puissant comme l'orage.

Bourrasque a des turbulences dans le coeur quand il voit Bardane, la fée qui a fabriqué les potions de sommeil quand il prenait ses premiers bains. Il ne sait pas ce que c'est, mais c'est plutôt fort.

Depuis la Nuit de la Mort, Bourrasque hait les humains. Parce que c'est injuste qu'ils puissent faire mourir par des mots. C'est injuste qu'ils puissent décider de la vie et de la mort des fées alors que les fées se battent pour vivre, même si peu de temps. Alors la haine de Bourrasque gonfle chaque jour, un jour elle atteindra la taille de son courage.

Bourrasque a peur de mourir. Elle a compris que la Mort n'est pas héroïque. Alors parfois, elle capture sa propre poussière, plus rarement celle des autres, dans des bocaux qu'elle stocke dans sa petite maison, où elle vit tout seul maintenant, avec Foudre, Tule et le Virus. Peut-être qu'elle pourra rallonger sa vie si la vie commence à partir loin de lui.

Bourrasque a une épée qu'elle a fabriqué lui-même et elle est immensément fier de son épée. Elle s'appelle Écharde et elle est vert sombre. Bourrasque a aussi une armure en cuir végétale, un casque et un bouclier. Bourrasque adore se battre, même si pour l'instant, c'est surtout pour de faux.

Il y a des fées qui ne veulent pas s'approcher de Bourrasque, à cause du Virus. Pourtant, le Virus ne touche pas vraiment les fées. Mais il y a plein de fées qui l'aiment car Bourrasque est plein de vie, même s'il est tout gris.

Il y a un autre animal qui suit Bourrasque. C'est la forme que prend la peur dans l'esprit de Bourrasque. Bourrasque l'appelle "la Menace" car elle préfère voir ça comme la menace de son courage plutôt que la peur. Même si c'est pareil. L'animal est un corbeau et il a trois yeux.
Bourrasque sent souvent son courage menacé maintenant. Le corbeau est là, perché sur une branche ou coassant dans le ciel. Elle ne peut pas l'ignorer. Le cri du corbeau est si fort parfois, que Bourrasque se sent devenir froid et il oublie de respirer. Mais jamais encore le corbeau n'a pu attaquer son courage pour de vrai.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
Bourrasque ne se pose pas de questions. C'est son monde. Elle n'a connu que la pluie, le froid, la brutalité de la vie. Elle est arrivé après les fées de sel. Elle est arrivé dans le chaos. Elle aime son monde parce que c'est le sien.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
Bourrasque est terrifié par l'autre monde. Elle n'y retournera jamais.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
Peter Pan est l'enfant fée, alors doit-elle le haïr ou pas ? Bourrasque ne sait pas. Elle hait tous les enfants, tous, pour le pouvoir tellement trop grand qu'ils ont sur les fées. Parce qu'un enfant n'a même pas à apprendre à combattre, il peut juste fermer son coeur à la magie pour de bon et les fées meurent. C'est trop injuste, c'est insupportable. Alors que ressentir face à celui qui est autant fée qu'enfant ? Est-ce que le coeur doit s'ouvrir ou se durcir ? Bourrasque ne sait pas. Et il ne peut avoir qu'un sentiment à la fois.




Bout d'aventure

Bourrasque l'observe depuis un moment aussi long qu'une heure pour une fée.
Le garçon barbotte dans la rivière et chante une chanson d'humain, qui ne ressemblent à rien. Le garçon est joyeux, et le regard de Bourrasque est dur. Finalement, elle sort. Elle fait la taille d'un enfant de onze ans à peu près, mais aucun enfant de onze ans n'est en noir et blanc. Bourrasque a appris à devenir grand juste pour approcher les enfants.
Elle s'arrête pile derrière le garçon.

C'est dangereux ici, tout seul. En plus, tu n'as même pas d'épée.

L'enfant sursaute et se redresse sur le rivage, face à Bourrasque. Il n'a pas d'armure, pas de casque, pas d'arme, il lui manque même une dent. Bourrasque le déteste.

Pourquoi tu es comme ça ?
Avec le Virus ?
Quoi ? Mais non, je veux dire, tout gris.
Et toi, pourquoi tu es tout rose ? C'est dégoûtant ! Tu es bien un humain !!

L'enfant recule un peu, ses sourcils dansent. La voix de Bourrasque s'est chargée d'éclairs.

Tu n'es pas un humain ? Tu es un fantôme ?

Les narines de Bourrasque palpitent.

Non ! Regarde, moi aussi j'ai des couleurs !

Elle révèle sa cheville, son mollet est envahi de bleu.

Bwah ! Tu es une... euh... une Gargouille, c'est ça ?

Le coeur de Bourrasque devient tout froid.

Non. Mais j'en ai déjà affronté. J'ai même déjà affronté un humain. Alors maintenant...

Bourrasque sort Écharde, son épée, et la pointe sur le coeur de l'enfant. Elle durcit encore son regard, de toute sa force.

Je vais te tuer !
Mais pourquoi ?? glapit le garçon en levant les mains en l'air.
Tu es trop dangereux. Je dois protéger les plus faibles. Je dois défendre mon peuple.
Mais j'ai rien fait ! Je n'ai rien contre ton peuple !! S'il te plait... Je t'en prie, arrête ça.

Bourrasque hésite. Le garçon respire fort. Il sent fort aussi. Plus fort que lui, elle en est sûr.

A moins que tu fasses un serment solennel.
Quoi ??
Dis que tu crois aux fées.
De quoi ??
DIS QUE TU CROIS AUX FÉES !
Je crois aux fées.
Maintenant jure que tu y croiras toujours, même si d'autres humains te disent que c'est faux.
Je jure ! J'ai déjà vu la fée Clochette, je sais que ça existe !

Bourrasque le scrute un moment. Elle sent bien que la dureté de son regard s'est un peu fissuré.

Alors tu jures sur ta vie.
Je te jure.

Les regards s'affrontent. Celui du garçon est dur aussi. C'est presque une épée.
Bourrasque baisse la sienne.

Tu diras aux autres enfants humains que s'ils ne croient pas aux fées, ils attraperont une maladie et ils mourront.
D'accord. Mais ils y croient tous. Ne t'inquiète pas.
Je ne m'inquiète pas, ment Bourrasque.

Le garçon hoche lentement la tête, comme pour dire d'accord.

Je peux partir ? Peter Pan m'attend.

Bourrasque hoche aussi la tête, pour dire d'accord.
Le garçon part.
Bourrasque arrive à garder le regard dur jusqu'au bout.

Quand enfin l'enfant a disparu dans le paysage, elle court vite se réfugier dans le buisson d'où elle a surgit. Elle redevient petit, aussitôt, petit et fée. Elle plonge son visage dans l'encolure de Foudre et toute la dureté du regard disparait. Le regard n'est plus qu'une tempête de soulagement et de fébrilité, un regard tout humide et tout tremblant.

Bourrasque ne peut pas garder le regard dur longtemps.






Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ? non
C'est quoi ton Avatar  ? Bran Stark
Comment t'as découvert l'île ? exactement
Tu la trouves comment ? plutôt BG
Dis, tu crois bien aux fées ? HAHA
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Petit roi du monde
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MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim - Page 2 Empty03.10.17 16:47

- La fiche a l'air très longue mais je vous jure y a plein de photos
- Si on ne comprend pas tout ce qui se passe dans le Bout d'Aventure c'est normal, j'ai essayé de tout écrire du point de vue d'un enfant, c'est pour ça que parfois c'est tout confus
- Il y a beaucoup de liens dans la fiche, il faut cliquer dessus
- Cette fiche n'est pas qu'un drame je vous jure que non
- LOVE



Grenouille


Trucs

Surnom : La Pétoche
Groupe : Perdus
Age : 9 ans
Rôle : Éclaireur


Le caractère

Le véritable courage, ce n'est pas d'être sans peur. Sans peur, pas de courage. Le véritable courage, c'est de se tenir face à sa peur et de la regarder dans les yeux.
Il la répète dans sa tête cette phrase, Grenouille. C'est un Peau-Rouge qui lui a dit. Il la répète tout le temps. Puisque Grenouille a peur. Tout le temps.

Et le traite pas de lâche, toi ! Le traite pas de lâche.
Il est pas lâche Grenouille. Il est courageux, même si ça se voit pas. Parce que c'est tellement dur de vivre avec la Peur, tout le temps. Ça use, ça tend, ça épuise, ça vide de couleurs et ça vide de force. Tu sais pas, tu imagines pas. Ça poisse, la Peur, ça s'infiltre partout, c'est du froid, du poison, la Peur ça peut être une seconde peau. Pour Grenouille, c'est une seconde peau.
Ne vas pas dire que les monstres, ça n'existe pas. Qu'est-ce que tu sais de ce qui existe, toi ? Ça existe des prisons pour enfants ? Ça existe des mères qui disparaissent comme ça, d'un coup ? Ça existe des policiers qui tuent des vieux ? Ça existe, tant de Mort, pour rien, pour rien du tout ? Ça existe, tu dirais ?? Oui, ça existe. Grenouille était là.  
Alors puisque ça, ça existe, comment on fait pour pas avoir peur ? Puisque c'est ça le monde.

Te moque pas. Te moque pas !
Te moque pas parce qu'il sursaute au moindre bruit, qu'il claque des dents dès qu'une ombre est trop noire ou un son trop grinçant. Te moque pas quand il a le souffle qui tremble pendant les histoires qui font peur, même pas si peur que ça, pour toi. Te moque pas quand il voit des trucs qui, dans tes yeux, n'existent pas. Dans ses yeux à lui, ça existe, et toi aussi tu aurais tellement peur. Si tu voyais des paysages, des visages, des voix, se transformer en cauchemars vivants, petit à petit, sous l'effet invincible de la Peur, parce que la Peur c'est puissant, c'est vorace, ça peut tout déformer, et ça peut dévorer les enfants, tu aurais tellement peur.    
Te moque pas quand il se pisse dessus, et quand il gémit dans son sommeil, et quand il pique des crises d'hystérie qui te font dire qu'il est fou en fait, et quand il reste tout figé de Peur pour des choses qui te paraissent rien. Y a jamais de rien pour Grenouille, y a la seconde peau.

Alors Grenouille tremble dans le fond de son lit et fuit les horreurs qui ne le lâchent jamais, jamais vraiment. Il dit rien, il parle pas Grenouille, même quand ses poumons sifflent de Peur, parce que y'a l'asthme, et que ses yeux débordent d'Horreur, parce que y'a les hallucinations, Grenouille il parle pas. Il va voir personne. Qu'est-ce qu'il peut dire, hein ? Y a rien à dire. Ça marchera pas de lui dire « ce n'est rien » ou « n'aie pas peur ». C'est trop gros, trop fort, trop tout.
Il parle tout seul alors. Il récite des murmures très vite, comme des prières, des incantations secrètes. Peut-être que c'est sa protection. Te moque pas.
Et même quand il essaye d'affronter, ou de raisonner, de se dire que tout va bien, que c'est dans sa tête, ou que c'est juste le vent, c'est si difficile. De se convaincre, de se calmer, de garder son sang tout froid. C'est dur, c'est trop dur. Puisque la Peur finit toujours par saisir sa cheville, par l'entrainer dans son antre glacée en attendant de l'avaler. Tout cru. Parce que c'est vraiment ça, tu sais, vraiment ça.

Y en a qui disent qu'il est un peu taré Grenouille, mais c'est aussi parce qu'il a parlé de David. Il a dit à d'autres qu'il l'avait vu, son frère, son grand frère, sauf que son frère c'est un fantôme qui apparaît sans prévenir et disparaît jamais complètement. Alors les autres ils se disent qu'il est fou, c'est logique, il comprend Grenouille.  
Maintenant il en parle plus, et quand il voit David la Peur se mêle à la Joie, la Chaleur se mêle au Froid. Il sait bien que c'est pas normal, il a passé l'âge de raison après tout, et même ça lui fait un peu peur tu sais, mais la crevasse dans lui a l'air moins profonde quand David est là. Mine de rien.
Alors gardera ça comme un secret entre lui et lui.
Quand Grenouille voit les autres fantômes par contre, et qui sont presque toujours des enfants, il n'y a plus rien que la Peur. Il en parle pas non plus. Il y a cet autre sentiment aussi, ce sentiment encombrant, tellement lourd. Un sentiment en métal de honte, puisque Grenouille se sent coupable d'être en chair et en respiration. Lui.
Il se sent tout seul Grenouille, dans l'immensité de sa survivance.

Il se demande pourquoi il est encore là, Grenouille. Il se demande pourquoi le miracle se produit encore et encore. Il se demande s'il a de la chance, ou si c'est un genre de malédiction. Il se demande pourquoi les grands, les costauds, meurent ou partent, et pourquoi lui, lui la Pétoche, lui le déglingué, pourquoi il est encore là. Pourquoi il survit. Pourquoi il a survécu à l'Ordinaire et pourquoi il survit à l'Extraordinaire. Pourquoi la vie se débat tellement dans ses entrailles.
Il se demande tout seul, parce que ça fait longtemps qu'il a arrêté de demander pourquoi à haute voix.  

Et parfois il se demande, il se demande. Comment ils font les autres. Est-ce qu'ils affrontent des choses énormes et sombres aussi ? Est-ce qu'ils sentent le poids de l'angoisse dans leur ventre, au bout de leurs doigts, est-ce qu'ils ont la seconde peau ? Est-ce qu'ils se font grignoter par la Peur en secret ? Est-ce qu'il est le seul comme ça, à ressentir ça, tout le temps ? Pourquoi c'est si dur pour lui, pourquoi tout est plus dur. Pourquoi c'est jamais tranquille, jamais simple. Pourquoi la Peur revient toujours, comme si elle craignait qu'on l'oublie. Pourquoi il est pas comme les autres.
Ils ont l'air tellement plus forts, c'est vrai. C'est vrai.
...

Mais c'est pas grave, tu vois.
C'est pas grave, Grenouille il se défendra. Avec ses petites armes. Peut-être que c'est elles qui l'ont fait survivre, on sait pas.
Comme troisième peau, il y aura le costume de chat. C'est rien qu'un costume, et tout abîmé maintenant, même si Curve l'a rafistolé. Comme lui, rafistolé. Rien qu'un costume en polaire rapiécée, tout vieux tout moche. Mais quand Grenouille le met, ça devient une armure. Grenouille devient un chat sauvage, Grenouille peut griffer, sauter, mordre, Grenouille se défend. Contre toi, contre les autres, contre les horreurs dans son coeur, contre les tempêtes dans sa tête. Grenouille devient costaud.

Comme armée, il aura les figurines. Tu sais il en a plein. Il a des animaux, des chevaliers, des pompiers, des bonhommes de la vie normale. Il a une collection. Grenouille joue sans cesse avec ses figurines, à tous les moments de la journée, même parfois à table ou dans son lit. Il en a toujours une sur lui, c'est comme un toc. Et il fabrique des décors, et des maquettes, il fabrique des mondes miniatures entiers avec du papier maché et des bouts de bois, avec une foule de détails, et une fantaisie très ordonnée que tu n'aurais pas soupçonné derrière le visage de peur.
Grenouille reconstitue les histoires de Jules Verne, parce que Jules Verne est son auteur préféré, qui lui donne de la force aussi, puisqu'on peut jouer à Ving Mille Lieux sous les Mers dans l'Océan et à Voyage au Centre de la Terre dans la Jungle, et que tout ça fait moins peur ainsi.

Comme bouclier, il aura l'étoile. L'étoile de David. L'étoile de David de David. Même quand il aurait pu mourir de la garder, Grenouille l'a gardé. Et elle est toujours là maintenant. Sur son habit de chat, une couverture pour son cœur, et elle est belle son étoile. Elle a six branches, c'est pas toutes les étoiles, ça.


Et puis Grenouille, il est peut-être tout pâle, et tout fragile, et tout craintif, et si tu le regardes il détournera les yeux, n'empêche que Grenouille il a survécu à une nuit sans fin, une chaleur qui fait mourir les plantes et une pluie qui noie une île. Il a survécu aux barbelés du Monde Ordinaire. Il a survécu tout court.
N'empêche que Grenouille il est encore là, avec la Peur qui lui court après et la Solitude qui appuie sur son corps comme une cape en plomb.
N'empêche que tu sais, son esprit est rempli de jolies choses, d'une imagination colorée que tu ne peux pas voir sous son teint gris, n'empêche qu'il rêve et joue encore, n'empêche que Grenouille est un petit miracle.
Parce que les miracles aussi, ça existe. La preuve.


N'empêche.
N'empêche que Grenouille, un jour y a pas si longtemps, la Peur a tellement hurlé dans ses oreilles qu'il s'est senti prêt à mourir pour qu'elle se taise, et qu'il est entré dans la bouche d'un Cauchemar.
Le Cauchemar, on l'appelle l'Autre, on l'appelle Runaan, et Grenouille est entré dans sa bouche.

C'est du courage, ça.





L'histoire





Avec la Sombre Aventure, Grenouille a perdu des dents, mais il a gagné des souvenirs. Ils reviennent dans des flashs qui secouent tout le corps. Ils sont de plus en plus durs au fil de l'histoire, mais s'il te plait lis jusqu'au bout. Il le mérite, Grenouille. Pour toi ce sont juste des choses difficiles à regarder, mais lui c'est dans lui pour toujours.

Il y a un souvenir par branche, tu sais, son étoile a six branches.



Le premier souvenir





Le premier souvenir c'est le plus chaud. C'est dommage parce que c'est aussi le plus vide. Dans ce souvenir il y a les osselets, les billes, la blouse à l'école, le cirque pour son anniversaire. Il n'y a pas de nom, puisque Peter Pan l'a pris, mais il y a ça : Jojo.
Puis il y a les affiches placardées devant les parcs, les lieux publics, et même l'école de musique où il joue du violon. INTERDIT AUX JUIFS. Il y a son vieux professeur embarqué qui lui dit "tout va bien, ce n'est rien, on se voit demain". Et puis rien. Pas de demain pour le vieux professeur. Il y a les caillasses et les insultes lancées dans la cour de récré, youpin, youpin ! Et c'est même pas tellement grave. Il y a papa qu'il a déjà trop oublié, mais par contre il sait qu'il est horloger. Il y a David, David c'est son grand frère tu vois, qui se bagarre quand on injure Jojo.
Et Maman, Maman, avec ses robes d'été, et puis tout d'été, parce que Maman c'était l'été, même quand ses sourires étaient mouillées. Maman avec son accent polonais qui fait déraper les mots et qui se glisse jusque dans son rire. Maman qui l'appelle « petit miracle » parce que Jojo a survécu à une pneumonie quand il était têtard (c'est maman qui dit têtard). Maman et ses yeux comme lui. Il y a beaucoup Maman, dans ce souvenir-là.

Puis, il y a l'étoile jaune. Il faut l'afficher partout, la porter partout, en plein sur le coeur. Comme il est fier, t'imagines pas. David est furieux, mais pour Jojo c'est comme un cadeau.
Et le premier souvenir est déjà fini, tu vois il est court.









*



Le deuxième souvenir




Le deuxième souvenir est très chaud aussi finalement, mais tu vois c'est pas la même chaleur. C'est la chaleur qui brûle et qui étouffe, celle qui rend tout plus dur.
Dans ce souvenir, Jojo a l'âge de raison.
Dans ce souvenir, il y a la porte qui sursaute sous les coups, et Maman qui ouvre à moitié en colère, à moitié en angoisse. Jojo reconnaît le policier, c'est celui qui fait des rondes en bas du quartier. Il a comme un autre visage aujourd'hui. C'est le premier visage que Jojo voit se déformer. Et c'est ce visage qui leur dit que cette fois : « les enfants aussi ». Alors le visage de Maman, là, devient l'automne.
Dans ce souvenir, y a plus rien que de la hâte, et de la confusion, et de la brusquerie, et même de la violence, puisque Jojo ne se dépêche pas assez et que ça provoque des cris, déjà tant de cris, et que des cris comme ça c'est violent. Il demande ce qu'on va faire de Jules le chat, et personne lui répond, et il demande encore « Et Jules ? Et Jules ? » et David lui hurle dessus alors, même David. C'est pas le moment Jojo, tu comprends pas que c'est pas le moment ?!
Mais non, tu vois Jojo il comprend rien. Et toi non plus tu comprends rien, alors fais pas semblant.

Alors Jojo donne trois boites de pâté à Jules, au cas où ils reviendraient dans trois jours seulement. Maman s'est occupée des bagages. Ils ont droit à deux tricots et c'est tout, mais il fait tellement chaud de toutes façons.

Ne lâche pas la main, Jojo. elle dit Maman.

Jojo ne lâche pas.
Même en bas de l'immeuble, où tout le monde hurle et bouscule, où des vieux monsieurs pleurent, il lâche pas. Il demande une dernière fois pour Jules. Personne ne répond.
A la place, il y a la voix d'un policier qui crie de se dépêcher, et Jojo n'a jamais entendu un si féroce cri, et puis des cris des gens aux fenêtres qui disent « Vermine !!! » et « C'est injuste !!! » et tout se mélange dans un furieux manège de cris, et Jojo n'a jamais entendu autant de cris d'un coup. C'est de plus en plus dur de ne pas lâcher, tellement il y a de corps et de mouvements qui se dressent sur son passage, bientôt il ne voit plus le ciel, il n'y a plus que des valises, et des chapeaux, et des mains, tellement de mains qui s'agitent dans tous les sens. Son regard s'accroche aux vieux monsieurs qui pleurent, car ça aussi c'est la première fois, et puis David le tire en avant, et Papa le fait monter dans un bus. Le voisin, qui n'a pas de femme ni d'enfant parce que c'est un intellectuel, va dans l'autre bus. Les deux sont remplis de gens qui ont l'air très perdu.

Pourquoi on ne paye pas de ticket pour le bus   ?

Personne ne répond.
Tout ce qu'on entend, ce sont les cris, les cris.

C'est la première fois, aussi, que Jojo voit les adultes être si violents avec d'autres adultes. Il ne comprend pas que Papa se fasse frapper à l'épaule par un policier, il ne comprend pas surtout que Papa ne dise rien. Il le fixe d'un regard sévère, mais toujours sans lâcher, alors qu'ils descendent des bus et marchent en se dépêchant, toujours en se dépêchant.

Est-ce qu'ils vont reprendre mon étoile ?

Personne ne répond.

On va où ?

Personne ne répond.

Maman ?

Personne ne répond.








Le pire, c'est pas la chaleur, c'est pas le bruit, tu sais, c'est l'odeur. Le Vélodrome d'Hiver, c'est pas pour l'été, et on est le 16 juillet 1942. Jojo arrête de poser des questions. C'est encore plus fatigant quand personne ne répond. David lui dit de pas se plaindre. Qu'ils vont pas chialer, quand même. Après tout, Jojo a l'âge de raison. Et puis, vaut mieux garder ses larmes, il fait trop soif pour les gâcher. David est fort, David est robuste. David a treize ans et il regarde les policiers dans leurs yeux, et il a rien besoin de dire. Les policiers baissent les yeux.
C'est là que David rencontre Elias.
Elias a douze ans. Il est déjà plus grand que David, pourtant. Il vit aussi tout près du Sacré-Coeur, mais moins près qu'eux, et Jojo est un peu fier alors.

C'est la première fois que Maman dit « je ne peux pas » quand Jojo lui demande de l'eau. Je ne peux pas. C'est la première fois que personne ne peut l'aider quand ses bronches se coincent. C'est la première fois qu'il sent son père le serrer si fort aussi, car Papa est assez pudique. C'est plus inquiétant que tout le reste, ce câlin si fort.
Mais la fièvre rend tout encore plus chaud et plus flou. Le souvenir s'arrête au nom qui résonne dans tout le vélodrome d'été :


STARVINSKI.


C'est le nom de Jojo.








*






Le troisième souvenir





Les trains.
Le troisième souvenir il commence par des trains.
C'est pas des trains normaux, tu vois, y a pas de siège, et puis surtout y a pas de lumière, y a pas d'air, et dedans que des étoiles à six branches. Grenouille lâche pas. Tu te dis que ça dure une heure, ou deux heures comme ça, et que c'est déjà trop, et Grenouille se dit pareil, mais non, c'est trois jours. Trois jours. Et pendant trois jours, pas de lumière et pas d'air, alors la fièvre et l'asthme, alors y a des vieux qui se salissent, des hommes qui pleurent et un bébé qui meurt. Et Grenouille il a jamais vu la mort, tu sais, c'est la première fois.
Et quand les portes s'ouvrent, y a pas le temps de s'habituer à la lumière qui brûle les yeux et à l'air qui revient dans les poumons, pas le temps, puisque déjà ça crie, ça crie de partout et ça bouscule. C'est comme si on pouvait plus marcher normalement. Parler normalement. C'est comme si on était des animaux.


Le camp.
C'est un truc inimaginable le camp, on sait pas ce que c'est, le camp. C'est pas vraiment une prison, mais tu vois ça ressemble. C'est quoi ces blocs alors ? C'est pas des maisons, ça. Y a des clôtures et des gardes, des chiens, et tellement d'ordres, c'est pas possible de tous les retenir, surtout quand les vieilles dames débitent du baratin yiddish dans les oreilles, sans arrêt. C'est épuisant ce baratin, qui se mêle aux cris ordonnés, aux ordres criés. Y a jamais, jamais de silence, jamais de tendresse, et on dirait que y en aura jamais plus.
Papa se prend un coup sur la tête quand il veut rester avec eux, et Maman pleure, le corps de Jojo est secoué contre le sien parce qu'elle le porte, parce qu'il a de la fièvre, parce que ça fait trois jours et parce que Papa part. Papa part parce que les hommes ne sont pas dans le même camp. David lance son regard contre le visage des policiers, mais ça ne marche plus si bien. Ça fait trois jours pour David aussi.

Et dans le camp, y a les couchettes rouillées, où on dort les uns sur les autres, et les repas sans rien dedans qui donnent soif, et les cheveux rasés pour les poux, et même pour rien parfois, et les punitions, les os qui percent, l'hygiène qui s'effiloche et les corps empalés sur les barbelés. Sur les barbelés !! Tu comprends ? Ça y est, la mort est là, c'est plus comme la première fois, elle est vieille ou jeune, elle est bruyante ou silencieuse et elle est partout, ça s'appelle même parfois du suicide. C'est partout, ça sent.

Et encore des bousculades, qui font de plus en plus mal tu sais, parce que quand c'est une bousculade ou deux bousculades, tu te dis que ça va encore, c'est juste énervant, mais quand tu te fais bousculer toutes les minutes de toutes les heures, c'est comme si ça t'arrachait la peau, comme des bleus partout, et des cris encore, des cris, des cris, des cris !!!! Le silence est mort, puisque même quand les cris se taisent, leur écho résonne toujours dans la fièvre. Tous les matins, Maman se réveille en sursaut et le presse fort, et Jojo a l'impression de mourir, mais il lâche pas. Tu sais, il lâche pas.

Et quand Maman doit partir, il lâche pas. Ce sera le dernier à lâcher. Et tu peux pas imaginer comment c'est ce jour là. Ça fait déjà des jours et des jours qu'ils sont là et qu'ils deviennent des squelettes au regard trop brillant, ça fait des jours qu'ils meurent mais c'est jamais trop finalement. On sépare les mamans et les enfants. Tu imagines l'hystérie ? Tu imagines si on t'arrache ta maman, alors que t'as jamais, JAMAIS lâché ? Tu imagines, ça ?! Tu imagines comme Jojo pleure et hurle, même plus comme un humain, c'est tout son corps qui hurle, et il hurle encore quand le jet d'eau perce sa peau, entre dans sa gorge, éclate ses yeux. Et surtout il lâche pas, Jojo, et il faut trois policiers pour les séparer, avec les chiens et tout, Jojo et sa maman, trois policiers pour les séparer.
Alors Jojo lâche, puisque même David s'est fait plaquer au sol, puisque même Papa est déjà loin, puisque même Maman se fait emporter en criant « vis, vis petit miracle », puisqu'il est tout seul. Y a plus rien à tenir, et sa main se referme dans un vide qui l'avale tout entier.

C'est là que la Peur arrive pour de vrai. C'est quand y a plus de main à tenir, plus rien. Alors elle vient et elle avale, aussi.










*




Le quatrième souvenir



 


Les camions, les trains, le camp.
Encore.
Encore plus loin.
Tu continues de lire ?
Ça fait un mois, plus d'un mois, qu'il y a plus de parents. Tu connais un monde sans parents, toi ? C'est comme se sentir trop petit et trop grand en même temps. Tu sais pas comme ça creuse le ventre, presque avec une pelle tellement c'est violent.
Il y a un autre camp, il s'appelle Drancy, où tous les enfants sont malades. La nourriture est en forme d'eau. Aujourd'hui, on doit repartir. Jojo a les yeux qui piquent, c'est pas parce qu'il pleure parce qu'il pleure plus,  c'est parce qu'ils ont été réveillés à 5 heures.
Pendant le trajet dans le camion qui saute, David et Elias parlent. Entre eux, ils s'appellent Kertész et Starvinski. Ça fait grand. Ils font exprès.

J'ai entendu le médecin parler avec l'infirmière. Les camps de Pologne, on en revient pas. Tu sais ce qu'ils font ? Ils nous brûlent. Nous, on peut nous prendre au travail, mais lui, il est trop petit.

Lui, c'est Jojo, mais Jojo répond pas, puisque Jojo parle plus depuis que Maman est partie.

Les enfants, ils les gardent pas. Surtout Jojo, avec son asthme. Alors voilà ce qu'on va faire.

Là, David se penche et Jojo entend plus. De toutes façons, il s'endort.
Et dans le train, dans le train où on s'entasse comme des bêtes, parce que c'est un train pour bêtes, Jojo dort encore. Il peut dormir où il veut Jojo, c'est tellement facile, et parfois même David doit lui donner des claques pour le réveiller. Une femme avec un autre langage lui donne de l'eau, il dit pas merci parce qu'il parle plus.
Elle l'appelle : "niebieskie oczy".

Et puis David lui parle et lui fait répéter. Quand on descend, tu vas sous le train. Tu te caches sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Jojo répète avec une voix sans vie.


Quand ils descendent, Jojo va sous le train. Tu n'imagines pas comment c'est, une masse de gens qui sont devenus presque fous à force d'avoir faim et mal et peur. Qui parlent tout seuls, qui griffent, qui ont les cheveux dans tous les sens, même les mamans. Qui se pressent hors des trains qui sentent comme les toilettes bouchés, après un trajet qui ne finissait pas. Qui se cognent dessus sur le quai, sans savoir où aller, avec des gardes qui hurlent des mots comme des cailloux.
Jojo tremble de tout son corps et étouffe ses gémissements. C'est épuisant ces cris, ça écorche toute la peau, jusqu'à laisser que la Peur. Il comprend aucun langage et devant lui, les chevilles de David ont disparu. Personne l'a vu dans la foule, Jojo. Il s'agrippe au train, comme s'il voulait s'y fondre, et heureusement qu'il est bon en acrobatie.
Tu sais combien de temps il reste ? Parce que rien que ça c'est déjà dur. Parce que Jojo reste là une nuit, tu vois. Tu vois. Y a plus David et y a plus Elias, y a plus que lui et sa main vide. Il dort sur les rails, tu vois, avec des vêtements abandonnés autour de lui. On dirait un petit mort.
Tu continues toujours de lire ?

Après, le souvenir est tout écorné, mais Jojo revoit la valise. L'âge de raison lui permet encore de tenir dans une valise tu sais. T'as déjà été enfermé dans un minuscule endroit ? Jojo se fait enfermer dans une grosse valise. Y'a encore moins d'air et de lumière que dans les trains, mais il aime bien, c'est bizarre. C'est Elias qui porte la valise, ça il en est sûr Jojo. Elias est grand pour son âge, il a été mis dans la file de gauche, celle qu'on garde, celle qui travaille. Elias s'occupe des bagages des arrivants. Il est venu chercher Jojo sur les rails. Pendant la nuit, un autre train est arrivé, mais personne n'a rien remarqué, puisque de loin Jojo est un tas de vêtements, un petit mort. C'était facile de mettre Jojo dans la valise.
Combien de jours dans la valise, tu dirais ? C'est facile, ça aussi, tu sais. Dormir, attendre, se taire, dormir. Les jours défilent dans la valise et Jojo ne voit que le visage d'Elias, de temps en temps. Il ne ressemble plus à rien, Jojo, avec son visage qui se creuse, sa peau qui blêmit, ses os qui saillent. Il est sale et pouilleux. Elias lui donne une vieille peluche moche qui pendouille. C'est une grenouille. Elias lui dit : "tu dois la protéger, c'est important". Tu y aurais cru, toi ? Jojo se dit que c'est de la connerie, mais un truc en lui y croit un peu.

Elle est juive la Grenouille ?


Combien de jours dans la valise, tu dirais. Combien de jours on peut tenir, même quand on rapetisse chaque nuit. Jojo peut pas te dire.
Puis un jour, la valise tombe, la valise s'ouvre, la grenouille glisse et roule sur le sol. Jojo sort. Pour la grenouille. Il rampe, ça tire sur tous ses muscles dégonflés.
Et ça crépite, tout à coup. C'est le cri d'un Allemand, l'aboiement d'un chien, y a pas de différence dans la tête de Grenouille. Dans la valise, tout était étouffé, alors maintenant tous les sons ont l'air trop fort, comme des claquements dans l'air. Jojo reste allongé sur le plancher, comme quand il était sur les rails, de toutes façons ses jambes sont trop molles, et puis y a la Peur qui le plaque comme des bras tendus. Tu sais ce qui est plus violent que la Peur, malgré tout ? La Rage. Les uniformes ont tellement de rage dans leur voix et même tout leur corps que tu peux pas battre ça, tu vois, même si tu veux jouer au héros, tu peux rien faire face à cette rage-là. Jojo fait rien, ils le redressent sur ses pieds mous et il fait rien, ils le tiennent par ses épaules maigres et il fait rien.

On crie, encore, un numéro maintenant, Grenouille reconnait car le baratin yiddish ressemble à l'allemand. Elias arrive. Elias est un numéro. Jojo comprend lentement. On questionne Elias. Jojo a eu le temps de comprendre qu'il ne doit rien dire. Pas dire qu'il connait Elias. Rien dire.

Juif ? un uniforme demande.

Jojo fait non de la tête.
Un autre uniforme parle, même quand il parle on dirait un cri étouffé, et le premier uniforme baisse son pantalon. Jojo pleure un peu, mais un tout petit peu. Tout le monde regarde son zizi. L'uniforme a une grimace de dégoût et on balance Jojo vers Elias. Il tombe, parce que son pantalon n'est pas remonté. Rien que ça, tu sais, c'est tellement plein de violence.

Il a du échapper à son groupe. Il part vendredi au block 11. dit un uniforme en français, avec un accent qui grésille comme une clôture électrique.








Le reste est encore effacé, mais Jojo se souvient du pyjama rayé et du baraquement plein de gens. Et puis l'odeur, tu sais, encore pire que toutes les autres odeurs.

Qu'est-ce qui sent comme ça ? Elias, qu'est-ce qui sent comme ça ? il demande, alors qu'Elias l'entraine dans l'immense immense immense camp avec des maisons en bois.

Elias répond pas.
Elias doit pas savoir que c'est un miracle que la voix de Jojo sorte encore.
Les gens en pyjama font encore plus peur que les uniformes. Ils le regardent fort et ils ont l'air mort. Il y en a par terre, partout par terre, avec l'air encore plus mort. Plus mort que mort. Tu sais pas comme c'est horrible de marcher parmi eux, comme c'est comme dans ces rêves où on sait plus comment sortir.
C'est dur de se souvenir dans l'ordre après. Le feu brûle ses habits, pour désinfecter. Le jet d'eau glace sa peau, pour désinfecter. ALLEZ ALLEZ ALLEZ. Les cris ont repris, les bousculades ont recommencé. C'est toujours de la violence. Chaque morceau de peau de Grenouille est atteint, contaminé par la violence, et c'est pour la vie.
Le pyjama avec une nouvelle étoile. La tête rasée encore plus près. Le numéro, le sien, pour lui tout seul, en plein milieu du bras. Il commence comme Elias. Et ce numéro, c'est beaucoup de violence encore.

Jojo demande où est David. Il demande sans arrêt maintenant, à tout le monde. Il sait que s'il s'arrête, il n'y aura plus rien alors, il n'y aura plus que le vide. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David...

Sa voix s'éraille mais tient bon.
Et à force, tu sais quoi ? Un petit miracle. David arrive. Dans le baraquement, alors que c'est pas le sien, et Jojo s'agrippe à lui comme il s'est agrippé au train, à la grenouille, à la vie, il pleure toutes ses larmes, et toute la douleur du monde revient en lui comme si la tendresse avait ouvert la porte.

T'inquiète pas mon Jojo, dans moins d'une semaine, tous les trois, on se tire.  

Tous les trois, on se tire.







*




Le cinquième souvenir






La nuit sans David et sans Elias est la pire nuit. Mais il n'y a pas le choix, ils sont loin la nuit. Il ne lui reste que la grenouille. On essaye de lui voler de la nourriture et de lui en donner aussi. Les adultes le collent, ils lui touchent le visage et les bras, parce qu'il n'y a plus d'enfant ici, Grenouille est leur miracle. Ils sont partis les enfants. Plein de gens lui demandent s'il a vu Mariuzs, Marek, Felix, Shmuel, Claude, Gretel, Martyna ou Jacob. Il répond pas. Il sait pas. Tu sais, même ça c'est comme une violence.

Ce qui choque le plus Jojo après, c'est pas de dormir au milieu de plein de grands qu'il doit coller parce que y a pas la place, où les os qui se voient beaucoup sous leur peau... Ce qui va le plus le choquer, cest l'appel. Le lendemain.
L'appel est plutôt la nuit que le matin tellement c'est tôt. Un adulte l'aide à descendre du lit qui est haut et qui n'est même pas vraiment un lit. L'adulte est très gentil avec lui. C'est lui qui lui a donné du pain hier. Il n'a pas d'étoile, il a un triangle rose. Tu trouves ça joli ? Autant que l'étoile ? L'appel commence.
Il faut rester debout les mains sur la tête. Il faut rester comme ça, des heures. Tu imagines, des heures ? Jojo a les bras qui tremblent, les jambes aussi, parce que ça fait des jours qu'il était recroquevillé dans une valise en plus. Il tient plus. Il y a des adultes autour de lui qui tombent et personne les ramasse. Il y a même une dame. Voir une dame tomber c'est une énorme violence. Tu vas croire qu'il s'habitue mais non, un trou s'habitue pas à être creusé tu vois, il devient juste plus profond. Et ça creuse encore, puisqu'un uniforme vient et que son pistolet tire dans la dame, qui est pas loin de Jojo, de sorte que cette image là elle s'incruste dans les yeux de Jojo pour l'éternité.






Le soir, Jojo à plein d'images incrustées. Il y a les femmes qui sortent du docteur avec des croûtes sur la peau ou des visages déformées. Il y a Triangle Rose qui se fait battre et battre et battre parce qu'il a fait tomber une grosse pierre tout près du pied d'un uniforme. Il y a les corps étalés par terre et Jojo imagine que ce sont des bateaux et que le sol est la mer, la mer morte. Il y a les malades qui crachent du sang et qui veulent pas aller à l'Infirmerie, parce que dans le camp l'Infirmerie soigne pas. L'Infirmerie envoie aux douches qui tuent. C'est pour ça qu'il y va pas, parce que Triangle Rose lui a dit. Même si ses poumons sifflent et que son numéro le gratte.

La nuit, Triangle Rose le serre fort, et il s'endort.

Le matin, il y a l'appel encore, et Jojo tient encore moins. Peut-être parce qu'il a de la fièvre, et des plaques, et des frissons, et qu'il tousse. Il faut se retenir pourtant, Triangle Rose lui a dit. Les uniformes ont peur des maladies. Le reste du temps, Grenouille ne fera rien, rien du tout, à part absorber chaque image et recevoir chaque choc de plein fouets, même que ses yeux semble grandir par manque de place.

C'est le midi qu'il y a l'évasion. Comme cadeau, Triangle Rose lui a donné son triangle, parce qu'il n'a rien d'autre. Jojo sait qu'il va mourir pour ça mais Triangle Rose a dit : ce n'est pas grave.

Jojo est le premier à passer, sous les barbelés. Ils ont creusé un tunnel et Jojo est fort pour ramper. Ils ont mis plusieurs pulls pour pas se faire déchirer la peau, ils ont arraché les signes de juiverie qui risquent de les trahir dehors, ils ont fait tout ce qu'il fallait.
Elias est le deuxième et il rampe bien aussi, il fait presque pas de bruit. C'est lui qui a trouvé des vêtements pour l'extérieur, dans les bagages des gens morts.
David est le troisième, et il y est presque, mais d'un coup : Jojo crie. Les larmes débordent de ses yeux trop grands, il pique une crise de nerf, une crise d'angoisse, on sait pas trop, et tu sais pourquoi ? Parce qu'il a pas son étoile. C'est comme s'il avait oublié un morceau de corps dans le camp, ça le panique tellement qu'il peut pas baisser la voix, et qu'à cause de ça ils risquent d'y passer tous les trois.
Alors David lui dit de ne pas pleurer, David dit qu'il va y retourner. Qu'il va la chercher son étoile. Il a laissé la sienne sur sa veste d'uniforme, ça ira ? Oui, il dit Jojo, dans un hoquet bourré de nerfs, ça ira.

David y retourne. Dans la tête de Jojo, c'est pas possible que David se fasse attraper. C'est hors de sa raison, hors de sa conscience. C'est pas envisageable. David sera toujours là, David échappe à tout, David est plus fort que TOUT.
Sauf que David ne passe pas les barbelés. David revient, lance son pyjama à Jojo, puis une ombre d'un noir absolu s'abat sur David. On dirait que c'est l'ombre de la mort.
David se fait attraper.
David s'est fait attraper.
Jojo regarde l'ombre extrêmement noire.
Jojo regarde de l'autre côté des barbelés et toute l'horreur du monde est dans ses yeux.
David hurle : "DÉGAGEZ ! DÉGAGE JOJO ! KERTESZ, N'OUBLIE PAS TA PROMESSE !!". Et Jojo se débat, dans les bras d'Elias, il hurle et pleure, plus fort que les aboiements des chiens, plus fort que les hauts-parleurs, et David disparait, tu vois, il disparait pendant qu'Elias traine Jojo, le force, le sauve.
Il disparait.









L'errance.
Jojo est comme sa grenouille, il est en chiffon. T'imagines, un humain en chiffon. Il parle plus. Il a plus de larmes, plus d'expression. Jojo n'a plus le pyjama, mais il a gardé l'étoile de David et le Triangle Rose. Ses pieds saignent de marcher, les cloques éclatent, et Elias doit le porter. Ils dorment dans des fermes, dans des champs, dans la merde. Ils mangent rien. Jojo tousse encore, Jojo est presque mort. Il s'arrête souvent pour vomir. Il s'effondre. Est-ce qu'un pistolet tirera sur lui ? Il entend encore les cris.

Une église, une voiture, une grande maison. Jojo est trop presque mort pour comprendre. Elias l'a porté tout le long. Elias est tellement courageux qu'on dirait quasiment plus un enfant. Elias l'accompagne à l'orphelinat. La grande maison, c'est un orphelinat.
Les femmes à l'intérieur ont l'accent de Maman, et si Jojo avait des larmes ça le ferait pleurer. Jojo dit rien. Il ne comprend pas, de toutes façons, personne ne parle français, à part Elias, qui lui parle tout le temps, et tout le temps de jolies choses. Ça doit être un gros effort pour Elias, de trouver tant de jolies choses à dire. Elias reste avec lui tout le temps. Jusqu'à ce qu'il guérisse, parce que Jojo a le typhus.
La vie revient dans Jojo, et ça fait mal partout.
On dit que Jojo a la rage de vivre.

Il y a un prêtre qui est venu au cas où la rage de vivre ne serait pas assez forte. C'est lui qui rend Jojo tout transparent, pour le protéger.
Tu n'es plus juif. Ta maman n'a pas l'accent de Pologne. Ta maman est morte. Ton papa est mort. Tout est mort. L'ancien Jojo aussi.
Ne montre pas ton zizi. Non, tu ne peux pas garder ton étoile. Allons, elle est laide, elle est si laide, pourquoi tu pleures ? Non, c'est trop dangereux.

Jojo la gardera quand même. Dans sa semelle, bien cachée, bien trésorée.
On dit que Jojo a la rage de vivre.

Jojo s'en fout d'être juif, Jojo s'en fout de tout, parce que y a David, y a David qui est resté là-bas vous comprenez, et David va mourir, un pistolet dans la tête, David va mourir du typhus, et si David fait tomber une grosse pierre au pied d'un uniforme, DAVID !!!

— Je vais le chercher.

C'est Elias qui dit ça, une nuit, au fond des lits, dans le silence obstrué de soupirs et de pleurs étouffés.

Je viens avec toi.

Mais Elias refuse, Elias a fait une promesse, et quand Jojo dit qu'il s'en fout de mourir, Elias s'énerve comme jamais il s'est énervé, Elias sort Jojo de son lit et le plaque contre le mur, Elias lui dit : Tu n'as pas le droit de mourir  !! Tu dois toujours fuir, et toujours te cacher, et toujours vivre  ! Ne dis jamais ce que tu es ! Ne reviens jamais là-bas  !! Tu n'existe plus ! Personne ne doit te trouver ! TU N'EXISTE PLUS !!
… Alors, alors, tu es juif ?

Alors Jojo dit non, et Elias le bouscule plus fort  : alors tu es juif ???
Non !
Plus fort encore.
ALORS TU ES JUIF ??
NON !!!
Jojo doit vivre mais ne pas exister.
C'est tellement de violence encore, la pire des violences, de ne pas exister.

Alors Elias part, et Jojo use sa réserve secrète de larmes.
Tu lis encore  ? ...









L'orphelinat est comme le camp, la chaleur qui crame remplacée par le froid qui mord. Les enfants sont durs, et cruels, et mesquins, parce qu'ils sont mangés par le chagrin.
Jojo est celui qui ne parle pas. Les plus grands font la loi, ils se vengent contre la vie. Jojo subit des offenses qu'il ignorait possible. Des offenses qui vont loin. Loin jusque dans les culottes. Tu te dis que c'est pas possible, hein, autant d'atteintes pour un seul enfant, une seule peau, mais si, SI c'est possible. C'est quand y a tellement d'atteintes qu'on parle de miracle.
Et Jojo se laisse faire. Il laisse les atteintes venir et s'envole un peu en lui-même quand ça fait trop mal. Il attend David. Elias a dit qu'il reviendrait vite. Jojo marque les jours, sur le mur derrière son lit. Rien n'a plus d'importance à part ça, tu vois.

Des centaines de jours.
On dit que Jojo a la rage de vivre.







*





Le sixième souvenir




Sans la fée, Jojo serait peut-être jamais parti. Mais c'est elle qui vient sur son lit. Elle vient sur son bras, elle vient sur son numéro, et même sa lumière est si forte qu'elle avale les chiffres pendant quelques secondes. Jojo se réveille alors, et il suit la lumière jusqu'à la fenêtre. Elle est ouverte.
Il y a déjà d'autres enfants, qui s'exclament de tous les côtés. Jojo n'arrive pas à bien voir Peter Pan.

Ça ne l'étonne pas que Peter Pan existe. Il a déjà vu des morts marcher.
Une petite fille dit à Peter Pan qu'elle a toujours cru en lui, et même un garçon dit "moi aussi", et comme il l'envie Peter Pan, Jojo, comme il l'envie de savoir si bien exister. On dirait que ça ne lui fait même pas peur.
Après, Peter Pan parle de son pays, et Jojo commence à le voir dans sa tête.

Jojo est le seul, pourtant, qui ne veut pas venir. Il doit rester ici. C'est Elias qui l'a dit. Il doit rester ici et attendre David. Attendre Maman, puisque Maman viendra le chercher, puisque l'été revient toujours.
Mais tu sais, les promesses de merveilles grattent sa volonté. C'est qu'il fait si froid ici, et l'île du ciel a l'air ensoleillée. Il tangue. Il a peur. Peur de louper l'été. Peter Pan promet. Ne t'en fais pas. Ce n'est qu'un voyage. Ça ne durera pas si longtemps. Tu sais, il y a des fées. Des vraies fées.

Alors Jojo pose ses pieds sur le rebord de la fenêtre. Il dit oui. A une condition. On va chercher un bout d'été, rien qu'un. On va chercher David. Et Elias, aussi. Il lui faut du courage pour faire ça tu sais, à Jojo, parce que Peter Pan c'est pas n'importe quoi on lui lance pas des conditions comme ça, et que ça fait des centaines de jours que sa voix n'est pas sortie. Mais il dit ça, il le dit et d'ailleurs il raconte tout à Peter Pan maintenant, tout tout tout, ça veut plus s'arrêter, pendant que les autres enfants jouent dans les airs. Et le visage de Peter Pan est dur, il est triste et tremblant, et Jojo tremble aussi, sans aucune pensée heureuse dans la tête.
Peter Pan lui prend la main.

On va les sauver. On va sauver tous les enfants.

Il n'ose pas demander pour Triangle Rose. De toutes façons, il est forcément mort.

Jojo n'arrive presque pas à voler. Peter Pan lui dit de s'accrocher à son étoile jaune. Il fait froid dans le ciel, mais c'est un bon froid, un froid qui rosit les joues, et Jojo hurle. Il hurle !!
JE SUIS JOJO ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JOJO !!!!!

Jojo est comme une fée, il se met à croire en lui-même puisque y a personne d'autre, alors, alors il existe.









Jojo ne sait plus où est le camp, mais Peter Pan renifle l'odeur de la douleur d'enfant. Après, Jojo ne sait plus tout.
Il se souvient de son coeur qui explose quand il revoit le visage d'Elias, le visage tout maigre et vieilli d'Elias, sans cheveux et sans force, et Jojo lui fonce dessus, il aurait peut-être pas du, et il le serre, plus fort que la main de Maman, plus fort que la grenouille, plus fort que TOUT.
Ça dure un peu longtemps parce qu'il a peur qu'Elias ne soit plus là quand il s'écartera.

Alors seulement il demande. Et David. Et David. Où est David. Où est David. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David.  
 
Et cette fois, il n'y a pas de réponse.
Il n'y a pas de réponse.
Pas de réponse.
Où est David.
Pas de réponse.
S'il vous plait.
Où est David.
Non, non, attendez, David.
Elias le serre à son tour, tellement fort aussi, et l'intérieur de Grenouille explose en entier, et son corps est secoué de sanglots sans larmes, de sanglots sans bruit, tant la douleur est comme une lame et qu'elle coupe le souffle.


A quoi ça sert, en fait, d'être un miracle.








L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
Il y a eu trois phases.
La phase 1 : émerveillement, incroyabilité, magie, ça pique les yeux et gonfle le coeur.
La phase 2 : désenchantement, angoisse, violence, finalement ça fait peur et c'est dur, et des gens meurent, ou disparaissent, et c'est terrible.
La phase 3 : Grenouille devient un enfant-vieux et c'est extraordinaire, et ça le rend plus faible dans son corps et plus fort dans sa tête, et le Pays de Jamais commence à devenir aussi le Pays de Grenouille.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?   Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
Grenouille a regretté chaque moment. Grenouille a poli ses souvenirs comme des galets, jusqu'à les faire briller. Il n'avait qu'à fermer les yeux pour voir le sourire de Maman, même après tout ce temps, même après avoir perdu son nom, parce que l'Amour sait combattre l'Oubli. Grenouille a regretté d'être venu, Grenouille s'est trouvé faible, lâche, et même méchant, méchant de ne pas être resté pour sa mère, pour son frère, pour tous les autres même. Et ça, ça pèse encore sur Grenouille, comme une enclume invisible qu'il ne peut pas raconter, pas expliquer, et de toutes façons qui comprendrait ? ...

Mais aujourd'hui Grenouille est occupé à devenir un aventurier, à affronter la réalité et même la non-réalité, et Grenouille ne peut pas y penser au risque de tout effondrer. Alors il ne regrette plus, puisqu'il n'y pense plus.
David est là, de toutes façons. Même si tu le vois pas.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
La Peur demeure, la Peur existe même face au roi, puisque le Roi peut déchainer une tempète, comme ça. Mais la Peur n'est plus la même. C'est une Peur de prudence, de méfiance, ce n'est pas la même Peur que celle des uniformes et de la mort. Grenouille a vu Peter triste, Peter gelé, Peter cassé, et il a compris que Peter Pan est comme lui. Il a mal, tellement mal que ça fait de l'orage. Il a peur, tellement peur qu'il devient du givre. Peter Pan déteste les adultes et Peter Pan accepte les monstres. Grenouille a compris que c'est bien, que dans son âme ça sonne juste.
C'est juste dommage que Peter Pan soit un tyran. Ça gâche un peu tout.

Hook fait Peur. Juste Peur. Hook est comme un humain-horreur. Comme un cauchemar. Comme Runaan.
Il attire, il captive comme le vide, puis son regard semble avaler dans un froid infini.



Le cauchemar

Tout ce qui suit fait suite à cette sombre aventure...

C'est grand la bouche d'un Cauchemar. Ça n'en finit pas.

Grenouille court, et plus il court, plus son souffle est rauque, plus son cœur cogne contre ses côtes, mais ça, il a l'habitude. Ce qu'il ne connait pas, par contre, c'est les douleurs dans les os, ces affreuses douleurs dans les os, et la vision qui se trouble, d'ailleurs il ne voit plus ses mains, tandis qu'il court et court encore. Peut-être que c'est juste la Peur, elle a tant d'effets secondaires la Peur, elle a tant d'effet sur lui.

Le Labyrinthe Infesté se referme sur lui, c'est comme la gueule géante d'une plante carnivore géante, et sa Peur est tellement géante aussi. Il n'a plus d'épée, l'épée est restée coincé dans le ventre du Cauchemar, le ventre de l'Autre, il n'a plus rien que ses jambes.
Il ne sait pas si l'Autre le poursuit, mais Grenouille voit encore son visage partout dans sa tête, c'est presque le visage de la Peur maintenant.

Il voit le Grand Arbre, à travers sa vision brouillée, dans son costume de chat tout déchiré, alors il sourit, et tandis qu'il sourit une dent tombe. C'est celle de devant. Grenouille continue de courir, des dents continuent de tomber. Il sait pas depuis combien de temps, il a jamais été doué pour mesurer le temps.

Grenouille s'est sauvé. Il s'est sauvé tout seul.




Tu crois que ça existe, un enfant vieux ? Grenouille non plus, il pensait pas.
Sauf que quand il rentre chez lui, au Grand Arbre puisque c'est son chez lui, Grenouille n'est plus pareil. Grenouille n'est plus tout à fait un enfant. Parce que l'Autre, Runaan, lui a pris un morceau de jeunesse. Même les camps avaient pas réussi, même la faim, même le typhus. L'Autre a réussi. Grenouille met un petit temps avant de réaliser.
Réaliser qu'il est devenu un enfant qui a de l’arthrite. Un enfant qui voit plus bien de près. Un enfant qui a les doigts qui tremblent. Un enfant à qui il manque des dents, un enfant qui respire encore plus mal qu'avant, un enfant avec une grosse mèche de cheveux blancs. Il a même pas grandi, pourtant.

Grenouille comprend pas. Grenouille s'horrifie, panique, hurle en dedans. C'est comme la suite du cauchemar, tu vois, et il est tellement épuisé par tout ça maintenant. Il a plus la force. Il espère que la Mort voudra de lui, cette fois, et même il reste sous la Pluie pleine de sel pendant longtemps, tout seul dans la nuit, en espérant qu'il se fasse emporter pour de bon. Mais la Mort veut pas, la Mort vient pas. Grenouille devra survivre, encore, il a pas le choix.

Grenouille se planquera sous sa capuche à oreilles de chats et ira à l'Infirmerie, trempé jusqu'aux os, au creux de la nuit pour pas qu'on voit, qu'on voit sa bouche édentée et sa mèche argentée, parce qu'il veut pas être ça. Il veut PAS. Et quand il voit le regard de Soul qui tombe dans les orbites, quand il le voit tomber, il arrive même pas à pleurer. Peut-être que ça pleure pas, des yeux d'enfant-vieux.

Pendant des jours il reste dans un coin, caché derrière un rideau, à inspirer des infusions pour dégager la crasse de ses poumons, à boire des remèdes pour se remettre d'aplomb. Au fil du temps, on va se rendre compte des dégâts, de toute la vieillesse qui s'est propagé dans le corps encore tout petit de Grenouille, dans les reins, dans les os, les poumons, dans les yeux, partout !! C'est comme un poison, comme une infection, et Grenouille a envie de se déchirer la peau pour faire sortir ça !!! Les Soigneurs se relaient à son chevet, ils ont peur qu'il meure, ils savent pas, eux, que la Mort veut pas de lui.
Owl, le très grand soigneur, est le premier à le toucher, pour masser ses muscles et ses os transformés en douleur pure, car si Grenouille ne fait rien il va se fissurer de l'intérieur.
Jaws, le très petit soigneur, lui apporte les infusions que Grenouille doit respirer sous une serviette et qui vont suffoquer.
Après, il y aura les masques, les intubations, les exercices, et on le force Grenouille, parce que c'est fatigant de réapprendre à vivre, encore et encore.

Il a honte, Grenouille, il veut pas qu'on le regarde, surtout pas. Il a plus de dents, plus de cheveux, un regard vitreux. Il respire comme une machine !! Il est devenu un Monstre. Il devrait déménager chez les Monstres. Ils accepteraient, il est sûr. Et tant pis s'il se fait manger. La Honte, c'est poisseux comme la Peur. Et d'ailleurs, la Peur est toujours là, elle l'a pas quitté depuis le Labyrinthe, la seconde peau est presque devenue la première.
Il arrête pas de trembler, de vomir, et puis la fièvre et puis la toux, il peut à peine marcher, à peine parler. C'est le contre-coup de la Peur. Ou c'est parce qu'il est un enfant-vieux ?
Tu sais pas toi, bien sûr, puisque jusqu'ici, un enfant-vieux ça existait pas.

Mais la vie revient, regonfle ses vaisseaux, c'est toujours comme ça quoiqu'on en dise. C'est pareil que dans l'orphelinat, pareil qu'après le Typhus. C'est la Rage de vivre.
Il arrive à marcher, avec une canne d'abord et avec ses deux jambes qui tremblent après. Il arrive à regarder son visage changé dans le miroir sans pleurer. Il arrive à accepter qu'il va continuer de vivre. Il arrive même à parler, un jour, quand Soul lui dit que Jerk est là. Jerk est presque mort de Honte aussi, alors Grenouille va lui tenir la main, parce que Jerk c'est son copain. Ensemble ils affronteront la Honte en face et c'est du courage.

Grenouille a pas tant changé. Y a toujours les figurines, y a toujours le costume de chat. Tant pis pour l'artrite et les calculs rénaux. Grenouille est toujours l'enfant qui parle pas, l'enfant qui tombe malade facilement, l'enfant qui est trop pudique, qui ne veut pas qu'on le touche !! L'enfant qui dessine beaucoup et qui ne montre pas ses dessins. Qui a des tics, des petits tics.
L'enfant qui voit son fantôme, toujours. Alors Grenouille reste Grenouille, pas vrai, même après tout ça.
...

Sauf que si, en fait, si, quelque chose change dans Grenouille, au-delà de la Peur tenace, au-delà de la Honte qui poisse, au-delà de la malédiction. Au-delà de juste les dents et les cheveux qui tombent. Ça prend du temps, mais regarde bien.
A mesure que les jours passent et que Grenouille digère, Grenouille sent quelque chose d'autre que la crasse dans ses poumons. Tu crois que c'est juste les infusions ? Ou alors c'est parce que Jerk l'a regardé sans dégoût ? Parce que ça a l'air puissant, tu sais comme si quelque chose venait d'éclore en lui et étendait ses branches dans tout son corps. Peut-être qu'il comprend seulement maintenant, qu'il lui fallait plusieurs jours, pour se rendre compte que là, il a vaincu la Peur. La Peur avait un visage de vieux Faune, une peau d'écorce et une haleine de brouillard froid, et il l'a vaincu.
Elle est encore là, tu sais bien qu'elle est encore là, mais il l'a vaincu, rien qu'une fois. Il lui a planté une épée dans le ventre. Tu te rends compte ou pas. Il s'est battu, il s'est débattu, tellement fort. Il en est presque mort. Encore. Mais presque mort, c'est plus fort que mort.

Grenouille va survivre alors. Il sera le seul enfant-vieux de l'univers, le seul enfant à qui on aura pris sa jeunesse et qui aura quand même une armure, des figurines et des rêves. Un enfant en carence de jeunesse mais encore plein d'enfance.
Il tiendra bon, comme une mauvaise herbe. Avec sa mèche, là, tu trouves pas qu'on dirait une mauvaise herbe ? C'est ce qu'elle dit, Curve. Qu'il résistera, comme les mauvaises herbes. C'est elle qui lui a fait cette coupe-là, puisqu'il perdait ses cheveux.

Grenouille résiste.
Grenouille s'équipe.
Grenouille se prépare à survivre jusqu'à la fin des temps.

Son armure-troisièmepeau-costumedechat, Curve la recoud mais surtout, Curve la complète. Grenouille devient invincible.
Quand Grenouille déboule dans la Mercerie, alors que Grenouille il déboule jamais nulle part, et qu'il dit "Je veux une panoplie", Curve sourit. La voix de Grenouille est forte, ample, ferme, remplie à ras bord d'assurance. C'est pour ça qu'elle sourit. Avant qu'il soit un enfant-vieux, avant qu'il ait sa mèche argentée, avant qu'il ait enfoncé l'épée dans le ventre d'un cauchemar, Grenouille aurait jamais fait ça. Aujourd'hui, Grenouille a un sac à dos avec des piquants et un casque à tête de dinosaure. Grenouille a un boomerang, un lance-pierre et une PANOPLIE.

Grenouille aura du caractère, Grenouille dira «  non  » quand il ne veut pas. Il dira «  non  » quand on le tape, quand on l'insulte, et un encore plus gros «  NON  » quand on touche à ses affaires, parce que ça il supporte vraiment pas. Il aura une mini voix, mais il aura une voix. Il se défendra.

Grenouille sera cet enfant-là, un enfant-vieux, un enfant-vainqueur, un enfant-fort. Il est copain avec les Monstres de la Contrée, Grenouille, et même s'il a peur de toi, peut-être que toi tu aurais peur des Monstres, tu vois. Grenouille se compare plus à toi. Grenouille a sa petite force aussi, et parfois elle est grande, elle est hyper grande. C'est juste que tu le verras pas.
Tu le verras lui, avec son armure de chat, son casque dinosaure, son sac hérissé et ses gadgets importants, avec son attirail à la steampunk qui doit l'aider à survivre, tu le verras parcourir le Pays avec les os qui craquent, parce que c'est toujours en dedans qu'il a mal Grenouille. Et c'est pas grave, il court encore, il brave encore, et parfois même il marche sur les mains pour rire.

Et tu entendras son cri quelque part, un cri sans Peur et sans Honte :
JE SUIS GRENOUILLE ! JE SUIS UN MONSTRE ! JE SUIS UN MONSTRE !!!!




Unique au monde

Chaque image ci-dessous présente une page du carnet de Grenouille.
Les photos ont été prises par Shark. En échange, Grenouille lui a donné une figurine de requin, mais Shark l'aurait fait de toutes façons même si elle a l'air grognon.


  LA PANOPLIE (avec les accessoires)

Le costume de chat

La ceinture d'aventurier

Le sac à dos à piquants

Le casque dinosaure

Les lunettes


  LES MASQUES (pour les poumons)

Le petit masque

Le masque respiratoire

Le masque de la nuit


  LES AUTRES CHOSES

Les armes

La grenouille

Les figurines

Feraille




Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ?   JEUNE
C'est quoi ton Avatar   ? Max et les Maximonstres et Max tout court.
Comment t'as découvert l'île ? par miracle
Tu la trouves comment ? miraculeuse
Dis, tu crois bien aux fées ? c'est une seconde famille.

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Petit roi du monde
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MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim - Page 2 Empty06.10.17 17:38

Voici le nouveau Grenouille, qui a changé sur pas mal de points suite à une rencontre avec un certain faune (le lien se trouve dans la fiche au cas où). Quelques précisions tout d'abord :
→ Cette fiche est en deux parties (postées l'une après l'autre) je sais que la longueur fait peur mais il y a beaucoup d'illustrations partout, c'est aussi pour ça que c'est si long !
→ L'histoire n'est pas absolument nécessaire pour comprendre le personnage, même si bien sûr c'est toujours mieux. Aussi tout est raconté du point de vue d'un enfant, c'est pour ça que ça parait un peu confus comme récit.
→ Y a des liens partout, faut cliquer dessus :inhin:
→ Cette fiche n'est pas qu'un drama, je vous jure.
→ LOVE




Grenouille


Trucs

Surnom : La Pétoche
Groupe : Perdus
Age : 9 ans
Rôle : Éclaireur


Dans la tête

Le véritable courage, ce n'est pas d'être sans peur. Sans peur, pas de courage. Le véritable courage, c'est de se tenir face à sa peur et de la regarder dans les yeux.
Il la répète dans sa tête cette phrase, Grenouille. C'est un Peau-Rouge qui lui a dit. Il la répète tout le temps. Puisque Grenouille a peur. Tout le temps.

Et le traite pas de lâche, toi ! Le traite pas de lâche.
Il est pas lâche Grenouille. Il est courageux, même si ça se voit pas. Parce que c'est tellement dur de vivre avec la Peur, tout le temps. Ça use, ça tend, ça épuise, ça vide de couleurs et ça vide de force. Tu sais pas, tu imagines pas. Ça poisse, la Peur, ça s'infiltre partout, c'est du froid, du poison, la Peur ça peut être une seconde peau. Pour Grenouille, c'est une seconde peau.
Ne vas pas dire que les monstres, ça n'existe pas. Qu'est-ce que tu sais de ce qui existe, toi ? Ça existe des prisons pour enfants ? Ça existe des mères qui disparaissent comme ça, d'un coup ? Ça existe des policiers qui tuent des vieux ? Ça existe, tant de Mort, pour rien, pour rien du tout ? Ça existe, tu dirais ?? Oui, ça existe. Grenouille était là.  
Alors puisque ça, ça existe, comment on fait pour pas avoir peur ? Puisque c'est ça le monde.

Te moque pas. Te moque pas !
Te moque pas parce qu'il sursaute au moindre bruit, qu'il claque des dents dès qu'une ombre est trop noire ou un son trop grinçant. Te moque pas quand il a le souffle qui tremble pendant les histoires qui font peur, même pas si peur que ça, pour toi. Te moque pas quand il voit des trucs qui, dans tes yeux, n'existent pas. Dans ses yeux à lui, ça existe, et toi aussi tu aurais tellement peur. Si tu voyais des paysages, des visages, des voix, se transformer en cauchemars vivants, petit à petit, sous l'effet invincible de la Peur, parce que la Peur c'est puissant, c'est vorace, ça peut tout déformer, et ça peut dévorer les enfants, tu aurais tellement peur.    
Te moque pas quand il se pisse dessus, et quand il gémit dans son sommeil, et quand il pique des crises d'hystérie qui te font dire qu'il est fou en fait, et quand il reste tout figé de Peur pour des choses qui te paraissent rien. Y a jamais de rien pour Grenouille, y a la seconde peau.

Alors Grenouille tremble dans le fond de son lit et fuit les horreurs qui ne le lâchent jamais, jamais vraiment. Il dit rien, il parle pas Grenouille, même quand ses poumons sifflent de Peur, parce que y'a l'asthme, et que ses yeux débordent d'Horreur, parce que y'a les hallucinations, Grenouille il parle pas. Il va voir personne. Qu'est-ce qu'il peut dire, hein ? Y a rien à dire. Ça marchera pas de lui dire « ce n'est rien » ou « n'aie pas peur ». C'est trop gros, trop fort, trop tout.
Il parle tout seul alors. Il récite des murmures très vite, comme des prières, des incantations secrètes. Peut-être que c'est sa protection. Te moque pas.
Et même quand il essaye d'affronter, ou de raisonner, de se dire que tout va bien, que c'est dans sa tête, ou que c'est juste le vent, c'est si difficile. De se convaincre, de se calmer, de garder son sang tout froid. C'est dur, c'est trop dur. Puisque la Peur finit toujours par saisir sa cheville, par l'entrainer dans son antre glacée en attendant de l'avaler. Tout cru. Parce que c'est vraiment ça, tu sais, vraiment ça.

Y en a qui disent qu'il est un peu taré Grenouille, mais c'est aussi parce qu'il a parlé de David. Il a dit à d'autres qu'il l'avait vu, son frère, son grand frère, sauf que son frère c'est un fantôme qui apparaît sans prévenir et disparaît jamais complètement. Alors les autres ils se disent qu'il est fou, c'est logique, il comprend Grenouille.  
Maintenant il en parle plus, et quand il voit David la Peur se mêle à la Joie, la Chaleur se mêle au Froid. Il sait bien que c'est pas normal, il a passé l'âge de raison après tout, et même ça lui fait un peu peur tu sais, mais la crevasse dans lui a l'air moins profonde quand David est là. Mine de rien.
Alors gardera ça comme un secret entre lui et lui.
Quand Grenouille voit les autres fantômes par contre, et qui sont presque toujours des enfants, il n'y a plus rien que la Peur. Il en parle pas non plus. Il y a cet autre sentiment aussi, ce sentiment encombrant, tellement lourd. Un sentiment en métal de honte, puisque Grenouille se sent coupable d'être en chair et en respiration. Lui.
Il se sent tout seul Grenouille, dans l'immensité de sa survivance.

Il se demande pourquoi il est encore là, Grenouille. Il se demande pourquoi le miracle se produit encore et encore. Il se demande s'il a de la chance, ou si c'est un genre de malédiction. Il se demande pourquoi les grands, les costauds, meurent ou partent, et pourquoi lui, lui la Pétoche, lui le déglingué, pourquoi il est encore là. Pourquoi il survit. Pourquoi il a survécu à l'Ordinaire et pourquoi il survit à l'Extraordinaire. Pourquoi la vie se débat tellement dans ses entrailles.
Il se demande tout seul, parce que ça fait longtemps qu'il a arrêté de demander pourquoi à haute voix.  

Et parfois il se demande, il se demande. Comment ils font les autres. Est-ce qu'ils affrontent des choses énormes et sombres aussi ? Est-ce qu'ils sentent le poids de l'angoisse dans leur ventre, au bout de leurs doigts, est-ce qu'ils ont la seconde peau ? Est-ce qu'ils se font grignoter par la Peur en secret ? Est-ce qu'il est le seul comme ça, à ressentir ça, tout le temps ? Pourquoi c'est si dur pour lui, pourquoi tout est plus dur. Pourquoi c'est jamais tranquille, jamais simple. Pourquoi la Peur revient toujours, comme si elle craignait qu'on l'oublie. Pourquoi il est pas comme les autres.
Ils ont l'air tellement plus forts, c'est vrai. C'est vrai.
...

Mais c'est pas grave, tu vois.
C'est pas grave, Grenouille il se défendra. Avec ses petites armes. Peut-être que c'est elles qui l'ont fait survivre, on sait pas.
Comme troisième peau, il y aura le costume de chat. C'est rien qu'un costume, et tout abîmé maintenant, même si Curve l'a rafistolé. Comme lui, rafistolé. Rien qu'un costume en polaire rapiécée, tout vieux tout moche. Mais quand Grenouille le met, ça devient une armure. Grenouille devient un chat sauvage, Grenouille peut griffer, sauter, mordre, Grenouille se défend. Contre toi, contre les autres, contre les horreurs dans son coeur, contre les tempêtes dans sa tête. Grenouille devient costaud.

Comme armée, il aura les figurines. Tu sais il en a plein. Il a des animaux, des chevaliers, des pompiers, des bonhommes de la vie normale. Il a une collection. Grenouille joue sans cesse avec ses figurines, à tous les moments de la journée, même parfois à table ou dans son lit. Il en a toujours une sur lui, c'est comme un toc. Et il fabrique des décors, et des maquettes, il fabrique des mondes miniatures entiers avec du papier mâché et des bouts de bois, avec une foule de détails, et une fantaisie très ordonnée que tu n'aurais pas soupçonné derrière le visage de peur.
Grenouille reconstitue les histoires de Jules Verne, parce que Jules Verne est son auteur préféré, qui lui donne de la force aussi, puisqu'on peut jouer à Vingt Mille Lieux sous les Mers dans l'Océan et à Voyage au Centre de la Terre dans la Jungle, et que tout ça fait moins peur ainsi.

Comme bouclier, il aura l'étoile. L'étoile de David. L'étoile de David de David. Même quand il aurait pu mourir de la garder, Grenouille l'a gardé. Et elle est toujours là maintenant. Sur son habit de chat, une couverture pour son cœur, et elle est belle son étoile. Elle a six branches, c'est pas toutes les étoiles, ça.
...

Et puis Grenouille, il est peut-être tout pâle, et tout fragile, et tout craintif, et si tu le regardes il détournera les yeux, n'empêche que Grenouille il a survécu à une nuit sans fin, une chaleur qui fait mourir les plantes et une pluie qui noie une île. Il a survécu aux barbelés du Monde Ordinaire. Il a survécu à Pitchipoï. Il a survécu tout court.
N'empêche que Grenouille il est encore là, avec la Peur qui lui court après et la Solitude qui appuie sur son corps comme une cape en plomb.
N'empêche que tu sais, son esprit est rempli de jolies choses, d'une imagination colorée que tu ne peux pas voir sous son teint gris, n'empêche qu'il rêve et joue encore, n'empêche que Grenouille est un petit miracle.
Parce que les miracles aussi, ça existe. La preuve.


N'empêche.
N'empêche que Grenouille, un jour y a pas si longtemps, la Peur a tellement hurlé dans ses oreilles qu'il s'est senti prêt à mourir pour qu'elle se taise, et qu'il est entré dans la bouche d'un Cauchemar.
Le Cauchemar, on l'appelle l'Autre, on l'appelle Runaan, et Grenouille est entré dans sa bouche.

C'est du courage, ça.





Sur l'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
Il y a eu trois phases.
La phase 1 : émerveillement, féérie, euphorie, tout est en magie, ça pique les yeux et gonfle le coeur.
La phase 2 : désenchantement, angoisse, violence, finalement ça fait peur et c'est dur, et des gens meurent, ou disparaissent, et c'est terrible.
La phase 3 : Grenouille devient un enfant-vieux et c'est extraordinaire, et ça le rend plus faible dans son corps et plus fort dans sa tête, et le Pays de Jamais commence à devenir aussi le Pays de Grenouille.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?   Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
Grenouille a regretté. Grenouille a repensé à l'Ordinaire, celui d'avant Pitchipoï, encore et encore. Grenouille a poli ses souvenirs comme des galets, jusqu'à les faire briller. Il n'avait qu'à fermer les yeux pour voir le sourire de Maman, même après tout ce temps, même après avoir perdu son nom, parce que l'Amour sait combattre l'Oubli. Grenouille a regretté d'être venu, Grenouille s'est trouvé faible, lâche, et même méchant, méchant de ne pas être resté pour sa mère, pour son frère, pour tous les morts de Pitchipoï. Et ça, ça pèse encore sur Grenouille, comme une enclume invisible qu'il ne peut pas raconter, pas expliquer, et de toutes façons qui comprendrait ? ...

Mais aujourd'hui Grenouille est occupé à devenir un aventurier, à affronter la réalité et même la non-réalité, et Grenouille ne peut pas y penser au risque de tout effondrer. Alors il ne regrette plus, il n'y pense plus. Il est occupé à survivre.
David est là, de toutes façons. Même si tu le vois pas.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
La Peur demeure, la Peur existe même face au Roi, puisque le Roi peut déchainer une tempète, comme ça. Mais la Peur n'est plus la même. C'est une Peur de prudence, de méfiance, ce n'est pas la même Peur que celle des uniformes et de la mort. Grenouille a vu Peter triste, Peter gelé, Peter cassé, et il a compris que Peter Pan est comme lui. Il a mal, tellement mal que ça fait de l'orage. Il a peur, tellement peur qu'il devient du givre. Peter Pan déteste les adultes et Peter Pan accepte les monstres. Et même si son coeur bat plus vite à côté de Peter Pan, dans son âme ça sonne juste.
C'est dommage que Peter Pan soit comme un tyran. A cause de ça, parfois dans la tête de Grenouille Pitchipoï et Neverland ne font plus qu'un.

Hook fait Peur, et juste Peur. Hook est comme un humain-horreur. Comme un cauchemar. Comme Runaan.
Il attire, il captive comme le vide, puis son regard semble avaler dans un froid infini. Et Grenouille ne veut plus vivre ça. Jamais.




Dans les souvenirs





Avec la Sombre Aventure, Grenouille a perdu des dents, mais il a gagné des souvenirs. Ils reviennent dans des flashs qui secouent tout le corps. Ils sont de plus en plus durs au fil de l'histoire, mais s'il te plait lis jusqu'au bout. Il le mérite, Grenouille. Pour toi ce sont juste des choses difficiles à regarder, mais lui c'est dans lui pour toujours.

Il y a un souvenir par branche, tu sais, son étoile a six branches.



Le premier souvenir





Le premier souvenir c'est le plus chaud. C'est dommage parce que c'est aussi le plus vide. Dans ce souvenir il y a les osselets, les billes, la blouse à l'école, le cirque pour son anniversaire. Il n'y a pas de nom, puisque Peter Pan l'a pris, mais il y a ça : Jojo.
Puis il y a les affiches placardées devant les parcs, les lieux publics, et même l'école de musique où il joue du violon. INTERDIT AUX JUIFS. Il y a son vieux professeur embarqué qui lui dit "tout va bien, ce n'est rien, on se voit demain". Et puis rien. Pas de demain pour le vieux professeur. Il y a les caillasses et les insultes lancées dans la cour de récré, youpin, youpin ! Et c'est même pas tellement grave. Il y a papa qu'il a déjà trop oublié, mais par contre il sait qu'il est horloger. Il y a David, David c'est son grand frère tu vois, qui se bagarre quand on injure Jojo.
Et Maman, Maman, avec ses robes d'été, et puis tout d'été, parce que Maman c'était l'été, même quand ses sourires étaient mouillées. Maman avec son accent polonais qui fait déraper les mots et qui se glisse jusque dans son rire. Maman qui l'appelle « petit miracle » parce que Jojo a survécu à une pneumonie quand il était têtard (c'est maman qui dit têtard). Maman et ses yeux comme lui. Il y a beaucoup Maman, dans ce souvenir-là.

Puis, il y a l'étoile jaune. Il faut l'afficher partout, la porter partout, en plein sur le coeur. Comme il est fier, t'imagines pas. David est furieux, mais pour Jojo c'est comme un cadeau.
Et le premier souvenir est déjà fini, tu vois il est court.









*



Le deuxième souvenir




Le deuxième souvenir est très chaud aussi finalement, mais tu vois c'est pas la même chaleur. C'est la chaleur qui brûle et qui étouffe, celle qui rend tout plus dur.
Dans ce souvenir, Jojo a l'âge de raison.
Dans ce souvenir, il y a la porte qui sursaute sous les coups, et Maman qui ouvre à moitié en colère, à moitié en angoisse. Jojo reconnaît le policier, c'est celui qui fait des rondes en bas du quartier. Il a comme un autre visage aujourd'hui. C'est le premier visage que Jojo voit se déformer. Et c'est ce visage qui leur dit que cette fois : « les enfants aussi ». Alors le visage de Maman, là, devient l'automne.
Dans ce souvenir, y a plus rien que de la hâte, et de la confusion, et de la brusquerie, et même de la violence, puisque Jojo ne se dépêche pas assez et que ça provoque des cris, déjà tant de cris, et que des cris comme ça c'est violent. Il demande ce qu'on va faire de Jules le chat, et personne lui répond, et il demande encore « Et Jules ? Et Jules ? » et David lui hurle dessus alors, même David. C'est pas le moment Jojo, tu comprends pas que c'est pas le moment ?!
Mais non, tu vois Jojo il comprend rien. Et toi non plus tu comprends rien, alors fais pas semblant.

Alors Jojo donne trois boites de pâté à Jules, au cas où ils reviendraient dans trois jours seulement. Maman s'est occupée des bagages. Ils ont droit à deux tricots et c'est tout, mais il fait tellement chaud de toutes façons.

Ne lâche pas la main, Jojo. elle dit Maman.

Jojo ne lâche pas.
Même en bas de l'immeuble, où tout le monde hurle et bouscule, où des vieux monsieurs pleurent, il lâche pas. Il demande une dernière fois pour Jules. Personne ne répond.
A la place, il y a la voix d'un policier qui crie de se dépêcher, et Jojo n'a jamais entendu un si féroce cri, et puis des cris des gens aux fenêtres qui disent « Vermine !!! » et « C'est injuste !!! » et tout se mélange dans un furieux manège de cris, et Jojo n'a jamais entendu autant de cris d'un coup. C'est de plus en plus dur de ne pas lâcher, tellement il y a de corps et de mouvements qui se dressent sur son passage, bientôt il ne voit plus le ciel, il n'y a plus que des valises, et des chapeaux, et des mains, tellement de mains qui s'agitent dans tous les sens. Son regard s'accroche aux vieux monsieurs qui pleurent, car ça aussi c'est la première fois, et puis David le tire en avant, et Papa le fait monter dans un bus. Le voisin, qui n'a pas de femme ni d'enfant parce que c'est un intellectuel, va dans l'autre bus. Les deux sont remplis de gens qui ont l'air très perdu.

Pourquoi on ne paye pas de ticket pour le bus   ?

Personne ne répond.
Tout ce qu'on entend, ce sont les cris, les cris.

C'est la première fois, aussi, que Jojo voit les adultes être si violents avec d'autres adultes. Il ne comprend pas que Papa se fasse frapper à l'épaule par un policier, il ne comprend pas surtout que Papa ne dise rien. Il le fixe d'un regard sévère, mais toujours sans lâcher, alors qu'ils descendent des bus et marchent en se dépêchant, toujours en se dépêchant.

Est-ce qu'ils vont reprendre mon étoile ?

Personne ne répond.

On va où ?

Personne ne répond.

Maman ?

Personne ne répond.








Le pire, c'est pas la chaleur, c'est pas le bruit, tu sais, c'est l'odeur. Le Vélodrome d'Hiver, c'est pas pour l'été, et on est le 16 juillet 1942. Jojo arrête de poser des questions. C'est encore plus fatigant quand personne ne répond. David lui dit de pas se plaindre. Qu'ils vont pas chialer, quand même. Après tout, Jojo a l'âge de raison. Et puis, vaut mieux garder ses larmes, il fait trop soif pour les gâcher. David est fort, David est robuste. David a treize ans et il regarde les policiers dans leurs yeux, et il a rien besoin de dire. Les policiers baissent les yeux.
C'est là que David rencontre Elias.
Elias a douze ans. Il est déjà plus grand que David, pourtant. Il vit aussi tout près du Sacré-Coeur, mais moins près qu'eux, et Jojo est un peu fier alors.

C'est la première fois que Maman dit « je ne peux pas » quand Jojo lui demande de l'eau. Je ne peux pas. C'est la première fois que personne ne peut l'aider quand ses bronches se coincent. C'est la première fois qu'il sent son père le serrer si fort aussi, car Papa est assez pudique. C'est plus inquiétant que tout le reste, ce câlin si fort.
Mais la fièvre rend tout encore plus chaud et plus flou. Le souvenir s'arrête au nom qui résonne dans tout le vélodrome d'été :


STARVINSKI.


C'est le nom de Jojo.








*






Le troisième souvenir





Les trains.
Le troisième souvenir il commence par des trains.
C'est pas des trains normaux, tu vois, y a pas de siège, et puis surtout y a pas de lumière, y a pas d'air, et dedans que des étoiles à six branches. Grenouille lâche pas. Tu te dis que ça dure une heure, ou deux heures comme ça, et que c'est déjà trop, et Grenouille se dit pareil, mais non, c'est trois jours. Trois jours. Et pendant trois jours, pas de lumière et pas d'air, alors la fièvre et l'asthme, alors y a des vieux qui se salissent, des hommes qui pleurent et un bébé qui meurt. Et Grenouille il a jamais vu la mort, tu sais, c'est la première fois.
Et quand les portes s'ouvrent, y a pas le temps de s'habituer à la lumière qui brûle les yeux et à l'air qui revient dans les poumons, pas le temps, puisque déjà ça crie, ça crie de partout et ça bouscule. C'est comme si on pouvait plus marcher normalement. Parler normalement. C'est comme si on était des animaux.


Le camp.
C'est un truc inimaginable le camp, on sait pas ce que c'est, le camp. C'est pas vraiment une prison, mais tu vois ça ressemble. C'est quoi ces blocs alors ? C'est pas des maisons, ça. Y a des clôtures et des gardes, des chiens, et tellement d'ordres, c'est pas possible de tous les retenir, surtout quand les vieilles dames débitent du baratin yiddish dans les oreilles, sans arrêt. C'est épuisant ce baratin, qui se mêle aux cris ordonnés, aux ordres criés. Y a jamais, jamais de silence, jamais de tendresse, et on dirait que y en aura jamais plus.
Papa se prend un coup sur la tête quand il veut rester avec eux, et Maman pleure, le corps de Jojo est secoué contre le sien parce qu'elle le porte, parce qu'il a de la fièvre, parce que ça fait trois jours et parce que Papa part. Papa part parce que les hommes ne sont pas dans le même camp. David lance son regard contre le visage des policiers, mais ça ne marche plus si bien. Ça fait trois jours pour David aussi.

Et dans le camp, y a les couchettes rouillées, où on dort les uns sur les autres, et les repas sans rien dedans qui donnent soif, et les cheveux rasés pour les poux, et même pour rien parfois, et les punitions, les os qui percent, l'hygiène qui s'effiloche et les corps empalés sur les barbelés. Sur les barbelés !! Tu comprends ? Ça y est, la mort est là, c'est plus comme la première fois, elle est vieille ou jeune, elle est bruyante ou silencieuse et elle est partout, ça s'appelle même parfois du suicide. C'est partout, ça sent.

Et encore des bousculades, qui font de plus en plus mal tu sais, parce que quand c'est une bousculade ou deux bousculades, tu te dis que ça va encore, c'est juste énervant, mais quand tu te fais bousculer toutes les minutes de toutes les heures, c'est comme si ça t'arrachait la peau, comme des bleus partout, et des cris encore, des cris, des cris, des cris !!!! Le silence est mort, puisque même quand les cris se taisent, leur écho résonne toujours dans la fièvre. Tous les matins, Maman se réveille en sursaut et le presse fort, et Jojo a l'impression de mourir, mais il lâche pas. Tu sais, il lâche pas.

Et quand Maman doit partir, il lâche pas. Ce sera le dernier à lâcher. Et tu peux pas imaginer comment c'est ce jour là. Ça fait déjà des jours et des jours qu'ils sont là et qu'ils deviennent des squelettes au regard trop brillant, ça fait des jours qu'ils meurent mais c'est jamais trop finalement. On sépare les mamans et les enfants. Tu imagines l'hystérie ? Tu imagines si on t'arrache ta maman, alors que t'as jamais, JAMAIS lâché ? Tu imagines, ça ?! Tu imagines comme Jojo pleure et hurle, même plus comme un humain, c'est tout son corps qui hurle, et il hurle encore quand le jet d'eau perce sa peau, entre dans sa gorge, éclate ses yeux. Et surtout il lâche pas, Jojo, et il faut trois policiers pour les séparer, avec les chiens et tout, Jojo et sa maman, trois policiers pour les séparer.
Alors Jojo lâche, puisque même David s'est fait plaquer au sol, puisque même Papa est déjà loin, puisque même Maman se fait emporter en criant « vis, vis petit miracle », puisqu'il est tout seul. Y a plus rien à tenir, et sa main se referme dans un vide qui l'avale tout entier.

C'est là que la Peur arrive pour de vrai. C'est quand y a plus de main à tenir, plus rien. Alors elle vient et elle avale, aussi.










*




Le quatrième souvenir



 


Les camions, les trains, le camp.
Encore.
Encore plus loin.
Tu continues de lire ?
Ça fait un mois, plus d'un mois, qu'il y a plus de parents. Tu connais un monde sans parents, toi ? C'est comme se sentir trop petit et trop grand en même temps. Tu sais pas comme ça creuse le ventre, presque avec une pelle tellement c'est violent.
Il y a un autre camp, il s'appelle Drancy, où tous les enfants sont malades. La nourriture est en forme d'eau. Aujourd'hui, on doit repartir. Jojo ne sait toujours pas où, mais les autres enfants disent que c'est à Pitchipoï. Le Pays de Nulle Part.
Jojo a les yeux qui piquent, c'est pas parce qu'il pleure parce qu'il pleure plus,  c'est parce qu'ils ont été réveillés à 5 heures.
Pendant le trajet dans le camion qui saute, David et Elias parlent. Entre eux, ils s'appellent Kertész et Starvinski. Ça fait grand. Ils font exprès.

J'ai entendu le médecin parler avec l'infirmière. Les camps de Pologne, on en revient pas. Tu sais ce qu'ils font ? Ils nous brûlent. Nous, on peut nous prendre au travail, mais lui, il est trop petit.

Lui, c'est Jojo, mais Jojo répond pas, puisque Jojo parle plus depuis que Maman est partie.

Les enfants, ils les gardent pas. Surtout Jojo, avec son asthme. Alors voilà ce qu'on va faire.

Là, David se penche et Jojo entend plus. De toutes façons, il s'endort.
Et dans le train, dans le train où on s'entasse comme des bêtes, parce que c'est un train pour bêtes, Jojo dort encore. Il peut dormir où il veut Jojo, c'est facile, et parfois même David doit lui donner des claques pour le réveiller. Une femme avec un autre langage lui donne de l'eau, il dit pas merci parce qu'il parle plus.
Elle l'appelle : "niebieskie oczy".

Et puis David lui parle et lui fait répéter. Quand on descend, tu vas sous le train. Tu te caches sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Jojo répète avec une voix sans vie.


Quand ils descendent, Jojo va sous le train. Il n'a pas le temps de voir à quoi ressemble Pitchipoï. Tu n'imagines pas comment c'est, une masse de gens qui sont devenus presque fous à force d'avoir faim et mal et peur. Qui parlent tout seuls, qui griffent, qui ont les cheveux dans tous les sens, même les mamans. Qui se pressent hors des trains qui sentent comme les toilettes bouchés, après un trajet qui ne finissait pas. Qui se cognent dessus sur le quai, sans savoir où aller, avec des gardes qui hurlent des mots comme des cailloux. .
Jojo tremble de tout son corps et étouffe ses gémissements. C'est épuisant ces cris, ça écorche toute la peau, jusqu'à laisser que la Peur. Il comprend aucun langage et devant lui, les chevilles de David ont disparu. Personne l'a vu dans la foule, Jojo. Il s'agrippe au train, comme s'il voulait s'y fondre, et heureusement qu'il est bon en acrobatie.
Tu sais combien de temps il reste ? Parce que rien que ça c'est déjà dur. Parce que Jojo reste là une nuit, tu vois. Tu vois. Y a plus David et y a plus Elias, y a plus que lui et sa main vide. Il dort sur les rails, tu vois, avec des vêtements abandonnés autour de lui. On dirait un petit mort.
Tu continues toujours de lire ?

Après, le souvenir est tout écorné, mais Jojo revoit la valise. L'âge de raison lui permet encore de tenir dans une valise tu sais. T'as déjà été enfermé dans un minuscule endroit ? Jojo se fait enfermer dans une grosse valise. Y'a encore moins d'air et de lumière que dans les trains, mais il aime bien, c'est bizarre. C'est Elias qui porte la valise, ça il en est sûr Jojo. Elias est grand pour son âge, il a été mis dans la file de gauche, celle qu'on garde, celle qui travaille. Elias s'occupe des bagages des arrivants à Pitchipoï. Il est venu chercher Jojo sur les rails. Pendant la nuit, un autre train est arrivé, mais personne n'a rien remarqué, puisque de loin Jojo est un tas de vêtements, un petit mort. C'était facile de mettre Jojo dans la valise.
Combien de jours dans la valise, tu dirais ? C'est facile, ça aussi, tu sais. Dormir, attendre, se taire, dormir. Les jours défilent dans la valise et Jojo ne voit que le visage d'Elias, de temps en temps. Il ne ressemble plus à rien, Jojo, avec son visage qui se creuse, sa peau qui blêmit, ses os qui saillent. Il est sale et pouilleux. Elias lui donne une vieille peluche moche qui pendouille. C'est une grenouille. Elias lui dit : "tu dois la protéger, c'est important". Tu y aurais cru, toi ? Jojo se dit que c'est de la connerie, mais un truc en lui y croit un peu.

Elle est juive la Grenouille ? sa voix est comme l'air qui sort d'un ballon percé.


Combien de jours dans la valise, tu dirais. Combien de jours on peut tenir, même quand on rapetisse chaque nuit. Jojo peut pas te dire.
Puis un jour, la valise tombe, la valise s'ouvre, la grenouille glisse et roule sur le sol. Jojo sort. Pour la grenouille. Il rampe, ça tire sur tous ses muscles dégonflés.
Et ça crépite, tout à coup. C'est le cri d'un Allemand, l'aboiement d'un chien, y a pas de différence dans la tête de Grenouille. Dans la valise, tout était étouffé, alors maintenant tous les sons ont l'air trop fort, comme des claquements dans l'air. Jojo reste allongé sur le plancher, comme quand il était sur les rails, de toutes façons ses jambes sont trop molles, et puis y a la Peur qui le plaque comme des bras tendus. Tu sais ce qui est plus violent que la Peur, malgré tout ? La Rage. Les uniformes ont tellement de rage dans leur voix et même tout leur corps que tu peux pas battre ça, tu vois, même si tu veux jouer au héros, tu peux rien faire face à cette rage-là. Jojo fait rien, ils le redressent sur ses pieds mous et il fait rien, ils le tiennent par ses épaules maigres et il fait rien.

On crie, encore, un numéro maintenant, Grenouille reconnait car le baratin yiddish ressemble à l'allemand. Elias arrive. Elias est un numéro. Jojo comprend lentement. On questionne Elias. Jojo a eu le temps de comprendre qu'il ne doit rien dire. Pas dire qu'il connait Elias. Rien dire.

Juif ? un uniforme demande.

Jojo fait non de la tête.
Un autre uniforme parle, même quand il parle on dirait un cri étouffé, et le premier uniforme baisse son pantalon. Jojo pleure un peu, mais un tout petit peu. Tout le monde regarde son zizi. L'uniforme a une grimace de dégoût et on balance Jojo vers Elias. Il tombe, parce que son pantalon n'est pas remonté. Rien que ça, tu sais, c'est tellement plein de violence.

Il a du échapper à son groupe. Il part vendredi au block 11. dit un uniforme en français, avec un accent qui grésille comme une clôture électrique.








Le reste est encore effacé, mais Jojo se souvient du pyjama rayé et du baraquement plein de gens. Et puis l'odeur, tu sais, encore pire que toutes les autres odeurs.

Qu'est-ce qui sent comme ça ? Elias, qu'est-ce qui sent comme ça ? il demande, alors qu'Elias l'entraine dans l'immense immense immense camp avec des maisons en bois.

Elias répond pas.
Elias doit pas savoir que c'est un miracle que la voix de Jojo sorte encore.
Les gens en pyjama font encore plus peur que les uniformes. Ils le regardent fort et ils ont l'air mort. Il y en a par terre, partout par terre, avec l'air encore plus mort. Plus mort que mort. Tu sais pas comme c'est horrible de marcher parmi eux, comme c'est comme dans ces rêves où on sait plus comment sortir.
C'est dur de se souvenir dans l'ordre après. Le feu brûle ses habits, pour désinfecter. Le jet d'eau glace sa peau, pour désinfecter. ALLEZ ALLEZ ALLEZ. Les cris ont repris, les bousculades ont recommencé. C'est toujours de la violence. Chaque morceau de peau de Grenouille est atteint, contaminé par la violence, et c'est pour la vie.
Le pyjama avec une nouvelle étoile. La tête rasée encore plus près. Le numéro, le sien, pour lui tout seul, en plein milieu du bras. Il commence comme Elias. Et ce numéro, c'est beaucoup de violence encore.

Jojo demande où est David. Il demande sans arrêt maintenant, à tout le monde. Il sait que s'il s'arrête, il n'y aura plus rien alors, il n'y aura plus que le vide. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David...

Sa voix s'éraille mais tient bon.
Et à force, tu sais quoi ? Un petit miracle. David arrive. Dans le baraquement, alors que c'est pas le sien, et Jojo s'agrippe à lui comme il s'est agrippé au train, à la grenouille, à la vie, il pleure toutes ses larmes, et toute la douleur du monde revient en lui comme si la tendresse avait ouvert la porte.

T'inquiète pas mon Jojo, dans moins d'une semaine, tous les trois, on se tire.  

Tous les trois, on se tire.







*




Le cinquième souvenir






La nuit sans David et sans Elias est la pire nuit. Mais il n'y a pas le choix, ils sont loin la nuit. Il ne lui reste que la grenouille. Jojo lui parle beaucoup, il se persuade que la grenouille a encore plus peur et ça l'aide. Il est avec plein plein d'hommes dans un baraquement qui sent la pisse et la maladie. Ça peut pas être le vrai Pitchipoï, tu crois pas ?
On essaye de lui voler de la nourriture et de lui en donner aussi. Les adultes le collent, ils lui touchent le visage et les bras, parce qu'il n'y a plus d'enfant ici, Grenouille est leur miracle. Ils sont partis les enfants. Plein de gens lui demandent s'il a vu Mariuzs, Marek, Felix, Shmuel, Claude, Gretel, Martyna ou Jacob. Il répond pas. Il sait pas. Tu sais, même ça c'est comme une violence.

Ce qui choque le plus Jojo après, c'est pas de dormir au milieu de plein de grands qu'il doit coller parce que y a pas la place, où les os qui se voient beaucoup sous leur peau... Ce qui va le plus le choquer, cest l'appel, le lendemain.
L'appel est plutôt la nuit que le matin tellement c'est tôt. Un adulte l'aide à descendre du lit qui est haut et qui n'est même pas vraiment un lit. L'adulte est très gentil avec lui. C'est lui qui lui a donné du pain hier. Il n'a pas d'étoile, il a un triangle rose. Tu trouves ça joli ? Autant que l'étoile ? L'appel commence.
Il faut rester debout les mains sur la tête. Il faut rester comme ça, des heures. Tu imagines, des heures ? Jojo a les bras qui tremblent, les jambes aussi, parce que ça fait des jours qu'il était recroquevillé dans une valise en plus. Il tient plus. Il y a des adultes autour de lui qui tombent et personne les ramasse. Il y a même une dame. Voir une dame tomber c'est une énorme violence. Tu vas croire qu'il s'habitue mais non, un trou s'habitue pas à être creusé tu vois, il devient juste plus profond. Et ça creuse encore, puisqu'un uniforme vient et que son pistolet tire dans la dame, qui est pas loin de Jojo, de sorte que cette image là elle s'incruste dans les yeux de Jojo pour l'éternité.






Le soir, Jojo à plein d'images incrustées. Il y a les femmes qui sortent du docteur avec des croûtes sur la peau ou des visages déformées. Il y a Triangle Rose qui se fait battre et battre et battre parce qu'il a fait tomber une grosse pierre tout près du pied d'un uniforme. Il y a les corps étalés par terre et Jojo imagine que ce sont des bateaux et que le sol est la mer, la mer morte. Il y a les malades qui crachent du sang et qui veulent pas aller à l'Infirmerie, parce que dans le camp l'Infirmerie soigne pas. L'Infirmerie envoie aux douches qui tuent. C'est pour ça qu'il y va pas, parce que Triangle Rose lui a dit. Même si ses poumons sifflent et que son numéro le gratte.

La nuit, Triangle Rose le serre fort en chantant une chanson, et il s'endort.

Le matin, il y a l'appel encore, et Jojo tient encore moins. Peut-être parce qu'il a de la fièvre, et des plaques, et des frissons, et qu'il tousse. Il faut se retenir pourtant, Triangle Rose lui a dit. Les uniformes ont peur des maladies. Le reste du temps, Grenouille ne fera rien, rien du tout, à part absorber chaque image et recevoir chaque choc de plein fouet, même que ses yeux semble s'agrandir par manque de place.

C'est le midi qu'il y a l'évasion. Comme cadeau, Triangle Rose lui a donné son triangle, parce qu'il n'a rien d'autre. Jojo sait qu'il va mourir pour ça mais Triangle Rose a dit : ce n'est pas grave.

Jojo est le premier à passer, sous les barbelés. Ils ont creusé un tunnel et Jojo est fort pour ramper. Ils ont mis plusieurs pulls pour pas se faire déchirer la peau, ils ont arraché les signes de juiverie qui risquent de les trahir dehors, ils ont fait tout ce qu'il fallait.
Elias est le deuxième et il rampe bien aussi, il fait presque pas de bruit. C'est lui qui a trouvé des vêtements pour l'extérieur, dans les bagages des gens morts.
David est le troisième, et il y est presque, mais d'un coup : Jojo crie. Les larmes débordent de ses yeux trop grands, il pique une crise de nerf, une crise d'angoisse, on sait pas trop, et tu sais pourquoi ? Parce qu'il a pas son étoile. C'est comme s'il avait oublié un morceau de corps dans le camp, ça le panique tellement qu'il peut pas baisser la voix, et qu'à cause de ça ils risquent d'y passer tous les trois.
Alors David lui dit de ne pas pleurer, David dit qu'il va y retourner. Qu'il va la chercher son étoile. Il a laissé la sienne sur sa veste d'uniforme, ça ira ? Oui, il dit Jojo, dans un hoquet bourré de nerfs, ça ira.

David y retourne. Dans la tête de Jojo, c'est pas possible que David se fasse attraper. C'est hors de sa raison, hors de sa conscience. C'est pas envisageable. David sera toujours là, David échappe à tout, David est plus fort que TOUT.
Sauf que David ne passe pas les barbelés. David revient, lance son pyjama à Jojo, puis une ombre d'un noir absolu s'abat sur David. On dirait que c'est l'ombre de la nuit.
David se fait attraper.
David s'est fait attraper.
Jojo regarde l'ombre extrêmement noire.
Jojo regarde de l'autre côté des barbelés et toute l'horreur du monde est dans ses yeux.
David hurle : "DÉGAGEZ ! DÉGAGE JOJO ! KERTESZ, N'OUBLIE PAS TA PROMESSE !!". Et Jojo se débat, dans les bras d'Elias, il hurle et pleure, plus fort que les aboiements des chiens, plus fort que les hauts-parleurs, et David disparait, tu vois, il se fait manger par Pitchipoï, il disparait pendant qu'Elias traine Jojo, le force, le sauve.
Il disparait.









L'errance.
Jojo est comme sa grenouille, il est en chiffon. T'imagines, un humain en chiffon. Il parle plus. Il a plus de larmes, plus d'expression. Jojo n'a plus le pyjama, mais il a gardé l'étoile de David et le Triangle Rose. Ses pieds saignent de marcher, les cloques éclatent, et Elias doit le porter. Ils dorment dans des fermes, dans des champs, dans la merde. Ils mangent rien. Jojo tousse encore, Jojo est presque mort. Il s'arrête souvent pour vomir. Il s'effondre. Est-ce qu'un pistolet tirera sur lui ? Il entend encore les cris.

Une église, une voiture, une grande maison. Jojo est trop presque mort pour comprendre. Elias l'a porté tout le long. Elias est tellement courageux qu'on dirait quasiment plus un enfant. Elias l'accompagne à l'orphelinat. La grande maison, c'est un orphelinat.
Les femmes à l'intérieur ont l'accent de Maman, et si Jojo avait des larmes ça le ferait pleurer. Jojo dit rien. Il ne comprend pas, de toutes façons, personne ne parle français, à part Elias, qui lui parle tout le temps, et tout le temps de jolies choses. Ça doit être un gros effort pour Elias, de trouver tant de jolies choses à dire. Elias reste avec lui tout le temps. Jusqu'à ce qu'il guérisse, parce que Jojo a le typhus.
La vie revient dans Jojo, et ça fait mal partout.
On dit que Jojo a la rage de vivre.

Il y a un prêtre qui est venu au cas où la rage de vivre ne serait pas assez forte. C'est lui qui rend Jojo tout transparent, pour le protéger.
Tu n'es plus juif. Ta maman n'a pas l'accent de Pologne. Ta maman est morte. Ton papa est mort. Tout est mort. L'ancien Jojo aussi.
Ne montre pas ton zizi. Non, tu ne peux pas garder ton étoile. Allons, elle est laide, elle est si laide, pourquoi tu pleures ? Non, c'est trop dangereux.

Jojo la gardera quand même. Dans sa semelle, bien cachée, bien trésorée.
On dit que Jojo a la rage de vivre.

Jojo s'en fout d'être juif, Jojo s'en fout de tout, parce que y a David, y a David qui est resté là-bas vous comprenez, et David va mourir, un pistolet dans la tête, David va mourir du typhus, et si David fait tomber une grosse pierre au pied d'un uniforme, DAVID !!!

— Je vais le chercher.

C'est Elias qui dit ça, une nuit, au fond des lits, dans le silence obstrué de soupirs et de pleurs étouffés. Grenouille comprend qu'Elias va retourner à Pitchipoï.

Je viens avec toi.

Mais Elias refuse, Elias a fait une promesse, et quand Jojo dit qu'il s'en fout de mourir, Elias s'énerve comme jamais il s'est énervé, Elias sort Jojo de son lit et le plaque contre le mur, Elias lui dit : Tu n'as pas le droit de mourir  !! Tu dois toujours fuir, et toujours te cacher, et toujours vivre  ! Ne dis jamais ce que tu es ! Ne reviens jamais là-bas  !! Tu n'existes plus ! Personne ne doit te trouver ! TU N'EXISTES PLUS !!
… Alors, alors, qu'est-ce que tu es ? tu es juif ?

Alors Jojo dit non, et Elias le bouscule plus fort  : alors tu es juif ???
Non !
Plus fort encore.
ALORS TU ES JUIF ??
NON !!!
Jojo doit vivre mais ne pas exister.
C'est tellement de violence encore, la pire des violences, de ne pas exister.

Alors Elias part, part à Pitchipoï, et Jojo use sa réserve secrète de larmes.
Tu lis encore  ? ...









L'orphelinat est comme le camp, la chaleur qui étouffe remplacée par le froid qui mord. Les enfants sont durs, et cruels, et mesquins, parce qu'ils sont mangés par le chagrin.
Jojo est celui qui ne parle pas. Les plus grands font la loi, ils se vengent contre la vie. Jojo subit des offenses qu'il ignorait possible. Des offenses qui vont loin. Loin jusque dans les culottes. Tu te dis que c'est pas possible, hein, autant d'atteintes pour un seul enfant, une seule peau, mais si, SI c'est possible. C'est quand y a tellement d'atteintes qu'on parle de miracle.
Et Jojo se laisse faire. Il laisse les atteintes venir et s'envole un peu en lui-même quand ça fait trop mal. Il attend David. Elias a dit qu'il reviendrait vite. Jojo marque les jours, sur le mur derrière son lit. Rien n'a plus d'importance à part ça, tu vois.

Des centaines de jours.
On dit que Jojo a la rage de vivre.







*





Le sixième souvenir




Sans la fée, Jojo serait peut-être jamais parti. Mais c'est elle qui vient sur son lit. Elle vient sur son bras, elle vient sur son numéro, et même sa lumière est si forte qu'elle avale les chiffres pendant quelques secondes. Jojo se réveille alors, et il suit la lumière jusqu'à la fenêtre. Elle est ouverte.
Il y a déjà d'autres enfants, qui s'exclament de tous les côtés. Jojo n'arrive pas à bien voir Peter Pan.

Ça ne l'étonne pas que Peter Pan existe. Il a déjà vu des morts marcher. Il a vu Pitchipoï.
Une petite fille dit à Peter Pan qu'elle a toujours cru en lui, et même un garçon dit "moi aussi", et comme il l'envie Peter Pan, Jojo, comme il l'envie de savoir si bien exister. On dirait que ça ne lui fait même pas peur.
Après, Peter Pan parle de son pays, et Jojo commence à le voir dans sa tête.

Jojo est le seul, pourtant, qui ne veut pas venir. Il doit rester ici. C'est Elias qui l'a dit. Il doit rester ici et attendre David. Attendre Maman, puisque Maman viendra le chercher, puisque l'été revient toujours.
Et Puis, Jojo s'est déjà fait avoir. Le Pays de Jamais, pourquoi ce serait différent du Pays de Nulle Part ? Jojo reste dans un coin, il gomme toute trace d'existence.
Mais tu sais, les promesses de merveilles grattent sa volonté. C'est qu'il fait si froid ici, et l'île du ciel a l'air pleine de soleil. Il tangue. Il a peur. Peur de mourir de froid. Et autant peur de louper l'été. Peter Pan se rapproche, écarte l'ombre dans lequel s'est glissé Jojo. Il dit des mots qui dansent dans la tête de Jojo. Tu n'auras plus jamais peur. Tu n'auras plus jamais mal. Tu sais, il y a des fées. Des vraies fées.
Il n'y avait pas de fée à Pitchipoï.

Alors Jojo pose ses pieds sur le rebord de la fenêtre. Il dit oui. A une condition. On va chercher un bout d'été, rien qu'un. On va chercher David. Et Elias, aussi.
Il lui faut du courage pour faire ça tu sais, à Jojo, parce que Peter Pan c'est pas n'importe quoi on lui lance pas des conditions comme ça, et que ça fait des centaines de jours que sa voix n'est pas sortie. Mais il dit ça, il le dit et d'ailleurs il raconte tout à Peter Pan maintenant, tout tout tout, ça veut plus s'arrêter, pendant que les autres enfants jouent dans les airs, sa voix s'envole aussi. Et le visage de Peter Pan est dur, il est triste et tremblant, et Jojo tremble aussi, sans aucune pensée heureuse dans la tête.
Peter Pan lui prend la main.

On va les sauver. On va sauver tous les enfants.

Il n'ose pas demander pour Triangle Rose. De toutes façons, il est forcément mort.

Jojo n'arrive presque pas à voler. Peter Pan lui dit de s'accrocher à son étoile jaune. Il fait froid dans le ciel, mais c'est un bon froid, un froid qui rosit les joues, et Jojo hurle. Il hurle !!
JE SUIS JOJO ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JOJO !!!!!

Jojo est comme une fée, il se met à croire en lui-même puisque y a personne d'autre, alors, alors il existe.









Jojo ne sait plus où est le camp, mais Peter Pan renifle l'odeur de la douleur d'enfant. Après, Jojo ne sait plus tout.
Il se souvient de son coeur qui explose quand il revoit le visage d'Elias, le visage tout maigre et vieilli d'Elias, sans cheveux et sans force, et Jojo lui fonce dessus, il aurait peut-être pas du, et il le serre, plus fort que la main de Maman, plus fort que la grenouille, plus fort que TOUT.
Ça dure un peu longtemps parce qu'il a peur qu'Elias ne soit plus là quand il s'écartera.

On s'est trompé de Pitchipoï. C'était pas le Pays de Nulle Part, c'était le Pays de Jamais.

Alors seulement il demande.
Et David.
Et David. Où est David. Où est David. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David.  
 
Et cette fois, il n'y a pas de réponse.
Il n'y a pas de réponse.
Pas de réponse.
Où est David.
Pas de réponse.
S'il vous plait.
Où est David.
Non, non, attendez, David.
Elias le serre à son tour, tellement fort aussi, et l'intérieur de Grenouille explose en entier, et son corps est secoué de sanglots sans larmes, de sanglots sans bruit, tant la douleur est comme une lame et qu'elle coupe le souffle.


Ça sert à rien, d'être un miracle.











Dernière édition par Petit roi du monde le 06.10.17 18:23, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim - Page 2 Empty06.10.17 17:47

Grenouille


le changement

Tout ce qui suit fait suite à cette sombre aventure...

résumé:



C'est grand la bouche d'un Cauchemar. Ça n'en finit pas.

Grenouille court, et plus il court, plus son souffle est rauque, plus son cœur cogne contre ses côtes, mais ça, il a l'habitude. Ce qu'il ne connait pas, par contre, c'est les douleurs dans les os, ces affreuses douleurs dans les os, et la vision qui se trouble, d'ailleurs il ne voit plus ses mains, tandis qu'il court et court encore. Peut-être que c'est juste la Peur, elle a tant d'effets secondaires la Peur, elle a tant d'effet sur lui.

Le Labyrinthe Infesté se referme sur lui, c'est comme la gueule géante d'une plante carnivore géante, et sa Peur est tellement géante aussi. Il n'a plus d'épée, l'épée est restée coincé dans le ventre du Cauchemar, le ventre de l'Autre, il n'a plus rien que ses jambes.  
Il ne sait pas si l'Autre le poursuit, mais Grenouille voit encore son visage partout dans sa tête, c'est presque le visage de la Peur maintenant.

Il distingue le Grand Arbre, à travers sa vision brouillée, dans son costume de chat tout déchiré, alors il sourit, et tandis qu'il sourit une dent tombe. C'est celle de devant. Grenouille continue de courir, des dents continuent de tomber. Il sait pas depuis combien de temps, il a jamais été doué pour mesurer le temps.

Grenouille s'est sauvé. Il s'est sauvé tout seul.




Tu crois que ça existe, un enfant vieux ? Grenouille non plus, il pensait pas.
Sauf que quand il rentre chez lui, au Grand Arbre puisque c'est son chez lui, Grenouille n'est plus pareil. Grenouille n'est plus tout à fait un enfant. Parce que l'Autre, Runaan, lui a pris un morceau de jeunesse. Même Pitchipoï avaient pas réussi. L'Autre a réussi. Grenouille met un petit temps avant de réaliser.
Il réalise, de seconde en seconde, qu'il est devenu un enfant qui a de l’arthrite. Un enfant qui voit plus bien de près. Un enfant qui a les doigts qui tremblent. Un enfant à qui il manque des dents, même devant, un enfant qui respire encore plus mal qu'avant, un enfant avec une grosse mèche de cheveux blancs. Il a même pas grandi, pourtant.

Grenouille comprend pas. Grenouille s'horrifie, panique, hurle en dedans. C'est comme la suite du cauchemar, tu vois, et il est tellement épuisé par tout ça maintenant. Il a plus la force. Il espère que la Mort voudra de lui, cette fois, et même il reste sous la Pluie pleine de sel pendant longtemps, tout seul dans la nuit, en espérant qu'il se fasse emporter pour de bon. Mais la Mort veut pas, la Mort vient pas. Grenouille devra survivre, encore, il a pas le choix.  

Grenouille se planquera sous sa capuche à oreilles de chats et ira à l'Infirmerie, trempé jusqu'aux os, au creux de la nuit pour pas qu'on voit, qu'on voit sa bouche édentée et sa mèche argentée, parce qu'il veut pas être ça. Il veut PAS. Et quand il voit le regard de Soul qui tombe dans les orbites, quand il le voit tomber, il arrive même pas à pleurer. Peut-être que ça pleure pas, des yeux d'enfant-vieux.





Pendant des jours il reste dans un coin, caché derrière un rideau, à inspirer des infusions pour dégager la crasse de ses poumons, à boire des remèdes pour se remettre d'aplomb. Au fil du temps, on va se rendre compte des dégâts, de toute la vieillesse qui s'est propagée dans le corps encore tout petit de Grenouille, dans les reins, dans les os, les poumons, dans les yeux, partout !! C'est comme un poison, comme une infection, et Grenouille a envie de se déchirer la peau pour faire sortir ça !!! Les Soigneurs se relaient à son chevet, ils ont peur qu'il meure, ils savent pas, eux, que la Mort veut pas de lui.

Il a honte, Grenouille, il veut pas qu'on le regarde, surtout pas. Il a plus de dents, plus de cheveux, un regard vitreux. Il respire comme une machine !! Il est devenu un Monstre. Il devrait déménager chez les Monstres. Ils accepteraient, il est sûr. Et tant pis s'il se fait manger. La Honte, c'est poisseux comme la Peur. Et d'ailleurs, la Peur est toujours là, elle l'a pas quitté depuis le Labyrinthe, la seconde peau est presque devenue la première. Le costume de chat suffit plus, l'étoile non plus, elles sont nulles ses armes, nulles nulles nulles, comment il a pu croire que ça marcherait !!! IL SE DÉTESTE !!






Il arrête pas de trembler, de vomir, et puis la fièvre et puis la toux, il peut à peine marcher, à peine parler. C'est le contre-coup de la Peur. Ou c'est parce qu'il est un enfant-vieux ?
Tu sais pas toi, bien sûr, puisque jusqu'ici, un enfant-vieux ça existait pas.

C'est tellement fatigant, de réapprendre à vivre, encore et encore.
Mais oui, la vie revient, regonfle ses vaisseaux, c'est toujours comme ça quoiqu'on en dise. C'est pareil que dans l'orphelinat, pareil qu'après le typhus. C'est la Rage de vivre, qui s'invite sans frapper.
Il arrive à marcher, avec une canne d'abord et avec ses deux jambes qui tremblent après. Il arrive à regarder son visage changé dans le miroir sans pleurer. Il arrive à accepter qu'il va continuer de vivre. Il arrive même à parler, un jour, quand Soul lui dit que Jerk est là. Jerk est presque mort de Honte aussi, alors Grenouille va lui tenir la main, parce que Jerk c'est son copain. Ensemble ils affronteront la Honte en face et c'est du courage. C'est peut-être à partir de là qu'il laissera vraiment entrer la vie.





Grenouille a pas tant changé, après tout, hein ? Y a toujours les figurines, y a toujours le costume de chat. Tant pis pour l'artrite et les calculs rénaux. Grenouille est toujours l'enfant qui parle pas, l'enfant qui tombe malade facilement, l'enfant qui est trop pudique, qui ne veut pas qu'on le touche !! L'enfant qui dessine beaucoup et qui ne montre pas ses dessins. Qui a des tics, des petits tics.
L'enfant qui voit son fantôme, toujours. Alors Grenouille reste Grenouille, pas vrai, même après tout ça.
...

Sauf que si, en fait, si, quelque chose change dans Grenouille, au-delà de la Peur tenace, au-delà de la Honte qui poisse, au-delà de la malédiction. Au-delà de juste les dents et les cheveux qui tombent. Ça prend du temps, mais regarde bien.
A mesure que les jours passent et que Grenouille digère, Grenouille sent quelque chose d'autre que la crasse dans ses poumons. Tu crois que c'est juste les infusions ? Ou alors c'est parce que Jerk l'a regardé sans dégoût ? Parce que ça a l'air puissant, tu sais comme si quelque chose venait d'éclore en lui et étendait ses branches dans tout son corps. Peut-être qu'il comprend seulement maintenant, qu'il lui fallait plusieurs jours, pour se rendre compte que là, il a vaincu la Peur. La Peur avait un visage de vieux Faune, une peau d'écorce et une haleine de brouillard froid, et il l'a vaincu.
Elle est encore là, tu sais bien qu'elle est encore là, mais il l'a vaincu, rien qu'une fois. Il lui a planté une épée dans le ventre. Tu te rends compte ou pas. Il s'est battu, il s'est débattu, tellement fort. Il en est presque mort. Encore. Mais presque mort, c'est plus fort que mort.

Grenouille va survivre alors. Il sera le seul enfant-vieux de l'univers, le seul enfant à qui on aura pris sa jeunesse et qui aura quand même une armure, des figurines et des rêves. Un enfant en carence de jeunesse mais encore plein d'enfance.
Il tiendra bon, comme une mauvaise herbe. Avec sa mèche, là, tu trouves pas qu'on dirait une mauvaise herbe ? C'est ce qu'elle dit, Curve. Qu'il résistera, comme les mauvaises herbes. C'est elle qui lui a fait cette coupe-là, puisqu'il perdait ses cheveux.

Grenouille résiste.
Grenouille s'équipe.
Grenouille se prépare à survivre jusqu'à la fin des temps.

Son armure-troisièmepeau-costumedechat, Curve la recoud mais surtout, Curve la complète. Grenouille devient invincible.
Quand Grenouille déboule dans la Mercerie, alors que Grenouille il déboule jamais nulle part, et qu'il dit "Je veux une panoplie", Curve sourit. La voix de Grenouille est forte, ample, ferme, remplie à ras bord d'assurance. C'est pour ça qu'elle sourit. Avant qu'il soit un enfant-vieux, avant qu'il ait sa mèche argentée, avant qu'il ait enfoncé l'épée dans le ventre d'un cauchemar, Grenouille aurait jamais fait ça. Aujourd'hui, Grenouille a un sac à dos avec des pics et un casque à tête de dinosaure. Grenouille a un boomerang, un lance-pierre et une PANOPLIE.

Grenouille aura du caractère, Grenouille dira «  non  » quand il ne veut pas. Il dira «  non  » quand on le tape, quand on l'insulte, et un encore plus gros «  NON  » quand on touche à ses affaires, parce que ça il supporte vraiment pas. Il aura une mini voix, mais il aura une voix. Il se défendra.

Grenouille sera cet enfant-là, un enfant-vieux, un enfant-vainqueur, un enfant-fort. Il est copain avec les Monstres de la Contrée, Grenouille, et même s'il a peur de toi, peut-être que toi tu aurais peur des Monstres, tu vois. Grenouille se compare plus à toi. Grenouille a sa petite force aussi, et parfois elle est grande, elle est hyper grande. C'est juste que tu le verras pas.
Tu le verras lui, avec son armure de chat, son casque dinosaure, son sac hérissé et ses gadgets importants, avec son attirail à la steampunk qui doit l'aider à survivre, tu le verras parcourir le Pays avec les os qui craquent, parce que c'est toujours en dedans qu'il a mal Grenouille. Et c'est pas grave, il court encore, il brave encore, et parfois même il marche sur les mains pour rire.

Et tu entendras son cri quelque part, un cri sans Peur et sans Honte :  
JE SUIS GRENOUILLE ! JE SUIS UN MONSTRE ! JE SUIS UN MONSTRE !!!!




l'attirail

Chaque image ci-dessous présente une page du carnet de Grenouille.
Les photos ont été prises par Shark. En échange, Grenouille lui a donné une figurine de requin, mais Shark l'aurait fait de toutes façons même si elle a l'air grognon.


  LA PANOPLIE (avec les accessoires)
Le costume de chat
La ceinture d'aventurier
Le sac à dos à piquants
Le casque dinosaure
Les lunettes


  LES MASQUES (pour les poumons)
Le petit masque
Le masque respiratoire
Le masque de la nuit


  LES AUTRES CHOSES
Les armes
La grenouille
Les figurines
Feraille

 A SAVOIR
page 1
page 2




Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ?   JEUNE
C'est quoi ton Avatar   ? Max et les Maximonstres et Max tout court.
Comment t'as découvert l'île ? par miracle
Tu la trouves comment ? miraculeuse
Dis, tu crois bien aux fées ? c'est une seconde famille.


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MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim - Page 2 Empty12.11.17 14:25

Peekaboo


Les Trucs

Surnom : La Mauvaise Herbe
Groupe : Perdus
Age : 15 ans
Rôle : Grimpeur


Les Révérences

C”est le matin, dans la Cabane à Manger. Un garçon finit de manger ses céréales. Il est quasiment tout seul dans le réfectoire, car il a été puni. Il a l”habitude, ça ne lui fait plus grand chose. Et puis, c”est mieux pour tout le monde. A quelques places de lui, il y a une fille, qui est juste en retard parce qu”elle est lente. Le garçon regarde les Mères faire la vaisselle, plus loin. Personne ne le voit.
Il s”approche de la fille.

BWAAAAH !
Arrête Peek.
BWAAAAAAAH !
Arrête ! C”est pas drôle.

Le garçon lui donne une gifle. Le garçon rigole.
La fille se lève, rouge de colère.

Je vais le dire à Redeemed !
BWAAAAH !
Très bien.

La fille part. Peekaboo lui tire les cheveux, tellement fort qu”il arrache une mèche entière.
La fille pleure.
Peekaboo rigole.
C”est comme ça, tous les jours.
Personne n”aime Peekaboo.
Personne ne l”a jamais aimé.

Il est malade, Peekaboo. Il est juste malade, c”est tout.
Il était comme ça quand il était petit, il aurait été pire en grandissant, alors on peut dire merci à Peter Pan.

Peekaboo a quinze ans, et il faut encore le punir, le gronder, le calmer, le manipuler, le frapper, juste pour qu”il se taise et arrête de faire du mal.

Peekaboo tape, insulte, se moque, on dirait que rien n”est sérieux pour lui. On dirait que y a que la violence qui arrive à le faire rire, à le faire vivre. Il sourit tout le temps, il ricane tout le temps, en toutes circonstances. Même quand il se fait punir. De toutes façons il aime se faire punir, Peekaboo, parce qu”il aime l”attention. Il a besoin d”attention. C”est un trou noir Peekaboo, et plus tu le remplis, plus il a faim.

Il n”a pas de copain, Peekaboo, c”est pas des vrais copains. C”est des gens qui profitent de lui parce qu”il frappe tout ce qui bouge et que ça peut rendre service. C”est des gens qui ont peur de lui alors ils préfèrent être de son côté, à lui faire croire qu”il est marrant et cool, et Peekaboo n”entend pas comme leur voix sonne faux. C”est des gens qu”il fait rire, parce que c”est vrai qu”il est drôle, il fait le zouave, et quand il fait le zouave on oublie qu”il est méchant. Et puis quand on le regarde plus, quelque chose change dans son visage, et il redevient méchant. Il redevient toujours méchant.

Il faudrait qu”il soit seul au monde pour se calmer, mais y a tellement d”autres, et chaque autre le stimule encore plus, c”est presque électrique. Si tu cries, il crie plus fort, si tu provoques, il provoque plus loin, si tu le bouscules, il te défonce, même si c”est pour rire. Alors certes, il est pas super costaud, mais il n”a aucune retenue, aucune peur de faire mal, et chaque jour, CHAQUE JOUR, les Mères entendent parler des bêtises de Peekaboo.



C”est le début d”après-midi, dans la Fabrique, Cabane des Artisans.

Tu fais quoi ?

L”Artisan lève les yeux, se tend à l”approche de Peekaboo, comme tous les enfants de l”Arbre. Avec ses tics faciaux, sa façon de jouer avec ses lèvres, ses yeux qui clignent trop fort, sa main qu”il enfonce dans sa bouche, avec cette aura de violence qu”il diffuse, c”est impossible de ne pas redouter une explosion.

Je fabrique une poulie.
Une poulie. répète Peekaboo en s”approchant juste à côté de l”Artisan, si près qu”il le touche, et qu”il ne remarque pas que l”Artisan se tend encore plus.

Peekaboo observe l”Artisan travailler, longtemps, c”est presque un peu miraculeux, il ne dit rien, ne fait rien, et ses yeux clignent de moins en moins souvent.
L”Artisan hésite, lui jette des regards furtifs, et puis...

Tu... Tu veux essayer ?
OUI !

L”Artisan esquisse un bref sourire et tend l”outil à Peekaboo, en vérifiant que personne ne les regarde.
Peekaboo frappe sur la poulie en imitant le geste de l”Artisan, mais c”est brutal, imprécis, sale. L”Artisan grimace légèrement et tend les mains.

C”est bon, Peekaboo.
Non, attends !
Arrête, tu vas tout casser !
MAIS !

L”Artisan lui arrache le marteau des mains.
Peekaboo se retourne et lui fout son poing dans la figure, de toute sa force.

Ta mère la pute !

Le chef des Artisans rapplique aussitôt. Peekaboo se fait engueuler, secouer, et jeter au cachot. C”est trop bête, pas vrai ? Maintenant, l”Artisan se dit qu”il ne tentera plus jamais d”être gentil avec Peekaboo, si c”est comme ça. Peekaboo a tout gâché. Et au Grand Arbre, il y a de moins en moins d”enfants qui tentent.



C”est l”après-midi, et une Mère cherche Peekaboo partout. On lui a dit où il était. On ne couvre Peekaboo que quand on a peur. Elle le trouve caché derrière un tronc d”arbre en train de pouffer dans sa main.

PEEK ! Dis donc, quand je t”appelle tu évites de filer !

Il pouffe encore, écarlate, surexcité.

Peekaboo, c”est vrai que tu as mis des pétards dans la culotte de Pillow ? Tu te rends compte à quel point c”est dangereux ?
Hahahahahaha !!!!
Je ne rigole pas, Peek ! Je vais en parler à Redeemed.
Elle va me punir !

La Mère le fixe, décontenancée.

Oui. Tu as fait une bêtise. C”est pas possible, Peekaboo, tu comprends ? Tu fais peur aux autres, tu leur prends leurs affaires, tu les tapes. Tu fais des bêtises sans arrêt. On m”a que tu as failli étrangler Rocket avec une écharpe ?
Il voulait pas me donner son lance-pierre et en plus...
Peu-importe. Peu importe, Peek. Tu ne peux pas violenter les autres comme ça dès qu”ils ne t”écoutent pas ou ne font pas ce que tu demandes. Combien de fois on va te punir... Tu veux passer ta vie au cachot ?

C”est dingue qu”elle doive encore lui parler comme ça. Il a 15 ans.
Mais on l”avait prévenue à son arrivée. Le garçon aux cheveux verts, tu n”essayes pas d”être gentille avec lui. Si tu essayes, il va en profiter. Ne te fais pas avoir. Ne lui laisse pas trop de liberté. Sois ferme, sois dure. Comme avec un chien fou.

Si tu recommences, ça ira plus loin cette fois.

Même quand il est gentil, quand il est calme, ne te fais pas avoir. Ça ne dure jamais. Oui, il est très affectueux, oui il est très drôle, et parfois t”as envie de penser qu”il va changer, mais non, non, il ne changera pas, il est malade et c”est tout. Il est malade et il te rendra folle. Ne te fais pas avoir.

Peekaboo la regarde en souriant vaguement.

Arrête de sourire, c”est pas drôle.
HAHA ! T”es qu”une pétasse ! Moi j”te baise.
QUOI ?

Il rit encore. Il lui touche les seins.
La Mère lui fout une énorme baffe qui résonne dans tout le corps de Peekaboo. Puis elle le pousse, tellement violemment que Peekaboo tombe par terre. Une terreur infinie crispe les traits de son visage, sous les taches de rousseur.
La Mère se colle contre lui et pince ses joues avec sa main, très fort. Elle murmure, mais son murmure est comme une lame contre une gorge.

Tu me refais ça une fois, Peekaboo, et je te tue.

Elle le regarde longtemps.
Elle sӎcarte.
Ce n”est que lorsqu”elle est debout qu”elle se rend compte que l”entrejambe de Peekaboo est trempée de pisse.




C”est la fin d”après-midi, et Peekaboo vient d”être nommé pour une mission. Au Grand Arbre, on est content de se débarrasser de Peekaboo. Les deux Perdus qui l”accompagneront, Pear et Xlaxon, une fille et un garçon, se lancent des regards inquiets et contrariés. Au moins, ils ne sont pas tous seuls avec lui.

Okay, je vous laisse, Peek essaye de pas faire de connerie pour une fois.
YES MY LORD.

Les deux autres sont déjà agacé.e.s par sa voix trop forte.

Tandis qu”ils marchent, Peekaboo veut absolument être devant. Il s”arrête souvent pour faire pipi sur des plantes, exprès.

Peekaboo, on a pas le temps.
Arrête, lui parle pas ça sert à rien.

Il a entendu. Il ne sourit plus, mais il n”a pas vraiment l”air fâché. La plupart des enfants, de toutes façons, pense que Peekaboo n”a jamais mal.

Ils ont atteint les abords du Sommet Enneigé.
Il fait de plus en plus froid et Peekaboo a oublié sa peau de blaireau au Grand Arbre. Ses lèvres sont violettes. Il n”a pas l”air de le remarquer. Peut-être que lui aussi pense qu”il n”a jamais mal.

Déjà c”est quoi la mission ?
Retrouver Notebook.
Ah ou-oui.
Tu as froid ?

Peekaboo le regarde avec un étonnement très net, comme si cette question n”avait rien à voir avec le moment présent.

Peekaboo, tu as froid ? Bon, prends au moins ce pull, et cette écharpe. J”en ai pas besoin, c”est pour Notebook.

Il prend le pull et l”écharpe. Peekaboo est solide mais pas très grand, c”est un peu ample sur lui.

Oh ! Il est cool le pull !
Tu me le rendras après.

Mais il n”y croit qu”à moitié.

Putain, Xlaxon, viens voir.

Peekaboo court aussi vers Pear, même si on ne l”a pas appelé, lui.
Au pied de Pear, il y a un corps tout bleu. Les autres détournent les yeux, mais Peekaboo le regarde longtemps. Puis, il lui fout un coup de pied dans le visage. Ça fait un craquement sonore.

Mais t”es malade !
Peek !
C”était pour vérifier !
Vérifier quoi putain ??
S”il était mort.
C”est évident qu”il est mort.
Ta gueule, pétasse.
Woh woh c”est bon. On se calme.

Pear s”écarte un peu, les joues rouges. Peekaboo continue de regarder le corps. Ça le fascine un peu, on dirait.

On va devoir le manger.
Quoi ?
Pour survivre.
Arrête tes conneries.
C”est vrai, les gens gelés il faut les manger pour survivre. Comme dans...
On est pas dans un film, ici. On le ramène au Grand Arbre. S”il te plait, s”il te plait pour une fois, Peekaboo, fais juste ce qu”on te demande. On le ramène, on rentre et on fait une partie de foot.

Pear lance à Xlaxon un regard furieux. Elle n”aime pas quand Xlaxon fait ça. Il préfère toujours marchander avec ce connard. Peekaboo est toujours gagnant dans l”histoire.



Quand ils rentrent, avec le corps – que Peek a porté, parce que c”est le plus fort – on félicite longtemps Pear et Xlaxon, un peu plus timidement Peekaboo. On demande à Pear et Xlaxon si ça s”est bien passé, s”il n”a pas été trop chiant, s”il a pas fait de connerie. S”ils vont bien. Pear et Xlaxon rassurent tout le monde : ils vont bien. Ils ont su le gérer.
Peekaboo attend sur le côté. Personne le regarde.
Il s”assoit et attend Xlaxon pour la partie de foot. Xlaxon est occupé, on le félicite et on le réconforte de tous les côtés. Peekaboo attend longtemps, longtemps pour un hyperactif, et au bout d”un moment il arrive plus, il se lève et il frappe quelqu”un. C”est peut-être Xlaxon, c”est peut-être Pear. C”est peut-être encore quelqu”un d”autre.

On le punit, on l”emmène au Cachot, pendant qu”il éclate de ce rire qui le fait pleurer.
Ouais.
Toujours gagnant dans l”histoire.




L'Unique au monde

Peekaboo a les cheveux verts. C”est lui qui a voulu. Peter lui disait que sur l”île il pourrait faire ce qu”il voulait, être ce qu”il voulait, Peekaboo disait juste : «je peux avoir les cheveux verts ? est-ce que je pourrais avoir les cheveux verts ?» et Peter Pan a dit oui.
Peter Pan lui a dit d”aller voir les Sylvains, parce que les fées n”avaient pas le temps.
Peekaboo est allé les voir, les Sylvains, et il leur a demandé. Les Sylvains n”ont pas répondu, car les Sylvains parlent le langage des bois, et Peekaboo n”a pas compris ça. Alors il a frappé dans les arbres, il a hurlé des insultes, il a troué le silence des bois et saccagé leur habitat. Il pleurait. Et pourtant. Ses cheveux sont devenus verts. Ses cheveux sont même devenu de l”herbe. De l”herbe de Neverland, dense et soyeux, et parfois même y a des fleurs qui poussent et des abeilles qui le butinent. Si tu y touches, il te défonce.

Peekaboo a extrêmement peur des Sylvains. Et des esprits en général.

Peekaboo est originaire d”Argentine. Il a un accent espagnol.

Peekaboo est grossier, puéril, hyperactif, brusque, maladroit, égoïste, inconscient, costaud et drôle. Il fait beaucoup de bêtises, beaucoup de pitreries, et beaucoup de dégâts. C”est très dur de l”aimer. De l”aimer longtemps.

Peekaboo adore jouer au foot. Il est très doué pour ça. Lui faire faire du sport, c”est un bon moyen pour le défouler et l”empêcher de s”en prendre aux autres.

Les Mères demandent parfois aux Soigneurs des somnifères pour faire dormir Peekaboo, sinon il est insupportable.

Peekaboo a la voix cassée, en train de muer. Ça rend son rire encore plus bizarre.

Peekaboo aime se déguiser en fantôme. Il aime faire peur aux enfants. Il a une imagination très macabre et extrême parce qu”il a regardé trop de films d”horreur.

Peekaboo parle très fort et gesticule beaucoup.

Peekaboo ne sait pas partager ou penser aux autres.

Peekaboo n”obéit pas.

Peekaboo a été placé chez les Grimpeurs pas parce qu”il grimpe bien, mais plutôt pour se débarrasser de lui, parce qu”il était intenable ou dangereux dans les autres groupes.

Peekaboo a été Chasseur au départ. Il y a eu un accident. Peekaboo n”a plus le droit de toucher d”arme.

Une seule personne est capable de calmer Peekaboo. Bambi. Il suffit qu”elle lui parle et il se calme. Il suffit qu”elle le regarde. Parfois elle lui fait des masses de crâne et il est calme toute la journée. Tout irait bien si Bambi s”occupait de Peekaboo toute la journée.

Peekaboo n”a pas le droit d”aller dans l”Arène, dans la Forge ou dans l”Infirmerie.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?
Il ne se pose pas beaucoup de questions Peekaboo. Il vit ici parce que Peter Pan l”a regardé pendant longtemps.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ? Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
Il n”y pense jamais, au passé, au monde. Le monde le rejette, le repousse, où qu”il soit. Il crie aussi fort ici que là-bas.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
Peter Pan l”a regardé pendant longtemps. Peter Pan l”a regardé pour de vrai. Il n”a même pas eu besoin de crier. Peekaboo adore Peter Pan. Quand Peter Pan est là, il bouscule les autres enfants pour être tout devant.




Le Bout d'aventure

— Faustino, écoute-moi.
BWAAAAH !
FAUSTINO !

L”institutrice craque, elle le prend par les épaules et le secoue violemment. Elle n”a jamais fait ça, avec aucun enfant. Faustino a quatre ans. Et Faustino s”en fout, il essaye de se glisser, de se dégager, il se laisse tomber par terre, il la pousse à bout. Il pousse tout le monde à bout.

Faustino, est-ce que c”est vrai que tu as forcé Camilla à manger de la pâte à modeler ?

Il rigole doucement, ne regarde pas l”institutrice dans les yeux.
Elle regrette d”avoir été douce avec lui tout à l”heure, maintenant il en profite. Maintenant il tape, fait pipi dans les plantes, veut tous les crayons de couleur pour lui.

Je vais en parler à Maman.

Il rigole doucement. Ne regarde pas l”institutrice dans les yeux.

Elle regrette.



Qu”est-ce qu”elle va faire, Maman ?
Maman ne fait que pleurer. Maman pleure dans la voiture, dans la cuisine, dans les toilettes, dans son lit. Maman pleure quand elle le regarde, quand elle dit « et dire que tu seras comme lui plus tard ! ».
Maman ne sèche ses larmes que lorsque Papa rentre, parce que Papa n”aime pas les larmes. Quand on pleure, Papa frappe. Quand on pleure, Faustino frappe aussi.

Faustino, range tes jouets, ton père va arriver.

Faustino l”ignore. Il sait qu”elle n”a pas a force de l”obliger.

Tuduuu ! Paw ! Paw ! « Oh non, on m”a volé ma batmobile ! » « Ne t”inquiète pas Batman je vais en acheter une autre au supermarché... »
Faustino.

Sa voix est toute faible, comme de l”air qui sort d”un ballon percé.
La porte d”entrée claque. Papa dans la maison, ses chaussures font du bruit.
Faustino sent la tension s”étirer dans l”air, elle s”incruste dans les tissus, s”infiltre dans les murs, envahit tout l”espace. Ça devient un peu plus dur de respirer. Il parle plus fort, pour couvrir le silence. Papa parle plus fort encore.

Putain ! Ses jouets là ! Maria ??

Maman est dans la cuisine, Faustino peut la voir laver la vaisselle de là où il est.

Oui Fabio, je suis désolée il...
Désolée ? T”es désolée ? Ben je suis désolé aussi tu vois, parce que là je rentre d”une journée de 10h de boulot, je veux rentrer chez moi pour me détendre et je vois le môme qui étale ses conneries par terre. Putain ça me fout les boules !

Il balance ses clefs sur la table basse, ça fait un bruit métallique, dur. Violent.
Faustino joue toujours, il serre très fort sa figurine articulée de Spiderman.

Je vais les ranger, Fabio. Une seconde.
Ouais.
Je peux pas être partout, tu sais je...
Quoi ??

Là, même Faustino s”arrête. La tension est comme un gaz toxique, qui oppresse les organes, pique les yeux. Il arrête de respirer. Si quelque chose sort de sa bouche, ça va tout exploser.

Rien.
T”es sérieuse, Maria ? T”as un truc à me dire ?

Il est venu dans la cuisine, chacun de ses pas fait le même son que les clefs sur la table basse. Il est tout près d”elle. La tension est venu dans son corps à elle, Faustino aperçoit tous ses muscles remplis de tension. Elle est tellement blanche, comme le frigo.

Non, Fabio. Pardon.
Ouais.

Il lui donne une petite tape sur la tête – comme Madame Ramirez avec son chien, quand il fait pipi contre le lampadaire, exactement comme ça – et il va s”asseoir sur le canapé.

Pendant tout ce temps, tout ce temps où la maison a failli exploser, il n”a pas regardé Faustino. Malgré tous les jouets étalés partout, il n”a pas regardé Faustino.



Elle a craqué, elle lui a acheté une gameboy. Elle fait tout ce qu”il veut de toutes façons. Il suffit qu”il crie, qu”il pleure, et qu”il frappe. Après, elle lui donne ce qu”il veut. Et puis, elle l”a dit à la voisine : au moins, il la laisse tranquille. Ensuite elle a parlé de Fabio qui a une maitresse.

Quand Papa part longtemps, Maman dort ou part. Elle ne dit jamais où. Faustino se dit souvent qu”elle a du l”oublier, qu”elle ne l”a pas vu. Il était là, près de la télé, mais elle a du le manquer. Il reste comme ça des jours, à manger des céréales et à renverser le lait qu”il ne ramasse pas, ou alors avec un tissu pas fait pour ça. A jouer à la gameboy, à détruire ses jouets, à crier tout nu dans la maison. Il regarde beaucoup, beaucoup la télé. Il regarde des films d”horreur ou des séries, parfois toute la nuit. Ça devient sale partout, et lui il reste en pyjama ou en slip, ou dans les mêmes vêtements, parfois pendant cinq jours. Personne ne vient le voir. Personne ne le voit.

Maman revient, Maman repart.
Maman ne le voit pas.



C”est le soir. Maman – elle est revenue – se tripote les doigts pendant longtemps, elle range la maison, elle se maquille, elle prend un verre de vin.
Il rentre du travail. Son fauteuil est resté vide toute la journée. Personne n”ose aller dessus.
Le bruit des clefs, métallique, contre la table basse.

Il faut qu”on parle.
Qui te dit que j”ai envie de parler avec toi ?

Faustino joue à la gameboy, par terre. Il est 23h et Faustino a sept ans, mais sa mère n”arrive pas à le coucher tôt.

Tu sais quelle heure il est ?
Ouais.
Où tu étais ?
Ça te regarde ? Pétasse.

Faustino lève la tête de l”écran. Il se demande si elle va pleurer.

Je sais que tu me trompes.
Okay.
Ça te fait rien ?
Ben je sais pas, peut-être que si t'étais pas aussi chiante j'aurais pas besoin de te tromper ?

Faustino joue avec ses lèvres, parfois ça le fait saigner.

Tu as pensé à lui ?

Elle le montre du doigt et Faustino sursaute, cligne des yeux très fort. L”attention s”abat sur lui comme la foudre, c”est effrayant.

Eh ben ?

Faustino le fixe. Il se demande si Maman va pleurer. Il se demande si Papa va le regarder.

Je l”ai jamais voulu, moi.

Faustino regarde l”écran. Ses pouces s”excitent contre les touches avec frénésie.
Ce soir, il mangera des chips et des glaces. Il se brossera pas les dents, il rangera pas sa chambre, il dormira en costume de Superman. Il fait ce qu”il veut. Personne le regarde.



Faustino s”est fait deux copains à l”école. Ils le suivent, lui obéissent, ils sont à ses ordres. Faustino s”est déjà fait virer deux fois d”autres écoles. Il a neuf ans ans.

Donne-moi tes chewing-gum.
Non !
Quoi ? T”es sérieuse là ?

La fille a les larmes aux yeux, mais elle se cramponne à son paquet de chewing-gum avec force. Les deux copains se tiennent de chaque côté de Faustino.

Je vais te défoncer !
Je vais le dire !
Pff. Pétasse.

Sur le visage de la fille, il y aura un bleu de la même couleur que celui sur le visage de Maman.



Ne m”approche pas !!!

C”est la première fois que Faustino entend Maman hurler.
Il serre la figurine de Spiderman, toujours la même, et il reste au fond de la pièce. Il est bien visible, quand même, mais personne ne le voit.

J”ai plus le droit d”aller dans ma propre maison ? Comment t”as pu me faire ça, Maria. La police ?? Heureusement que José m”a prévenu. Quelle belle salope tu fais. Putain.

Elle veut parler, mais ça se sort pas. C”est le gaz toxique.

Me regarde pas comme ça putain !!! Tu me dégoûtes, tu me répugnes. Tu comprends ça ? Tu me dégoûtes.
Tu m”as cassé la clavicule, Fabio. J”aurais pu...
T”aurais pu quoi, mourir ? Mais tu te crois où là, Maria ? Tu te prends pour une martyre, c”est ça ? Ça te plait de jouer les victimes ? T”en connais beaucoup des victimes qui vivent dans une baraque comme ça ? Et dire que je t”ai acheté des chaussures le mois dernier. Je suis trop con.

Elle ne parle toujours pas, mais là, elle n”essaye même pas.

Je pensais qu”on était une famille. Alors ouais, ouais, parfois je m”énerve, je m”emporte, j”ai mon caractère. J”ai un boulot de merde qui me rend fou. Alors je suis désolé, désolé. Mais si tu pouvais me soutenir un peu de temps en temps, peut-être que j”aurais pas besoin de péter les plombs.

Il soupire. S”assoit dans le fauteuil, met sa tête entre ses mains.

Je suis fatigué, putain. Fatigué.

Faustino se demande où est sa gameboy.
Elle s”approche du fauteuil, doucement. Blanche comme le frigo.

Excuse-moi, Fabio. C”est vrai que je pourrais faire des efforts.

Il soupire encore.
Elle s”approche encore.

Je vais préparer à manger. Qu”est-ce qui te ferait plaisir ?


La nuit, Faustino entend les bruits de la chambre d”à côté. C”est celle de Maman et Papa. Maman dit « non » et Papa crie et frappe, alors elle craque. Comme avec Faustino.



Quand Papa est parti pour de bon, Maman a pleuré encore plus fort. C”était un peu dégoûtant. Faustino n”a rien dit. Il était juste devant la porte d”entrée, enfin plutôt juste à côté. Papa aurait pu le voir, surtout qu”il avait un costume d”Ironman – qui est rouge – mais il n”a pas regardé de ce côté.

Maman a poursuivi Papa dans la rue.

Ne me laisse pas !
Mais lâche-moi ! Regarde-toi, tu fais pitié !
Et Faustino ? Je ne vais jamais y arriver !
C”est ton problème. Moi j”en peux plus de cette baraque. J”étouffe !

Il ouvre la voiture et s”installe dans la voiture.

Tu ne peux pas nous abandonner.
Et voilà, c”est reparti.
Fabio je t”en supplie.
Lâche la voiture. Tu te donnes en spectacle, c”est ridicule. Sérieusement, lâche ou je sais pas ce qui va t”arriver.

Elle lâche.
Faustino sort de la maison.
La voiture s”éloigne. Du gaz toxique sort du pot d”échappement et se diffuse dans l”atmosphère.
Maman est assise sur le sol, une de ses chaussures est partie de son pied. Les voisins la regardent par la fenêtre. Ils la regardent, elle.

Mon chéri...

Il s”avance. Le visage de Maman est remplie de larmes, pas des larmes propres qui coulent sur une ligne, des larmes qui ont envahi tous le visage, la bouche, les cheveux. Des larmes très moches.
Elle le serre fort, trop fort, les larmes viennent sur lui.

Mon pauvre chéri, on est tous seuls maintenant. Qui va être là pour ta maman ?
Moi, il dit doucement, mais elle ne remarque pas comme il a parlé doucement, elle ne remarque pas qu”il sait le faire.
Qui va être là pour ta maman... Oh la la... Qu”est-ce que je vais faire ?? Comment je vais m”en sortir... Sans lui...
Il ne m”a pas vu. J”étais derrière la porte et il m”a même pas vu.

Il sourit quand il dit ça. Il se dit que c”est peut-être drôle finalement. Il n”a pas pleuré, il n”a pas crié, c”est qu”il a du trouver ça drôle.

Mon chéri, pour qu”il te voit, il faudrait que tu aies les cheveux verts.



Dans le petit appartement – Maman a vendu la maison –, il y a autant de jouets qu”avant, alors ça prend toute la place. Maman ne demande plus à Faustino de ranger ses jouets. Maman ne demande plus rien à Faustino. Souvent, Maman n”est pas là. Faustino fait ce qu”il veut. C”est super.
Il joue aux jeux videos toute la journée, sans aller à l”école. Il ne mange que des hamburgers et des bonbons. Il ne prend pas ses médicaments pour l”hyperactivité. Il regarde des films pornos. Il s”ennuie. Il a douze ans. C”est super.

Maman a changé. Elle ne pleure plus, elle rigole tout le temps. Elle met des robes très courtes et boit du vin tous les soirs. Elle invite souvent des hommes à la maison. Ils changent tous les jours, comme les jouets de Faustino parce qu”il se lasse vite.
Le premier jour, les hommes regardent Faustino. Ils disent « Ah, tu as un fils ? ». Et puis Maman explique que tant que Faustino a ses jeux videos et ses sodas, il les laissera tranquille. Il n”y a pas à s”en faire.

Les lettres de l”école s”accumulent sur la table basse, elles tombent sans faire aucun bruit, les unes sur les autres. Absences, violence, vulgarité, insubordination, racket. Maman ne les ouvre pas. Personne ne le gronde. Personne ne le voit. C”est super.
Maman mange et boit sur la table de la cuisine avec un homme, et Maman dit : ne t”inquiète pas, il a mangé dans sa chambre.
Maman couche avec les hommes sur le canapé, à côté de Faustino qui joue aux jeux vidéos, et Maman dit : ne t”inquiète pas, il s”en fout.

C”est vrai, il n”a pas crié, il n”a pas pleuré, alors c”est sûrement qu”il s”en fout.

Au bout d'un moment, Maman ne dit plus rien.
Maman ne le voit plus.



Maman n”est pas là depuis une semaine. Faustino a mangé tous les bonbons. La chasse d”eau est cassée. La maison est sale, elle sent comme une cage à lapin. Il y a des ordures, des vêtements, des papiers, partout. Faustino est un peu malade.
Maman n”est pas là depuis deux semaines. Ça le gratte partout, il doit avoir des puces. Ça pue trop à la maison. Il trépigne, parle tout seul, casse des trucs, joue au foot dans le salon.
Maman n”est pas là depuis trois semaines. Il n”y a plus rien à faire dans l”appartement, plus rien à manger non plus. Faustino sort, il zone, il joue au foot sur les terrains désert parce que c”est la nuit, il dort sur des bancs. Personne ne le voit. Il vole dans les magasins. Personne ne le voit. Il rackette des grands-mères dans le métro. Personne ne le voit. Il a treize ans.

C”est un fantôme.



Faustino s”est trouvé une bande. C”est que des enfants fantômes aussi, qui errent et terrorisent. Avec eux, Faustino défonce des pare-brises et des vitrines, tague des façades, cambriole des maisons. Faustino a quinze ans. On l”aime bien parce qu”il va toujours très loin, parce qu”il n”a jamais peur d”être vu, jamais peur d”être entendu, jamais peur d”être pris. Jamais peur.
Son rire le précède et le suit partout, un rire sans peur aussi, sans retenue, complètement éclaté.

Jusque au jour où il est pris, et même là il n”a pas peur. Il crache au visage du flic, il donne des coups de pieds, il hurle, et tout le monde, TOUT LE MONDE le regarde.

Fils de pute !

Et tout le monde, TOUT LE MONDE l”entend.
Il se remet à rire, à rire si fort qu”il en pleure, et on dit qu”il est fou et débile, et il rit plus fort. C”est clair que toute la ville l”entend. Peut-être même Maman.



Dans le centre pour délinquants, Faustino est un des pires. Il se bagarre, il vole, il provoque. Il provoque sans arrêt. Il apprend plein de gros mots, plein de crasses en tous genres. Il apprend à se moquer, à insulter, à soumettre. Il apprend que les plus violents sont ceux qu”on regarde le plus. On dit de Faustino qu”il ira jamais plus à l”école, qu”il est condamné, qu”il est une de ces causes perdues qui se transforment en parasites de la société. On dit qu”on ne peut pas le sauver. Il entend tout ça, et son rire continue de rebondir partout comme une balle de ping-pong.

Et puis un jour, un jour encore pire que les autres, on le fout tout seul. En isolement. Dans un endroit fermé qui sent sa maison. Sans fenêtre. Sans personne. Machinalement, il cherche sa figurine de Spiderman. Il l”a oublié. Il se plaque contre la porte fermée, porte blindée, que même les fantômes ne peuvent pas traverser.

Hé.

Personne ne répond.

Hé !!

Personne ne répond.
Le silence est en plomb.
Il fait tellement sombre que même lui ne se voit pas très bien.

HÉ !!!!

Il se met à pleurer, il hurle, il se lance contre la porte.
Personne ne répond.
Personne ne l”entend.
Personne ne le regarde.

Il faudrait qu”il ait les cheveux verts pour qu”on le voit.



Et puis, une voix dans le silence.

Je t”ai entendu.




L'Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? SakriPan
Et un âge ? non
C'est quoi ton Avatar ? Mirodiya Izuku - no hero academia
Comment t'as découvert l'île ? oh écoutez
Tu la trouves comment ? bon ça suffit
Dis, tu crois bien aux fées ? bwaaaah
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

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MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim - Page 2 Empty14.01.18 14:59

Scallywag


Les Trucs

Surnom : (Commence par "Le" ou "La") ÉCRIRE ICI
Groupe : Garçon Perdu
Age : environ 12 ans (il n'a jamais su son âge)
Rôle : Livreur


Les Révérences

Il y a le noir, le rouge et le vert, comme le drapeau de l'Afghanistan.
Il y a le noir pour sa peau brune, plus brune que les autres, rendue plus brune encore par la poussière grise qui s'y est incrustée, qui ne semble plus partir, même quand la Mère frotte ses joues avec force.
Il y a le rouge pour ses cheveux qui ont la couleur du safran, et qui rendaient fier sa mor, car leur éclat flamboie comme des flammes dans la nuit, même sous la poussière grise.
Il y a le vert, pour ses yeux brillants comme deux émeraudes espiègles, vives et vivantes, même sous la poussière grise.
Il y a même un peu de blanc, pour ses dents qui éclairent son visage de poussière grise quand il sourit.
Sur le visage de Scallywag il y a le drapeau de l'Afghanistan, de la poussière grise et tant d'autres choses encore.

Scallywag pourrait te raconter comme il a traversé des déserts, des villes et des épreuves, mais Scallywag préfère écouter. Scallywag adore les histoires, et plus encore les poèmes. Scallywag te trouvera courageux et intéressant quoique tu lui racontes. Scallywag ne juge personne parce qu'il ne sait pas le faire.
De là où il vient, on ne peut pas juger. On ne peut pas dire "la guerre c'est mal" puisque la guerre est le monde et on ne peut pas dire "la violence c'est mal" puisque la violence est partout. On ne peut pas non plus dire ''je manque d'amour''  car de là où il vient, les gens s'aiment, fort. C'est pour ça que Scallywag a vécu dans la misère et la souffrance, mais jamais dans le malheur. Scallywag n'a jamais été malheureux.

▼▲

Scallyway est maigre et costaud. Scallywag est travailleur et désobéissant. Scallywag adore le Pays des Enfants mais Scallywag ne connait pas l'Émerveillement. Scallywag est un adulte et Scallywag est un enfant.
C'est possible, pour Scallywag, d'être tout ça en même temps..

Sais-tu ce que Scallywag aime le plus au monde ? Les cerf-volants. C'est sa magie préférée, celle-là, d'ailleurs elle vaut bien celle des chimères et des fées. Scallywag fabrique ses propres cerf-volants, et ce n'est pas tes petits cerf-volants de pacotille, les siens sont en fil coupant, et s'il y parvient il l'enduit de colle et de verre pilé, car les Afghans n'ont pas peur de jouer pour de vrai, ils n'ont pas peur de saigner, jamais. Scallywag n'a pas peur de grand chose.
Quand Scallywag joue au cerf-volant, c'est là que son sourire est le plus grand, mais Scallywag sourit beaucoup de toutes façons, et même presque tout le temps, même dans les moments où il faudrait pas tant.

Scallywag est jovial, rieur, il aime faire partie des groupes et du mouvement, suivre la cadence, il aime embrasser, caresser, écouter. Il est curieux, insistant parfois, dégourdi, et incroyablement débrouillard. Il peut partir des lunes, tout seul, en pleine montagne, et revenir tranquillement, la peau brûlée et le sourire éclatant. Et puis parfois, il est extrêmement calme et doux, il se met à fredonner des litanies tout bas, en tapant sur un tambour peau-rouge offert par les Piccaninny. Toujours, son sourire est là, dans l'ombre, prêt à surgir dans toute sa lumière. Parfois, il danse, et toujours il entraine les autres à danser avec lui. Scallywag aime la joie, car plus encore que la cruauté de la vie, son peuple des montagnes lui a enseigné l'amour de la joie.  

Scallywag ne craint ni la fatigue, ni l'effort, ni la douleur. Parmi les Livreurs, il est un de ceux qui vont le plus loin et portent les charges les plus lourdes. Il a déjà porté plus lourd, il est déjà allé plus loin, de là où il vient. Son chef est si bon avec lui, en comparaison de tous les autres chefs qu'il a connu, qu'il lui voue une estime haute comme ses montagne ;  parfois il lui baise la main, ou lui attrape tendrement le menton, en signe de respect. Il lui reste quelques automatismes, qui lui font lever les bras en croix sur son visage pour se protéger lorsque son chef se courrouce, mais jamais la main du Lionceau ne s'abat, et Scallywag continue de s'étonner. Il appelle Freckles « mirab », qui signifie Maitre de l'Eau. Dans son village, c'était un statut si important que dans les yeux de Scallywag, Freckles est une personne quasiment aussi important que le Roi.  

Ainsi Scallywag respecte Freckles, et respecte le Roi, il respecte la vie du Grand Arbre, et même toute la hiérarchie. Il n'a eu aucun mal à s'adapter à l'île. Scallywag sait s'adapter, il a du apprendre et il a bien appris. L'inconfort ne le gêne pas, il peut dormir dans une grotte ou sur le sable, il peut même dormir debout, et il n'aura même pas mal au dos. Les bestioles ne lui font pas peur, lui qui a déjà senti des scorpions lui chatouiller les pieds quand il gardait les moutons dans les sommets. Il est toujours un peu sur le qui-vive, méfiant, prudent, alerte, car son Ordinaire pouvait exploser au moindre courant d'air.  Ça ne l'angoisse pas, ça ne l'épuise pas, pas vraiment. Ça le rend juste très attentif. Scallywag fait toujours très attention.
Pourtant,  Scallywag ne sait pas respecter les règles. C'est en ne respectant pas les règles que Scallywag a survécu à l'Ordinaire, et dans son Ordinaire, les montagnes étaient plus meurtrières, les intempéries plus effroyables, et les adultes plus vicieux encore que sur l'île de Jamais. Respecter les règles, c'est se laisser mourir, et Scallywag aime beaucoup vivre.

Alors Scallywag va dans les endroits interdits, chaparde et marchande, il va même jusqu'au Port Débauché pour échanger ses trouvailles et surtout, surtout : avoir de l'Argent. L'Argent, c'est l'obsession de Scallywag. Il en a toujours voulu. Dans son esprit, entre les montagnes et les pur-sangs, au-delà des danses et des chants de son pays qui le rendent simple et pur, il y a l'ombre de l'Argent qui fait comme une tache dans son décor intérieur. Dans son esprit, l'Argent rime avec le Pouvoir, la Sécurité, la Liberté.
L'homme qui n'a pas d'argent sera condamné à trimer, ployer le cou, s'abimer dans la terre et la poussière, et pire encore, l'homme qui n'a pas d'argent est esclave de la vie et victime de la mort. Et cela, Scallywag le refuse, de toute sa force. Et il en a, de la force.
C'est pour ça qu'il va au Port, bien dissimulé dans ses turbans, et essaye de négocier dans l'ombre d'une ruelle, de vendre sa marchandise. Parfois, c'est des trucs volés aux autres enfants, ou des matériaux qu'il a trouvé aux abords de la Machine – n'importe quel endroit dangereux, pourvu qu'il y ait quelque chose à trouver. Il a pris l'habitude de détrousser les morts, comme ses copains le faisaient avec les victimes de mines. « A quoi ça peut leur servir au Paradis ? ». Et quand il marchande, le sourire de Scallywag est enfoui en lui, enterré profondément, car l'Argent n'est pas affaire de joie.
Parfois, les Pirates jouent le jeu, ils lui donnent des pièces. Parfois, ils ne jouent pas le jeu, et Scallywag doit fuir, parce qu'il est trop malin pour penser qu'il peut se défendre. Scallywag connait le vice qui se cache dans le coeur de bien des hommes, il le connait bien. Il le connait si bien que depuis longtemps, ce vice ne lui paralyse plus les jambes. Il le renifle, le devine, et le fuit sans qu'on puisse l'attraper. C'est difficile d'attraper Scallywag. Je vous l'ai dit, c'est dur de lui faire mal.

C'est tout de même un peu triste, car à force de respirer une atmosphère de vice, on est forcément un peu contaminé. Et vu les nuages noirs qu'il continue de cracher, on devine qu'il n'est pas encore débarrassé. C'est pour ça, peut-être, que Scallywag n'est pas très sensible à la magie. C'est pour ça qu'il fait quelque chose de pas seulement interdit, mais quelque chose de vraiment grave, quelque chose de maudit.
Scallywag se rend souvent dans les Galeries de Cristal, comme il se rendait dans les mines. Il ignore les fées et le sacré. Il ne voit que l'éclat des cristaux. Leur magie ne l'émeut pas, ça n'atteint pas son âme, à cause de la tache dans son décor intérieur, qui fait barrage. Il se demande seulement : combien ça va me rapporter ?

Alors sans même entendre le gémissement de la roche qu'il lacère, qu'il dépouille, et le rugissement des fées qu'il injure, il enfouit dans son sac les cristaux du jour, tandis qu'une nouvelle couche de poussière incruste sa peau. Il les conserve précieusement, à l'abri des regards, pour ne pas qu'on le vole – car dans l'esprit de Scallywag, tout le monde réfléchit comme lui, dans son esprit c'est la seule façon de réfléchir, ainsi tout le monde cherche le profit, tout le monde a faim de liberté, et tout le monde voudrait ses cristaux.
A chaque fois qu'il arrache des cristaux aux Galeries, il fait des mauvais rêves la nuit suivante et tousse un peu plus le jour suivant. Mais la tache, dans le décor intérieur, ne ternit pas, ne s'efface pas, et continue de dominer le paysage comme un soleil noir. Alors lui aussi, continue de quêter le soleil noir, quitte à s'y brûler les ailes comme Icare.

...
Et puis.
Il y a autre chose, chez Scallywag. Derrière la tendresse apparente qu'il a pour les autres, derrière son enjouement, sa légèreté, sa facilité à vivre, il y a quelque chose... Il y a quelque chose de bizarre. C'est bien difficile à définir. C'est un peu sombre, un peu caché. Si on le regarde longtemps, on verra que son regard ne se fixe pas, et que même son corps ne reste jamais auprès des gens trop longtemps. Il papillonne, il déambule, il ne s'enracine jamais. On verra que Scallywag n'a aucun ami, aucun vrai ami. Il n'est attaché à personne. Il s'incruste dans les bandes et les jeux, il écoute les histoires et les peines de chacun, il troque ses trouvailles avec n'importe qui. Mais jamais il ne se lie.
Le seul lien sûr, si sûr qu'il s'inscrit dans sa chair,  est celui de son cerf-volant. Personne ne sait ce qu'il pense, ce qu'il ressent, ce qu'il veut. Personne ne sait rien de ce qui se passe dans son intérieur. Scallywag ne dit pas. Personne ne connait son histoire. Scallywag ne raconte pas. Sans s'en rendre compte, pas vraiment, Scallywag a placé une distance de sécurité invisible et invincible, avec les autres, avec tout le monde. Peut-être qu'il ne veut pas s'attacher. Peut-être qu'il ne sait pas. Peut-être qu'il a vu trop d'enfants mourir et d'adultes trahir, et que d'ailleurs ça revient au même, et que son coeur s'est fermé. Derrière le sourire, le coeur est fermé.



L'Unique au monde

Scallywag fait souvent claquer sa langue. Et aussi ses mains.

Quand Scallywag tousse, il y a toujours un nuage de poussière (ou de suie, on ne sait pas très bien) qui s'évade de sa bouche. Même quand il n'a rien avalé, le nuage sort. Peut-être que l'île a interprété à sa façon la crasse qui tapisse ses poumons. Peut-être que c'est plutôt un genre de malédiction. Freckles l'appelle la locomotive à cause de ça.

Scallywag est très religieux. Il prie plusieurs fois par jour, les Djinns ou son Dieu. Quand il prie, il dit surtout merci, car Scallywag n'a pas peur de mourir mais est heureux d'être en vie.

Scallywag aime tous les paysages, mais celui qu'il préfère est celui des montagnes. Les montagnes sont dans son coeur comme les bras d'une mère.

On ne croirait pas, mais Scallywag est très endurant et très résistant. C'est difficile de lui faire vraiment mal, dans le corps comme dans l'âme.

Scallywag est un cavalier. Son rêve, disons son esquisse de rêve car Scallywag n'a jamais trop eu le temps de rêver, aurait été d'être champion de Bouzkachi. Il n'a vu un combat qu'une seule fois, il était tout devant et se tenait très fort aux barrières même quand des plus grands lui lançait des pierres. Scallywag aime les chevaux comme des frères de sang. Un jour, il trouvera une monture, et ne la quittera plus jamais.

Scallywag a du mal à manger la nourriture des mères. Il préfère même celle des Delaware. La nourriture des mères de l'Arbre manque d'épices et de nuances. Parfois, il y rajoute des choses qu'il a trouvé dans la nature. Il boit beaucoup de thé. Ça aussi, il le fait tout seul.

Beaucoup d'enfants pensent que Scallywag est sale parce qu'il est poussiéreux. Ce n'est pas vrai. Comme tous les Afghans, Scallywag est très propre, il se lave le matin et le soir. C'est juste qu'il n'arrive pas à enlever la poussière.

Scallywag aime la magie, même celle des illusions. Il aime les tours de magie, quand il les fait et quand il les regarde. Il croit aux mauvais sorts et disperse souvent de la fumée pour éloigner les esprits mauvais.

Scallywag ne regarde pas beaucoup dans les yeux.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
L'enfant s'asseoit sur le rocher, pieds nus, un turban sur la tête parce que le soleil tape. Son regard percute le tien en saccades, ça ne dure jamais longtemps, il est fuyant, espiègle, il est toujours comme ça. Son sourire sursaute sur son visage qui s'agite, qu'il gratte, qu'il touche, tout le temps.
« C'est bien. » Tu dois insister, parce que l'enfant n'aime pas être interrogé, il a cette timidité qu'ont ceux dont le sort n'inquiète personne, qui n'ont pas l'habitude qu'on leur demande ce qu'ils pensent. « C'est un beau pays. Je voudrais rester, je travaille dur. Je voudrais rester ici avec les autres. Je ne grandis pas. » Il pense peut-être que tu le surveilles. Il se méfie.
Il sourit.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
L'enfant agite les mains, puis la tête. « Il n'y a rien là-bas. Ils sont morts. Je suis bien ici. Je travaille dur. » Tu te dis que ça ne sert à rien, il ne pourra pas te répondre sincèrement. Tu ne pourras pas l'entendre, puisque lui-même, il ne s'entend pas. Il ne s'écoute pas. Il croit encore qu'il n'a pas le droit.
Il sourit.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
Son sourire clignotant disparait, son visage devient tout lisse. Tu remarques comme il est poussiéreux, même les cheveux. « C'est un grand roi. Un calife. » Il faut fouiller encore, encore et encore. Il y a un long silence, et il a l'air de penser, il a l'air sérieux. « Il fait la guerre mais il se bat aussi, il est très courageux. Il nous protège, il protège les enfants. Les adultes ne protègent pas les enfants. Peter Pan c'est un djinn que pour les enfants. Il les empêche de mourir. »





Le Bout d'aventure

Scallywag n'a connu que les montagnes.
Il y eut la montagne de neige, de roche et de liberté, où l'homme est si petit et si fragile qu'il se fond aux herbes sèches. A la poussière.
Il y eut la montagne de béton, les sommets carrés de la ville, sale et grouillante, où l'homme est toujours si petit et si fragile qu'il meurt sans faire de bruit. Comme la poussière.
Il y eut la montagne de plastique, de verre et de moisi, et là l'homme est si petit et si fragile qu'il peut se laisser engloutir par les déchets, par les maladies, et les mouches. Par la poussière.

Chacune de ces montagnes a rendu la peau et le regard de Scallywag plus durs, mais son sourire, lui, n'est jamais parti.

La première montage était la plus haute et elle abritait la nature dans toute sa férocité, dans toute sa majesté, si bien que Scallywag n'a pas été si surpris en découvrant les Grands Esprits. Il connaissait déjà celui de la Montagne, et celui-ci était aussi grand qu'eux. On disait que le Pamir était le toit du monde, et même si Scallywag ne savait presque rien du monde, il se félicitait de vivre à son sommet. On disait aussi de la chaîne où vivait Scallywag, l'Hindou Kouch, qu'elle était était semblable à des doigts, mais c'était dur à visualiser pour lui, car Scallywag n'avait jamais vu de carte. Il préférait aux cartes et à la géographie les récits légendaires qui peuplaient, plus encore que les hommes, les vallées et les pics qui composaient son paysage.
C'est dans cette montagne que vivaient les Powindah, qu'on appelait aussi Kuchi, et c'est dans cette montagne que naquit Scallywag. Le nom que sa mor lui donna, à l'époque, était bien plus digne cependant. Elle le nomma Iqbal, et ce nom signifie «prospérité». La férocité de la montagne tua l'enfant avant Iqbal et celui après lui, mais quand ce fut son tour,  Iqbal exhiba à la Mort un sourire si lumineux qu'elle se détourna de lui – pourtant, il n'avait pas encore de dents.

Ce fut dans la montagne, poussé et bousculé par les mains du vent, qu'Iqbal fit ses premiers pas, et monta son premier cheval, et surtout, surtout, fit voler son premier cerf-volant. Et toutes ces choses, belles et puissantes, remplirent tant le coeur d'Iqbal que les pires douleurs, ensuite, ne furent jamais capables de le briser. On ne brise pas la montagne.
La famille d'Iqbal n'avait rien, tellement rien que même le désir leur était inconnu. Pourtant, la mère d'Iqbal portait les tenues rouges et fières des femmes Kuchis, qui ne couvrent pas leur visage, qui ne baissent pas les yeux sous le regard d'un homme, et qui parlent fort, chantent fort, et sont fortes. Le père d'Iqbal ne disait presque rien, mais un sourire vacillait toujours au coin de ses lèvres toutes parcheminées, et ce sourire était si impressionnant qu'Iqbal pouvait l'observer à la dérobée pendant des heures. A leur façon, les parents d'Iqbal étaient de grands guerriers, que la montagne avait appris à respecter sans jamais se laisser conquérir.

Les Kuchis sont des nomades, ils traversent les montagnes, les steppes, les routes, en de longues caravanes ponctuées de couleurs vives – celles des vêtements de femmes. Leurs jambes sont solides comme celles des chevaux. Dès que les jambes d'Iqbal purent le porter, il marcha, il marcha, s'enfonçant dans les nuées de poudre grises ou blanches engendrées par la montagne, et bientôt, il ne put plus s'empêcher de marcher. « Si j'étais un cheval, je m'en irais au galop, et je ne m'arrêterais que lorsque je serai mort ». Ah, s'il était un cheval, il n'aurait pas à garder le troupeau, monter les tentes ou aider sa mor à faire le pain ! Il serait libre, pur-sang, pur enfant de la montagne.
Dans le coeur de la montagne, si loin du reste du monde, Iqbal n'entendait pas parler des Talibans. Il n'y avait même pas de mot pour dire « guerre » dans son vocabulaire.

▲▼

Le jour où Iqbal dut quitter les sommets pour se réfugier dans les trous qui constellaient le corps des Grands Bouddhas, ceux de Bamiyan, fut le premier jour triste de sa vie. Comme ni son père ni sa mère ne pleurèrent, il ne pleura pas. Il ne sourit pas. Il ne demanda pas pourquoi le visage de sa mor, soudain, était couvert, et pourquoi le sourire de son père, au coin des lèvres, avait disparu. Au fond de lui, Iqbal savait que le sourire était resté dans la montagne.
Iqbal apprit, au contact des autres habitants des grottes, qu'il était pauvre. Il apprit qu'un pauvre n'a d'autre souhait que de gagner de l'argent, afin de ne plus être pauvre. Il apprit qu'il devait être à la fois honteux et reconnaissant envers les camions humanitaires qui distribuaient des vêtements et des médicaments aux familles de Bamiyan. Iqbal devait apprendre vite, car il n'avait encore jamais été ni pauvre, ni honteux, ni reconnaissant, contrairement aux autres enfants. En retour, Iqbal leur apprit à être souriant.

Le désir mit beaucoup plus de temps à apparaitre. Les copains d'Iqbal rêvaient déjà de motos, de billets, et même d'armes. Les enfants ne jouaient pas beaucoup au docteur, aux aventuriers, et même leur façon de monter à cheval était différente. Le cheval devait obéir et non écouter, craindre et non respecter. Cela, Iqbal n'apprit jamais. Il apprit plus facilement à déterrer les mines et marchander avec des cartouches – peut-être parce que c'était dans la terre et la poussière. Il apprit plus facilement à aimer la guerre, ou plutôt, le folklore de la guerre. Pourtant, quand il rentrait dans sa grotte, avec sa mor emmitouflée dans son foulard rouge, et son père assommé par l'opium, pourtant Iqbal se sentait si loin de tous. De son père et sa mère, des enfants de Bamiyan et des chevaux qui les craignaient.
Heureusement, il restait les cerf-volants.

▲▼

Trouver du travail était une chose importante pour les gens de Bamiyan. Pour les gens pauvres. Le jour où le père d'Iqbal trouva du travail, sa mor pleura, en prenant toujours soin de se couvrir le visage. Iqbal se précipita dans la grotte en entendant les « Allah Wakbar » enjoués de son père, persuadé que le sourire serait enfin de retour. Il passa un long moment à observer le visage creusé de sillons de son père, il fouilla des yeux chaque recoin, chaque ride, s'attarda longuement sur les lèvres... Mais non. Le sourire n'était pas là, il en était sûr. Il y avait bien une grande joie dans sa voix, et dans son corps qui dansait, mais ce n'était pas le sourire vacillant, si pur, de la montagne.
Pendant que la famille chargeait leurs maigres affaires sur l'âne, Iqbal ne pensa à rien d'autre que le sourire, et il oublia de se retourner pour voir les Grands Bouddhas une dernière fois.

▲▼

Les montagnes de béton furent certainement les pires, puisque d'un seul coup, la nature n'existait plus. Le sol était recouvert de pierre lisse, les maisons étaient carrées, avec des portes, et tout, absolument tout, sentait la merde. Enfin, Iqbal supposait que c'était une sorte de merde.
Les voitures lui faisaient tellement peur qu'il ne voulait pas sortir. Son père devait lui donner des coups – mais il ne frappait jamais trop fort – pour qu'il daigne mettre le nez dehors. Car Iqbal devait travailler. Tout le monde devait travailler. A part sa soeur et sa mère, bien sûr. C'était des femmes. Les femmes ne doivent rien faire, c'est la loi des Talibans. Iqbal les enviait de tout son être.
Lui devait aller au marché, vendre de la fumée, et des chewing-gums, et du thé, et quand il s'achetait quelque chose, il se le faisait toujours prendre. Chez les Kuchis, le vol n'existe pas. Tout ça, ça n'existe pas. Au sommet du monde, on ne distingue rien de ces choses-là.
Iqbal se souvenait de ce temps où il rêvait d'être un cheval pour être libre, et s'en voulait un peu d'avoir été si bête. Heureusement, lui avait pensé à emporter son sourire avec lui, et il le sortait à la moindre occasion. Par exemple, les cerf-volants. Eux, ils existent partout partout.

Iqbal apprit à tricher avant d'appliquer les règles, car les enfants de béton qui connaissaient bien la rue furent ses professeurs. Ce furent eux, bien avant Peter Pan, qui lui dirent « Méfie toi des adultes. Ne fais jamais confiance à un adulte. ». C'était très perturbant pour Iqbal, mais quand il voyait des enfants se faire frapper, racketter ou kidnapper par des hommes, il savait qu'ils avaient raison. Il savait que dans ces moments, son sourire devait rester enfermé dans sa bouche et ne jamais sortir.
Iqbal avait très peur des Talibans. On lui avait dit que dès que sa moustache pousserait, il serait emmené et entrainé au combat, et qu'on le ferait exploser Inch'Allah.

Me faire exploser ? Pourquoi ?
Pour se venger des Américains.
Et des Européens.
Oui, surtout des Européens. En plus ils nous donnent des maladies. Ce sont des mécréants tu sais, Iqbal, méfie-toi.
Ça fait très mal d'exploser ?

Iqbal était resté fixé sur cette idée, il ne pensait à rien d'autre. Il ne songea même pas à demander ce qu'était un Américain.

Non, tu vas directement au Paradis.

Ses parents ne lui avaient jamais parlé de cette histoire, mais quand il voulut leur en parler, il était si nerveux et confus que sa mère lui renversa de l'eau sur la tête – et même pas bouillie, donc pleine de microbes.
Ils lui dirent de ne plus y penser, et de ne pas écouter les enfants d'ici. Iqbal n'osa pas leur dire qu'il ne pouvait écouter personne d'autre, puisque plein de gens de la ville ne parlaient pas sa langue.
Les deux semaines suivantes, il ne cessa de s'imaginer en train d'exploser. Il faisait des rêves où il avalait une mine et attendait en fermant les yeux qu'elle explose, mais chaque fois, elle n'explosait que le bas du corps et sa première réflexion, dans son rêve, était de se dire : « Je ne pourrais plus jamais monter à cheval ». Ensuite, le haut de son corps était emporté par une ficelle de cerf-volant qui lui lacérait la peau. En arrivant au Paradis, il ne restait plus que sa tête, et il découvrait sous lui le paysage brun et blanc du Pamir.

▲▼

Iqbal apprenait vite, et il excella bientôt dans les trafics. Il acceptait tout et n'importe quoi, même très dangereux, du moment que ça lui donnait la sensation d'être libre. Et du moment, surtout, que ça lui faisait gagner de l'argent. Il commença par la farine, puis ce fut l'opium, et enfin les armes. Les adultes le trouvaient drôle et Iqbal les laissaient penser qu'il était un petit filou : lui se voyait très différemment. Il se pensait très malin, audacieux, bien plus que les adultes. Parfois même il les arnaquait, un tout petit peu, et se vantait devant ses copains. Les seuls vrais témoins de son changement. Eux, ils avaient trop peur de faire tout ça, Iqbal le savait, et cela le rendait fier. Il ne pensait plus à l'explosion, encore moins au Paradis, encore moins au Toit du monde.

Il a dit qu'il me paierait en dollars. Dollars ! Iqbal fit claquer sa langue contre son palet.
Mais la mine, c'est dangereux... Mon cousin Farid il est mort dedans. Il s'est évanoui à cause du manque d'oxygène et après, il y a eu un éboulement. Et mon autre cousin, il tousse tout le t...
Je ne suis pas comme toi, ni comme eux, Kamel ! Moi, je n'ai pas peur. Je vais avoir plein de dollars. Avec ça je vais acheter une villa, et des femmes. Je t'achèterai une moto, et une télé.
On n'a pas le droit de regarder la télé...
On le fera en cachette, je serai riche on vivra loin des Talibans. T'inquiète pas. Sois juste patient.

Kamel ne disait jamais rien. Lui, il ne rêvait que d'aller à l'école.
Ils avaient connu l'école, quelques temps, dans un ancien orphelinat bombardé qui n'avait plus de toit – ce qui convenait à Iqbal – et où tous les enfants, de tous les âges, étaient assis par terre. Leur maitre leur avait appris la lecture, la géographie, et aussi à reconnaitre les mines. Mais quelques mois plus tard, il avait été emmené par les Talibans, et personne ne l'avait remplacé. Cela n'avait pas trop marqué Iqbal, à présent qu'il était habitué.

Ainsi, Iqbal était allé à la mine au lieu d'aller à l'école, car l'école ça ne rapporte pas d'argent,  et la poussière noire du charbon s'était ajouté à la poussière blanche de la montagne, à la poussière grise de la ville. Le travail à la mine était beaucoup plus difficile que ce qu'Iqbal avait anticipé, et son sourire avait peu à peu été avalé par l'obscurité de la mine. Il ne se plaignit jamais, pourtant.
A la fin de sa journée, il transportait sacs de farine et cargaisons d'opium à travers les frontières, évitant les hautes silhouettes sombres et les petites silhouettes rampantes, car des serpents et des adultes, aucun n'est plus dangereux que l'autre. Iqbal ne se reposait guère et ses traits étaient marqués par l'effort, l'épuisement, et l’appât du gain.
Son cerf-volant prenait la poussière.

Une fois, Iqbal travailla quatre jours d'affilé à la mine. Comme son maitre refusa de lui donner l'ensemble de son du, Iqbal le vola. Il était fier, rayonnant et rompu quand il retourna chez lui au coeur de la nuit, ses billets à la main, ses billets et rien d'autre. Rien d'autre, dans toute la maison en pierre, rien derrière les portes closes. Son père, sa mère, ses petites soeurs avaient disparu. Iqbal refusa de s'inquiéter et se coucha sur le sol, comptant ses billets un à un avant de s'endormir.
Il avait de l'argent, il pourrait acheter ses parents s'ils avaient été enlevés.

▲▼

Iqbal resta couché plusieurs jours. Il dormit tel qu'il n'avait pas dormi depuis longtemps. Ce ne fut qu'au cinquième matin qu'il se leva avec une certitude glacée : il était seul. Dans la maison, dans la ville, dans le monde entier. Il se rendit compte qu'il ne savait pas où étaient ses amis. Il ne les avait pas revus depuis qu'il travaillait à la mine. Il n'avait pas eu de nouvelles de ses parents, et il savaient que c'était à cause des Talibans.
Aux yeux d'Iqbal, toutefois, les Talibans n'étaient pas des hommes. Ils étaient plutôt une sorte de mal, de maladie, de sortilège irrépressible prenant d'assaut la tête et le corps des peuples. Il ne lui prit jamais l'envie de les haïr, le besoin de les combattre, de même qu'on ne hait pas une fièvre, on ne combat pas une mine. Les Talibans avaient pris sa famille, et ils étaient si nombreux et terrifiants qu'Iqbal ne savait pas à qui s'adresser pour revoir le sourire vacillant de son père. S'il se trompait, on lui prendra son argent, son précieux argent, et il ne reverrait rien du tout. Ce jour-là, Iqbal piocha dans les réserves d'opium de son père, car ce jour-là était le premier de sa vie où son sourire ne fut pas capable de vaincre sa détresse.

Il reprit une existence d'enfant des rues, demandant du travail aux marchands et refusant de mendier aux passants. Il trouva d'autres amis, qui parlaient peu mais partageaient beaucoup, sauf l'Argent. On ne partage pas l'Argent quand c'est tout ce qu'on a. Iqbal n'avait pas dépensé un seul de ses billets. La perspective de ne plus les avoir entre les mains le plongeait dans une angoisse si profonde qu'elle le pétrifiait.
Il travailla dans une métallurgie, dans une fabriques de briques, puis dans une décharge. Ce fut la troisième montagne, et la plus dure à gravir, car elle s'effondrait sous ses pieds et s'infiltrait dans sa peau sans scrupule.
Il récupérait du matériel englué dans les déchets, et parfois un peu de nourriture. Cela ne rapportait presque rien, mais il avait toujours ses billets, cachés dans son slip. Il dormait dehors, dans des bidonvilles, dans des poubelles, de toutes façons il se sentait mieux sous les étoiles que dans n'importe quel maison. Les enfants avaient l'habitude de chanter, et ceux qui ne se comprenaient pas en parlant savaient danser ensemble. Ils faisaient du feu, ils faisaient du bruit, et le sourire d'Iqbal était revenu.

▲▼

Le jour où Iqbal fut attrapé, il ne pensa qu'à son argent. Il ne pensa pas à la violence des bras qui l'empoignaient, au déchirement des cris de ses camarades qui s'étaient fait prendre dans leur sommeil, dans leurs cartons, comme lui. Il ne pensa pas à sa mor qui n'était pas là pour le protéger, à son père dont la force lui manquait, à son corps qui avait si mal. Il pensait aux billets, encore à l'abri contre ses fesses, où personne, Inch'Allah, ne viendrait regarder. Il ne poussa pas un cri.
Il savait qui étaient ces hommes. Ils prenaient les enfants et les exploitait, dans des fabriques, des réseaux, ou pire. Pour Iqbal, ils étaient comme les Talibans, des sortes d'armées de démons qu'il ne sert à rien de combattre, qu'il faut juste fuir. Cette nuit-là,il n'eut pas le temps.

▲▼

Certains garçons avaient été utilisés dans le Bacha Bazi, la «danse des garçons» en Afghan. Des jeunes garçons étaient habillés et apprêtés, et effectuaient devant une assemblée d'hommes une danse compliquée. Parfois, des hommes repartaient avec un garçon. Parfois, ils ne faisaient que regarder. Parfois, des garçons mourraient.
Tout le monde connaissait le Bacha Bazi et personne n'en parlait. Iqbal connaissait le Bacha Bazi et il fit semblant de ne pas savoir danser. Il fit semblant d'être bête, inapte et empoté, car un enfant qui a de la valeur est plus en danger qu'un enfant qui ne vaut rien. Iqbal savait faire le vaurien.

Ainsi, dans l'entrepôt gigantesque où les enfants étaient amassés, Iqbal ne faisait jamais partie des garçons arrachés à la nuit. Il tentait de ramener un billet par jour grâce aux décharges, et quand il n'avait pas son du, il préférait les coups de fouet à l'idée de donner l'un de ses billets.
Seule Fatima connaissait son secret. Elle l'avait surpris comptant ses billets alors que tous dormaient, mais avait promis de ne rien révéler. Depuis, Iqbal lui confiait les billets dès qu'il devait se laver ou sortir trop longtemps, et Fatima n'en avait jamais pris un seul. Tout ce qu'elle voulait, c'est qu'Iqbal ne parte jamais sans elle, et Iqbal avait promis. Fatima devint, avec le temps, presque aussi importante que son argent.

▲▼

Quand on partira, je t'achèterai une maison, et aussi une télé. Et un cheval, pour toi et moi.
Ce sera quand ?
Bientôt, quand j'aurais cent billets. Tu sais, dès que j'en ai un de plus, j'en garde un. J'en ai bientôt cent.
Je m'en fiche d'avoir une télé. Je veux aller dans ta montagne.

Iqbal ne dit rien. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas songé à sa montagne, et s'il devait songer à sa montagne, il devrait songer à la voix forte de sa mor, au sourire de son père, et à sa liberté.

Alors, pas de télé.Mais au moins un grand cerf-volant. Tellement grand, tellement, qu'on pourra s'y asseoir tous les deux et voler.
Ça n'existe pas, un cerf-volant comme ça...

Iqbal se tourna vers Fatima, il voyait l'ombre de ses fossettes dans la nuit.

Avec l'argent tout existe.

▲▼

Le lendemain, Iqbal était si exalté par son idée de cerf-volant géant qu'il fut le premier, sur la cinquantaine d'enfants, à se réveiller. Il laissa les billets, enroulé dans un châle, sous le coussin de Fatima, fit sa prière, et demanda aux adultes la permission d'aller travailler. Il passa deux jours, deux jours entiers dans la montagne de déchets, sans faire aucune pause, et d'ailleurs il ne se sentait pas fatigué.

Quand il revint, il avait gagné beaucoup d'argent. Au moins cinq billets, qui lui paraissaient tout propres, presque trop, en comparaison des siens. Il en dissimula deux dans ses fesses. Un pour lui, un pour Fatima. Son sourire étaient comme un éclat de soleil contre une vitre, il aurait fallu se couvrir les yeux.

▲▼


Mais où ??
Calme-toi, petit. Loin. Au Pakistan.
Et son châle, son foulard où est-il ??
Pour la dernière fois, calme-toi !! Nous pouvons aller au camp de réfugiés et tenter de la retrouver, mais ça ne sert à rien. Tu te feras d'autres copains. Tout est fini maintenant, tu es libre.

Iqbal regarda l'homme avec effarement. Peut-être qu'il ne comprenait pas bien sa langue.

Le réseau avait été déniché et démantelé par une ONG australienne. Les enfants avaient fui ou été emmenés par camions dans des camps de réfugiés. La guerre était finie. Iqbal s'en moquait. Il avait perdu Fatima. Il avait perdu tout son argent.
Il se débattit bien plus contre les responsables de l'ONG que contre les Talibans, que contre les bourreaux d'enfant. Il ne supportait pas leur façon de faire croire qu'ils voulaient l'aider. Qu'ils faisaient ça pour lui. Iqbal s'occupait de lui depuis si longtemps qu'il avait oublié sa montagne. Alors ces gens là pouvaient bien repartir. Ils ne comprenaient rien. Ils n'aidaient personne.

A partir de là, Iqbal fut considéré comme un petit sac de souffrance par tous les adultes. Et c'était bien pire que d'être battu, exploité, affamé. C'était pire que tout. Il ne retrouva pas Fatima. Il ne retrouva pas son argent. Et il cessa de parler, peut-être parce qu'il ne savait pas quelle perte était la plus lourde. Cela fit penser aux gens de l'ONG qu'Iqbal était en grande détresse psychologique. Les gens de l'ONG insistèrent pour qu'il soit emporté, sans son accord, exactement comme les gens du réseau. Emporté loin, au delà des montagnes, au-delà de son pays.

Les gens, en Australie, furent très gentils avec lui. Ils lui donnèrent une chambre, des vêtements, un bain et un repas. Ils lui parlèrent cette langue nasillarde que parlent les Américains.Ceux qui font que les enfants explosent. Iqbal leur adressa un sourire qu'ils trouvèrent ravissant, mais seulement parce qu'ils ignoraient la force du vrai.

Le soir-même, Iqbal, dans sa petite tenue d'Américain Australien, fouilla toute la maison, prit tout l'argent qu'il put, et ouvrit la fenêtre. Il avait traversé trois montagnes. Il pouvait bien traverser la mer.

Ce fut ce moment que choisit Peter Pan pour apparaitre, cachant les montagnes et dispersant la nuit.
Peter Pan fut le seul, de toute sa vie, à lui demander s'il voulait venir dans son Pays. Peter Pan ne le força pas et attendit. C'est peut-être pour cela qu'Iqbal dit oui.

Le sourire aussi, dispersa la nuit.





L'Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? SakriPan
Et un âge ? mais non !
C'est quoi ton Avatar  ? !!!
Comment t'as découvert l'île ? dans mon décor intérieur.
Tu la trouves comment ? entière.
Dis, tu crois bien aux fées ? surtout celles des cristaux $$


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MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim - Page 2 Empty16.01.18 22:27

boum bb en voilà un autre qui étais pas prévu

1. Je tiens à m'excuser tout particulièrement auprès de Freckles qui attend un petit livreur depuis des lunes et à qui je fais faux bon pour la seconde fois, c'est immoral et je m'en veux beaucoup. Je jure devant Pan que le prochain est le bon. Pardonne moi ;_;
2. Je sais qu'il y a au moins cinq arachnophobes sur ce forum, c'est pourquoi il y aura aucune image d'araignée dans ma fiche, par contre j'en parle beaucoup, je ne sais pas si ça en gene certains mais vaut mieux prevenir que guérir.
3. C'est encore un compte de Pan et c'est encore un enfant, j'arrête de lutter.




Tarentule de nuit


Les Trucs

Surnom : la Noiraude
Groupe : Peau-Rouge
Age : la dizaine
Rôle : Papoose des Piccaninny


Les Révérences


Il y a un enfant sur l'île, qui vit à l'écart du camp.
Il y a un enfant, noire est sa peau et bleue est son sang.
Il y a un enfant qu'on dit enfanté par la nuit, enfant de la lune et d'un obscur esprit.
L'enfant sait ce qu'on dit de lui, mais l'enfant ignore si c'est vrai : est-il maudit.

L'enfant est ami des araignées, qui sont ses sœurs et ses compagnes. Elles courent sur son corps d'ébène, son corps sans nuance, comme une ombre chinoise. Elles dorment à son côté et partagent sa pitance. L'enfant les aime. L'enfant n'a pas d'autre ami. L'enfant se sait différent mais ne connait pas d'autre vie. Il s'accommodera de celle-ci.

Viens près de moi, Petite Nuit.

Cette voix est celle de sa mère, et si la voix est si faible, c'est que la mère l'est aussi. Elle n'a plus qu'une demi-vie.
L'enfant s'allonge aux côtés de la mère. Il a le visage calme, placide, les gestes lents et gracieux.

Je voudrais voir les étoiles.

L'enfant ne dit rien. Un sursaut d'inquiétude plisse le creux de ses sourcils, mais on ne perçoit rien dans le noir absolu de sa peau.

Aide-moi. Je veux les voir.

L'enfant se lève. Il ne dit toujours rien. L'enfant n'est pas loquace. Il ne l'a jamais été. Il fait rouler le corps emmitouflé de sa mère sur un brancard, s'assure que son crâne est couvert, que ses jambes sont droites, et toujours sans rien dire, le traine jusqu'au dehors.
La nuit est belle et profonde comme un rêve.
Un sourire éclaire le visage grisâtre de sa mère.

Qu'elles sont belles. Autant que toi, Petite Nuit.

L'enfant sourit très légèrement, on voit apparaître l'éclat de ses dents. L'éclat parait si blanc. Comme un astre bizarre dans le firmament.

Il n'y a que toi pour me trouver beau.

Le visage de la mère se contracte,elle cherche puis attrape la main de l'enfant.

Le noir est la plus belle des couleurs.
Certains disent que ce n'est pas une couleur.
Ce n'est pas ce que disait ton père.

Une petite lame invisible – ou peut-être est-elle noire – s'enfonce dans la peau d'ébène, à l'endroit du coeur. Mais l'enfant, toujours, ne dit rien.
Sa mère se met à tousser, chaque quinte secoue son corps avec force, comme si elle était possédée. Au bout d'un temps, elle crache des gerbes de sang.
L'enfant, silencieux et doux, tapisse avec un linge le rouge, rendu presque noir par le manteau de nuit.

Ne me ramène pas à l'intérieur.
Mais il fait froid.
Couvrons-nous et dormons sous les étoiles. Je n'en peux plus de cette yourte. S'il te plait. Petite Nuit. Reste avec moi.

L'enfant ne dit rien. Il ramène des peaux et des couvertures de laine, y enroule le corps gris et faible de sa mère, puis son propre corps, collé contre elle et couvert de quelques araignées. Très vite, le souffle doux de sa mère le berce et ses yeux d'un bleu sombre – un bleu nuit – se ferment. Alors, dans le sommeil qu'il chérit tant, l'enfant oublie.

Il oublie les regards inquiets ou désolés des squaws, les railleries et les questions des papooses, l'attitude distante des braves, chaque fois qu'il tente de se mêler à eux.
Il oublie son propre reflet, aux traits mangés par le noir, ce noir opaque qui prend toute la place sur son corps.
Il oublie le creux de son ventre, là où son père manque et que sa mère appuie.
Il oublie ce sentiment de honte, monstrueux et indigne, qui lui fait désirer, au plus profond de lui où tout est inavouable, que tout soit fini. Qu'elle meure et qu'il soit libre.

Il ferme les yeux et il oublie, protégé car endormi, et jamais, jamais l'enfant ne dit. Il gardera cela, bien enfoui en lui.

▲▼▲

Oh, mon petit, que m'as-tu amené ? Du lapin ?
Non, répond l'enfant avec une pointe d'embarras – il faut être très attentif pou le voir dans le noir.
Oh, ajoute simplement sa mère.

L'enfant ne chasse pas le lapin. Tout ce qu'il chasse est petit, et tout ce qu'il chasse est encore vivant. L'enfant ne supporte pas la viande morte.
Il jette un regard à sa mère. En s'éveillant, il l'a assise contre un tronc d'arbre, après avoir vérifié qu'elle respirait encore. Il l'a lavée, coiffée, et nourrie de lait. Mais elle ne s'en souvient plus. Elle ne se souvient jamais.
Les joues de sa mère sont roses aujourd'hui. L'enfant lui lance un scorpion emmailloté dans un fil de soie. Il gigote en vain.

Je peux le faire cuire.

Une araignée sur l'épaule – celle-ci, noire et jaune, est souvent sur son épaule – l'enfant se tient accroupi devant un petit feu de camp. Il disperse dans un récipient des herbes et des champignons.

Avec ça, ce sera bon.
Pourquoi ne chasses-tu jamais avec un arc, Petite Nuit ? Ou une lance, ou un tomahawk.

L'enfant contemple le feu. Il se passe la langue sur les lèvres, sa langue est noire aussi.Quand sa mère est en forme, elle est plus agressive, et il éprouve le sentiment coupable de vouloir qu'elle le soit moins. Quand elle est fiévreuse et affaiblie, elle est douce et tendre, elle susurre à son oreille ces mots mystérieux que pourtant, il aime : « Je n'ai aucun regret, Petite Nuit. Si je devais refaire tout ce que j'ai fait, je le ferai, rien que pour avoir la chance de te regarder.»

Puma dit que j'ai ma façon à moi.

Puma est un des seuls à le traiter normalement. Pourtant, Puma ne nie pas les rumeurs qui disent que Oncille Vivace, sa mère, s'est accouplée à un esprit noir, et qu'il est le fruit de cet union. Certaines rumeurs parlent même du Démon. Puma laisse courir les histoires qui poussent comme des germes sur le passage de l'enfant. Mais au moins, il ne dit jamais que l'enfant n'est pas vaillant. Puma est assez sage pour voir dans l'obscurité.

L'enfant attrape ses proies, avec sa toile seulement.
L'enfant grimpe aux arbres et aux rochers, avec sa toile seulement.
L'enfant peut même combattre, se détendre et attaquer, avec sa toile, seulement.

La toile de l'enfant es son arme et plus encore son cocon. C'est son filet de sécurité, d'ailleurs, ça a la même forme. La toile le fait rire, le rassure, le nourrit, le protège et le berce. La toile est comme une amie, comme un filet de lune s'extrayant des ténèbres, ses ténèbres à lui. La toile est le bras d'une mère qui depuis longtemps, ne peut plus le porter.
Si sa voix ne sort guère, sa toile est libre comme l'air.

▲▼▲

Tu n'es pas assez fort ! Qu'arriveras-t-il si je meurs ? Tu seras livré à toi-même. Ton père est parti, il nous a laissé seuls et sans défense !!
Je croyais qu'il était mort, répond l'enfant avec calme, car il ne sait pas se mettre en colère.
Quelle différence ? Sa mère, elle, sait. Tu dois pouvoir te protéger.
Ma toile...
Ta toile, ta toile ! Tu n'as jamais attrapé proie plus grosse qu'un rat ! Tu n'as jamais remporté de combat contre un frère. Même ton essence était vivante quand tu l'as apporté au chaman.
Boa Nocturne m'a dit qu'il était d'accord.
Ne l'écoute pas ! C'est un lâche et un incapable, la plaie des Piccaninny.

L'enfant se tait toujours. La rage de sa mère est tel l'orage, elle finit toujours par passer, et l'enfant est patient.
Et puis, sa mère est toujours ambigu avec Boa Nocturne. Tantôt orage, tantôt brise. Parfois, c'est un chaman bon qui a trop souffert, parfois c'est un démon au coeur froid. Il arrive qu'elle demande à l'enfant, qui est discret comme une ombre, de l'espionner, et c'est un peu angoissant, un peu palpitant pour l'enfant que Boa impressionne par son aura. Mais souvent, sa mère se ravise, elle se dit qu'elle perd la tête et qu'elle a déjà fait tant de mal. L'enfant ne la questionne pas sur cela. Il ne la questionne jamais.

Allez, fais ton entraînement. Un jour, ils te banniront chez les Hurons si tu ne t'endurcis pas.

L'enfant aimerait répliquer que les araignées sont parmi les plus grands prédateurs de la nature, mais toujours l'enfant se tait. Il se redresse, s'étire de cette façon si spéciale, dérangeante pour ceux qui le contemplent pour la première fois, car l'enfant est d'une souplesse hors du commun. Ses membres craquent, se désossent : il marche à quatre pattes le ventre en l'air, le corps ployé sans effort.
Puis, il bondit en esquivant les cailloux que sa mère lui lance, frappe contre le tronc d'un arbre mort et s'acharne de sa dague sur un pauvre buisson. Quand il a fini, il est couvert d'écorchures, et ce sont les seuls traits plus clairs que l'on distingue sur sa peau. Il n'a pas trop mal, il a la peau dure, mais il est épuisé. Les araignées, ce n'est pas fait pour bouger.
Il s'assoit, remet sa peau sur ses épaules, recoiffe ses cheveux attachés en arrière,toujours de ses gestes plein de minutie.
Sa mère le regarde, son regard est doux. L'orage s'éloigne.

J'ai peur pour toi. J'ai peur que tu ne puisses pas survivre quand...
Pour l'instant, je survis. Je trouve des coins d'ombre.

Car l'enfant ne vit presque que dans l'ombre où il se perd, se mêle à l'obscurité qui lui ressemble. L'enfant n'aime guère l'exposition, au soleil et aux regards. L'enfant aime le confort de sa solitude, la sécurité de son silence, la discrétion de sa pénombre. Il n'aime pas réellement faire souffrir ses proies mais ne s'émeut pas de leur détresse. Parfois même, il les observe avec une curiosité placide, scientifique, un peu fasciné par la vie qui s'écoule, se tait, peu à peu, des corps prisonniers. Il attendra tout de même le moment idéal pour les manger. Juste avant que la vie se taise à jamais.

Ton père aussi, il aimait l'ombre. Il aimait la nuit.

L'enfant extraie de son nombril un fil d'argent et se met à tisser une grande toile, avec lenteur et précision, et même, une sorte de grâce. Ensuite, il attendra, se reposera et tandis que ses frères rouges chassent avec bruit et éclat, lui demeurera dans le ventre des ténèbres.

C'est que la nuit, tout est différent. Tout est noir et furtif. Comme moi.
Tout est beau.

L'enfant sourit vaguement.
L'orage est passé.




L'Unique au monde

Tarentule est entièrement noir, sans nuance, sans éclat. On dirait presque une ombre chinoise. C'est à cause de sa naissance.
Grâce à son essence, Tarentule est capable de produire du fil de soie qui lui sort du nombril. Il aime son fil. Il s'en sert pour chasser, pour dormir, ou même pour jouer.
Tarentule aime dormir plus que toute autre chose. Il dort plus de douze heures par jour. Le sommeil est un cocon, il s'y sent à l'abri, protégé du monde. Pourtant, Tarentule fait de la paralysie du sommeil.C'est comme s'il était prisonnier de sa propre toile. Son esprit est éveillé, conscient, alerte, mais son corps ne peut pas bouger. Parfois, ça dure longtemps. C'est angoissant.
Tarentule possède bien du venin, situé sous la plante des pieds. Cependant, ce venin est incapable de tuer qui que ce soit. Il infligera tout au plus une brûlure à un être humain. De plus, il ne dispose que d'une seule réserve de venin par prise d'essence. Il ne l'utilise, en fait, quasiment jamais, car cela l'effraie.
A cause de son essence, Tarentule mue. Régulièrement, il perd des morceaux entiers de peau, qui devient toute visqueuse, et sa mère doit lui arracher. C'est extrêmement douloureux, et Tarentule supporte très mal la douleur. Mais il ne dit rien.
Tarentule adore cuisiner. Il invente des recettes pour accompagner ses proies.
Tarentule est hyperlaxe. Il est extrêmement souple et est même capable de désarticuler certains de ses membres. C'est un vrai contorsionniste.
Tarentule supporte très mal la lumière et le bruit. Il n'aime pas non plus marcher trop longtemps ou changer de coin trop souvent. Ce qu'il préfère, c'est rester dans son petit endroit, y faire sa toile – il est très méticuleux avec sa toile – et rester dedans tranquillement. Son repas préféré sont les papillons, avec de la cannelle.
Il est constamment entouré d'araignées, mais la plupart ne parlent pas. Elles aiment juste sa compagnie autant que lui. Il y en a de toutes les tailles, mais il n'approche pas les trop grosses – celles plus grosses que lui – car les araignées ont besoin d'un territoire délimité.
Tarentule peut grimper et courir, mais il est un peu paresseux et fait pratiquement tout avec sa toile.
Tarentule est terrorisé par les guêpes.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?
Tarentule connait vaguement sa naissance mais il n'a jamais rien dit. Il ne s'exprime pas beaucoup. Le reste du clan ne le rejette pas avec violence, mais leur comportement change en sa présence. Ils sont comme nerveux, gênés, en dehors de Puma Sanguinaire qui se montre ostensiblement chaleureux à son égard – et Tarentule, qui est instinctif, sent comme c'est un peu forcé. Sa propre attitude n'est pas très encourageante, car il est si silencieux, si secret, qu'il est difficile de l'approcher. Surtout qu'il ne s'intéresse guère au combat ou à la vie communautaire.Peut-être que finalement, cela l'arrange d'être un peu reclus, de ne pas avoir à se mêler aux autres. Peut-être que son histoire et son aspect rendent sa vie plus facile.C'est dur de dire s'il souffre, s'il en veut à quelqu'un, s'il se sent anormal ou maudit, ou alors exceptionnel, chanceux. Ce qui est sûr, c'est qu'il aime être une araignée.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ? Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
L'autre monde ne lui fait pas envie. Tarentule, ce n'est pas un aventurier. Plus il trouve un coin retiré, petit et isolé, dans l'ombre de la forêt, plus il sera bien. Il veut être en sécurité, à l'abri des regards et des agressions. Tisser sa toile, c'est tout ce qui l'intéresse.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
Peter Pan est bien trop vivant et lumineux pour lui. En tant que petit prédateur, il y a quelque chose d'attirant, c'est sûr. Parfois, Tarentule se prend à rêver qu'il capture Pan dans sa toile. Mais quand il y réfléchit, ça l'angoisse beaucoup trop, tant de puissance, tant d'éclat, et il préfère rester loin de l'Esprit Soleil.
Le Capitaine est décrit comme un sombre personnage par les Conteurs. Alors Tarentule restera loin de lui aussi. Ils ne sont pas de la même noirceur. Lui, au fond, n'est vrament noir qu'au dehors.




Le Bout d'aventure

La sage-femme sort du tipi. Son visage, sculpté par les années, ressemble au tronc d'un arbre, avec ses gondoles et ses creux dignes. Son visage, en cet instant, est grave et peiné.
C'est au moins la troisième fois.
Mais on ne s'habitue pas à ces choses-là.

Je veux voir le corps.

La voix, qui vient de s'extraire du tipi, arrête le temps, un court instant. La voix est faible, brisée, et au-delà, plus loin encore, elle déborde de rage.
La sage-femme s'est arrêtée. Elle a fermé les yeux, et ses traits d'écorce s'affaissent un peu plus. A quoi cela sert. Le corps est mort.
Quand elle rouvre les yeux, son regard percute un autre regard, un regard clair, un regard bleu, qui contraste beaucoup avec la voix de rage encore dans le tipi.

Boa Nocturne.

La sage-femme soutient le regard.Le regard ne trahit rien, et Boa Nocturne ne dira rien. La sage-femme sait qu'il a compris. C'est la troisième fois, pour lui aussi.

▲▼▲

La femme hésite.
La femme est une squaw forte, brave, solide, qui respecte la nature et la vie, sa condition d'humaine et la puissance des esprits. Oncille Vivace est une Piccaninny. Pourtant, Oncille Vivace hésite.
Le Donjon de Ténèbre se dresse devant son corps raide et tremblant, il la révulse et l'attire comme la pupille d'un serpent. Il serait si facile de s'y perdre, de s'y abandonner. C'est pour cela qu'Oncille Vivace hésite. C'est pour cela qu'elle tangue, qu'elle flanche, retenue par l'honneur et poussée par le désespoir.
C'est pour cela qu'à la fin, les ténèbres l'avalent.



Je ne peux créer la vie, Peau-Rouge.
Par ma présence ici, je trahis les valeurs de mon clan, ma propre vertu, j'entache mon honneur et me couvre d'infamie. Ne vois-tu pas, sorcière, que je suis prête à tout ?

Le regard jaune de la fée maudite se plante comme une flèche dans celui, noir, de la femme.

A tout ?
Tout.
Ton aimé, sait-il ?

La femme baisse la tête.

Il ne sait rien. Il ne comprendrait pas. Il ne comprend pas... Elle redresse brusquement la tête, et l'expression tendue de ses traits parait exploser. C'est une malédiction. Et chaque fois que le sort me frappe et emporte la vie dans mes entrailles, son coeur s'éloigne de moi. Il dément, mais je le sens. Il s'éloigne, il craint même de s'unir à moi ! Un élan rageur la fait frapper sur la table ronde autour de laquelle les deux femmes sont installées. Les façades sombres et nues du Donjon, transportent l'écho de son cri. Son coeur se fissure et son regard s'éteint. C'est ma faute. C'est moi, Oncille Vivave, moi qui ne sais garder son enfant. Moi qui tue ses enfants, les uns après les autres. Je ne peux être mère, mon corps s'y refuse. Pourquoi ??! ... A présent, il n'y a que le vide, le silence et le vide, entre nous. Si je ne réussis pas, cette fois, Boa partira. Boa me quittera.Et je ne peux vivre sans Boa. Il est le sang qui fait battre mon coeur.
Je vois, répond froidement la fée maudite. Je te l'ai dit, je n'ai pas le pouvoir de donner la vie. Un seul être a ce pouvoir.
... L'Esprit Soleil ?
Peter Pan transforme les vies, il ne saurait en donner le souffle.

La femme réfléchit.
Quand l'évidence surfit de la brume de son esprit, ses yeux se fixent sur le visage de la fée avec effroi.

L'Esprit Nuit.

La fée acquiesce sombrement, mais un sourire tordue écorche sa lèvre.

—[color=indianred] Comment mon sort pourrait-il l'émouvoir ? Il marche bien au-dessus de nos tourments de mortels.S'il te plait, Enchanteresse, je ne peux me tourner vers le Chaman, Boa est son apprenti. Je n'ai personne d'autre.
J'entends ta détresse, Peau-Rouge. Hélas, je ne peux rien pour toi.Je ne suis qu'une faiseuse de poisons. A moins...
Oui ?
A moins que tu n'ailles jusqu'à souiller ton âme même. Tu m'as bien dit que tu étais prête à tout.

Le regard de la femme tremble comme une flamme dans la nuit.

▲▼▲

La femme a suivi les directives de Ténèbre sans ciller, sans hésiter, comme mue par une force supérieure, comme ensorcelée. Pourtant, Ténèbre ne lui a jeté aucun enchantement. La mal s'est introduit seul dans l'âme d'Oncille Vivace, et c'est son désir fou, son arrogance et sa désespérance, qui guident ses gestes.

Il fait nuit noire.
La femme, les doigts tremblant comme ceux d'un Aïeul,s'approche de l'eau. Elle ne connait pas cet endroit de la forêt, elle s'est une fois de plus laissée guider. A chacun de ses pas, la sensation qu'elle commet un péché, une offense à la Nature, se creuse et lui oppresse les poumons.

C'est ici. dit-elle pour elle-même, car le silence l'angoisse encore davantage.

L'obscurité opaque de la nuit commence à se diluer. Elle peut apercevoir son reflet vacillant dans l'eau, mais cette vision la saisit d'une telle horreur qu'elle recule, et se concentre sur le flacon. Il est si petit, parait si fragile, elle peine à croire qu'il renferme une telle noirceur. Un tel mal.

Pardon... souffle-t-elle, des larmes roulant sur ses joues, et serrant le poignet de la main empoignant le flacon, tant elle tremble, tant elle ne peut s'empêcher de trembler.

Elle déverse alors quelques gouttes du flacon, un liquide dense comme le mercure, plus noir que l'encre, dans l'eau claire du petit lac. Aussitôt, l'eau claire est envahie de noir, une marée noire, et l'herbe a ses pieds noircit, et les arbres autour d'elle noircissent, et les animaux s'effondrent, et les poissons flottent à la surface de l'eau devenue noire.

La femme porte la main à sa bouche, pétrifiée, liquéfiée, tenant toujours entre ses doigts le flacon à demi vide.
Pendant un long, long moment, rien ne se passe. La nuit continue de blanchir, l'eau de noircir, et et la femme ne bouge pas. En elle pulse le maigre espoir que tout ce qu'elle a fait ne serve à rien, finalement, que c'est sans conséquence, que ça n'a pas existé.
Mais précisément, quand elle s'apprête à rebrousser chemin, le coeur dépouillé d'avoir eu si peur et si mal, Il vient.

▲▼▲

C'est son reflet qu'elle a vu en premier.
L'Esprit des Esprits, le plus mystérieux, le plus majestueux, le plus puissant de tous. Celui qui donne la vie et la mort.
La femme se sent si petite, si fragile, si démunie face à lui qu'elle tombe à genoux. Elle n'ose relever les yeux vers sa silhouette encore étoilée, flottante, vaporeuse, et si réelle à la fois. Puis, elle voit, revoit, les cadavres de poissons, l'herbe pourrie, elle voit son massacre, et tout son corps se ploie en soumission.

Pardon. Pardon, Esprit, pardon. Pardonne-moi.

Elle se redresse. Il ne bouge pas. Elle ne respire pas, ou à peine, en saccades.
Puis, il fait mine de s'évanouir.
Elle panique.

NON !

Il s'arrête.

Ne t'en vas pas !! Je... Pitié... Mon enfant... Mon corps ne devait plus être capable d'abriter la Vie. Mais il est là... Mon enfant. Il est dans mon ventre... C'est ma dernière chance...J'ai du... J'ai du m'abaisser à des choses terribles pour l'enfanter. J'ai du empoisonner mon mari, l'abuser d'un poison, pour qu'il consente à... J'ai du faire cela, tout cela !!

D'un grand geste, elle désigne l'étendue du carnage. Noir.

Je... Ténèbre m'avait dit que son poison t'attirerait, Grand Esprit. Elle prétend qu'il est extrait des entrailles du Démon. Pardon, Grand Esprit... Mais... Mais je n'avais pas le choix... Je sais que pour chaque vie que tu donnes, une autre vie tu prends, mais peu m'importe, Grand Esprit. J'ai besoin d'être mère, j'ai besoin que cet enfant vive. Je le sens si faible dans mon sein, il va bientôt partir, s'écouler de moi comme les autres, et rejoindre la terre des ancêtres avant même d'avoir crié. Je n'en peux plus, Grand Esprit. Aide-moi. AIDE-MOI.

Ses sanglots glissent sur sa peau comme une cascade, et échouent dans l'eau sombre sans la diluer. Le silence s'abat sur la clairière et ni l'Esprit, ni la femme ne bougent. Il se tient au centre de l'eau, dispersant quelques reflets d'étoiles dans le noir. Puis, il se retourne, et s'éloigne, pas à pas, et les reflets d'étoiles suivent son sillage.

NOOON !

La femme s'est relevée, et un nouvel éclat embrase ses prunelles. Elle brandit le flacon et le suspend au-dessus de l'eau.

Je détruirai tout ! Je prendrai des vies ! Tant que tu prendras celle de mon enfant, tant que tu l'arracheras à mes entrailles encore et encore, je prendrai la vie de tout ce qui t'entoure ! NE T'EN VAS PAS !! ...

La femme s'enfonce dans l'eau, l'eau noire, l'eau morte.

Prends ma vie. Prends ma vie, prends tout ce que tu veux de moi, et donne-la à mon enfant. Je t'en supplie. Il faut qu'il vive. Il faut qu'il vive. Il faut qu'il vive.

L'Esprit Nuit s'est arrêté. Il continue de flotter au-dessus de l'eau noire. Seule la respiration laborieuse de la femme trouble le silence de mort.
L'Esprit Nuit se retourne alors, puis étire une sorte de bras gorgé d'astres fugitifs en sa direction, et la dernière vision de la femme, en cette nuit aussi dense que le mercure, plus noire que l'encre, est celle-ci.

▲▼▲

Lorsque l'enfant nait, il crie, il vit.
Lorsque l'enfant nait, il est noir et sans nuances, noir comme les Ténèbres qui ont avalé la femme, noir comme l'eau qu'elle a souillé de mort, noir comme la nuit, celle du Grand Esprit, celle de Boa Nocturne, celle qui l'a enfanté.
Lorsque l'enfant nait, la vie d'Oncille Vivace se meurt, mais pas assez pour lui accorder la paix. Car l'Esprit Nuit ne donne pas la vie sans prendre en retour. Oncille n'aura plus qu'une demi-vie, des organes à moitié déchirés et une force affaiblie.Oncille a conclu un marché, et Oncille en accepte les conséquences. Oncille se réjouit trop que son enfant vive pour pleurer la peau de nuit de celui-ci ou son propre corps pourri.

Oncille pleurera pourtant. Car si elle reçoit sans arrogance le châtiment de l'Esprit, celui de Ténèbre est bien plus destructeur. C'est celui qui fait que le sang n'atteint plus le coeur. Puisque la fée se nourrit des plus amères rancoeurs, la fée se nourrit des plus vives douleurs.
Quand l'enfant nait, Boa Nocturne l'a oublié.
Le village entier, même, efface de sa mémoire commune, à l'exception du Chaman et du Chef, le fil si précieux qui les liait.
La nuit a tout emporté.
Boa Nocturne a oublié.
Elle, eux, l'enfant.
L'obscurité a tout avalé.



L'Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ? non
C'est quoi ton Avatar ? ///
Comment t'as découvert l'île ? dans mon coeur
Tu la trouves comment ? en allant dans mon coeur
Dis, tu crois bien aux fées ? elles se prennent dans ma toile.







Tarentule tisse sa toile en teal
.....
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