Le deal à ne pas rater :
Cartes Pokémon EV6.5 : où trouver le Bundle Lot 6 Boosters Fable ...
Voir le deal

Partagez
 Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Aller à la page : 1, 2  Suivant
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: j'ai faim   j'ai faim Empty09.09.16 12:41

WARNING:


CANCRELUNE


Trucs

Surnom : le Feu Follet
Catégorie :Horreur
Espèce :Vampire
Inclination : pas très bon
Lieu de vie : Manoir


Au clair de la lune





Il fait nuit, et la petite fille ne voit rien. Rien d'autre que ces deux lueurs blanchâtre, comme des petites flammes, au loin.
Il fait nuit, et la petite fille n'entend rien. Rien d'autre que cette litanie sourde et tranquille, un chant d'enfant pur, beau et inquiétant, au loin.
Il fait nuit.

C'est dans la nuit que Cancrelune vit.
Ce sont ses yeux que tu as vu.
C'est sa voix que tu as entendu.


Approche-toi, petite fille.
Tu découvres un enfant en noir et blanc, qui te sourit tout faiblement. Il n’a pas l’air bien méchant. Ses iris ont la couleur de l’améthyste. Quand l’Appétit surgira, le blanc envahira l’oeil, et quand les dents se planteront, le rouge éclatera et la pupille rétrécira, mais cela petite fille, tu ne le sais pas.
L’enfant en noir et blanc te fixe et tu le fixes en retour petite fille, alors seulement il se met à chanter. Son chant est si doux, si beau, c’est pratiquement le chant d’un angelot. Parfois, le chant se coupe d’un petit rire tout aussi mélodieux. C’est un rire un peu fou, un peu bizarre, mais il ressemble à une petite cascade. C’est le rire d’un tout petit enfant, aussi tu n’es pas méfiante, petite fille. Le chant résonne, il envahit ton coeur, ton crâne, tous tes vaisseaux, la nuit s’en fait son écho. Il t’étourdit, t’entraîne, t’inquiète. Tu trembles un peu, tu as remarqué ? Non, tu ne remarques plus rien. Tu lui souris. Il est mignon, ce petit garçon.
On dirait un fantôme. Ou non, un poupon de porcelaine. Son visage rond, ses traits délicats et trop lisses, ce teint lunaire, ils évoquent un tableau, une poupée de cire à peine animée. Il a l’air fragile, irréel, avec cette expression figée, pourtant presque tranquille. Il est serein. Un chérubin descendu sur terre.

Au clair de la lune...

Il se tient droit mais pas raide, immobile mais souple, et sous son air doux et séraphique brûle une folie paisible. Il met un peu mal à l’aise, il est troublant, inquiétant. On ne comprend pas ce qu’il veut, ce qu’il attend. On se demande ce qu’il pense. Pense-t-il seulement ?

Mon ami Pierrot...

C’est comme s’il n’était pas là. Il est ailleurs, absent, immatériel. Désincarné.
Il n’est pas mort, mais quelque chose en lui n’est pas vivant. Tu le sens à son odeur, qui vient de loin, qui vient d’un monde que tu ne connais pas. Tu le sens à sa façon de bouger.
Tu aimerais le toucher, le voir de plus près.
Il te fait signe, regarde. Suis-le.

Prête-moi ta plume...

Pauvre petite fille. Au moins, vous aurez bien joué. Il t’aura fait courir, danser, chanter avec lui. Il aime jouer, tu sais, il aime danser et chanter. Il aime la compagnie de ceux qui lui ressemblent et pourtant, pourtant, ne sont pas comme lui. Il se lasse alors, ou plutôt, l’Appétit le prend, le possède, et la faim supplante le jeu. Brusquement, ses yeux s’écarlatent, ses dents s’allongent, de petites veines sombres zèbrent sa peau. Il joue encore, mais il joue comme jouent les chats, il chasse, il blesse, il s’excite sur une pelote de laine vivante. Il te câline, t’étouffe, te caresse, te griffe, te couvre de baisers, t’envahit de petites morsures. Il t’aime, tu sais, mais il en veut plus, il veut te posséder, il veut t’avaler. Il veut te manger !
L’Appétit grandit, prend forme, s’incarne sous cent yeux avides et mille bouches insatiables. Alors il plante ses petits crocs dans ta chair pulsante et boit, boit, boit, comme l’enfant boit le lait du sein de sa mère. Il s’en met partout, il s’en barbouille le visage et hoquette d’impatience. Il t’aura vidé et, tu sais, il le regrette un peu. Tu es toute molle à présent. Toute vide. Tant pis. Il t’apportera à sa maman.
Il va continuer de jouer encore un peu, un jour ou deux, puis il te ramènera. De toutes façons, tu deviendras bleue, et dure, et pleine de vers. Tu seras laide ainsi, et il n’aime pas ce qui est laid.


Au Manoir, le petit garçon parle de toi à tout le monde. Il n’y a que des vampires, ici. Il ne se sent pas monstre, lui. De toutes façons, tu sais, il ne pense pas à tout cela. Il ne réfléchit jamais, jamais. On l’aime plutôt bien, parce qu’il est mignon, tu l’as bien dit toi-même. Certains vampires ne l’aiment pas beaucoup pourtant. Ils le trouvent inapte et malpropre, et c’est vrai, il faut que tu saches, c’est un peu vrai. Ce petit garçon-là, il ne sait rien faire tout seul, à part jouer, rire, danser, chasser, et chanter. Oui, c’est vrai qu’il chante si bien. Il chante pour Dracula, qui est un peu son papa. Belladone joue du piano, et il chante des chansons sur ses cheveux blancs comme la lune. Il chante des chansons qui parlent des oiseaux et des petites filles. Des petites filles qui meurent.
Aujourd’hui, il n’a pas envie, il ne chante pas mais il fredonne toujours. Il est fatigué, ses yeux rouges — puisqu’il a mangé — sont alourdis par la torpeur qui lui plombe le corps. C’est toujours ainsi quand il est repus. Il va chercher son lait auprès de la cuisinière, qui lui donne comme chaque fois. C’est vrai que cela le rend très malade, peut-être même que ça lui fera cracher des giclées rouges. Ton rouge à toi, ce soir. Mais il ne peut pas s’en passer. Et la cuisinière n’a pas envie de l’entendre pleurnicher. C’est un petit garçon capricieux, tu sais.
Il monte dans sa chambre, c’est une grande chambre, tu la verrais. Avec un lit à baldaquin et un cercueil confortable à côté, suspendu comme un berceau. C'est l'oeuvre de sa Mama. Il y a un miroir pour la forme. Quand il y a un fantôme, il crie, et sa maman vient. Tu ne le crois pas ? Tu ne sais pas que sa maman a un secret. Il y a un passage. Dans l’armoire en face du lit. Tu ne vois pas les papillons noirs qui s’en extraient parfois ? Penses-tu alors qu’ils viennent de nulle part ? Tu n’oses pas la regarder, cette tache sombre dans l’armoire. Tu devines qu’elle peut grandir, grandir, et que sa maman peut en sortir. Une maman n’abandonne jamais son petit, tu sais bien.


La nuit suivante, le petit garçon est revenu. Si tu pouvais encore le voir, tu verrais comme il est bien habillé. Ses petits habits sont faits pour lui. Ils sont soyeux et ajustés. Assurément, c’est un petit garçon noble. Tu ignores qu’il vit, lui, dans un Manoir, enfin, seulement lorsqu'il n'est pas dans le Caveau.
Il a emmené avec lui une robe d’un jaune délavé, une robe toute fanée, comme toi qui n’a déjà presque plus de couleurs. Mais elle reste jolie, la robe, comme toi aussi. Jolie fleur fanée. Il chantonne, c’est gai, et tout en chantonnant il ôte tes vêtements. Quand tu es toute nue, il te regarde, mais pas trop longtemps, il veut que tu sois belle et vite, vite, car il n’a pas de patience. Il enfile la robe sur ton corps tout mou, il a du mal, il n’est pas très habile. Il ne sait même pas s’habiller lui-même. Il chante toujours et son chant se fait plus saccadé, plus hâtif. Tout cela l’excite un peu. Il adore jouer à la poupée.
Quand tu es habillée, il te maquille. Il ne sait pas bien le faire, et tu ne seras pas aussi belle que sa maman, mais c’est tout de même mieux. Il t’adosse contre le tronc, il te fait un baiser sur le front, et maintenant, c’est l’heure du thé. Il a emmené ses autres poupées, en chiffon et porcelaine, car tu sais, il adore les poupées. Elles te ressemblent. Il en fera une à ton image, comme à chaque fois. Ce sont ses amies. Il leur parle, il les cajole, et lorsqu’elles ne sont pas sages, il les frappe.
Plus tard dans la nuit, il t’amènera à sa maman. Elle a faim, elle aussi.



Mama, mama, où es-tu, mama ?

Il s’arrête parfois pour renifler. Il sait voir dans la nuit, le petit garçon, mais elle se cache bien. Alors il utilise ses oreilles qui entendent si bien, et son nez qui sent si bien. Il a déjà cherché dans la Maison du Caveau, sa maman n’y était pas. Il espère qu’ils iront ce soir, parce que même si c’est sous la terre, même si c’est sale, c’est confortable. Il aime quand c’est confortable.

Mama ? J’ai amené mon amie, elle s’appelle Fleur Jaune. Mama, où es-tu ?

Il a un petit accent, tu ne l’entends plus, petite fille. Un accent italien. Soudain, il capte un mouvement, grâce à ses sens comme ceux des chats. Il sourit.

Mama, j’ai cru que tu étais partie, il renifle, parce qu’il pleure un peu cette fois. Mais il sourit maintenant.

Une longue silhouette désarticulée s’avance. Ses cheveux filandreux flottent sur son crâne. Dans la nuit, elle a l’air toute bleue. On ne distingue pas bien son visage. Elle est longue, très longue.

Le petit garçon plonge dans ses bras. Il n’a pas peur. C’est sa maman, et lui, lui la voit comme elle était. Si belle, si vivante. Elle ne parle plus, plus vraiment, mais lui entend encore sa voix. Ce n’est pas une Goule, non, c’est sa maman.

Regarde mama, ce que je t’ai apporté. Regarde comme elle est jolie. Je l’ai maquillé, je l’ai habillé. On dirait bien une poupée, n’est-ce pas mama ?

Il est fier, il est content, il va faire plaisir à sa maman.
Il n’y a qu’avec elle qu’il parle autant.

La longue silhouette auréolée de cheveux lui caresse le crâne. Elle s’avance vers la petite fille, la hume, la caresse elle aussi. Alors seulement elle la porte dans ses bras et emmène le petit garçon avec elle. Ils disparaissent dans la nuit qui s’effiloche. Ils se dirigent vers leur Maison. Dans le grand Caveau gris. A l’intérieur, il y a une table, deux chaises, et un grand lit. Sa maman ne va pas beaucoup dans le caveau, et n'entre dans le manoir que par la tache noire. Elle vit beaucoup dans un ailleurs que personne ne voit. Dans l’ombre de l’ombre. Mais ce n’est pas grave, il a le temps, il peut l’attendre toujours.

Pendant que Mama se nourrira de toi, petite fille, le petit garçon jouera avec ses poupées, sur le grand lit. Il en fabriquera une exactement comme toi, avec une robe jaune. Sa maman lui donne du tissu, celui qu’elle trouve dans les tombes. C’est la seule chose qu’il sait fabriquer. Cela, et les masques, parce qu’ils s’amusent bien avec les masques, lui et sa Mama. Ils jouent à la comédie. Ils dansent et ils rient.
Il entend ton corps qui craque et tes chairs qui se percent, juste devant la maison. Il ne fait plus attention. Il a fini la poupée et lui chante une berceuse. Alors sa berceuse l’endort, lui aussi. Il sombre dans les draps sales, dans sa petite chemise de nuit blanche, en enlaçant la poupée qui te ressemble. Sa maman a fini de te manger, il ne reste presque plus rien de toi. Rien que cette poupée. Mama glisse jusqu’à la chambre, jusqu’au lit, jusqu’au petit garçon, qu’elle sert à son tour avec toute la tendresse du monde. Il se réveille un peu, le temps de sentir la chaleur imaginaire de sa maman, et il se rendort en souriant.



Mon ami Pierrot

Cancrelune ne vit que pour elle, que par elle. Quand elle enlace, quand elle frappe, quand elle berce, quand elle gifle, quand elle chante, quand elle hurle, quand elle embrasse, quand elle enferme. Dans la torture et dans la tendresse, son amour est infini, son monde est une personne. Mama.

Cancrelune ne sait pas se laver. Cancrelune ne sait pas s’habiller. Cancrelune ne sait pas écrire. Cancrelune ne sait presque rien faire. Mais Cancrelune chante, oh, il chante. Dracula l’appelle son Rossignol. Si tu entendais son chant, tu te sentirais bien bizarre. A la fois très vide et très rempli.

Cancrelune ne se nourrit que de sang, d’insectes, de fées et de sucre pour la gourmandise, mais Cancrelune adore le lait. Le lait le rend malade, mais il ne peut pas s’en empêcher. Il n'a presque rien connu que le lait et le sang.

Cancrelune est très tendre, à sa manière. Il embrasse facilement ceux qu’il aime, même ceux qu’il va boire. Il prend soin d’eux, avant et après. Il ne parle pas beaucoup mais témoigne toujours son affection. Il fait beaucoup de caresses. Il aime aussi observer les habits, les visages, les mains, la peau. Il les palpe, les absorbe du regard et des doigts. Cancrelune aime tout ce qui est beau. Les choses, les tableaux, les paysages, les gens.  

Comme sa maman ne vit plus au Manoir, ce sont les autres femmes du Manoir qui s'occupent de lui. Si personne ne le fait, il n'y pensera pas. Il passe parfois cent lunes en chemise de nuit. Il est à la fois délicat et très sale. Les femmes le peignent, l'habillent, le lavent, le pomponnent. Il aime cela, Cancrelune. Il ne sait pas se débrouiller, même pour chasser. Il a voulu boire au poignet de Belladone, avec qui il aime jouer, comme avec Mama, mais Belladone n'a pas voulu, même quand il a pleuré. Parfois, elle partage ses proies.

On appelle Cancrelune le Feu Follet parce que ce que les enfants voient en premier — Cancrelune ne chasse presque que les enfants, parce qu’il les aime et parce que c’est plus facile —, ce sont ses yeux. Ils brillent fort dans la nuit et on dirait alors des feux follets qui attirent, attirent, avec cette pointe d’angoisse au coeur qui nous avertit mais ne nous retient pas.

Cancrelune ne sait pas bien se transformer en chauve-souris. Il dort la tête en bas s’il pense à aller se coucher, autrement il s’endort un peu partout. Il craint profondément l’eau bénite, l’ail, les pieux, le jour, tout ce que craint un vampire. Cancrelune est douillet, il redoute la douleur et ne la supporte pas, sauf lorsqu’il se l’inflige lui-même avec des petites épingles. Si on lui fait mal, il pleurera, chouinera, et son chant dégoulinera partout.

Cancrelune a un très bon odorat et voit dans la nuit. Il se déplace vite mais n’a aucune force et aucune adresse. Il se fatigue extrêmement vite (il est surtout paresseux) et sa faim peut l'affaiblir (il est encore plus gourmand).

Cancrelune a un autre surnom que les enfants chuchotent : l’enfant au masque. Parce que Cancrelune aime les masques. Au début, ce n’est pas lui qui a choisi de les porter. Comme les robes, que sa maman lui mettait pour jouer. C’est Mama qui craignait, déjà dans le grenier, que son visage parfait ne soit abîmé. Par le temps, la poussière, la lumière et surtout, surtout les regards. Elle le couvrait souvent d’un masque qu’elle avait cousu elle-même. C’était un masque laid mais il couvrait la tête entière. Aujourd’hui, Cancrelune l’a toujours et le met par réflexe lorsqu’il sort, mais il en a bien d’autres. Souvent ils sont tout blancs ou mal peints. Grâce au masque, il y a de petites légendes qui courent sur lui parmi les enfants de l’Arbre.

Quand il était humain, les yeux de Cancrelune étaient noirs comme le charbon. Aujourd’hui, ils ont trois couleurs. Chaque couleur correspond à un stade de l’Appétit. Lorsqu’ils ont la couleur de l’améthyste, Cancrelune est tranquille. Lorsqu’ils ont la couleur de la sélénite, Cancrelune a faim, vraiment faim. Des veines saillent sous sa peau. Lorsqu’ils ont la couleur du rubis, c’est que Cancrelune a bu.

Cancrelune a longtemps eu les cheveux très longs. Ainsi Mama disait qu’il pouvait être à la fois sa petite fille et son petit garçon. Cancrelune refusa toujours qu’on lui coupe les cheveux. Aujourd’hui, c’est Mama qui décide.

Cancrelune est très facilement absorbé. Lorsqu’il entend un son qui lui plait ou contemple une chose qui le séduit, il reste alors fixe et fasciné, ses yeux s’agrandissent, la tête penchée, la bouche entrouverte, il ne bouge plus, il ne fonctionne plus. Cela permet à ses proies de survivre.

Cancrelune n’est jamais seul. Il y a Mama, qui fut femme, vampire, goule, mais toujours éternelle. Il y a l’Appétit qui le contrôle et le possède tout entier lorsqu’il s’éveille et ressemble à un monstre beau. Il y a ses poupées qui ont des noms et des vies, à qui il parle tous les jours. Il y a ses marionnettes qu’il aime un peu moins, puisqu’elles sont plus laides. Il y a les insectes qu’il fauche, croque ou perfore – eux sont si beaux. Il y a tous les enfants qui sont ses amis, ses amoureux, qu’il aime aussi mais pas longtemps. Au fond, Cancrelune n’aurait pas vraiment besoin des autres.

Cancrelune aime : danser sous la pluie, dormir, paresser, rêvasser, chanter tout doucement, les poupées, les allumettes, les marionnettes, les masques, le théâtre, les robes, les épingles, les aiguilles, le sucré, les beaux habits, les femmes, le confort, la musique, le jeu, les câlins, la tendresse, le contact, le plaisir, le beau, être beau. Mama.

Cancrelune n’aime pas : la difficulté, l’effort, l’indépendance, la contrariété, la privation, la douleur, l’eau, les bruits laids, les voix laides, les visages laids, la brusquerie, les autres Horreurs, la modération, s’abîmer, l’inconfort, les hommes, les cauchemars.

Cancrelune est insouciant. Lorsqu’il torture des animaux pour jouer, il est insouciant. Lorsqu’il épingle des insectes vivants, il est insouciant. Lorsqu’il se gave du sang des petits enfants, il est insouciant. Lorsqu’il tue les filles de la Maison Close et tête leur sein d’où, déception, ne sort aucun lait (cela lui manque tant), il est insouciant. Lorsqu’il amène des papas à sa maman dans le cimetière pour lui faire plaisir, il est insouciant. Lorsqu’il danse, lorsqu’il chante, lorsqu’il joue, lorsqu’il dort, lorsqu’il chasse, lorsqu’il tue, Cancrelune est toujours insouciant.



Prête-moi ta plume

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
Cancrelune aime le Manoir et les autres vampires. Ils sont beaux, ils sont bien habillés, ils dansent et s’embrassent tous les soirs. Comme Cancrelune est un voyeur, il les regarde, comme il regarde parfois les filles de la Maison Close la nuit. De rares fois, il y entre en secret et tente de se faire aimer d’elles. Il sait sans vraiment le savoir que son charme d’outretombe l’aidera. Il veut des câlins, des gâteries, et surtout, il veut adresser ce tout petit sourire aux hommes qui viendront embrasser les filles. Il y a quelque chose d’amusant dans leur regard, c’est fragile. Parfois, il en amène un à sa maman. Il n’est pas trop jaloux, puisqu’ils ne durent jamais longtemps.

Cancrelune ne voit pas le monde comme vous. Cancrelune voient les enfants du Grand Arbre comme des semblables au coeur palpitant, chauds et enivrants, ses compagnons de jeu. Il joue avec eux dans la vie et dans la mort, il les aime de tout son coeur, il en veut encore et encore. Les peaux-rouges l’attirent par leur beauté, puisqu’il aime tant ce qui est beau. Les pirates sont autant d’amoureux pour sa maman. Il ne comprend même pas qu’il y a différents peuples. Ce n’est qu’une farandole carnavalesque de figures, de corps, d’organes colorés qui l’étourdissent, l’attirent, le mettent en Appétit. Quant aux femmes, il veut d’abord se faire aimer, aimer plus fort, encore plus fort, se faire enlacer, baiser et adorer, alors seulement il voudra plus d’elles, comme le nourrisson vorace qui réclame son lait.

Cancrelune n’est pas là. Il erre, il glisse, il se traine, il joue. C’est un lieu comme un autre, auquel il s’adapte, se fond, sans jamais vraiment le comprendre, car Cancrelune fait toujours cela. Tant qu’il a son confort, ses jouets, son lait… Sa mama.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
Il n’y pense pas. Jamais. Cancrelune ne pense pas.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? Que penses-tu du capitaine Hook ?
Peter Pan est si beau. Peter Pan l’attire si fort. Un jour, non, une nuit, il l’approchera, il jouera avec lui, il espère pour toute la vie. Peter Pan ne deviendra pas bleu et mou, lui, puisqu’il est fait en magie.

Le capitaine Hook est le plus beau des hommes, aussi un jour, non, une nuit, Cancrelune l’invitera à voir sa maman. Elle sera contente, oh, tellement contente.




Dernière édition par Petit roi du monde le 20.09.16 19:20, édité 21 fois
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty13.09.16 0:44

HISTOIRE


Pour écrire un mot

Sir Microft Hole était un homme distingué. Un homme juste, généreux, aux valeurs dignes de celle de la bonne société britannique. Sir Hole était respecté et estimé de tous ses amis, qui ne pouvaient que constater avec approbation à quel point aucune entrave n’avait perturbé le chemin de vie d’un homme de si haute considération. Pourtant, comme chacun d’entre eux, Sir Hole avait des secrets. Seulement, il s’employait scrupuleusement à garder ces secrets cachés à la vue de tous, de manière à ce que personne ne pût même soupçonner qu’il en eût.  

Seule son épouse, à laquelle ces secrets n’avaient pu être épargnés, connaissaient leur existence. Ces secrets se nommaient respectivement Chiara Ortica et Hashberry Hole, et ils demeuraient présentement bouclés dans le grenier obscur du manoir familial. 


Diliing Diliing Diliing ! 

Entendant le son distinctif de la cloche, Sir Microft Hole reposa le journal qu’il tenait entre les mains et jeta un regard perplexe en direction du plafond. 

– Tu comptes y aller ? 

Lâchant un soupir, il se tourna vers sa femme. Elle le lorgnait furtivement tandis qu’elle entreprenait de compléter un bouquet de lys au sein d’un vase aux ornements chinois. Sir Hole se leva. 

– Je ne vais pas les laisser mourir de faim. 
 – Elle a déjà mangé. Deux fois. 

Sir Hole sentait l’exaspération contenue dans la voix de son épouse. Ses lèvres pincées tremblotaient légèrement et elle ne cessait de remettre en place les mêmes tiges.


 – C’est peut-être pour Hashberry. 
 – Je te prierais de ne pas prononcer ce nom ridicule en ma présence, Microft. 

Un silence pesant s’abattit sur le salon, uniquement troublé par le vague tintement que faisaient les boucles d’oreille de Mrs Hole lorsqu’elle remuait la tête. Sir Hole demeurait figé dans sa position, manifestement hésitant quant à ce qu’il advenait de faire à présent. Après un regard brûlant, Mrs Hole quitta la pièce d’un pas rigide. Second soupir. La porte se rouvrit : 

  – Sache que je supporte cette situation et toutes ses conséquences avec de plus en plus de difficulté. J’en n’en peux plus, Microft. Je ne le supporte plus. Je n’en ai pas la force. 

La porte se referma. Troisième soupir. Sir Hole se dirigea d’un pas lourd en direction du grenier. 




Toc, Toc, Toc. 

– Oui ! Entre, mon chéri ! 

Sir Hole pénétra dans la pièce ombragée et lugubre qu’il avait aménagée, vaguement éclairée de quelques chandelles. Chiara était, comme à l’ordinaire, enfouie dans les draps épais de son vaste lit à baldaquin, en habit de nuit malgré l’heure avancée de la journée. Un large sourire éventra son visage à la vue du Lord. 

– Nous n’attendions plus que toi ! 

Il y avait quelque chose d’étrange dans le ton jovial de la jeune femme. Quelque chose de dérangeant, d’instable. 

  – Où est-il ?
– Hashberry ! 

Une petite tête pâle émergea de l’obscurité. Un tout petit garçon venait d’apparaitre. Ses cheveux, extrêmement fins, étaient d’une telle blondeur qu’on les aura cru décolorés. Il avait le teint pâle de la vie confinée. On distinguait même quelques minuscules vaisseaux par endroits, près des paupières. Cela contrastait fort avec ces pupilles sombres comme la nuit, dénué de toute nuance, de toute teinte, en dehors de ce noir opaque et glacé. Pourtant, les yeux de Hashberry semblaient toujours étinceler d’un éclat vif, vibrant, qui lui donnait cet air fiévreux. Un peu délirant. 

– Comment allez-vous, petit bonhomme ? dit Sir Hole en se baissant légèrement, l’expression tendre et bienveillante. 

Il ne s’attendait certes pas à une réponse, puisque Hashberry ne parlait pas. Mais il savait, d’après cette figure intelligente, cette malice dans le regard, que le petit garçon de cinq ans alors l’entendait. Il entendait tout, il voyait tout. Il ne prenait simplement pas la peine de répondre. Ni même de réagir.

– Nous étions sur le point de jouer aux amoureux, reprit Chiara. Veux-tu te joindre à nous ? 

Sir Hole s’approcha de la jeune femme, toujours au creux de sa couche, et s’assit après d’elle. Il avait l’air préoccupé. 

– Chiara, tu ne devrais pas faire cela. Ce n’est pas… Ce n’est pas sain. 

L’expression de Chiara changea aussitôt. Son sourire se mua en une moue mauvaise, dédaigneuse, et elle cracha avec hargne : 

– C’est mon fils. Je fais ce que je veux. 

Reprenant son air doucereux, elle ajouta à l’adresse de ce dernier : 

– Viens, Hash. Viens, mon amour. Mon bébé. Mon garçon à moi. 

Mal à l’aise, Sir Hole se releva et observa sa progéniture s’approcher de sa mère pour l’enlacer. L’enfant  non plus n’était pas vêtu. Il gardait presque toujours sa chemise de nuit, et puisque personne ne coupait sa chevelure lunaire, il était difficile de savoir s’il s’agissait d’un petit garçon ou d’une petite fille. Lui-même ne semblait guère s’en soucier. Il s’assit à côté de la jeune femme et joua avec ses longues boucles blondes. Blondes comme lui. 

– Que voulais-tu ? s’enquit Sir Hole avec une sorte de hâte, comme s’il s’empressait de quitter l’endroit. 
– J’ai une requête. 
– Une ?
– Une requête ! 

L’accent de Chiara était prononcé, mais elle parlait un anglais parfait. Sir Hole lui fit signe de poursuivre. 

– Je veux être sûre que, si quelque chose devait m’arriver, Hashberry ne soit pas envoyé dans un orphelinat. Ou à l’hospice. Soit tu le confieras aux filles, à Sophie par exemple, soit tu le garderas. Je veux des papiers. Je veux voir la preuve. Ne me roule pas, Microft. 

Elle avait dit tout cela sans cesser de caresser le front bombé de Hashberry, qui suçait son pouce avec nonchalance, manifestement peu inquiété de son avenir.

– Les filles ? Je ne peux pas laisser mon fils dans les mains de ces…
– Ces ? Ces quoi ? Ces putes, c’est ça ? Tu penses que les prostitués sont forcément de mauvaises mères ? C’est cela, Microft ? Et moi, je suis quoi ? Si tu craignais pour ton bastardo , il fallait y penser avant de m’engrosser ! 

A présent hystérique, Chiara se jeta sur l’homme et le rua de coups et de griffures. Sir Hole poussait des grognements de douleur tout en tâchant de repousser son assaillante. Et Hashberry observait la scène avec cet air distant qu’il ne semblait pas quitter. 

– Calme-toi ! CALME-TOI ! Je n’ai pas dit cela ! Je vais faire… Je VAIS faire ce papier.

Chiara arrêta son geste et se réinstalla dans ses coussins, apparemment tout à fait sereine. 

– Tu es un amour, Microft. J’attends cela pour demain. Je ne veux pas que les choses tardent trop. Compris ? Tu peux y aller. Embrasse ta femme pour moi. Viens, Hashberry, c’est l’heure. 

Les yeux gourmands, Hashberry délaissa son pouce et vint se lover au creux de sa mère, qui découvrait à présent sa poitrine. Hashberry enfouit l’un des mamelons dans sa bouche tandis que Chiara lui fredonnait une berceuse avec tendresse. Il y avait quelque chose de si bizarre dans cette vision que Sir Hole, pourtant accoutumé à ce genre de loufoqueries, sentit un frisson courir le long de son échine. Il s’éclipsa sans bruit, laissant la jeune femme à ses affaires, à ses folies. 


Lorqu’il eut dévalé la dernière marche, il trouva son épouse Millicent, raide comme un piquet et pâle comme un linge, qui l’attendait sur le pas de la porte. 

– Microft. Les voisins. Les voisins vont finir par nous entendre, si ce n’est pas déjà fait. Microft. Ils vont se poser des questions. Nous sommes au XIXème siècle, ce genre de choses… Cela ne se fait plus, Microft. C’est puni par la loi. C’est… C’est même invraisemblable que nous n’ayons pas été découverts jusqu’alors ! Et si… Si un jour quelqu’un venait à…  Et si la police… Qu’est-ce que tu vas leur expliquer, Microft ? Tu vas leur dire la vérité ? 

Excédé, confus, Sir Hole passa devant elle pour rejoindre la salle à manger en grommelant un « Eh bien oui, peut-être ! ». Mrs Hole le suivit et répondit d’une voix aiguë évoquant celle d’une poule courroucée : 

– Comment ? Tu es sûr de cela, Microft ? Tu vas dire : « Oh ce n’est rien ! Seulement ma maitresse et son rejeton, mon bâtard donc, que j’ai pris le soin d’enfermer chez moi, sans que personne ne le sache, afin qu’il ne soit pas élevé dans un bordel ! Lieu que j’ai moi-même fréquenté, c’est d’ailleurs en son sein que j’ai chevauché ladite…
– Cela suffit ! beugla Sir Hole. 

Millicent Hole sursauta, peu habituée au ton furieux qu’employait son époux. Elle s’assit à la table, la démarche lente et mécanique, et plongea son visage au creux de ses mains. Sir Hole rejeta ses cheveux en arrière, lissa ses moustaches grises et émit le quatrième soupir de la journée. 

– Je ne sais pas ce que je dirai, Millicent. Je ne raconterai certes pas cela. J’inventerai quelque chose. De toutes façons, il n’y a pas de raison qu’on découvre la vérité. Et ce n’était pas ma maitresse, c’était… C’était son métier. C’est différent. Nous vivons une période très troublée, Millicent. Tu n’as pas conscience des soucis que cela m’inflige. Sais-tu que l’Europe est sur le point d’éclater ? Au Parlement, on ne parle que de cela… Je… J’ai… J’ai connu un moment d’égarement et… Je n’avais pas prévu ce qui adviendrait. Ces choses-là ne sont pas censées arriver. Et ensuite… Mais enfin, Millie, qu’aurais-tu fait à ma place ? Je ne pouvais pas la laisser là-bas, dans ce lieu… ce lieu débauché, alors qu’elle portait mon enfant ! 

– Elle ne le porte plus, que je sache. 

Sir Hole s’assit en face de sa femme et sortit de sa poche sa pipe en bois. Il fumait presque à chaque fois qu’il rendait visite à Chiara. 

– Elle refuse de s’en séparer. Elle dit que si elle doit retourner là-bas, elle l’emmène aussi. Et cela, je ne peux m’y résoudre. Je ne peux concevoir que mon fils soit élevé dans un tel endroit. Il est déjà assez perturbé… 

Millicent lança un vif regard en direction de son mari. Il n’admettait que rarement l’instabilité de son illégitime, interdisant ou contournant généralement sa simple évocation. Cet effort apaisa quelque peu le courroux de Mrs Hole. 

– Je comprends, Microft. Mais comprends-moi à ton tour. Je t’ai pardonné, mais la situation est telle qu’elle me rappelle sans cesse cette humiliation. Cette fille est… c’est une succube, elle cherche sans cesse à nous pomper. Elle… Elle te dévore petit à petit. Je crois qu’elle est folle, tu sais. Elle n’est pas bien. Et puis, ce rapport qu’elle a avec son fils. Ce qu’elle fait avec lui… Mon Dieu, ce n’est pas normal, Microft. Elle n’est pas normale.

– Je sais.

Sir Hole inspira une bouffée de tabac. 

– Mais je me retrouve sans issue. Je ne sais pas quoi faire. Je me sens responsable d’elle, responsable de sa situation. De lui. C’est… C’est mon fils, tout de même. 
– Ce n’est pas le mien. Et j’ai accepté qu’il porte ton nom – bien qu’il ne soit déclaré –, qu’il vive sous notre toit. Je n’accepterai pas que tu le traites comme tu traites nos enfants. Je ne saurai tolérer qu’il soit pareil à eux, à nous. Nous sommes déjà bien heureux de leur offrir le grenier. Il faudrait songer à trouver une solution plus… adéquate. Il en va de notre bien-être. De notre sécurité. Cet enfant est une erreur. C’est une tare. C’est pour cela qu’il est défaillant et bizarre. Comme s’il n’avait pas d’âme. Il a été envoyé par Dieu dans le but de te rappeler ta faute. C’est l’incarnation de ton péché. Il ne doit être rien d’autre à tes yeux. Le comprends-tu ? 

Sir Hole acquiesça sans rien ajouter. Ce n’était certainement pas le moment d’évoquer la requête avancée par Chiara. 


Le lendemain, comme prévu, le Lord vint soumettre les divers documents attestant de son engagement à la vue de son ancienne maitresse. Il remarqua qu’elle toussait plus souvent qu’à l’ordinaire, mais en vue du caractère emporté de la jeune femme, il ne se permit aucune remarque. Après tout, à force de ne pas voir le jour, tous deux ne devaient pas être de la meilleure santé. Sir Hole avait tout de même fait poser une petite lucarne sur une des façades du toit. Hashberry y restait prostré des heures, sans bouger ne serait-ce qu’un cil. 

Ce jour-là cependant, il ne se trouvait pas devant la fenêtre mais debout devant le grand lit défait, dans lequel sa mère reposait toujours. Elle semblait extatique et excitée, comme à l’aube d’un grand évènement. Faisant signe à Sir Hole de la rejoindre, elle lui fit une place près d’elle en lui désignant la petite silhouette tout de blanc vêtu, statique au pied du lit. Elle hocha la tête et pour la première fois en cinq ans, Microft Hole entendit la voix de celui qu’il avait engendré. Et quelle voix. 

Hashberry avait une voix si pure qu’elle ne semblait pas humaine. C’était un timbre divin, céleste, échappant aux lois du monde physique. Il avait l’air d’un ange. Sa voix traversait les murs comme s’ils fussent faits de coton. Sa voix pénétrait le cœur de l’homme aussi sûrement qu’une flèche dorée. Une voix d’ange, une voix de démon. Des larmes rares s’écoulèrent des yeux de Sir Hole tandis qu’il sentait vibrer en lui la voix de Hashberry. 

Lorsqu’il eut fini, Chiara se mit à frapper des mains frénétiquement, ouvrant grand les bras pour y accueillir son petit prodige. 

– Tu as vu comme il chante bien, mon bébé ? Oh, qu’il est beau, qu’il est doué ! C’est un ange, c’est mon ange à moi… 

Elle se mit à le baiser de toutes parts, déclenchant de délicats éclats de rire chez le petit garçon. 

– Depuis quand sait-il chanter de la sorte ? Par quel miracle… 

Hole était si troublé que sa voix à lui s’éteignit dans un souffle. Il embrassa le front de son jeune fils et quitta la pièce, le visage comme béni par la grâce d’un chérubin. 


Les jours suivants, sir Hole ne connut d’autre préoccupation que le souvenir de la voix de Hashberry. Cette voix s’imposait à lui à toute heure, distrayant toute pensée et pénétrant tout songe. Il ne se souciait plus des jeux morbides auxquels s’adonnait sa protégée à l’égard de son fils. Lorsqu’elle l’habillait en monsieur et prétendait qu’il fût son mari ou son amant, évoquant des choses qu’un enfant si jeune ne peut encore connaitre. Lorsqu’elle l’encourageait à capturer les insectes dispersés dans les recoins du grenier pour les épingler sur les murs afin d’agrémenter leur « collection ». Ces habitudes étranges qui d’ordinaire tourmentaient tant l’âme de Sir Hole paraissaient dérisoires à présent.
Hashberry grandissait. Il grandissait peu et mal, car sa faible constitution n’en permettait pas autrement. Mais il allait avoir sept ans. Il ne parlait toujours pas, ne se nourrissait quasiment que de lait maternel, il était sale et dépendant, mais il chantait, oh il chantait divinement ! Chaque soir à présent, Sir Hole se rendait au grenier et exigeait d’entendre son fils chanter. Et chaque soir, il croyait voir une apparition. Il demanda même à Chiara d’emmener Hashberry à l’église, où il pourrait être enfant de cœur, ou simplement à la chorale. Mais la jeune femme gardait jalousement son bien. Elle ne concéda jamais à laisser son enfant sortir du grenier. Il était sa poupée, sa petite chose, sa création. Elle seule pouvait l’approcher, le toucher, l’habiller, le maquiller, le mouvoir, le guider, le contrôler. Elle organisait de petits spectacles dont il était la vedette, cousant ses costumes et s’offrant toujours le rôle de la Belle à convoiter. Hashberry la suivait dans toutes ses lubies. Il ne vivait que pour sa mère. Que par sa mère. Elle était son seul monde, sa seule réalité.




Sir Hole s’apprêtait aujourd’hui à passer la porte de son foyer qu’il avait déserté une semaine entière et attendait avec une impatience contenue de voir apparaître la frimousse de ses deux bambins. Marta et Timothy, respectivement âgés de dix et six ans, avaient hérité de la carrure solide de leur père ainsi que de ses yeux bleus. Ils ne ressemblaient guère à leur frère ignoré, dont le visage entier évoquait celui de sa mère. Même sa peau lisse et blafarde tenait d’elle. 

Ce ne fut que le soir venu que Sir Hole consentit à se rendre au grenier afin de rendre visite à la partie dissimulée de sa famille. Il frappa plusieurs fois, mais seul un silence peu conventionnel lui répondit. Ils devaient être en train de dormir. Après tout, Chiara n’était pas du genre à imposer à son garçon des horaires de sommeil fixes. Tous deux dormaient quand ils le souhaitaient. Collant son oreille contre la porte, il crut percevoir des murmures. Manifestement, ils ne voulaient pas être dérangés. Soit, Microft Hole n’était pas homme qui appréciait s’imposer. Il déserta les lieux et partir se coucher. Si Chiara avait besoin de lui, il ne doutait pas qu’elle n’hésiterait guère à employer sa clochette. 
Sir Hole regagna le grenier seulement deux jours plus tard. Et cela se passa dans des circonstances qu’il n’avait pas du tout anticipées. Ce fut la femme de chambre, Miss Poppyfield, qui l’alerta de la situation. 

– Oh, Monsieur, Monsieur… C’est abominable. Il doit y avoir un… un animal mort ou un amas de pourriture quelque part là-haut. L’odeur est insoutenable. Je suis désolée, Monsieur, mais je ne peux rester à l’étage. C’est que cela vous prend à la gorge, Monsieur ! Aucune autre domestique ne veut s’occuper des dernières chambres. J’ai déposé hier de l’eau devant la porte, comme les autres jours, mais vous constaterez vous-même que tous les bols sont restés sur le tapis, Monsieur. Je parle du grenier, Monsieur. M’est avis que vous devriez jeter un œil, le petit n’a, une fois de plus, certainement pas pris la peine de faire ses besoins dans le pot de chambre. Je ne sais plus quoi faire et j… 

– Merci Anna, je m’en occupe. 

L’allure hâtive, sir Hole gravit les escaliers prestement et, dès qu’il eût accédé à l’étage inférieur au grenier, une senteur pestilentielle imprégna ses narines. C’était si intense qu’il en eut un vertige. Poussant un juron, il se rua contre la porte du grenier et frappa à la porte bruyamment : 

 – Chiara ! Chiara, ouvre-moi ! Qu’est-ce qui se passe là-dedans ?! Vous ne pouvez pas vivre ainsi ! Je… cela se sent d’ici ! C’est insoutenable ! Chiara ! Ouvre !! 

Il tambourinait avec force, mais ne recevait toujours aucune réponse. Il finit par forcer la porte d’un puissant coup de pied. Les relents nauséabonds qui se dégageaient de la pièce lui saisirent la gorge. Plaquant sa manche contre son visage, les yeux plissés, Hole tâcha de distinguer les contours de la pièce pratiquement plongée dans les ténèbres. Les stores avaient été baissés et seule deux chandelles brûlaient encore sur la table de chevet. Peu à peu, Hole discerna la silhouette chétive et repliée de Hashberry, accroupi par terre et traçant de vastes courbes sur une toile à l’aide d’une pastelle. Il ne semblait pas du tout troublé par l’arrivée brutale de son géniteur. Il fredonnait tout doucement. 

 – Hashberry ! Hashberry, mon petit. Où est ta mère? 

Hashberry ne se détourna pas de son dessin. Il semblait tout à fait imperméable à l’angoisse de son père. Ce dernier s’approcha précipitamment de lui et, secouant ses épaules maigres, répéta la question.  L’enfant le regarda longuement de ses immenses yeux noirs, avant de tendre le doigt en direction du lit, soufflant dans un murmure : 

– Elle dort… 

Hole, ne s’attardant pas sur le fait que son fils venait de lui adresser la parole pour la première fois, se releva et s’approcha prudemment du lit. Il distinguait en effet une silhouette étendue, à moitié recouverte par les draps. Il n’osait songer au pire, mais en son for intérieur, il savait déjà ce qui se passait. Il rejeta les draps d’un coup sec. Il tomba à genoux. Hashberry chantait tout bas.



Ma chandelle est morte

Il s’avéra que cela faisait quatre jours entiers que Chiara Giglioni était morte. Hashberry, qui ne connaissait pas la mort et n’avait qu’une vague conscience du temps, l’avait simplement cru endormie. Oh, il avait bien essayé de la réveiller, mais fatigué par ses vains efforts, il s’était résigné à simplement attendre qu’elle émergeât de son sommeil. Ce fut avec horreur que Microft Hole découvrit que tout ce temps, Hashberry avait dormi auprès de sa mère, bougeant lui-même son corps tel celui d’une marionnette afin de s’offrir les habituels gestes de tendresse qu’il recevait. Qu’à défaut de recevoir le lait maternel, le petit garçon avait jeûné jusqu’à brûler de famine, et avait donc pensé à manger, un à un, les précieux composants de la « collection ». Que sans l’aide de sa mère, incapable de se débrouiller, il avait fait ses besoins dans un coin du grenier. Mais le pire, le pire parmi toutes ces immondices, c’était l’innocence avec laquelle il demandait à Sir Hole : 

 – Quand Maman va-t-elle revenir ? 

Lorsqu’on emporta sa mère, Hashberry devint si enragé qu’un prêtre fut appelé afin de certifier qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’exorcisme. Mrs Hole était très croyante, à l’inverse de son mari, et qui croit en Dieu croit à l’Enfer et tous ses dérivés. Malheureusement pour elle, le petit diable était encore loin de déserter sa vie.
Sir Hole ne put se résoudre à abandonner le petit, il l’avait promis. Ce dernier, qui considérait son père davantage comme un gentil ami de sa maman, paraissait plutôt indifférent à son égard. Il ne semblait éprouver ni rancune ni attente. En revanche, il s’avérait coriace envers Mrs Hole. D’instinctHashberry avait très vite senti l’aversion qu’éprouvait la bonne dame à son sujet. Elle ne supportait pas sa manière de manger avec les doigts, ces regards appuyés qu’il dardait sur elle, ses fredonnements incessants qui semblaient la suivre partout. Et ce refus de se laisser couper les cheveux ! Et cette manie de chaparder au lieu de réclamer, et sa façon de peindre les murs et les meubles sans se soucier de leur valeur, et cette dictature silencieuse et latente, mais bien réelle, qu’il imposait à sa petite société. Et, et, et… 
Mais ce qu’elle supportait encore moins, c’était l’admiration émue qu’éprouvait tout le beau monde à la vue de cet enfant merveilleux. Lui qui ne savait même pas parler ! 

Oui, certes, Hashberry ne parlait toujours pas. Il s’était replongé dans le mutisme dès la disparition de Chiara. Ce silence, que Mrs Hole interprétait comme une ultime marque d’impertinence, devenait plus intolérable chaque jour. Pourtant, Hashberry ne connaissait pas que le silence. Dès que son père le lui demandait, il chantait un air de son invention ou un refrain appris par Chiara. Il ne tarda pas à charmer tout l’entourage du Lord. Ainsi vêtu de son délicat habit blanc, le col orné d’un nœud soyeux, Hashberry transportait les aristocrates que Hole invitait chez lui afin de présenter son – précoce – talent. A présent que Chiara n’était plus, les excuses étaient plus aisées, plus plausibles. Il s’agissait d’un fils né malade, ayant été confié à une tante vivant à la campagne où l’air était recommandé pour les santés vacillantes comme celle du pauvre enfant. A présent qu’il était rétabli, il était revenu vivre parmi les siens. Pourtant, le peu de ressemblance physique avec sa fratrie et la distance mesquine qu’il s’employait à démontrer à l’égard de Mrs Hole ne tardèrent pas à éveiller les soupçons. Mais peut-être cela n’était-ce qu’un plan tout à fait établi de la part de l’enfant en question, qui savait quelle humiliation ces suspicions déclencheraient dans le cœur de Millicent Hole. 
Lui qui était incapable de se servir de couverts et de nouer un lacet, voilà qu’il se révélait enfant prodige. Il n’y mettait quasiment pas d’effort, et on n’aurait su même dire s’il y prenait plaisir. Il faisait simplement ce qu’on lui demandait. Mrs Hole discernait très bien, en revanche, quelle satisfaction sournoise et orgueilleuse flambait dans ses pupilles lorsque l’assemblée toute entière s’extasiait devant lui… 

Timothy, l’aîné des enfants, était admiratif – si ce n’est plus – à l’égard de son demi-frère. Hashberry se révélait un mystère insondable et séduisant en même temps qu’un objet de convoitise. Timothy ne désirait rien d’autre plus que d’être son ami, ce qui attisait la rage de Mrs Hole que cette simple idée révoltait. Quant à la petite Marta, elle était littéralement sous le charme de Hashberry. Oh, c’était son idole ! Et tout cela sans presque jamais prononcer le moindre mot. Sans manifester le moindre attachement, la moindre considération. Hashberry se fichait d’eux. Il ne s’occupait que de ses insectes, ses comptines, ses fantaisies... Hashberry n’avait jamais vécu dans le monde et sa brusque propulsion en son sein de l’aida pas à s’y adapter. Il préférait agrémenter son univers de ses propres lubies. Sa passion des allumettes fut la plus tenace – et la plus dangereuse. Il y eut celle des épingles, celle des masques, celle des poupées. Et toujours les insectes. Sa chambre, la plus vaste, était remplie de ses insolites petits trésors. Quant à son père, il ne s’inquiétait guère des passades de son fils, de ses caprices muets, de sa nature associable et impassible… Il ne savait voir, au contraire de sa femme, la douce fourberie qui régnait en son âme. Il ne savait comprendre cette allure trop sage et cet infime sourire, imperceptible, au bord de ses lèvres. Il ne voyait que l’enfant prodige, jamais l’enfant malade. 
Il ne fit même pas attention, lorsque l’enfant en question mentionna un jour la tache noire. Peut-être aurait-il du, car la tache noire grandissait, grandissait, dans l’esprit de Hashberry comme dans le mur que, chaque soir, il fixait.

Puis un jour, Hashberry s’éveilla d’un rêve où sa maman était revenue à lui. Ce même-jour, Microft Hole fut découvert mort dans son lit, frappé par un mal que personne ne sut nommer.
Hashberry se retrouva, sans en être particulièrement affecté, seul avec sa belle-mère. 




Du fait qu’il s’était déjà attiré les bonnes grâces de l’entourage direct et indirect de la famille Hole – y compris le personnel – Mrs Hole n’osa pas le déloger de ses privilèges. Surtout que ses frères et sœurs ne s’en étaient étrangement jamais montrés jaloux, bien au contraire. En revanche, de plus en plus excédée par les manières malvenues du garçon – il avait à présent huit ans – elle ne parvenait à dissimuler qu’à grand-peine la haine naissante qui grouillait en elle. Elle craignait et détestait cet enfant. 

Il y eut, comme dans toute situation où les choses se dégradent lentement mais sûrement, une goutte d’eau qui fit déborder le vase. Cela se passa un après-midi de juin. Lors du déjeuner. Mrs Hole provoqua Hashberry. Mais à ce jeu-là, c’était toujours lui le vainqueur. 
Elle commença par lui arracher sa boîte d’allumettes des mains, lassée par le craquement régulier des brindilles contre le grattoir. Hashberry, à son âge, n’était pas supposé jouer avec le feu, mais personne ne daignait le lui interdire. On aurait dit, finalement, que tous autour de lui n’osaient pas se soulever contre sa volonté. Pourtant, c’était un garçon chétif, faible, il ressemblait à une fillette souffreteuse. Alors peut-être cela provenait-il de son talent, de sa présence irréelle, comme mystique. Ou simplement de cette expression figée, immuable et distante, qui ne le quittait point. 
Ainsi Mrs Hole fit subir à Hashberry son premier affront. Il ne dit rien. Puis, au lieu de lui servir son verre de lait, Mrs Hole lui donna un verre d’eau. L’imperceptible sourire s’affaissa. Mais Hashberry ne dit rien. A la place, il repoussa doucement le verre d’eau. Il le mit juste au bord de la table. Mrs Hole s’assit en face de lui. Timothy et Marta, silencieux, baissaient la tête sur leur assiette. 

– Mange. 

Hashberry fixa de ses prunelles ébène les yeux pâles de Mrs Hole. Elle se forçait à ne pas ciller. Cela irrita beaucoup Hashberry. Ses joues nacrées commençaient à se teinter minutieusement de rose.

Hashberry ne mangeait pas les repas usuels. Il avait son régime spécial. En fait, tout était spécial le concernant. Il se couchait à l’heure qu’il voulait, il se lavait s’il le voulait, il choisissait ses plats, ses vêtements et toutes ses activités. Il n’allait même pas à l’école et se rendait à l’Eglise que pour recevoir les compliments attendris des fidèles et des curés. En la présence de son père, Hashberry se montrait docile et attentif. A présent que cette présence n’était plus, il prenait des airs de bombe à retardement. D’ailleurs, en tendant l’oreille, on aurait juré en cet instant percevoir un lointain « tic tac, tic tac… » 

– Hashberry, mange.

Mais Hashberry ne toucherait pas à son assiette. Il ne mangeait que des mets sucrés. Des gâteaux, des biscuits, des choux à la crème. Il n’avait jamais bu un verre d’eau de sa vie. Alors ces fades haricots secs, sagement répartis dans l’assiette en faïence, n’entreraient pas sans sa bouche. Mrs Hole le savait, au fond. On n’aurait pu dire ce qu’elle attendait alors, prostrée devant cet enfant du vice. Elle le testait, elle l’éprouvait. Hashberry approcha sa petite main blanche du verre d’eau, toujours en équilibre au bord de la table vernie. Mrs Hole pinça des lèvres. 

– Non. siffla-t-elle. 

Le bruit du verre se brisant sur le parquet fit sursauter Timothy et Marta. Hashberry lui ne bougea pas. Mrs Hole pâlit d’un coup. 




A partit de ce jour, l’existence de Hashberry changea du tout au tout. Ses privilèges lui furent arrachés un à un, comme les épines d’un cactus. Il se retrouva séquestré dans une chambre minuscule, dépourvu d’occupation, de vêtement, de compagnie. Seule une glace sans tain permettait de garder une surveillance constante sur sa frêle personne. Pourtant, alors même qu’il passait la journée, la nuit parfois, à scruter son propre reflet, on aurait juré qu’il devinait le visage obscur qui se dissimulait de l’autre côté du miroir.
Les domestiques refusaient de se plier à la tâche, d’apparence aisée, de sa surveillance. Sa silhouette pâle aux cheveux longs et sales, dans une chemise de nuit crasseuse, le regard fixe, suffisait à provoquer en eux un souffle glacé qu’ils ne comprenaient pas. Hashberry ne chantait plus, ne parlait plus, il fixait, fixait, fixait, et l’on n’osait respirer que lorsque enfin, l’ange devenu horreur s’endormait.

On ne put expliquer comment le premier papillon noir parvint à se frayer un chemin jusqu’à lui. Hashberry l’attrapa, le caressa, avant de le manger. Il y en eut un autre, puis un autre. Les rares domestiques qui avaient consenti à le veiller parlèrent de la tache. Celle qui grandissait sur le mur. Celle que Hashberry fixait, lorsqu’il ne les fixait pas eux. Mrs Hole ne voulut rien entendre. Rien savoir. Ses cauchemars, de plus en plus intenses et récurrents, étaient déjà peuplés des folies macabres de Hashberry, grignotant ses nerfs et creusant ses traits. C’était trop.


Une nuit, alors que l’enfant dormait, la tâche grandit tant et tant qu’une silhouette en sortit. Une silhouette fantomatique, cadavérique, entre la vie et la mort. La silhouette, toute tordue, lévita jusqu’au petit corps endormi de Hashberry.

Et dans son sommeil, le petit garçon entendit : « Mon ange, mon ange à moi. ».

Il  y eut un baiser, juste sur son cou. Un baiser qui l’emporta loin, dans un lieu nouveau, avec des gens nouveaux, des cheveux nouveaux, des yeux nouveaux, du lait nouveau. Mais qu’importe tout cela, puisqu’il y avait toujours Mama.



Je n'ai plus de feu


Et Mama redevint le monde, Mama redevint tout. L’amour de Mama l’avait rendue immortelle. C’était un secret. Dans le grenier, il semblait bien à Hashberry qu’une ombre froide était venue déposer un baiser sur Mama. Mais quand il avait regardé l’ombre, ses yeux étaient devenus lourds et il était tombé dans un rêve.
Mama l’aimait si fort que Mama vivait encore dans la mort. On n’avait jamais dit à Hashberry que la tombe de sa maman avait été retrouvée étripée. Vidée. Pourtant, il aurait compris alors que sa maman s’était envolée. Prête à le chercher, à le trouver, à l’emmener.

Mama était devenue une Horreur, une Vampire, sa beauté était devenue gelée. La beauté de Hashberry devint gelée elle aussi, ses cheveux s’assombrirent et ses yeux changèrent. Une sensation nouvelle grandit dans son ventre. Une faim, une faim gargantuesque. Mais Hashberry ne chassait pas. Hashberry n’était pas apte. Alors Mama allait chasser pour lui, et Hashberry buvait le sang de son poignet, lorsqu’elle rentrait. Il se rendait un peu malade tant il avalait vite et cela faisait rire Mama. Il était si vorace, si gourmand. Mama lui apprit à apprivoiser son appétit, mais Hashberry n’y parvint jamais complètement. Il appris à le voir tout de même, comme il voyait la tache auparavant. C’était une grosse masse noire avec des yeux et des bouches. Hashberry n’avait pas peur d’elle.


Mama était l’amoureuse de Dracula. Mais Hashberry ne le voyait presque pas. Quand Dracula venait dans la chambre, Hashberry allait dans le placard et parlait avec l’Appétit. Sa maman lui avait appris à coudre et Hashberry fabriquait des poupées qui étaient ses amies. Hashberry n’était jamais, jamais seul.
Hashberry ne voyait pas les autres vampires. Personne d’autre que Mama. Si Hashberry voulait sortir, et il ne sortait qu’avec Mama, Hashberry devait porter le Masque. Personne ne devait voir son visage. Son visage appartenait à Mama. Elle lui avait dit. Personne d’autre n’avait le droit de le toucher, de le voir, de lui parler. Hashberry tout entier appartenait à Mama.

Plus jamais on ne t’enlèvera à moi, mon tout petit susurra un jour Mama à l’oreille de Hashberry alors qu’elle lui peignait les cheveux. Plus jamais nous ne seront séparés. Tu ne dois plus parler de l’avant, de ces vilains hommes. Ils sont morts. Si tu savais ce que j’ai fait à cette méchante femme... Elle rit doucement, c’était joli. Sache que son sang était aussi amère que son âme. Elle a souffert, mon amour. Je l’ai fait souffrir. Je t’ai vengé. Mon bébé.

Hashberry jouait tranquillement avec sa poupée. On n’aurait su dire s’il l’écoutait. Mais Mama continuait de parler.

Tes cheveux sont beaux en noir aussi. Tu es toujours le plus beau, le plus adorable de tous les enfants. Tu l’as toujours été. Et tu le seras toujours, à présent. Tu ne deviendras jamais un homme. Tu seras toujours beau, toujours parfait. Comme la plus magnifique des poupées.

Un minuscule éclat de sourire illumina les lèvres de Hashberry. Peut-être parce qu’il avait entendu le mot « poupée ».

Comment s’appelle ta poupée, mon chéri ?

Cancrelune, répondit l’enfant d’une petite voix infantile, un peu basse, comme à l’accoutumée.

Cancrelune. Comme c’est joli. A présent, cela sera ton nom, mon amour. Ma petite poupée parfaite. Tu es si beau. Oublie ton ancien nom, oublie-le pour toujours, et tout ce que tu as connu. Il n’y a plus que toi, et ta Mama. Mon petit Cancrelune.

Hashberry se retourna et l’enlaça. Ils se regardèrent longuement, sa maman caressant de ses mains froides son visage de nacre, tandis que lui souriait de cette étrange façon, éternelle façon. Lunaire. Et en effet, la poupée qu’il tenait entre les doigts, avec cette peau de porcelaine, ces cheveux de jais et son regard brillant et fixe, lui ressemblait terriblement.




Un jour, Hashberry éprouva une envie qu’il ne put pas contrôler. Parce que Hashberry n’avait jamais eu à refréner ses envies. Il eut envie de boire du lait. Alors pendant que Mama dormait, il sortit de la chambre. Il avait tellement envie de lait qu’il oublia le Masque.
Hashberry alla voler le lait dans la cuisine, car il y avait toujours plein de nourriture pour les invités de Dracula. Il croisa pour la première fois la vampire aux cheveux en neige et lui sourit. Mais Mama l’avait poursuivi, tout doucement et tout brusquement à la fois, et Mama vit le sourire, le lait, le visage à nu. Les cheveux de Mama se changèrent en serpents, ses yeux en éclairs. En un instant, elle fut toute proche de lui et la brûlure de sa colère fit hoqueter Hashberry. Elle l’empoigna par les cheveux et l’emporta dans la chambre à une vitesse que les humains ne peuvent pas voir.

Bastardo ! BASTARDO ! Tu m’as trahi, sale petite raclure, vilain rat !

Elle le jeta à terre, du sang froid jaillit des narines de Hashberry et il pleura, secoué de sanglots. Il voulut courir dans les bras de sa mère mais elle le prit par les cheveux et le cambra avec force, le visage contracté de fureur. D’énormes veines pulsaient sous sa peau, elles ressemblaient à des vers énervés. Ses yeux étaient entièrement rouges, sans noir, sans blanc.

Hashberry tenta encore de la serrer.
Mama le gifla, une fois, deux fois, Hashberry ne voyait plus rien, il sombrait dans son corps. Il pleurait fort, à demi-assommé, et ne parlait pas, car Hashberry ne parlait toujours pas.

Tu n’es qu’à MOI ! Plus jamais tu ne sortiras d’ici ! JAMAIS ! Je te l’interdis ! Le monde te tuera, tu le sais ?

Hashberry, sanglant et sanglotant, hocha la tête. Sa mère retenait toujours ses petits bras qui tentaient de s’accrocher à elle.

Le monde est dangereux, mauvais, il te salira ! Il te corrompra ! Je suis la seule qui peut te protéger. Je suis la seule qui t’aime. Ne laisse plus jamais ta maman. Autrement, je te tuerai.

Il hocha la tête, terrifié, désespéré, mais elle l’enferma dans le placard où Hashberry resta une nuit et un jour. Il tambourinait, pleurnichait, appelait, criait de sa voix aiguë qui, alors, ne chantait plus. Mama ! Mama ! Mama !
Mama ne répondait pas. Tu es puni, bastardo, bastardo, voilà qui t’apprendra.
Il n’eut pas le droit de boire le poignet ni de téter le sein. Pourtant, il avait faim, tellement faim. A force de gratter ses ongles s’étaient rétréci jusqu’à faire des traces de sang sur la porte du placard.

Au bout d’un moment, alors qu’il était tout faible, vidé de larmes et de forces, la porte s’ouvrait.
Mais Mama ouvrait toujours la porte du placard et le prenait dans ses bras, en serrant fort, tellement fort qu’il se sentait broyé d’amour.

Chhht. Je t’aime, mon tout petit, mon ange. Je serai toujours là. Toujours là pour toi. Personne ne te fera du mal. Personne ne te touchera. Ta mama veille sur toi.

Elle lui caressait les cheveux, le berçait tout doucement, et de ses lèvres devenues lisses et éclatantes s’élevait une douce cantilène, qui parlait de petit garçon, d’éternité, et d’amour.


Ouvre-moi ta porte

Mama est douce, si douce. Pendant longtemps, Mama était comme lui. La gorge pleine, les yeux vifs, les cheveux soyeux. Belle comme une fleur dangereuse. Mama ressemblait à ces tableaux qui bougent juste quand on détourne le regard. Mama lui donnait tant d’amour. Elle le nourrissait de sang comme elle l’avait nourri de lait, chaque fois qu’il le demandait. Mais Mama s’épuisait aussi. Car Mama aussi avait un immense, immeeeense appétit. Mama aimait les hommes, elle les voulait tout entier. Mama était comme les sirènes. Elle prenait tout d’eux alors, avant de n’en rien laisser. Elle était une des favorites de Dracula, Mama, car elle le faisait rire, elle le rendait vivant. Mama savait faire cela.
Puis un jour, l’Appétit de Mama l’entraina dans des limbes interdites, lui fit traverser des frontières honnies. Mama, dévorée d’une faim que tous les corps du monde ne sauraient combler, mangea un cadavre. Un autre encore. Un autre encore. Un autre encore. Et peu à peu, Mama se transforma. Mama devint une Goule. Mama perdit tout, la beauté, la parole, le charme. Sauf aux yeux de son ange, son ange à elle.




Pour l'amour de dieu

T'as un Pseudo ? Pitapan
Et un âge ? non
C'est quoi ton Avatar  ? Pride - FMA
Comment t'as découvert l'île ? Par magie
Tu la trouves comment ? Magique
Dis, tu crois bien aux fées ? MIAM
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty15.09.16 21:32

Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty16.09.16 9:14

Version courte pour les moins audacieux:


HISTOIRE


Pour écrire un mot

Sir Microft Hole était un homme distingué. Sir Microft Hole était respecté et estimé de tous ses amis, qui ne pouvaient que constater avec approbation à quel point aucune entrave n’avait perturbé le chemin de vie d’un homme de si haute considération. Pourtant, comme chacun d’entre eux, Sir Hole avait des secrets. Seulement, il s’employait scrupuleusement à garder ces secrets cachés à la vue de tous, de manière à ce que personne ne pût même soupçonner qu’il en eût.  

Seule son épouse, à laquelle ces secrets n’avaient pu être épargnés, connaissaient leur existence. Ces secrets se nommaient respectivement Chiara Orticani et Hashberry Hole, et ils demeuraient présentement bouclés dans le grenier obscur du manoir familial.


Diliing Diliing Diliing !

Entendant le son distinctif de la cloche, Sir Microft Hole reposa le journal qu’il tenait entre les mains et jeta un regard perplexe en direction du plafond.
Sa femme lui lança un regard d'intense désapprobation.

Je ne vais pas les laisser mourir de faim.
Elle a déjà mangé. Deux fois.

Sir Hole sentait l’exaspération contenue dans la voix de son épouse. Ses lèvres pincées tremblotaient légèrement et elle ne cessait de remettre en place les mêmes tiges.

C’est peut-être pour Hashberry.
Je te prierais de ne pas prononcer ce nom ridicule en ma présence, Microft.

Un silence pesant s’abattit sur le salon, uniquement troublé par le vague tintement que faisaient les boucles d’oreille de Mrs Hole lorsqu’elle remuait la tête. Sir Hole demeurait figé dans sa position, manifestement hésitant quant à ce qu’il advenait de faire à présent. Après un regard brûlant, Mrs Hole quitta la pièce d’un pas rigide. Second soupir. La porte se rouvrit :

 – Sache que je supporte cette situation et toutes ses conséquences avec de plus en plus de difficulté. J’en n’en peux plus, Microft. Je ne le supporte plus. Je n’en ai pas la force.

La porte se referma. Troisième soupir. Sir Hole se dirigea d’un pas lourd en direction du grenier.




Toc, Toc, Toc.

Oui ! Entre, mon chéri !

Sir Hole pénétra dans la pièce ombragée et lugubre qu’il avait aménagée, vaguement éclairée de quelques chandelles. Chiara était, comme à l’ordinaire, enfouie dans les draps épais de son vaste lit à baldaquin, en habit de nuit malgré l’heure avancée de la journée. Un large sourire éventra son visage à la vue du Lord.

Nous n’attendions plus que toi !

Il y avait quelque chose d’étrange dans le ton jovial de la jeune femme. Quelque chose de dérangeant, d’instable.

Où est-il ?
Hashberry !

Une petite tête pâle émergea de l’obscurité. Un tout petit garçon venait d’apparaitre. Ses cheveux, extrêmement fins et plutôt longs, étaient d’une telle blondeur qu’on les aura cru décolorés. Il avait le teint pâle de la vie confinée. On distinguait même quelques minuscules vaisseaux par endroits, près des paupières. Cela contrastait fort avec ces pupilles sombres comme la nuit, dénué de toute nuance, de toute teinte, en dehors de ce noir opaque et glacé. Pourtant, les yeux de Hashberry semblaient toujours étinceler d’un éclat vif, vibrant, qui lui donnait cet air fiévreux. Un peu délirant.

Comment allez-vous, petit bonhomme ? dit Sir Hole en se baissant légèrement, l’expression tendre et bienveillante.

Il ne s’attendait certes pas à une réponse, puisque Hashberry ne parlait pas. Mais il savait, d’après cette figure intelligente, cette malice dans le regard, que le petit garçon de cinq ans alors l’entendait. Il entendait tout, il voyait tout. Il ne prenait simplement pas la peine de répondre. Ni même de réagir.

Nous étions sur le point de jouer aux amoureux, reprit Chiara. Veux-tu te joindre à nous ?

Sir Hole s’approcha de la jeune femme, toujours au creux de sa couche, et s’assit après d’elle. Il avait l’air préoccupé.

Chiara, tu ne devrais pas faire cela. Ce n’est pas… Ce n’est pas sain.

L’expression de Chiara changea aussitôt. Son sourire se mua en une moue mauvaise, dédaigneuse, et elle cracha avec hargne :

C’est mon fils. Je fais ce que je veux.

Reprenant son air doucereux, elle ajouta à l’adresse de ce dernier :

Viens, Hash. Viens, mon amour. Mon bébé. Mon garçon à moi.

Mal à l’aise, Sir Hole se releva et observa sa progéniture s’approcher de sa mère pour l’enlacer. L’enfant  non plus n’était pas vêtu. Il gardait presque toujours sa chemise de nuit, et puisque personne ne coupait sa chevelure lunaire, il était difficile de savoir s’il s’agissait d’un petit garçon ou d’une petite fille. Lui-même ne semblait guère s’en soucier. Il s’assit à côté de la jeune femme et joua avec ses longues boucles blondes. Blondes comme lui.

Que voulais-tu ? s’enquit Sir Hole avec une sorte de hâte, comme s’il s’empressait de quitter l’endroit. [/color]
J’ai une requête.
Une ?
Une requête !

L’accent de Chiara était prononcé, mais elle parlait un anglais parfait. Sir Hole lui fit signe de poursuivre.

Je veux être sûre que, si quelque chose devait m’arriver, Hashberry ne soit pas envoyé dans un orphelinat. Ou à l’hospice. Soit tu le confieras aux filles, à Sophie par exemple, soit tu le garderas. Je veux des papiers. Je veux voir la preuve. Ne me roule pas, Microft.

Elle avait dit tout cela sans cesser de caresser le front bombé de Hashberry, qui suçait son pouce avec nonchalance, manifestement peu inquiété de son avenir.

Les filles ? Je ne peux pas laisser mon fils dans les mains de ces…
Ces ? Ces quoi ? Ces putes, c’est ça ? Tu penses que les prostitués sont forcément de mauvaises mères ? C’est cela, Microft ? Et moi, je suis quoi ? Si tu craignais pour ton bastardo, il fallait y penser avant de m’engrosser !

A présent hystérique, Chiara se jeta sur l’homme et le rua de coups et de griffures. Sir Hole poussait des grognements de douleur tout en tâchant de repousser son assaillante. Et Hashberry observait la scène avec cet air distant qu’il ne semblait pas quitter.

Calme-toi ! CALME-TOI ! Je n’ai pas dit cela ! Je vais faire… Je VAIS faire ce papier.

Chiara arrêta son geste et se réinstalla dans ses coussins, apparemment tout à fait sereine.

Tu es un amour, Microft. J’attends cela pour demain. Je ne veux pas que les choses tardent trop. Compris ? Tu peux y aller. Embrasse ta femme pour moi. Viens, Hashberry, c’est l’heure.

Les yeux gourmands, Hashberry délaissa son pouce et vint se lover au creux de sa mère, qui découvrait à présent sa poitrine. Hashberry enfouit l’un des mamelons dans sa bouche tandis que Chiara lui fredonnait une berceuse avec tendresse. Il y avait quelque chose de si bizarre dans cette vision que Sir Hole, pourtant accoutumé à ce genre de loufoqueries, sentit un frisson courir le long de son échine. Il s’éclipsa sans bruit, laissant la jeune femme à ses affaires, à ses folies.




Lorqu’il eut dévalé la dernière marche, il trouva son épouse Millicent, raide comme un piquet et pâle comme un linge, qui l’attendait sur le pas de la porte.

Microft. Les voisins. Les voisins vont finir par nous entendre, si ce n’est pas déjà fait. Microft. Ils vont se poser des questions. Nous sommes au XIXème siècle, ce genre de choses… Cela ne se fait plus, Microft. C’est puni par la loi. C’est… C’est même invraisemblable que nous n’ayons pas été découverts jusqu’alors ! Et si… Si un jour quelqu’un venait à…  Et si la police… Qu’est-ce que tu vas leur expliquer, Microft ? Tu vas leur dire la vérité ?

Excédé, confus, Sir Hole passa devant elle pour rejoindre la salle à manger en grommelant un « Eh bien oui, peut-être ! ». Mrs Hole le suivit et répondit d’une voix aiguë évoquant celle d’une poule courroucée :

Comment ? Tu es sûr de cela, Microft ? Tu vas dire : « Oh ce n’est rien ! Seulement ma maitresse et son rejeton, mon bâtard donc, que j’ai pris le soin d’enfermer chez moi, sans que personne ne le sache, afin qu’il ne soit pas élevé dans un bordel ! Lieu que j’ai moi-même fréquenté, c’est d’ailleurs en son sein que j’ai chevauché ladite…
Assez ! beugla Sir Hole.

Millicent Hole sursauta, peu habituée au ton furieux qu’employait son époux. Elle s’assit à la table, la démarche lente et mécanique, et plongea son visage au creux de ses mains. Sir Hole rejeta ses cheveux en arrière, lissa ses moustaches grises et émit le quatrième soupir de la journée.

Je ne sais pas ce que je dirai, Millicent. Je ne raconterai certes pas cela. J’inventerai quelque chose. De toutes façons, il n’y a pas de raison qu’on découvre la vérité. Et ce n’était pas ma maitresse, c’était… C’était son métier. C’est différent. Nous vivons une période très troublée, Millicent. Tu n’as pas conscience des soucis que cela m’inflige. Sais-tu que l’Europe est sur le point d’éclater ? Au Parlement, on ne parle que de cela… Je… J’ai… J’ai connu un moment d’égarement et… Je n’avais pas prévu ce qui adviendrait. Ces choses-là ne sont pas censées arriver. Et ensuite… Mais enfin, Millie, qu’aurais-tu fait à ma place ? Je ne pouvais pas la laisser là-bas, dans ce lieu… ce lieu débauché, alors qu’elle portait mon enfant !
Elle ne le porte plus, que je sache.

Sir Hole s’assit en face de sa femme et sortit de sa poche sa pipe en bois. Il fumait presque à chaque fois qu’il rendait visite à Chiara.

Elle refuse de s’en séparer. Elle dit que si elle doit retourner là-bas, elle l’emmène aussi. Et cela, je ne peux m’y résoudre. Je ne peux concevoir que mon fils soit élevé dans un tel endroit. Il est déjà assez perturbé…

Millicent lança un vif regard en direction de son mari. Il n’admettait que rarement l’instabilité de son illégitime, interdisant ou contournant généralement sa simple évocation. Cet effort apaisa quelque peu le courroux de Mrs Hole.

Je comprends, Microft. Mais comprends-moi à ton tour. Je t’ai pardonné, mais la situation est telle qu’elle me rappelle sans cesse cette humiliation. Cette fille est… c’est une succube, elle cherche sans cesse à nous pomper. Elle… Elle te dévore petit à petit. Je crois qu’elle est folle, tu sais. Elle n’est pas bien. Et puis, ce rapport qu’elle a avec son fils. Ce qu’elle fait avec lui… Mon Dieu, ce n’est pas normal, Microft. Elle n’est pas normale.
Je sais.

Sir Hole inspira une bouffée de tabac.

Mais je me retrouve sans issue. Je ne sais pas quoi faire. Je me sens responsable d’elle, responsable de sa situation. De lui. C’est… C’est mon fils, tout de même.
Ce n’est pas le mien. Et j’ai accepté qu’il porte ton nom – bien qu’il ne soit déclaré –, qu’il vive sous notre toit. Je n’accepterai pas que tu le traites comme tu traites nos enfants. Je ne saurai tolérer qu’il soit pareil à eux, à nous. Nous sommes déjà bien heureux de leur offrir le grenier. Il faudrait songer à trouver une solution plus… adéquate. Il en va de notre bien-être. De notre sécurité. Cet enfant est une erreur. C’est une tare. C’est pour cela qu’il est défaillant et bizarre. Comme s’il n’avait pas d’âme. Il a été envoyé par Dieu dans le but de te rappeler ta faute. C’est l’incarnation de ton péché. Il ne doit être rien d’autre à tes yeux. Le comprends-tu ?

Sir Hole acquiesça sans rien ajouter. Ce n’était certainement pas le moment d’évoquer la requête avancée par Chiara.


Le lendemain, comme prévu, le Lord vint soumettre les divers documents attestant de son engagement à la vue de son ancienne maitresse. Il remarqua qu’elle toussait plus souvent qu’à l’ordinaire, mais en vue du caractère emporté de la jeune femme, il ne se permit aucune remarque. Après tout, à force de ne pas voir le jour, tous deux ne devaient pas être de la meilleure santé. Sir Hole avait tout de même fait poser une petite lucarne sur une des façades du toit. Hashberry y restait prostré des heures, sans bouger ne serait-ce qu’un cil.

Ce jour-là cependant, il ne se trouvait pas devant la fenêtre mais debout devant le grand lit défait, dans lequel sa mère reposait toujours. Elle semblait extatique et excitée, comme à l’aube d’un grand évènement. Faisant signe à Sir Hole de la rejoindre, elle lui fit une place près d’elle en lui désignant la petite silhouette tout de blanc vêtu, statique au pied du lit. Elle hocha la tête et pour la première fois en cinq ans, Microft Hole entendit la voix de celui qu’il avait engendré. Et quelle voix.

Hashberry avait une voix si pure qu’elle ne semblait pas humaine. C’était un timbre divin, céleste, échappant aux lois du monde physique. Il avait l’air d’un ange. Sa voix traversait les murs comme s’ils fussent faits de coton. Sa voix pénétrait le cœur de l’homme aussi sûrement qu’une flèche dorée. Une voix d’ange, une voix de démon. Des larmes rares s’écoulèrent des yeux de Sir Hole tandis qu’il sentait vibrer en lui la voix de Hashberry.

Lorsqu’il eut fini, Chiara se mit à frapper des mains frénétiquement, ouvrant grand les bras pour y accueillir son petit prodige.

Tu as vu comme il chante bien, mon bébé ? Oh, qu’il est beau, qu’il est doué ! C’est un ange, c’est mon ange à moi…

Elle se mit à le baiser de toutes parts, déclenchant de délicats éclats de rire chez le petit garçon.

Depuis quand sait-il chanter de la sorte ? Par quel miracle…

Hole était si troublé que sa voix à lui s’éteignit dans un souffle. Il embrassa le front de son jeune fils et quitta la pièce, le visage comme béni par la grâce d’un chérubin.


Les jours suivants, sir Hole ne connut d’autre préoccupation que le souvenir de la voix de Hashberry. Cette voix s’imposait à lui à toute heure, distrayant toute pensée et pénétrant tout songe. Il ne se souciait plus des jeux morbides auxquels s’adonnait sa protégée à l’égard de son fils. Lorsqu’elle l’encourageait à capturer les insectes dispersés dans les recoins du grenier pour les épingler sur les murs afin d’agrémenter leur « collection ». Lorsqu'elle mettait en scène des pièces de théâtre où lui, prince charmant, venait la délivrer elle, princesse captive. Lorsqu'elle le déguisait et le maquillait, en petite fille parfois, avant de le laisser faire la même chose sur elle. Ces habitudes étranges qui d’ordinaire tourmentaient tant l’âme de Sir Hole paraissaient dérisoires à présent.

Hashberry grandissait. Il grandissait peu et mal, car sa faible constitution n’en permettait pas autrement. Mais il allait avoir sept ans. Il ne parlait toujours pas, ne se nourrissait quasiment que de lait maternel, il était sale et dépendant, mais il chantait, oh il chantait divinement ! Chaque soir à présent, Sir Hole se rendait au grenier et exigeait d’entendre son fils chanter. Et chaque soir, il croyait voir une apparition. Il demanda même à Chiara d’emmener Hashberry à l’église, où il pourrait être enfant de cœur, ou simplement à la chorale. Mais la jeune femme gardait jalousement son bien. Elle ne concéda jamais à laisser son enfant sortir du grenier. Il était sa poupée, sa petite chose, sa création. Elle seule pouvait l’approcher, le toucher, l’habiller, le maquiller, le mouvoir, le guider, le contrôler. Hashberry la suivait dans toutes ses lubies. Il ne vivait que pour sa mère. Que par sa mère. Elle était son seul monde, sa seule réalité.




Sir Hole s’apprêtait aujourd’hui à passer la porte de son foyer qu’il avait déserté une semaine entière et attendait avec une impatience contenue de voir apparaître la frimousse de ses deux enfants. Marta et Timothy, respectivement âgés de dix et six ans, avaient hérité de la carrure solide de leur père ainsi que de ses yeux bleus. Ils ne ressemblaient guère à leur frère ignoré, dont le visage entier évoquait celui de sa mère. Même sa peau lisse et blafarde tenait d’elle.

Ce ne fut que le soir venu que Sir Hole consentit à se rendre au grenier afin de rendre visite à la partie dissimulée de sa famille. Il frappa plusieurs fois, mais seul un silence peu conventionnel lui répondit. Ils devaient être en train de dormir. Après tout, Chiara n’était pas du genre à imposer à son garçon des horaires de sommeil fixes. Tous deux dormaient quand ils le souhaitaient. Collant son oreille contre la porte, il crut percevoir des murmures. Manifestement, ils ne voulaient pas être dérangés. Soit, Microft Hole n’était pas homme qui appréciait s’imposer. Il déserta les lieux et partir se coucher. Si Chiara avait besoin de lui, il ne doutait pas qu’elle n’hésiterait guère à employer sa clochette.
Sir Hole regagna le grenier seulement deux jours plus tard. Et cela se passa dans des circonstances qu’il n’avait pas du tout anticipées. Ce fut la femme de chambre, Miss Poppyfield, qui l’alerta de la situation.

Oh, Monsieur, Monsieur… C’est abominable. Il doit y avoir un… un animal mort ou un amas de pourriture quelque part là-haut. L’odeur est insoutenable. Je suis désolée, Monsieur, mais je ne peux rester à l’étage. C’est que cela vous prend à la gorge, Monsieur ! Aucune autre domestique ne veut s’occuper des dernières chambres. J’ai déposé hier de l’eau devant la porte, comme les autres jours, mais vous constaterez vous-même que tous les bols sont restés sur le tapis, Monsieur. Je parle du grenier, Monsieur. M’est avis que vous devriez jeter un œil, le petit n’a, une fois de plus, certainement pas pris la peine de faire ses besoins dans le pot de chambre. Je ne sais plus quoi faire et j…

Merci Anna, je m’en occupe.

L’allure hâtive, sir Hole gravit les escaliers prestement et, dès qu’il eût accédé à l’étage inférieur au grenier, une senteur pestilentielle imprégna ses narines. C’était si intense qu’il en eut un vertige. Poussant un juron, il se rua contre la porte du grenier et frappa à la porte bruyamment :

Chiara ! Chiara, ouvre-moi ! Qu’est-ce qui se passe là-dedans ?! Vous ne pouvez pas vivre ainsi ! Je… cela se sent d’ici ! C’est insoutenable ! Chiara ! Ouvre !!

Il tambourinait avec force, mais ne recevait toujours aucune réponse. Il finit par forcer la porte d’un puissant coup de pied. Les relents nauséabonds qui se dégageaient de la pièce lui saisirent la gorge. Plaquant sa manche contre son visage, les yeux plissés, Hole tâcha de distinguer les contours de la pièce pratiquement plongée dans les ténèbres. Peu à peu, Hole discerna la silhouette chétive et repliée de Hashberry, accroupi par terre et traçant de vastes courbes sur une toile à l’aide d’une pastelle. Il ne semblait pas du tout troublé par l’arrivée brutale de son géniteur. Il fredonnait tout doucement.

Hashberry ! Hashberry, mon petit. Où est ta mère?

Hashberry ne se détourna pas de son dessin. Il semblait tout à fait imperméable à l’angoisse de son père. Ce dernier s’approcha précipitamment de lui et, secouant ses épaules maigres, répéta la question.  L’enfant le regarda longuement de ses immenses yeux noirs, avant de tendre le doigt en direction du lit, soufflant dans un murmure :

Elle dort…

Hole, ne s’attardant pas sur le fait que son fils venait de lui adresser la parole pour la première fois, se releva et s’approcha prudemment du lit. Il distinguait en effet une silhouette étendue, à moitié recouverte par les draps. Il n’osait songer au pire, mais en son for intérieur, il connaissait la vérité. Il rejeta les draps d’un coup sec. Il tomba à genoux.
Hashberry chantait tout bas.



Ma chandelle est morte

Il s’avéra que cela faisait quatre jours entiers que Chiara Orticani était morte. Hashberry, qui ne connaissait pas la mort,, l’avait simplement cru endormie. Oh, il avait bien essayé de la réveiller, mais fatigué par ses vains efforts, il s’était résigné à simplement attendre qu’elle émergeât de son sommeil. Ce fut avec horreur que Microft Hole découvrit que tout ce temps, Hashberry avait dormi auprès de sa mère, bougeant lui-même son corps tel celui d’une marionnette afin de s’offrir les habituels gestes de tendresse qu’il recevait. Qu’à défaut de recevoir le lait maternel, le petit garçon avait jeûné jusqu’à brûler de famine, et avait donc pensé à manger, un à un, les précieux composants de la « collection ». Que sans l’aide de sa mère, incapable de se débrouiller, il avait fait ses besoins dans un coin du grenier. Mais le pire, le pire parmi toutes ces immondices, c’était l’innocence avec laquelle il demandait à Sir Hole :

Quand Maman va-t-elle revenir ?

Lorsqu’on emporta sa mère, Hashberry devint si enragé qu’un prêtre fut appelé afin de certifier qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’exorcisme. Mrs Hole était très croyante, à l’inverse de son mari, et qui croit en Dieu croit à l’Enfer et tous ses dérivés. Malheureusement pour elle, le petit diable était encore loin de déserter sa vie.
Sir Hole ne put se résoudre à abandonner l'enfant, il l’avait promis. Ce dernier, qui considérait son père davantage comme un gentil ami de sa maman, paraissait plutôt indifférent à son égard. Il ne semblait éprouver ni rancune ni attente. En revanche, il s’avérait coriace envers Mrs Hole. D’instinct, Hashberry avait très vite senti l’aversion qu’éprouvait la bonne dame à son sujet. Elle ne supportait pas sa manière de manger avec les doigts, ces regards appuyés qu’il dardait sur elle, ses fredonnements incessants qui semblaient la suivre partout. Et ce refus de se laisser couper les cheveux ! Et cette manie de chaparder au lieu de réclamer, et sa façon de peindre les murs et les meubles sans se soucier de leur valeur, et cette dictature silencieuse et latente, mais bien réelle, qu’il imposait à sa petite société. Et, et, et…
Mais ce qu’elle supportait encore moins, c’était l’admiration émue qu’éprouvait tout le beau monde à la vue de cet enfant merveilleux. Lui qui ne savait même pas parler !

Oui, certes, Hashberry ne parlait toujours pas. Il s’était replongé dans le mutisme dès la disparition de Chiara. Ce silence, que Mrs Hole interprétait comme une ultime marque d’impertinence, devenait plus intolérable chaque jour. Pourtant, Hashberry ne connaissait pas que le silence. Dès que son père le lui demandait, il chantait un air de son invention ou un refrain appris par Chiara. Il ne tarda pas à charmer tout l’entourage du Lord. Ainsi vêtu de son délicat habit blanc, le col orné d’un nœud soyeux, Hashberry transportait les aristocrates que Hole invitait chez lui afin de présenter son – précoce – talent. A présent que Chiara n’était plus, les excuses étaient plus aisées, plus plausibles. Il s’agissait d’un fils né malade, ayant été confié à une tante vivant à la campagne où l’air était recommandé pour les santés vacillantes comme celle du pauvre enfant. A présent qu’il était rétabli, il était revenu vivre parmi les siens. Pourtant, le peu de ressemblance physique avec sa fratrie et la distance mesquine qu’il s’employait à démontrer à l’égard de Mrs Hole ne tardèrent pas à éveiller les soupçons. Mais peut-être cela n’était-ce qu’un plan tout à fait établi de la part de l’enfant en question, qui savait quelle humiliation ces suspicions déclencheraient dans le cœur de Millicent Hole.
Lui qui était incapable de se servir de couverts et de nouer un lacet, voilà qu’il se révélait enfant prodige. Il n’y mettait quasiment pas d’effort, et on n’aurait su même dire s’il y prenait plaisir. Il faisait simplement ce qu’on lui demandait. Mrs Hole discernait très bien, en revanche, quelle satisfaction sournoise et orgueilleuse flambait dans ses pupilles lorsque l’assemblée toute entière s’extasiait devant lui…

Timothy, l’aîné des enfants, était admiratif – si ce n’est plus – à l’égard de son demi-frère. Hashberry se révélait un mystère insondable et séduisant en même temps qu’un objet de convoitise. Timothy ne désirait rien d’autre plus que d’être son ami, ce qui attisait la rage de Mrs Hole que cette simple idée révoltait. Quant à la petite Marta, elle était littéralement sous le charme de Hashberry. Oh, c’était son idole ! Et tout cela sans presque jamais prononcer le moindre mot. Sans manifester le moindre attachement, la moindre considération. Hashberry se fichait d’eux. Il ne s’occupait que de ses insectes, ses comptines, ses fantaisies... Hashberry n’avait jamais vécu dans le monde et sa brusque propulsion en son sein de l’aida pas à s’y adapter. Il préférait agrémenter son univers de ses propres lubies. Sa passion des allumettes fut la plus tenace – et la plus dangereuse. Il y eut celle des épingles, celle des masques, celle des poupées. Et toujours les insectes. Sa chambre, la plus vaste, était remplie de ses insolites petits trésors. Quant à son père, il ne s’inquiétait guère des passades de son fils, de ses caprices muets, de sa nature associable et impassible… Il ne savait comprendre cette allure trop sage et cet infime sourire, imperceptible, au bord des lèvres. Il ne voyait que l’enfant prodige, jamais l’enfant malade.
Il ne fit même pas attention, lorsque l’enfant en question mentionna un jour la tache noire. Peut-être aurait-il du, car la tache noire grandissait, grandissait, dans l’esprit de Hashberry comme dans le mur que, chaque soir, il fixait.

Puis un jour, Hashberry s’éveilla d’un rêve où sa maman était revenue à lui. Ce même-jour, Microft Hole fut découvert mort dans son lit, frappé par un mal que personne ne sut nommer.
Hashberry se retrouva, sans en être particulièrement affecté, seul avec sa belle-mère.




Du fait qu’il s’était déjà attiré les bonnes grâces de l’entourage direct et indirect de la famille Hole – y compris le personnel – Mrs Hole n’osa pas le déloger de ses privilèges. Surtout que ses frères et sœurs ne s’en étaient étrangement jamais montrés jaloux, bien au contraire. En revanche, de plus en plus excédée par les manières malvenues du garçon – il avait à présent neuf ans – elle ne parvenait à dissimuler qu’à grand-peine la haine naissante qui grouillait en elle. Elle craignait et détestait cet enfant.

Il y eut, comme dans toute situation où les choses se dégradent lentement mais sûrement, une goutte d’eau qui fit déborder le vase. Cela se passa un après-midi de juin. Lors du déjeuner. Mrs Hole provoqua Hashberry. Mais à ce jeu-là, c’était toujours lui le vainqueur.
Elle commença par lui arracher sa boîte d’allumettes des mains, lassée par le craquement régulier des brindilles contre le grattoir. Hashberry, à son âge, n’était pas supposé jouer avec le feu, mais personne ne daignait le lui interdire. On aurait dit, finalement, que tous autour de lui n’osaient pas se soulever contre sa volonté. Pourtant, c’était un garçon chétif, faible, il ressemblait à une fillette souffreteuse. Alors peut-être cela provenait-il de son talent, de sa présence irréelle, comme mystique. Ou simplement de cette expression figée, immuable et distante, qui ne le quittait point.
Ainsi Mrs Hole fit subir à Hashberry son premier affront. Il ne dit rien. Puis, au lieu de lui servir son verre de lait, Mrs Hole lui donna un verre d’eau. L’imperceptible sourire s’affaissa. Mais Hashberry ne dit rien. A la place, il repoussa doucement le verre d’eau. Il le mit juste au bord de la table. Mrs Hole s’assit en face de lui. Timothy et Marta, silencieux, baissaient la tête sur leur assiette.

Mange.

Hashberry fixa de ses prunelles ébène les yeux pâles de Mrs Hole. Elle se forçait à ne pas ciller. Cela irrita beaucoup Hashberry. Ses joues nacrées commençaient à se teinter minutieusement de rose.

Hashberry ne mangeait pas les repas usuels. Il avait son régime spécial. En fait, tout était spécial le concernant. Il se couchait à l’heure qu’il voulait, il se lavait s’il le voulait, il choisissait ses plats, ses vêtements et toutes ses activités. Il n’allait même pas à l’école et se rendait à l’Eglise que pour recevoir les compliments attendris des fidèles et des curés. En la présence de son père, Hashberry se montrait docile et attentif. A présent que cette présence n’était plus, il prenait des airs de bombe à retardement. D’ailleurs, en tendant l’oreille, on aurait juré en cet instant percevoir un lointain « tic tac, tic tac… »

Hashberry, mange.

Mais Hashberry ne toucherait pas à son assiette. Il ne mangeait que des mets sucrés. Des gâteaux, des biscuits, des choux à la crème. Il n’avait jamais bu un verre d’eau de sa vie. Alors ces fades haricots secs, sagement répartis dans l’assiette en faïence, n’entreraient pas sans sa bouche. Mrs Hole le savait, au fond. On n’aurait su dire ce qu’elle attendait alors, prostrée devant cet enfant du vice. Elle le testait, elle l’éprouvait. Hashberry approcha sa petite main blanche du verre d’eau, toujours en équilibre au bord de la table vernie. Mrs Hole pinça des lèvres.

Non. siffla-t-elle.

Le bruit du verre se brisant sur le parquet fit sursauter Timothy et Marta. Hashberry lui ne bougea pas. Mrs Hole pâlit d’un coup.




A partit de ce jour, l’existence de Hashberry changea du tout au tout. Ses privilèges lui furent arrachés un à un, comme les épines d’un cactus. Il se retrouva séquestré dans une chambre minuscule, dépourvu d’occupation, de vêtement, de compagnie. Seul un petit trou dans le mur permettait de garder une surveillance constante sur sa frêle personne, une tâche que Mrs Hole avait confié à plusieurs domestiques. Pourtant, alors même qu’il passait la journée, la nuit parfois, à scruter le mur, on aurait juré qu’il devinait le visage obscur qui se dissimulait de l’autre côté.
Les domestiques s'adonnaient à cette tâche à reculons. Sa silhouette pâle aux cheveux longs et sales, dans une chemise de nuit crasseuse, le regard fixe, suffisait à provoquer en eux un souffle glacé qu’ils ne comprenaient pas. Hashberry ne chantait plus, ne parlait plus, il fixait, fixait, fixait, et l’on n’osait respirer que lorsque enfin, il s’endormait.

On ne put expliquer comment le premier papillon noir parvint à se frayer un chemin jusqu’à lui. Hashberry l’attrapa, le caressa, avant de le manger. Il y en eut un autre, puis un autre. Les rares domestiques qui avaient consenti à le veiller parlèrent de la tache. Celle qui grandissait sur le mur. Celle que Hashberry fixait, lorsqu’il ne les fixait pas eux. Mrs Hole ne voulut rien entendre. Rien savoir. Ses cauchemars, de plus en plus intenses et récurrents, étaient déjà peuplés des folies macabres de Hashberry, grignotant ses nerfs et creusant ses traits. C’était trop.


Une nuit, alors que l’enfant dormait, la tâche grandit tant et tant qu’une silhouette en sortit. Une silhouette fantomatique, une ombre noire et glissante qui lévita jusqu’au petit corps endormi de Hashberry.

Et dans son sommeil, le petit garçon entendit : « Mon ange, mon ange à moi. ».

Il  y eut un baiser, juste sur son cou. Un baiser qui l’emporta loin, dans un lieu nouveau, avec des gens nouveaux, des cheveux nouveaux, des yeux nouveaux, du lait nouveau. Mais qu’importe tout cela, qu'importe puisqu’il y avait toujours Mama.



Je n'ai plus de feu


Et Mama redevint le monde, Mama redevint tout. L’amour de Mama l’avait rendue immortelle. C’était un secret. Dans le grenier, il semblait bien à Hashberry qu’une ombre froide était venue déposer un baiser sur Mama. Mais quand il avait regardé l’ombre, ses yeux étaient devenus lourds et il était tombé dans un rêve.
Mama l’aimait si fort que Mama vivait encore dans la mort. On n’avait jamais dit à Hashberry que la tombe de sa maman avait été retrouvée étripée. Vidée. Pourtant, il aurait compris alors, que sa maman s’était envolée. Prête à le chercher, à le trouver, à l’emmener.

Mama était devenue une Horreur, une Vampire, sa beauté était devenue gelée. La beauté de Hashberry devint gelée elle aussi, ses cheveux s’assombrirent et ses yeux changèrent. Une sensation nouvelle grandit dans son ventre. Une faim, une faim gargantuesque. Mais Hashberry ne chassait pas. Hashberry n’était pas apte. Alors Mama allait chasser pour lui, et Hashberry buvait le sang de son poignet, lorsqu’elle rentrait. Il se rendait un peu malade tant il avalait vite et cela faisait rire Mama. Il était si vorace, si gourmand. Mama lui apprit à apprivoiser son appétit, mais Hashberry n’y parvint jamais complètement. Il appris à le voir tout de même, comme il voyait la tache auparavant. C’était une grosse masse noire avec des yeux et des bouches. Hashberry n’avait pas peur d’elle.


Mama était l’amoureuse de Dracula. Mais Hashberry ne le voyait presque pas. Quand Dracula venait dans la chambre, Hashberry allait dans le placard et parlait avec l’Appétit. Sa maman lui avait appris à coudre et Hashberry fabriquait des poupées qui étaient ses amies. Hashberry n’était jamais, jamais seul.
Hashberry ne voyait pas les autres vampires. Personne d’autre que Mama. Si Hashberry voulait sortir, et il ne sortait qu’avec Mama, Hashberry devait porter le Masque. Personne ne devait voir son visage. Son visage appartenait à Mama. Elle lui avait dit. Personne d’autre n’avait le droit de le toucher, de le voir, de lui parler. Hashberry tout entier appartenait à Mama.

Plus jamais on ne t’enlèvera à moi, mon tout petit susurra un jour Mama à l’oreille de Hashberry alors qu’elle coupait ses cheveux. Plus jamais nous ne seront séparés. Tu ne dois plus parler de l’avant, de ces vilains hommes. Ils sont morts. Si tu savais ce que j’ai fait à cette méchante femme... Elle rit doucement, c’était joli. Sache que son sang était aussi amère que son âme. Elle a souffert, mon amour. Je l’ai fait souffrir. Je t’ai vengé. Mon bébé.

Hashberry jouait tranquillement avec sa poupée. On n’aurait su dire s’il l’écoutait. Mais Mama continuait de parler.

Tes cheveux sont beaux en noir aussi. Tu es toujours le plus beau, le plus adorable de tous les enfants. Tu l’as toujours été. Et tu le seras toujours, à présent. Tu ne deviendras jamais un homme. Tu seras toujours beau, toujours parfait. Comme la plus magnifique des poupées.

Un minuscule éclat de sourire illumina les lèvres de Hashberry. Peut-être parce qu’il avait entendu le mot « poupée ».

Comment s’appelle ta poupée, mon chéri ?

Cancrelune, répondit l’enfant d’une petite voix infantile, un peu basse, comme à l’accoutumée.

Cancrelune. Comme c’est joli. A présent, cela sera ton nom, mon amour. Ma petite poupée parfaite. Tu es si beau. Oublie ton ancien nom, oublie-le pour toujours, et tout ce que tu as connu. Il n’y a plus que toi, et ta Mama. Mon petit Cancrelune.

Hashberry se retourna et l’enlaça. Ils se regardèrent longuement, sa maman caressant de ses mains froides son visage de nacre, tandis que lui souriait de cette étrange façon, éternelle façon. Lunaire. Et en effet, la poupée qu’il tenait entre les doigts, avec cette peau de porcelaine, ces cheveux de jais et son regard brillant et fixe, lui ressemblait terriblement.




Un jour, Hashberry éprouva une envie qu’il ne put pas contrôler. Parce que Hashberry n’avait jamais eu à refréner ses envies. Il eut envie de boire du lait. Alors pendant que Mama dormait, il sortit de la chambre. Il avait tellement envie de lait qu’il oublia le Masque.
Hashberry alla voler le lait dans la cuisine, car il y avait toujours plein de nourriture pour les invités de Dracula. Il croisa pour la première fois la vampire aux cheveux en neige et lui sourit. Mais Mama l’avait poursuivi, tout doucement et tout brusquement à la fois, et Mama vit le sourire, le lait, le visage à nu. Les cheveux de Mama se changèrent en serpents, ses yeux en éclairs. En un instant, elle fut toute proche de lui et la brûlure de sa colère fit hoqueter Hashberry. Elle l’empoigna par les cheveux et l’emporta dans la chambre à une vitesse que les humains ne peuvent pas voir.

Bastardo ! BASTARDO ! Tu m’as trahi, sale petite raclure, vilain rat !

Elle le jeta à terre, du sang froid jaillit des narines de Hashberry et il pleura, secoué de sanglots. Il voulut courir dans les bras de sa mère mais elle le prit par les cheveux et le cambra avec force, le visage contracté de fureur. D’énormes veines pulsaient sur sa figure, elles ressemblaient à des vers grouillants sous la peau. Ses yeux étaient entièrement rouges, sans noir, sans blanc.

Hashberry tenta encore de la serrer.
Mama le gifla, une fois, deux fois, Hashberry ne voyait plus rien, il sombrait dans son corps. Il pleurait fort, à demi-assommé, et ne parlait pas, car Hashberry ne parlait toujours pas beaucoup.

Tu n’es qu’à MOI ! Plus jamais tu ne sortiras d’ici ! JAMAIS ! Je te l’interdis ! Le monde te tuera, tu le sais ?

Hashberry, sanglant et sanglotant, hocha la tête. Sa mère retenait toujours ses petits bras qui tentaient de s’accrocher à elle.

Le monde est dangereux, mauvais, il te salira ! Il te corrompra ! Je suis la seule qui peut te protéger. Je suis la seule qui t’aime. Ne laisse plus jamais ta maman. Autrement, je te tuerai.

Il hocha la tête, terrifié, désespéré, mais elle l’enferma dans le placard où Hashberry resta une nuit et un jour. Il tambourinait, pleurnichait, appelait, criait de sa voix aiguë qui, alors, ne chantait plus. Mama ! Mama ! Mama !
Mama ne répondait pas. Tu es puni, bastardo, bastardo, voilà qui t’apprendra.
Il n’eut pas le droit de boire le poignet ni de téter le sein. Pourtant, il avait faim, tellement faim. A force de gratter ses ongles s’étaient rétréci jusqu’à faire des traces de sang sur la porte du placard.

Au bout d’un moment, alors qu’il était tout faible, vidé de larmes et de forces, la porte s’ouvrait.
Mais Mama ouvrait toujours la porte du placard et le prenait dans ses bras, en serrant fort, tellement fort qu’il se sentait broyé d’amour.

Chhht. Je t’aime, mon tout petit, mon ange. Je serai toujours là. Toujours là pour toi. Personne ne te fera du mal. Personne ne te touchera. Ta mama veille sur toi.

Elle lui caressait les cheveux, le berçait tout doucement, et de ses lèvres devenues lisses et éclatantes s’élevait une douce cantilène, qui parlait de petit garçon, d’éternité, et d’amour.





Ouvre-moi ta porte

Mama est douce, si douce. Pendant longtemps, Mama était comme lui. La gorge pleine, les yeux vifs, les cheveux soyeux. Belle comme une fleur dangereuse. Mama ressemblait à ces tableaux qui bougent juste quand on détourne le regard. Mama lui donnait tant d’amour. Elle le nourrissait de sang comme elle l’avait nourri de lait, chaque fois qu’il le demandait. Mais Mama s’épuisait aussi. Car Mama aussi avait un immense, immeeeense appétit. Mama aimait les hommes, elle les voulait tout entier. Mama était comme les sirènes. Elle prenait tout d’eux alors, avant de n’en rien laisser. Elle était une des favorites de Dracula, Mama, car elle le faisait rire, elle le rendait vivant. Mama savait faire cela.
Puis un jour, l’Appétit de Mama l’entraina dans des limbes interdites, lui fit traverser des frontières honnies. Mama, dévorée d’une faim que tous les corps du monde ne sauraient combler, mangea un cadavre. Un autre encore. Un autre encore. Un autre encore. Et peu à peu, Mama se transforma. Mama devint une Goule. Mama perdit tout, la beauté, la parole, le charme. Sauf aux yeux de son ange, son ange à elle.




Pour l'amour de dieu

T'as un Pseudo ? Pitapan
Et un âge ? non
C'est quoi ton Avatar  ? Pride - FMA
Comment t'as découvert l'île ? Par magie
Tu la trouves comment ? Magique
Dis, tu crois bien aux fées ? MIAM
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty08.01.17 17:54

Cancrelune n'a pas bien entendu, ou plutôt il n'a pas écouté, tout concentré qu'il est sur la petite fille dont l'arôme lui parvient de plus en plus intensément. Les veines ont commencé à se dessiner autour des yeux et de la bouche, comme des traits de pinceau tracé sur la lune.
Oh, elle est tout près à présent, si près, il la sent...
Il glousse dans sa main, toujours recroquevillé derrière la pierre tombale.


Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.


Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.

Non, ce n'en est pas une, c'est qu'une fillette. On peut pas la manzer.

Cancrelune, sans se redresser, se tourne vers toi.


Dernière édition par Petit roi du monde le 06.09.17 14:57, édité 23 fois
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty09.01.17 0:19

Aha, personnage surprise ! Vous m'avez redonné le goût de l'imaginaire on dirait !
Cette fiche se lit vraiment dans l'ordre que j'ai mis, c'est à dire les particularités à la fin, sinon on ne comprend pas bien je pense ! Je remercie grandement tous ceux qui m'ont aidé à choisir son nom et son surnom :reverences:
(ça a l'air un peu long par moments mais y a beaucoup de dialogues en fait)



Meteor


Trucs

Surnom : le Court-Circuit
Groupe :  Garçons Perdus
Age : 14 ans environ
Rôle :  Artisan (oui pardon je sais qu'il est très rempli mais je le vois pas ailleurs !)


Révérences

Corée du Sud, année 1999.

Allô ?
 M. Jackson ?
... Non, M. Jackson n'habite pas ici, qui est à l'appareil ?
 Ici le lieutenant Min. Pourrais-je parler au tuteur légal de Hansel Jackson ?
Sa mère est couchée, je suis son cousin. Je peux peut-être vous aider.
 Hansel est actuellement au commissariat. Il faudrait qu'un responsable vienne le chercher dans la matinée. Nous aimerions aussi nous entretenir avec ses parents.

Silence.
Min perçoit le trouble de son interlocuteur malgré le combiné.

J'arrive.
 Mme Jackson n'est pas disponible ?
Non, elle. Elle est couchée. J'arrive.

*


Hansel, la touffe éparse et hirsute, regarde par la fenêtre de la voiture d'un air indifférent. Son casque est vissé à sa tête, comme d'habitude. L'un de ses yeux est vaguement gonflé et se teint progressivement de nuances violacées. Violentées. Sa lèvre est légèrement fendue. Ses doigts sont crasseux.
Virgule se dresse sur ses jambes minuscules, debout sur le jean élimé de son maitre, langue pendante et regard brillant. Elle contemple le paysage défiler. Elle n'est plus inquiète.

Jung le lorgne du coin de l'oeil. Il sait pas comment aborder la chose.

 T'as pas mal ? ... Hé. Hé, Hans !

Le garçon se tourne vers lui. Il lui adresse un mouvement de menton, façon de dire qu'il entend pas. Qu'il a pas spécialement envie d'entendre.
Jung lui ôte son casque d'un geste vif et répète la question, les sourcils froncés. Hansel se contente d'un bruit de lèvres pincées pour répondre par la négation. C'est sûrement pas vrai, mais bon.

Qu'est-ce que t'as fait ?
J'ai rien fait.
Tu étais chez les flics. Tu as forcément fait quelque chose.
Un type m'a tabassé. Il m'a tabassé, j'ai rien fait, moi.
Un type ?
Un jeune quoi.
Où ça ?
Vers le bar où y a la fille rousse, là. Celle qui a de l'herpès.
Le Dog's Lips ? Mais c'est super loin !
Non, pas tant que ça.

Hansel lisse inutilement sa touffe brune en se tournant de nouveau vers la fenêtre. Jung continue de l'observer furtivement. Il se sent pas capable de poursuivre l'entretien sans risquer de brusquer le garçon. L'enfant. C'est vrai, c'est un enfant. On oublie, des fois.
Il était tellement différent avant.

Oh ouais, Hansel a toujours été dur, teigneux, un peu agressif. Résistant. Comme elle. Comme Greta. Sa soeur.
Après, y a eu la Disparition. Bien violente, bien soudaine, bien physique. Et toutes les autres qui suivent, toujours ; la disparition des sourires, des énergies, des espoirs, de la vie dans les corps et les visages.
Depuis la Disparition, Hansel est devenu vide, absent, fermé, un enfant de pierre au coeur enterré. Un enfant qui se force à grandir. Il se dit sûrement qu'il souffrira moins. Qu'il a pas trop le choix. Jung en avait le coeur un peu en vrac. Tout le monde l'avait déjà condamné, Hansel. Pour les gens, Hansel était un délinquant, ouais okay c'est sûr c'était pas sa faute, avec toute cette merde ! mais il était fini quand même. Pas d'espoir. C'est pas grave.
Hansel les avait condamné aussi, en retour. Donnant donnant. Son coeur fatigué était devenu imperméable aux adultes. Tous les adultes. Même ceux qui tendent les mains.

Hansel joue bien le jeu, mais il a pas les épaules. Jung est peut-être le seul à le voir. A force, les autres ont abandonné. C'est moins dur. Hansel n'est pas qu'un voyou, qu'un sale gosse, qu'un petit con. Il croit pas à ça, Jung. C'est qu'un gamin. Un petit machin. Le cerveau retourné et l'âme débranchée. Il sait plus où il va. Il a plus de repère. Il se croit invincible là, ultra solide, juste parce qu'il sait retenir ses sanglots et s'attaquer à des trois fois plus balèzes que lui. C'est sa façon de prouver sa force. Sa vaillance. Mais il suffit de le regarder de près, de vraiment près, on voit un tout petit bout de rien du tout. Un truc infime, fragile, cassable. Même un peu cassé. Même carrément cassée. Et Jung en veut au monde entier de pas le voir. Lui, il le voit bien.

En décortiquant la tenue débraillée de Hansel, il aperçoit une protubérance à la poche de son jean. Il déduit la forme d'un canif replié. Un bout de papier corné dépasse, et Jung devine la photo de Greta que Hansel laisse toujours choir au fond d'une poche ou d'un sac. Parce que deux ans plus tard, Hansel continue de silloner la ville entière sur son vélo pourri en placardant les affiches, en interrogeant les gens, en frappant même aux portes parfois. Il abandonne pas, lui. Il abandonnera jamais. Y a pas plus tenace que lui.
Le souvenir de la petite fille crispe la gorge de Jung. Cette gamine ! c'était comme un soleil. Pour Hansel, pour Sae Hee. Avec elle, c'était toute la lumière du monde qui s'était barrée. Hansel luttait pour retrouver n'importe quel éclat auquel se raccrocher. Il se débattait dans l'ombre, les yeux ouverts malgré l'absence de tout, le souffle alourdi par l'obscurité opaque et répugnante qui le noyait. Sae Hee, elle, s'était laissé couler. Assommé par les médocs et la puissance de cet enfoiré de Sang. Elle avait pas su lutter. Elle avait pas su tenir. Elle avait pas su sauver son dernier enfant. Il doit se sauver tout seul. C'est pas grave.

Jung se souvient d'avant. C'était encore super net dans son esprit, comme préservé de l'érosion. Encore très vif, très vivant. Pourtant, on aurait dit que c'était une autre vie, une autre dimension. Les sourires de Hansel étaient tellement pleins. Il passait son temps à discuter avec sa soeur. Ils se réveillaient ensemble le matin, comme par magie, alors qu'ils dormaient dans des chambres différentes. Ils avaient la même lueur dans le regard, la même démarche, le même rire. Elle l'avait suivi dans ses entraînements de foot, et lui avait bousculé tous les gamins qui disaient qu'elle avait pas sa place sur le terrain. Déjà, c'était une petite teigne. Il y avait eu leur grande passion. Star Wars. Tout tournait autour de Star Wars. Hansel vivait déjà dans les étoiles, lui. A l'époque, Sae Hee se démenait déjà pour leur acheter des babioles, des affiches, pour les emmener au cinéma. Elle savait les préserver du pire qui était déjà partout autour. Ils avaient des pistolets laser en carton alors, ils étaient bien protégés. Ils avaient même construit un genre de vaisseau. Stardust. En carton aussi.
Leur mère était belle alors, mais pas de cette beauté givrée et terne qui la caractérisait maintenant. Comme une Blanche-Neige dans son putain de linceul de verre. Elle était belle de vie, de couleur, de sourire radieux. Elle était pleine de fantaisie, de gaieté, elle trouvait de la poésie dans une crotte de chien. Elle leur passait trop de trucs, tout le monde lui disait, ils étaient vernis et libres, même pauvres. Son rêve à elle, ça aurait été d'être illustratrice de contes. Elle avait tout fait pour se sortir de sa condition de merde où elle était engluée depuis ses quinze ans, pour ça, pour eux. Elle aimait les contes chinois, les contes africains, les contes européens... Hansel et Greta, du coup. C'était des jumeaux alors bon.
Son rêve avait jamais décollé. Maintenant, il était mort et enterré. Comme tout le reste.

Tout s'était enchainé en quelques mois. L'enlèvement, la rechute du coeur de Hansel, la déchéance de Sae Hee et la tyrannie de Sang. Son mec. La blague. Y avait jamais vraiment eu de père. Hansel savait juste que c'était un Américain, qu'il était retourné chez lui très vite. Il avait mis du temps à comprendre ce que ça voulait dire. Maintenant, il savait. Il se forçait à réfléchir comme un adulte, avoir froideur, pragmatisme, cynisme. C'était pas inné. Mais il pouvait pas s'empêcher de l'aimer, ce père. Il avait un espoir en deuxième rang, juste après Greta. Celui de le retrouver. Il en parlait souvent avant. Ils en parlaient tous les deux avec Greta. Maintenant, bon, il parlait plus.
Et après tout ça, la dégringolade. Tout est parti en vrille. La déchéance, la misère. Sa mère reprend du service. Grâce à Sang. Tellement généreux, ce Sang, qui les sort de la rue in extremis. Fallait être reconnaissants. Pour tout ça. Les chambres d'hôtel qui se succèdent, qui se ressemblent toutes tant elles n'ont pas d'âme, pas de chaleur. Froides comme son coeur. N'emporte pas tes jouets, tes livres sur l'espace, tes inventions électroniques, ça sert à rien. On aura pas de place. Dans une semaine, on déménage. De toutes façons, Sang ne veut pas. Et tu sais bien que c'est grâce à lui qu'on survit, Hans. T'inquiète, il sait, tu lui a dis genre cent fois. Il les emporte quand même, dans son grand sac à dos. Et quand Sang les jette, il va les récupérer. Y a pas plus tenace que lui, tu as pas compris ?

Tout avait basculé, presque d'un coup. La foudre. Hansel avait survécu. Une greffe et un traitement pour le coeur, pour l'aider à battre, à pulser. Pour survivre. Hansel avait toujours eu du mal. C'est pas facile de naitre fragile et pauvre. Faut s'accrocher. Quand il était petit, il se rendait pas compte. Hansel, à cette époque, il se plaignait pas de son coeur moisi parce qu'il était comblé d'autre chose. Aujourd'hui, il s'en plaint toujours pas, mais parce que personne l'écoute, personne l'entend, il a renoncé. La faiblesse est un luxe, il ne s'y risquera plus. Jamais. C'est presque impressionnant à quel point il durcit chaque partie de lui, du regard à la mâchoire en passant par les muscles, le mental, les mots. Avant, il s'en foutait qu'on le touche. Qu'on le gâte. Qu'on le questionne. Il s'en foutait de ces trucs trop gros pour son petit coeur, son coeur rafistolé. Maintenant... Maintenant.

Maintenant y a la rue, la drogue, la crasse humaine. Et Hansel qui se laisse pas sauver. Il est fier, il est buté, il fait le con. Il se persuade que personne peut l'aider. Même qu'il a pas besoin d'aide, tiens. Il se débrouille très bien tout seul. Mais bien sûr. Il fait genre il a pas peur, Hansel, quand il zone dans des quartiers saturés de violence et de misère. Il en ressort jamais indemne pourtant, faut pas croire. Il est pas si mature Hansel, il a le goût du défi, d'aller toujours plus loin, il a l'inconscience chevillée au corps. Tester ses limites. Faire le grand. Regardez tout ce que je peux faire. Regardez jusqu'où je peux aller. Je suis le plus fort, moi.
Ses copains sont tous des gamins brisés, perdus, que la société a déjà abandonné. Ils vendent ou se vendent, ils dorment dans des voitures, fument de la merde. Hansel les aime pour de vrai. Mais ils le confortent dans sa haine des adultes, dans l'idée que c'est chez les parias qu'il trouvera sa chaleur. Alors il se ferme à tous les autres.

Jung soupire. Ça sert à rien de penser à tout ça. Même Hansel le disait.

Tu penses arrêter un jour ?

Il y a un court silence.
Hansel ne demande pas ce qu'il y a à arrêter.

Non. Pas tant que...

Il y a un long silence.
Hansel ne dit rien d'autre.

Pas tant que tu l'auras pas retrouvé ? Pas tant que tu auras pas revu ton père ? Pas tant que tu seras pas... en prison ou je sais pas quoi ? Dans le caniveau ? Pas tant que quoi ?

Hansel frotte son oeil bouffi.

Pas tant que les choses seront comme ça. De toutes façons, j'ai rien de mieux à faire.

C'est vrai. Y a rien à riposter.
A présent, les tours de vélo de Hansel servent à sillonner le quartier de merde de leur motel en traquant les éventuels mecs louches qui rôdent près des résidences délabrées. Les flics ont dit que c'était sûrement un enlèvement. Peut-être un détraqué sexuel. Alors il les surveille, il guette, il prend même en filature. Il a pas peur, il a rien à perdre, et sa haine est si grande. Son intelligence ne s'aiguise plus dans l'étude de l'électronique, des maquettes, des univers de science-fiction qui savent l'emmener loin. Elle se fixe sur des trucs de grand, sur des missions, des objectifs bien trop gros pour lui, dont il se charge lui-même, à défaut de pouvoir dépendre d'un adulte. Il reste ancré dans la terre, physique, logique, hermétique.
Personne ne porte Hansel. Personne ne l'élève. Il s'élève tout seul. Son courage, sa roublardise, sa maturité, toutes ces conneries ont dépassé le stade du gamin débrouillard. Elles l'emmènent jusque dans les profondeurs de la ville, dans les profondeurs du pire de l'adulte, dans le chaos du monde où il s'est projeté sans parachute. Il était pas prêt. Mais il continue. Il poursuit son but, nourrit son obsession, refuse de laisser se diluer les souvenirs de Greta, refuse d'abandonner sa mère à Sang, à la merde, refuse de croire à tant de souillure, tant de désespoir. Parce que sans ça, il n'a rien. Il n'a vraiment plus rien.
Sans l'espoir de la revoir. Sans l'espoir de s'en sortir.

Alors Jung détourne le regard de cet enfant mal grandi, souffreteux et endurci, il ferme sa gueule et trace sa route. Impuissant, inutile, soupir. Y a juste rien à dire. Rien à faire. A part espérer que tout ça ne finisse pas vraiment, vraiment mal.

Hansel replace son casque sur ses oreilles et laisse tomber sa tête contre le dossier du siège. Il a mal.
C'est pas grave.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
Il représentait l'endroit où je croyais retrouver Greta. Au début, c'était cool, j'ai même cru que j'allais me décrisper pour de bon avec tant de merveilles. Je me suis même fait des copains, j'ai rencontré Cyber, il est cool. Il m'a montré les Star Wars que j'avais jamais vu. Mon préféré c'est le III, avec Anakin qui sombre. Qui se laisse avaler par l'obscur. C'est plus facile qu'on croit. Bref. Et puis y avait Moon. J'avais au moins retrouvé Moon. Quand Moon est partie, c'est devenu rien. Peu importe les merveilles. Un truc est re-mort en moi. Je veux arrêter de pleurer et de rigoler. J'ai pas le temps. Je veux juste partir.


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
Qu'est-ce que ça change ? Ordinaire ou pas, mais qu'est-ce que ça change ?? Y a personne pour moi, ici. Et Greta m'attend, je sais même pas où elle est, ce qui lui arrive et tout... Je veux pas retourner quelque part. Je veux ALLER loin, plus loin encore. Parce que c'est là qu'elle est. Vous comprenez pas.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
J'aime pas les tyrans. Je sais que Moon l'adore, après tout il l'a sauvé. Moi aussi dans un sens, bon... Et puis il aime pas les adultes. Il m'a dit des trucs très durs sur les mères, et à la réflexion j'étais d'accord. Je comprends pas du coup pourquoi il tient tant à être entouré de mères, ici. Il est bizarre, il a l'air un peu instable. Je préfère pas penser à lui, je reste loin. En plus, s'il savait ce que je fabrique... Je pense qu'il me tuerait, un truc comme ça. Et je peux pas me permettre ça !! Quand on y pense, Peter Pan c'est pas trop un humain. C'est trop bizarre, un enfant avec tant de pouvoir.

Hook, je l'ai déjà vu mais de très loin. Quand j'ai croisé son regard, j'ai cru que je me faisais encore foudroyer. Il est tellement froid. On dirait qu'on l'a vidé de l'intérieur. J'ai jamais vu un adulte avec tant de vide et de prestance à la fois. On dirait une sorte d'entité, quoi. Il ferait un bon Seigneur Sith, c'est clair.




Bout d'aventure

Hansel est fatigué.
Il a jeté son vélo dans la ruelle. Personne ne le volera. Il est pas gros mais il sait montrer les dents, Hansel. L'Américain, comme ils l'appellent.
Il monte sur le gros container, s'accroche à la gouttière, se hisse jusqu'à la fenêtre. Il aime pas passer par la porte. Il aime pas la réception, même miteuse. Affronter les regards et les formules de politesse des adultes. Hansel ne parle que pour demander "Avez-vous vu cette fille ?".

Sa chambre est en désordre. Il a déjà de la chance d'en avoir une. Il a déjà de la chance d'avoir des trucs à lui. Les trois derniers motels, il dormait avec sa mère. Parfois, dans la salle de bain, pour être tout seul. Parfois, il devait sortir. Tant mieux, il veut pas être là quand... bref.
Dans cette chambre, y a plein de trucs. Il y a des machins volés, surtout des machins électroniques. Il y a son skate. Il y a des posters humides aux murs. Il y a des champignons aussi. Ça sent pas bon. Et puis y a tous ses trucs Star Wars. Le dernier échantillon d'enfance, peut-être. Il y a le sabre laser que Greta lui avait fabriqué. Comme elle pouvait. Pour l'hôpital. Pour supporter. Elle était bien plus douée que lui.

Il faut qu'il se lave le visage. Il se sent tellement sale de partout quand il revient. Sale dans son corps, dans sa tête. Il a vu trop de choses aujourd'hui. Et hier. Et le jour d'avant. Il veut pas louper un seul endroit, il faut dire. Quitte à se faire agresser les yeux sans arrêt. Et parfois pas que les yeux. Alors il se sent tellement sale. D'un seul coup, ça devient même insupportable, il retire tous ses vêtements avec précipitation, avec rage. Il les jette par terre, la carte de la ville bombardée de gribouillages aussi, et ne garde que son vieux caleçon. Il a envie de s'arracher la peau. Elle est couverte de petits bleus, mais ceux-là, c'est lui qui se les fait. Pour se punir quand il faiblit. Pour s'endurcir.
Son coeur lui fait mal, il bat trop vite.

Hansel ouvre la porte, un tout petit peu, juste pour voir s'il y a quelqu'un. Il entend des bruits de voix étouffés. Ça vient des chambres. La voie est libre. Il sort, referme la porte, trottine jusqu'à la salle de bain. Il ne veut voir personne. Surtout pas d'adulte. Il n'aura pas la force de dire bonjour. Pour lui, dire bonjour est aussi difficile que de manger un chardon.

Il voudrait prendre une douche, mais il ne sait pas s'il y aura assez d'eau. Il est vraiment très tard après tout. Il sait pas trop quelle heure. Il s'en fout. Il s'asperge au moins le visage, c'est froid, ça fait mal, ça fait du bien.
Puis il entend une voix faible, lointaine, qui le fait sursauter un peu. Qui le dégoûte et lui brise le coeur en même temps. Il se retourne, fixe la porte face à la sienne. Elle est très légèrement entrebaillée. La chambre de sa mère. Sae Hee. Il hésite, raide, figé. Il éteint le robinet.
Il fait demi-tour, ouvre la porte tout doucement. Il n'entre pas.

Tu m'as appelé, Eomma ?
Viens, Kwan... Elle l'appelle souvent par son deuxième prénom, surtout depuis que tous les espoirs sont morts. Il sait pas pourquoi.

Putain, il n'a pas envie.
Il se tend, se force, vient.

Où tu étais ?
Nulle part.

Sae Hee est couchée, comme la plupart du temps. Sang n'est pas là. S'il était là, il voudrait pas que Hansel rentre dans sa chambre comme ça. Il doit être en train de tyranniser d'autres filles. Puisque Sang est un connard de connard de connard de mac.
Sae Hee essaye de faire une mine fâchée, mais ça ne peut pas avoir d'effet sans autorité.
Elle essaye de le toucher, mais sa main hésite, se tord, elle n'ose pas. Il est tellement dur, maintenant.

Il faut que je te dise, Kwan... Je sais que tu aimes bien cet endroit, mais... Je ne suis pas sûre qu'on pourra se permettre d'y...
J'ai de l'argent.

Elle le fixe, interdite, indécise.
Il la fixe aussi, impassible.

Tu as de l'argent ?

Il sort une liasse de billets rabougris de l'intérieur de son caleçon.
Elle contemple les billets un moment.

Où as-tu eu ça ?

Hansel hausse les épaules en les contemplant aussi.

Tu as fait des bêtises ?

Hansel hausse les épaules en les contemplant toujours.

Les yeux de Sae Hee s'embuent un peu on dirait, mais dans la pénombre, c'est dur de dire.

Tu n'as pas à faire ça.
J'ai pas envie de partir. Peut-être que comme ça, Sang te forcera pas à baiser des sales cons.

Son ton est froid, tranchant, assassin. Sa mère se crispe.

Ne dis pas ça. Elle tremble.
On pourrait se barrer. Je peux en avoir plus.
Qu'est-ce que tu fais pour l'avoir ? Tu deal ? Tu voles ? Tu...

Le dernier truc, elle n'ose pas le dire, ça lui fait trop mal. Hansel déglutit.

C'est trop dangereux Hansel. C'est trop... Tu ne te rends pas compte. Tu n'es pas assez fort.

Il bondit d'un coup.

T'es sérieuse, là ?! Moi, je suis pas fort ?? Moi ??! Mais tu t'es vu là, toute, toute, toute... Toute morte, là ! Tu fous rien ! T'as rien fait pour Greta, tu t'en fous de tout, tu t'en fous d'elle ! Tu t'en fous de moi ! Tu ! Tu fais rien à part dormir, te shooter, te faire baiser par Sang – ouais parce que je vous entend, surtout lui – et faire des passes qui rapportent rien !! Moi je suis fort, moi, JE suis fort !! Alors si y en a un qui est faible ici, c'est toi ! C'est TOI ! Tu me dégoûtes, putain !!!!

Il hurle, il pleure, il tremble de partout. Sa voix est montée haut mais elle est puissante, écorchée. On dirait qu'il saigne de la gorge.
Sa mère le regarde, ses prunelles tremblent. Puis, sans un mot, elle se retourne dans son lit. Ses longs cheveux noirs cachent son dos. Hansel les fixe longtemps, le regard brouillé de larmes, paralysé. Puis il se barre.

Il retourne dehors, il étouffe ici. Il enfile un sweat, shoote dans un carton, ouvre la fenêtre rouillée.
Il dégringole de la gouttière, se fait mal à la cheville parce qu'il a pas été assez prudent. Deux gamins, sûrement de la rue, sont en train d'essayer de voler son guidon. Il marche vers eux, essuyant les dernières traces de larmes, de morve.

Hé ! HÉ !! Il court. Putain.

Il se jette sur le premier et lui fout un coup de coude dans la mâchoire.
L'autre lui refile un coup de pied dans le genou. Il étouffe un cri, de rage ou de douleur, les deux, et se laisse exploser. Il voit rien. C'est pas grave.

Hé ! Arrête, okay okay ! C'est bon. On lui fera rien à ton vélo.

Il se calme, replace vaguement son sweat, son regard sauvage alterne de l'un à l'autre.  

Désolé, on savait pas que tu y tenais autant.

Hansel renifle, s'essuie le nez, écarte une mèche relou.

Vous vouliez faire quoi avec ça ?
Ben le vendre.
Pour la came.

Hansel les fixe encore, l'un après l'autre, puis sort la liasse de billets de son caleçon.
Il leur tend un peu de fric à chacun. Ils hésitent, se regardent.

Prenez-le, putain !

Ils le prennent. Ils le rangent.

Tu es de Pohang ?
Oui.

Petit silence.

Ta mère est une pute ?
Oui.

Hansel le défie du regard. Ose me juger, connard.  

C'est pour ça que t'es à moitié blanc. Ton père, c'est vrai qu'il est américain ?
Ouais. C'est pour ça que j'ai un prénom chelou. Mais bon je m'en fous.
Tu parles anglais ?
Un peu.
Vas-y, montre ?

Hansel imite l'accent anglais en mimant un type qui mange un hamburger. Les deux autres se marrent. Lui aussi, un peu.

Tu prends quoi, comme dope ?

Pas de fioriture, ils sont tous pareils ici. Faut pas se leurrer.

Blanche, un peu. De la colle, parfois. Ça dépend de ce que je trouve. Je me défonce pas, c'est pas ça, c'est pour tenir plus longtemps.

Pour tenir tout court.

Okay, si on trouve des trucs cools, on te dit.

Ils checkent, ils partent. Ils sont sales, plus que lui. Plus miséreux encore, sûrement. Ils doivent vivre dehors. Hansel ouvre sa petite boîte et en sort ses deux cachets. Ceux-là sont nécessaires, pour le coeur. Il a encore le luxe de se soigner. Il les observe jusqu'à ce qu'ils changent de rue. Il les aime bien. Il oublie qu'il a pas de copain. Pas le temps. Il espère les revoir, un petit peu. Il les reverra pas.
Puisqu'en voyant Sae Hee toute amorphe, Sae Hee réticente, Sang a pas supporté. Il savait que c'était Hansel. Il s'est pas contenté de lui foutre une petite baffe ou de lui envoyer ses beuglements à la face, cette fois. Il s'est arrangé pour que Sae Hee le fasse interner. Débarrassé. C'était même pas difficile, un garçon si perturbé.

*

Dans cet enfer blanc bourrés de gosses cassés, Hansel ne se fait pas d'amis. Il est renfermé, il est farouche, il est violent, et surtout il va imploser d'angoisse. Tout ce temps qu'il perd ! Il devrait être en train de parcourir la ville, de coller ses affiches, de vérifier chaque coin de ruelle, même ceux qu'il a déjà fait. Il peut pas. IL PEUT PAS !!!!
Et puis il la rencontre. Avec ses yeux trop grands, son air d'ailleurs, son corps tout frêle. Fille lunaire. Elle a une belle voix. Elle l'intrigue, l'attire, fissure un peu la carapace. Faut dire qu'elle a sa soeur avec elle. Ça peut que lui parler ça. C'est elle qui vient en premier, mais ce sera la seule à qui il répondra. Rien que pour ça. La plupart du temps, ils ne disent rien. Ils regardent le ciel. Il dessine des plans et elle chante, sa soeur à côté. Tout le monde les laisse tranquille. C'est aussi ça qui les relie tant peut-être. L'amour du ciel et de ses enfants. Ils s'imaginent dedans.

Et puis...
Quand il apprend que la soeur de la fille lunaire meurt, il pleure peut-être autant qu'elle. Il pleure comme un torrent, comme un tsunami. Il hurle pour qu'on le laisse la voir. Il faut qu'il la voit, il faut qu'il soit là, vous comprenez pas !! Vous pouvez pas. Vous pouvez pas.

On l'isolera lui aussi, pour sa sécurité, parce qu'il se débat, qu'il s'arrête pas. Il sera dans la chambre juste à côté d'elle. Lui le sait, mais elle, elle le sait pas. Il hurle tellement fort. Il hurle de tout son corps. Il imagine sa solitude, il la connait tellement, il voudrait la briser avec ses poings, avec ses hurlements. Il ne sait pas si elle l'entend.
Le jour où il sort, il se précipite à la porte de sa chambre d'isolement. Elle est ouverte, y a personne dedans. Il demande partout où elle est, personne lui dit. Il revoit tout, il revit tout, ses larmes ne s'arrêtent plus, on dirait qu'elles s'arrêteront jamais. Il est déjà prêt à parcourir le pays entier. Il l'a presque déjà fait.

Une seule personne lui répond. Un gamin chauve, les yeux immenses, les mains rongées, sûrement par ses propres dents. Il lui murmure tout doucement.

C'est l'enfant volant qui est venu la prendre. Avec son habit en feuilles. Il est venu des étoiles et il l'a emmené.

On dit à Hansel de pas le croire. Il délire, celui-là, tout le temps. Mais Hansel a regardé dans ses yeux, on aurait vraiment dit que c'était vrai. Il a examiné partout dans la chambre d'isolement, ignorant les adultes qui lui disaient de sortir. Il avait pas le temps de les écouter. Y avait un éclat vert en plein dans le blanc. Personne l'avait vu. Il l'a ramassé. C'était une feuille.

Bien sûr.
Le seul en droit qu'il a pas fouillé.

Le ciel.





Unique au monde

☆   Meteor est coréen, il parle quand même assez bien anglais maintenant.

☆   Meteor cherche sa soeur disparue. Il croyait qu'elle était là. Elle est pas là. C'est qu'elle est ailleurs. Si ce n'est ni un détraqué, ni Peter Pan, c'est peut-être les extraterrestres. Puisque elle peut pas être morte. Il ira la chercher.

☆   Meteor a connu Moon dans le Monde Ordinaire, dans un enfer blanc qui les a liés. Depuis qu'elle a disparue et est revenue, il veut pas lui parler.

☆   En arrivant sur l'île, Meteor avait les cheveux noirs et les yeux noirs. Aujourd'hui, il a les cheveux blancs et un oeil bleu. C'est à cause d'une aventure pleine de glace et d'électricité qui a failli tuer l'espoir (voir plus bas). Et c'est pas tout. Depuis, Meteor a tout le temps froid. Il se réchauffe pas, ses doigts son gelés. Et c'est pas tout. Ses yeux ont été presque détruits alors il voit très mal de loin. De près, ça va. Son oeil bleu est presque mort.  Et parfois, il lui fait tellement mal qu'il doit rester des jours dans le noir complet – sinon il noircit et saigne. C'est insupportable. Et c'est pas tout. Il est électrique. Pas comme Pikachu quand même, mais il y a, on va dire, un nuage d'électricité statique autour de lui. Il a les cheveux hérissés à cause de ça, et si tu le touches, tu peux prendre un tout petit jus. Il a parfois des décharges à l'intérieur de son corps qui font très mal. Mais il le montre pas trop. Et quand il s'énerve, y a des petits éclairs bleus autour de lui. Souvent, ils le brûlent. Faut pas s'approcher trop près.

☆    Meteor aime faire du skate et du velo. Il fait environ 1m60. Il est assez musclé mais ça se voit pas des masses. Il aime écouter du rap quand il peut. Il dort pas assez et mange pas assez. Il a la peau assez foncée, en mauvais état. Il porte souvent des lunettes de soleil trop grandes, pour protéger son oeil.

☆    Meteor déteste tous les adultes. Il n'aime pas trop les grands enfants non plus. Il n'aime pas trop les chefs. Il n'aime pas trop les grands. Il n'aime pas trop les autres. Il a pas le temps. Pourtant, il s'est fait des copains, il résiste pas. Parfois même il fait le zouave, il oublie son obsession. Elle revient toujours.

☆    Meteor construit un vaisseau, petit bout par petit bout. Parce que Meteor doit partir. Il est un peu à l'écart du camp, dans les bois, sous une bâche, et il s'appelle Stardust. Il doit partir d'ici.

☆   Meteor est débrouillard et habile, il s'y connait très bien en électronique. Il ne sait pas trop, par contre, utiliser des objets anciens, tailler des trucs, travailler le bois et tout ça. Il est meilleur dans l'assemblage, le bidouillage de composants. Mais c'est pas facile. Il va sans arrêt à la Machine, il y risque sa peau. Ils se filent des coups de main avec Cyber.

☆   Meteor est un fan inconditionnel de Star Wars. C'est sa faille, qui fera sortir l'enfant en lui, celui qu'il s'acharne à bâillonner, à enfermer tout au fond de lui. Il se transforme alors, devient enthousiaste, même sa voix change. Il adore imiter Dark Vador. Il adore jouer à être un Jedi. Et surtout un pilote. Il joue encore, rarement, mais quand même. Il aime jouer avec les petits. Il a encore beaucoup d'imagination.

☆   Meteor a beaucoup de mal à vivre à Neverland, à s'adapter à la vie d'ici, brute, naturelle, végétale. C'est quand même un sacré choc. Il s'y fait pas trop. C'est son obsession qui lui permet de tenir.

☆   Meteor, quand il était encore Hansel, il avait l'habitude de sniffer de la poudre, de la colle... Comme tous les gamins de son quartier. Quand il est parti pour l'île, puisqu'il l'a décidé de bout en bout, il a emporté un énorme stock de tous les médicaments qu'il a pu ramasser dans l'hôpital. Il a encore des réserves. Pas beaucoup. Il prend pas ça pour se démonter la tête mais pour être performant. Il peut pas se reposer, il a pas le temps. Et puis, ça permet de pas trop penser. S'il voit trop le visage de Greta, il va pleurer. Y 'a aussi les médicaments pour le coeur, dans sa petite boite, mais ça, c'est autre chose.

☆    Meteor a demandé à Peter Pan de prendre Virgule au passage quand ils ont traversé le ciel. C'est un petit chien blanc, à poils longs, et moche. On dirait une serpillière.  Au moins, elle, elle s'adapte super bien à Neverland. Meteor l'emmène dans tous ses voyages. Il pouvait pas la laisser avec cet enfoiré de Sang. Il a hésité à regarder sa mère une dernière fois en passant prendre le chien. Mais finalement, il l'a pas fait, il a eu peur de craquer. De toutes façons, elle dormait.

☆    En attendant de décoller pour de vrai, Meteor passe sa vie dans un endroit : l'espace. La Cabine le reconnait quasiment maintenant, et son esprit améliore son vaisseau imaginaire à régulièrement. Il a visité des dizaines de planètes. Il est devenu un vrai pilote. L'espace est sa liberté. Les étoiles le rassurent. Par contre, il déteste nager, marcher, creuser, se battre avec des épées... C'est pas son truc, tout ça.

☆    Meteor ne te parlera pas. Meteor n'a pas peur de toi mais Meteor est tout fermé, tout dur, et ça va pas être de la tarte de décoincer tout ça. Alors parle-lui des étoiles. Pose-lui des questions. Il va lâcher son bidule et te parler, te parler, crois-moi, tu pourras plus l'arrêter. Même si tu es tout petit, il arrivera à t'expliquer.

☆    Meteor se ronge les ongles, il est stressé. Lors de son aventure, il a perdu trois ongles, du coup il a mis des pansements autour. Il a aussi perdu deux dents mais elles étaient au fond.

☆    Meteor aime bien les habits cools, mais il y en a pas beaucoup ici.

☆    Meteor est :
- Courageux. Il aime pas l'injustice. S'il voit qu'un type s'en prend à un petit, il lui rentrera dedans. C'est pas grave s'il s'y casse les dents.
- Travailleur : Il fait le strict minimum mais il le fait vite et bien. Il est aussi extrêmement méticuleux.
- Timide avec les mères : Il évite de leur parler et veut surtout pas de bisou. Par contre, les histoires... Reste encore un petit coeur de bébé qui palpite là-dedans.
- Dur à cuire : Il abandonne pas facilement, même pour des conneries !
- Bagarreur : Il se bagarre tout le temps, pour un rien.
- Colérique : Il s'énerve souvent, pour un rien.
- Orgueilleux : Il admet pas facilement qu'il a tort, il a la défaite compliquée !
- Respectueux de ceux qu'on insulte trop souvent : les putes, les handicapés, les fous, les pauvres, les faibles. Il déteste les opresseurs. Il détestait les riches aussi. Il aime les pestiférés, Hansel.

Meteor n'est pas :
- Protecteur : Si tu cherches son aide ou sa protection, il te la donnera pas.
- Souriant : Il montre pas trop les dents et son regard est méchant. Il rit super rarement.
- Prudent : Il se met en danger tout le temps, tout le temps.
- Sympa : Il parle pas très gentiment, il est pas poli, mais pas vulgaire non plus.
- Mesuré : Il est violent, il part au quart de tour.

☆    Meteor est persuadé qu'il peut pas être aidé, qu'il peut compter que sur lui-même, qu'on finira par le laisser tomber, qu'il faut pas s'attacher à lui, que personne peut le comprendre et l'aimer pour de vrai. Il le croit même quand c'est pas vrai. Il est têtu.

☆    Meteor a un bon fond, il faut essayer de croire en lui.




Bout d'aventure

Meteor ne sait pas comment se sortir de là. Il aurait pas du partir tout seul. Il le sait. Il est trop orgueilleux. Il est trop solitaire. Il laisse personne l'aider, jamais. A part Moon. Mais Moon n'est plus là. Moon s'est barrée, encore. Sûrement qu'elle est morte. Merde. Il avait plus que Greta à aimer, alors il est reparti. A sa recherche.
Greta n'est pas à Neverland. Il a fouillé partout. Il a accepté toutes les missions, il a pioché parmi ses dernières réserves de dope pour tenir toute la nuit et affronter la peur, dès le départ. Ça fonctionnait. Il s'est shooté à tout ce qu'il a pu pour résister. Il n'a pas réussi à laisser l'enchantement l'emporter. Avant, c'est sûr qu'il aurait décollé. Là, ça marche plus. C'est pas grave. Ne lui reste que l'espoir. Et si Greta n'est pas sur terre, c'est qu'elle est loin, plus loin encore. C'est que ce ne sont pas les hommes qui l'ont pris. Ce sont les autres. Et quels autres reste-t-il, maintenant ?
Les aliens.

Alors depuis le départ, et encore plus depuis l'autre départ, celui de Moon, Meteor s'est perdu dans l'espace. Il ne va plus à la Plage, ni dans le Bois Joli, ni dans la Jungle, ni nulle part, il se dépêche de finir ses tâches pour pouvoir aller dans le seul endroit qui l'intéresse. La Cabine de l'Espace.
Son vaisseau prend la forme de son imaginaire. Il le connait par coeur, maintenant. Il l'a amélioré au fil du temps. Grâce à Cyber notamment, son grand copain de science-fiction. De science-réel. Puisque tout l'est ici. Alors la fin qu'il imagine, tous les jours, TOUS les jours, le sera aussi. Il va retrouver Greta. Pour l'instant, il sait juste pas comment se sortir de là.

Son vaisseau redémarre plus. Pourtant, il carbure à l'imaginaire, non ? Est-ce que c'est lui qui contrôle l'imaginaire ou est-ce que c'est l'imaginaire qui le contrôle ? Qui joue pour de vrai ? Il faut pas trop qu'il y pense, il va paniquer. Et il doit repartir. Greta est entre les mains – ou autre, ou pire – des extraterrestres là, elle l'attend, elle l'espère autant que lui. Il peut pas la laisser là-dedans. Il peut pas !!!

Y a des éclairs de partout sur cette planète, c'est l'enfer. Qui a inventé ça ? Peter Pan, c'est clair. Elle est couverte de givre et secouée de foudre. Il en peut plus. Il a tellement froid, son coeur crie dans sa poitrine. Il voudrait pleurer mais l'angoisse le tétanise, tant mieux. Il essaye de trouver une radio, d'appeler Cyber à l'aide. Tu m'entends ? QUELQU'UN M'ENTEND ?
Y a personne, Meteor. T'es tout seul, t'es tout seul et c'est ta faute ! T'aurais pas du partir comme ça. C'est trop tard maintenant. T'as l'air bien malin.

Et alors qu'il essaye encore, qu'il s'acharne, qu'il lutte, alors une sorte d'éclair biscornu, un éclair chargé de glace et d’électricité en même temps, puisque l'imaginaire de Peter Pan se fout bien des lois de la physique, de la nature elle-même, lui tombe dessus. Pas directement sur la tête, quand même, parce qu'il serait mort, c'est sûr. Il tombe à côté et un de ses morceaux rebondit jusque dans le corps de Meteor qui meurt de souffrance. Il grésille une vie entière, prisonnier de l'énergie et de la douleur. Il s'effondre au bout de cent ans sur le sol tout blanc, et il dort encore cent ans. Enfin, il a l'impression quoi.
Quand il se réveille, il voit presque plus rien. L'un de ses yeux pisse le sang, ses oreilles aussi.  Quand il se réveille, il a les cheveux blancs et de l'électricité statique qui crépite tout autour de lui. Quand il se réveille, il tellement mal partout qu'il peut pas bouger. Mais quand il se réveille, l'éclair a rebondi aussi sur son vaisseau tout naze et le vaisseau vrombit. Dernier espoir. L'univers, même imaginaire, le laisse jamais complètement sans espoir.

Météore, n. m. : Traînée lumineuse produite par l’entrée dans l’atmosphère d’une météorite.

*

Meteor n'a pas trouvé Greta. Il a parcouru tout le cosmos imaginaire. Il s'est épuisé. Il a presque plus de réserve de médicaments pour son coeur. Il a presque plus de dose de substances pour tenir. Il a que l'espoir qui ne faiblit pas parce que ça, il laissera pas faire.
Meteor n'a pas trouvé Greta. Greta n'est pas là. Elle est encore ailleurs. Elle est plus loin dans le ciel, dans le cosmos, dans le néant. Il ira. Il a pas peur. Enfin si, mais non, non. Il veut pas.
Alors Meteor part dans sa cachette parfois, sous une sorte de vieille tente pourrave, et il fabrique, pièce par pièce, jour après jour, son vaisseau. Un vrai de vrai. Il examine, étudie, questionne, avec ce qu'il peut. Grâce à ses grandes discussions avec Cyber, il a compris que le carburant d'ici, c'était la magie.

Et quand Cyber lui rappelle, inquiet, qu'il y en a eu un avant lui, qui a suivi le même chemin. Que celui-là est devenu fou. Que celui-là n'est pas parti. Qu'il s'appelle Scaramouche et qu'il fait peur à tout le monde. Quand il lui dit ça, Meteor ne dit rien, serre les dents, ignore. Il veut pas y penser. Non, non, non.

Ils ne savent pas, pas encore, que son carburant, c'est de l'essence de fée.
Ils ne savent pas, jamais, à quel point ça le déchire, de tuer l'enfance pour survivre.




Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Tyran !
Et un âge ?  non !
C'est quoi ton Avatar  ? original (des enfants aux cheveux blancs)
Comment t'as découvert l'île ? hahaha
Tu la trouves comment ?  parfaite
Dis, tu crois bien aux fées ? oui
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty01.02.17 14:38


Nom


Trucs

Surnom : la Flèche, mais certains l'appellent le possédé. Il n'aime pas !
Groupe : Peau-Rouge
Age : 12 ans
Rôle : Huron


L'arrivée de Cosmos

Ce n'est pas encore le jour lorsque l'enfant s'éveille. L'aube dépose sur le ciel une couverture rosée. Le vent s'infiltre dans les narines de l'enfant qui le hume avec bonheur. La beauté du monde le touche, de partout. Ses cinq sens sont toujours à l'affût d'une sensation pleine et pure.
L'enfant se redresse d'un mouvement souple et gracieux, direct, comme à son habitude. Il s'évade de sa chambre au confort rustique et s'engouffre dans la fraîcheur du petit matin. Il a fait le trajet les yeux fermés. Il laisse la brise agiter le tissu de sa tunique, à défaut de remuer une chevelure à laquelle il a renoncé. Sans toujours ouvrir les yeux, il inspire, lève un bras, étire une jambe... Puis se lance dans une succession de mouvements compliqués, maîtrisés, toujours gracieux et aériens. On dirait une danse, mais quelque chose de plus solide, de plus ancré, accompagne la chorégraphie. On dirait plutôt... Un langage.

C'est à cet instant qu'apparaît l'enfant sauvage. Comme un courant d'air, car l'enfant vole. Enfant du ciel et de la nature. Esprit.
L'enfant danseur, lui, l'a senti sans le voir, car ses yeux sont toujours clos.
Sans un mot, sans une expression, il se met agilement en tailleur et s'assoit sur le sol pierreux qui précède le temple.

Une imperceptible vibration lui indique que l'enfant s'est posé devant lui. Une forte odeur, étrange et inconnue, l'accompagne. Sève, terre, nuage, enfance, aventure, rire. Quelque chose d'autre aussi. Plus sombre.

Au bout d'une minute ou deux, l'enfant du ciel se décide à parler. Sa voix est fluette, mais imposante, un peu magique, comme ces mélodies qui nous font vibrer le cœur de façon surnaturelle.

— Tu n'ouvres pas les yeux ? demande-t-il.

L'autre enfant sourit.

— Je te vois bien comme ça.

Silence. L'enfant du ciel semble perplexe.

— Je t'ai entendu.

Cette fois-ci, c'est Tenzin, car c'est encore son nom, qui est perplexe. Il n'a pas appelé Pan. Il n'aurait pas oublié.
C'est alors qu'un souvenir, justement, éclos au fond de son crâne, ou plutôt juste derrière les yeux. Un rêve. Il a vu des esprits, les esprits fondamentaux, à l'origine de tout, en rêve. Dans leur foyer. Là où la foi leur ont donnée vie. Là où les esprits ont corps et parole. Il a souhaité si fort, si intensément, lui qui tient tant à préserver pourtant la paix de son âme, il a voulu approcher leur monde et toucher leur éclat. Il a voulu sentir courir en lui leur énergie folle, celle de milliards de songes, de croyances et de symboles. Plonger dans l'espace infini. Il l'a tant et tant souhaité, que l'enfant du ciel en fut attiré. Tenzin comprend.

— Viens avec moi. dit l'enfant du ciel, péremptoire.

—  Pourquoi ?

—  Là où je t'emmène, il y a des fées, des sirènes, et des créatures que tu ne peux même pas imaginer. On ne s'ennuie jamais et on n'est jamais triste !

Tenzin sourit. Il n'a toujours pas ouvert les yeux.

— Moi non plus je ne m'ennuie jamais. J'apprends à ne pas laisser la tristesse assommer mon esprit, je la laisse couler en moi comme un fleuve, comme un ruisseau clair. Si je la retiens, l'eau sera troublée, et mon cœur aussi. Quant aux fées, je n'ai pas besoin de les voir ou les entendre, je sais qu'elles existent quelque part, et que je serai capable de les toucher en approchant autrement le réel. Tu comprends, enfant du ciel ?

Silence. Non, Peter Pan n'a certainement pas compris. Ces choses-là n'atteignent pas la tornade qu'il incarne. Peter ne sait penser. Il combat l'ennui et la tristesse à grands coups de frénésie, de déni et d'oubli. Tout cela lui échappe.
Toutefois, dans son intelligence brute et maligne, la seule qu'il possède, il sent la faille dans la logique du jeune moine. Il s'approche, et Tenzin sent encore plus son odeur. D'instinct, il sent aussi sa légèreté et en est saisi. Il se force à ne pas lever les paupières, c'est de plus en plus dur. L'attraction est forte, quasi surnaturelle. L'enfant du ciel a quelque chose d'inhumain en lui.

— Viens. Tu sais que tu dois venir. Le monde ordinaire ne peut plus rien t'offrir. Sur l'île, l'esprit n'a pas de limite.

Sur l'île, l'esprit n'a pas de limite. Sur l'île, l'esprit n'a pas de limite. Sur l'île, l'esprit n'a pas de limite.

La phrase résonne en Tenzin en écho, de plus en plus forte, de plus en plus irrésistible. Son pouls s'est accéléré, comme sa respiration. Ses muscles se sont tendus. Tenzin a depuis longtemps appris à se détourner de toute tentation. Aussi la sensation, ravivée, est plus puissante que jamais.

Il finit par ouvrir les yeux. Il les cligne plusieurs fois, presque ébloui. Peter Pan ressemble à un rêve, l'un de ceux qui sont très réels et dont on se réveille avec peine, l'un de ceux dont on sait qu'ils pourraient si subitement se muer en cauchemar. Ses yeux sont noirs comme le fond de l'espace. Tenzin s'y égare un moment, en apesanteur.

Pan lui prend la main, doucement, mais il sent que ce sera sans retour. Après, il ne se souvient plus. Ni de la dernière vision du temple, ni du voyage, ni de son arrivée. Il se souvient simplement, un peu enfoui en lui quand même, de la sensation de voler. Voler en lui-même, Tenzin savait le faire depuis longtemps. Mais sentir le vent glisser sur son corps tout entier, traverser un nuage humide et embrasser les branches des astres, il ne connaissait pas. C'était le comble du bonheur. Aussi absolu que le cosmos lui-même.



Révérences

Dis-nous simplement ce qui se cache au fond de tes yeux, tes traits de caractère, tes angoisses, tes forces, tes failles, tes goûts. Ajoute également quelques lignes sur ton physique, en particulier sur des indications que l'avatar ne donne pas avec précision : taille, force, corpulence, dégaine, musculature, expression, gestuelle... 20 lignes minimum sont demandées pour dresser un portrait assez fidèle de ta personne.




Unique au monde

Koala répondait au nom de Tenzin. Il fut élevé par des moines shaolin puis par des moines tibétains. Il n'a jamais connu de mère ou de père et n'en a pas souffert. Puis, Tenzin a répondu au nom de Cosmos. Certains se souviennent encore de Cosmos au sein du Grand Arbre. Enfin, Cosmos est devenu Koala. Mais en cela, il n'a pas trop eu le choix.

Koala pratique les arts martiaux, spécialement le kung fu et le tai chi. Il y est habile et appliqué car il s'entraine depuis toujours et tous les jours. Mais Koala n'est jamais violent. Koala abhore la violence. La sienne, la tienne, celle du monde entier. Elle lui fait mal au plus profond de lui. Alors quand il se bat, Koala est légèreté, esquive, courant d'air. Il n'use pas de force ou de coup, il préfère déséquilibrer, affaiblir. Jamais blesser. Koala n'aime même pas la guerre pour rire.

Les Hurons l'ont appelé Koala pour trois raisons. Parce qu'il aime grimper aux arbres. Parce qu'il mange beaucoup de feuilles et de fruits sans jamais les préparer. Parce que lorsqu'il a été admis au Clan, il est resté agrippé à Loutre Sage pendant deux jours.

« J'essaye de me connecter aux énergies cosmiques. »
C'est ce qu'il disait quand on lui demandait ce qu'il faisait, assis en tailleur quelque part, le dos droit, les paupières closes. Parce que Cosmos, il savait que tout n'était qu'un, et qu'un était tout, que chaque Garçon Perdu, chaque fleur et chaque rêve faisait parti de ce grand tout, ce grand rien, que les différences étaient illusoires et les frontières inutiles, que chacun est l'Univers. Il se fondait dans le cosmos, dans l'infini, dans sa tête, son corps, et le pays imaginaire était alors le plus réel de tous les lieux. C'est pour cela, voyez-vous, qu'il fut appelé Cosmos.

Koala est un adorateur des esprits. Les grands surtout. Au fond, c'est bien pour eux qu'il est venu. Pour les approcher, plus près, plus près, plus près que la méditation ne l'aurait jamais permis. Mais Cosmos a été trop gourmand. Cosmos a voulu plus. Cosmos a voulu devenir esprit, alors qu'il n'était pas prêt. C'est pour cela qu'aujourd'hui, Koala est plus faible, plus craintif, et que son coeur, pour la première fois, est lourd de regrets.

Koala est devenu proche de Corneille Ardente, déjà du temps où il était Cosmos. Il voulait tout apprendre de lui. Tout savoir de sa sagesse. Corneille le trouvait impatient et Cosmos l'acceptait et attendait. Peut-être que c'est la Canicule qui l'a rendu si fébrile, alors. Puisque Cosmos, au bout d'un moment, n'en put plus d'attendre. Il avait vu l'île sombrer sous les cauchemars et mourir sous le feu. Il avait vu les esprits s'éteindre, les uns après les autres. L'équilibre des éléments tanguer. La douleur et la mort, de trop près. Peut-être que c'était trop, même pour lui, même pour celui que chacun jugeait si juste, si mesuré, si jovial, si paisible. Si pacifique.

Koala, ou plutôt Cosmos, est venu trouver les Hurons. Le peuple qu'il admire et estime plus que tout autre. Pour leur lien à la nature, leur mode de vie dénuée de frustration, mais surtout, surtout, pour l'état spirituel. Il s'y était exercé lui-même, à force de méditation. Il lui semblait le toucher du bout des doigts parfois. Du bout de l'âme. Mais ce n'était plus assez. Il lui fallait plus. Il lui fallait se reconnecter à la vie.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?
ÉCRIRE ICI


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ? Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
ÉCRIRE ICI


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
ÉCRIRE ICI




Bout d'aventure

En ce temps, Koala s'appelait encore Cosmos. Mais quelque chose en lui faisait déjà qu'il n'était plus tout à fait Cosmos. Peut-être que c'est la Canicule qui l'avait rendu si fébrile. Il avait vu l'île sombrer sous les cauchemars et mourir sous le feu. Il avait vu les esprits s'éteindre, les uns après les autres. L'équilibre des éléments tanguer. La douleur et la mort, de trop près. Peut-être que c'était trop, même pour lui, même pour celui que chacun jugeait si juste, si mesuré, si jovial, si paisible. Si pacifique. Car Cosmos était cela, bien sûr, et Cosmos luttait chaque jour pour rester cela.
Pour voir le meilleur en l'homme. Pour ne jamais abandonner l'espoir. Pour ne jamais laisser la colère, la haine, la desespérance, prendre possession de son esprit. Il méditait, il s'isolait, il se ressourçait, mais quand les esprits eux-mêmes agonisent, comment conserver la force du sien ? Cosmos n'y pouvait rien. Cosmos n'était rien qu'un humain, et pas bien grand encore. Il l'oubliait parfois. Et aujourd'hui, il semblait qu'il voulait être plus que ça.

Je ne peux te laisser faire ça. avait dit Corneille Ardente, assis au fond de son tipi, sans regarder l'enfant chauve qui lui faisait face, trop occupé qu'il était à disperser d'étranges herbes dans une marmitte bouillante.

Cosmos était proche de Corneille Ardente, déjà du temps où il était Cosmos. Il voulait tout apprendre de lui. Tout savoir de sa sagesse. Corneille le trouvait impatient et Cosmos l'acceptait et attendait. Cosmos respectait toujours sa parole. C'est le chaman qui avait fait poser ses tatouages. Cosmos essayait de ne pas en être trop fier, mais c'était difficile.

Mais j'en ai BESOIN !

Corneille Ardente releva la tête très brutalement en direction de l'enfant. La détresse de sa voix était si intense, si inhabituelle, qu'il en fut saisi.

Les Esprits ont disparu.

Sa voix tremblait. Corneille Ardente n'avait jamais vu Cosmos dans une telle douleur. Son coeur se serra.

Les Esprits reviendront, Cosmos. Ils reviennent toujours. dit-il en se relevant et en s'approchant de Cosmos, demeuré à l'entrée du tipi.

C'est simple pour vous, les Delaware ! Vous adorez le feu ! Mais le feu tue ! Les enfants meurent sans arrêt ! Les plantes et les animaux aussi ! Et les Grands Esprits... Je ne ressens rien de leur énergie, rien, rien du tout.

Deux larmes coulèrent des yeux de Cosmos.

Peter Pan finira par se calmer. C'est lui qui fait la pluie et le beau temps. C'est ainsi. L'île renaitra quand son coeur s'apaisera.

Et si cela n'arrive pas ?

Tu dois avoir foi.

Corneille Ardente posa sa main sur l'épaule de Cosmos. Il semblait bien jeune à cet instant.

Non, non. Je n'y arrive plus. Tous les jours, au Grand Arbre... J'essaye de redonner de l'espoir, de rester calme, de montrer que tout n'est pas perdu. Mais mes ressources aussi meurent. Je ne peux plus respirer. Je... Mon esprit est tout desséché, mon esprit est brûlé. J'ai besoin de les sentir. Je dois me connecter.

Il planta son regard embué dans celui du chaman.

Je t'en supplie.

Corneille céda. Il n'aurait pas du.


*


Le lendemain, dès l'aube, Corneille Ardente accompagna Cosmos au village des Hurons. Cosmos rayonnait, faiblement certes, mais le village des Hurons était à ses yeux un lieu béni, sacré, un sanctuaire. Après de longues négociations où le chaman des Delaware vanta l'équilibre et la maitrise de l'enfant, le chaman des Hurons, touché par ses besoins spirituels, finit par céder lui aussi. Il accepta que Cosmos pénètre au coeur des pierres sacrées et tente d'atteindre l'état spirituel. Un être ordinaire n'aurait certainement pas pu y parvenir, mais Cosmos méditait depuis toujours et savait faire la paix en son âme.
Du moins le croyait-il.

Cosmos se concentra un jour et une nuit entiers, ou en tous cas, ce qui y ressemblait en ces temps troublés. Il ne bougea pas d'un cil et ignora la tension de ses muscles ou les spasmes de son estomac. Toute sa concentration était dirigée sur son esprit. Il lui semblait toujours qu'il était sur le point de franchir les portes du monde spirituel. Mais quelque chose l'en empêchait. En d'autres temps sûrement, Cosmos aurait su accueillir cette frustration. Elle se serait écoulée en lui comme le flux de la rivière, humble et tranquille. Mais Cosmos était affaibli et son esprit, aussi exercé fut-il, l'était aussi. La frustration enfla et le flux devint un torrent tumultueux. Il força, força, défonça la porte plutôt que d'attendre qu'elle ne s'ouvre à son pas. Il s'engouffra dans un monde bien trop grand pour lui. Il n'était pas prêt. Il sombra.


*


Cosmos resta inconscient, prisonnier du monde des esprits, des jours entiers. Ce fut Loutre Sage qui veilla sur lui, et Corneille Ardente, qui consentait chaque jour à délaisser son village pour passer quelques instants auprès de son corps inanimé, de plus en plus pâle. Les tatouages sacrés de Cosmos étaient devenus lumineux, mais une lumière en Cosmos faiblissait de seconde en seconde.

Dans le monde spirituel, Cosmos se perdit. Il ne se souvient plus bien, aujourd'hui, des détails de son voyage. Il s'en rappelle comme dans un rêve. Des sensations, des impressions, des images volages. Il se souvient qu'il s'était senti bien, un peu comme baignant dans une eau chaude et pure. Apaisé, mais revigoré aussi. L'équilibre était revenu. Il ne souffrait plus.
Il s'était mis en quête, très vite, des Grands Esprits. Il avait tant cherché. Sans aucune conscience de son propre épuisement. Il ne les avait pas trouvé. Il mit du temps à comprendre qu'il ne savait plus comment rentrer. Alors la peur, la fatigue, la confusion s'abattirent sur lui toutes en même temps, écrasant son corps sous un poids invincible.

Dans le monde spirituel, un esprit semblait aussi apeuré et affaibli que Cosmos. Son énergie était brouillée, blessée. En voyant Cosmos à genoux sur le sol, secoué de petits sanglots, il s'était approché. Cosmos ne l'avait pas vu. Et lorsqu'il avait enfin levé la tête, au même moment l'esprit, une sorte de fumerolle à tête de loup, étendit son bras jusqu'à toucher la pointe de sa flèche.
Une douleur fulgurante électrisa le corps de Cosmos, dont l'enveloppe physique se cambra dans les bras de Loutre Sage. Ses yeux s'illuminèrent, sa bouche, ses narines, il iradiait d'une lumière brute. Lorsqu'il reprit possession de lui, la fumerolle avait disparu. Le monde spirituel aussi. A la place, le visage de Loutre Sage, comme un soleil dans un monde de d'obscurité. Il sourit et se rendit compte que chaque centimètre de sa peau le brûlait.
Cosmos était dévoré par la fièvre. Il tremblait, grelottait. Il vomit une fois, une autre fois, et son esprit s'effondra de nouveau, dans les ténèbres nues cette fois. Loutre Sage et Corneille Ardente le ramenèrent au Grand Arbre et le confièrent au chef des Soigneurs. La Princesse Huron s'apprêtait à partir dans sa propre quête, celle où lui avait échoué. Sauver l'île. Elle ne pouvait plus veiller sur lui.


*


Cosmos mit du temps à se rétablir. Il resta inconscient cinq jours de plus. Lorsqu'il s'éveilla, la Pluie était venue et les Esprits étaient revenus. L'île renaissait. Il put à peine s'en réjouir tant il était encore en prise avec sa propre confusion. Il parvenait à peine à parler.
Il était extrêmement faible. Plus que jamais. Lui que son corps n'avait jamais trahi. Il dut s'aider de son bâton pour marcher et accepter de se faire aider pour les moindres tâches. Il ne pouvait plus méditer, ni danser, ni s'entrainer. Il ne pouvait rien faire, en dehors de penser à cet esprit à tête de loup. D'ailleurs, celui-ci ne le quittait pas. Chaque fois que Cosmos fermait les yeux, il voyait son visage blanchâtre. Chaque fois qu'il s'endormait, il le voyait en rêve.

Et puis un jour, ses contours se précisèrent encore davantage. C'était un jour de pluie, bien évidemment. Cosmos jouait au ballon avec d'autres enfants pour tenter d'oublier. Oublier quoi, d'ailleurs... Juste oublier. Il ne voulait plus réfléchir. Il était trop fatigué.
Les enfants s'envoyaient le ballon dans les airs. A un moment, Cosmos voulut l'attraper, mais un enfant le bouscula et lui cogna la tête de son coude. D'ordinaire, Cosmos l'aurait arrêté très sereinement en lui disant de faire attention. Mais plus rien n'était ordinaire à présent, n'est-ce pas. Cosmos sentit une étrange énergie circuler très vite en lui, jusqu'à monter dans son crâne, avant de prendre possession de lui. Vraiment possession. Ses tatouages et ses yeux se mirent à luire et il hurla un jet de lumière, envoyant dans la face du garçon une bourrasque d'énergie. Energie cosmique. Devenue agressive. Néfaste. Destructrice.
Cela ne dura qu'un temps. Un tout petit temps. Cosmos reprit vite ses esprits et résista à l'envie de fondre en larmes lorsqu'il vit les regards perplexe ou sévères des enfants. Une petite fille pleura et s'enfuit. Il partit, sans rien dire.

Ce jour-là, il tenta de méditer, s'isolant loin dans la forêt. Il n'y parvint pas. Son esprit était parasité. D'émotions d'abord. La honte, la frustration, la rage, la peine, l'incompréhension. Ses doigts tremblaient sur ses genoux. Et puis d'une certaine tête de loup immatérielle, flottant au creux de son âme. Ce n'était pas lui. Ce n'était pas lui qui avait fait ça. Il n'avait jamais fait ça.
Il se força à rester sous la pluie jusqu'à la nuit. Le lendemain, rien ne se produisit. Le surlendemain, rien ne se produisit. Cosmos finit par penser que ce n'était rien, rien d'autre qu'un effet secondaire.


Ce fut bien longtemps après que cela se reproduisit. Cosmos peinait déjà à s'accoutumer aux rêves, aux turbulences dans son équilibre intérieur, à cette énergie étrangère qui occupait son esprit. Alors cela se reproduisit.
Cosmos n'était pas en colère. Il n'éprouvait rien. Il parcourait le Bois Joli, observant la nature, accompagné de quelques petits animaux car, toujours, Cosmos attirait les animaux. Et la tête de loup était revenue. Clignotant par flashs dans sa tête d'abord, puis la lumière, la douleur, le flux d'énergie fulgurant. Cosmos ne savait même plus dans quel monde il se trouvait. Il voyait deux paysages se superposer, l'un était celui du monde physique, l'autre celui d'un monde qu'à présent, il craignait. Il n'était plus capable de bouger, crispé contre le sol boueux, des Sylvains intrigués pullulant autour de lui. Il hurlait, se redressait à demi, crachait son jet éclatant, fonçait dans les arbres. Immaitrisable.

Ce fut encore elle qui le sauva. Qui d'autre l'aurait pu. Elle qui lui dit "Je n'ai pas peur de toi" et qui l'approcha au plus près, affrontant la violence de son éclat, de son état. Loutre Sage. Princesse des Princesses. Accompagnés de quelques Sylvains, Loutre hissa le corps sursautant, mais calmé déjà, de Cosmos sur la vachienne qui l'accompagnait. Cosmos ne revint jamais au Grand Arbre.


*


Ton ami a été orgeuilleux et imprudent. Son sort n'est certes pas mérité, mais guère étonnant.

Cosmos entendait vaguement le dialogue qui se jouait à son côté. Enfoui sous une épaisse couverture de paille, il concentrait tout son effort à essayer d'ouvrir les yeux. Il entendit la voix de Loutre Sage, ce qui réchauffa son coeur, mais ne comprit pas ses mots.

Je sais qu'il souffre. Il souffrira bien d'avantage s'il ne fait pas plus attention.

Son esprit est fendu, à l'image de cette carafe. Cosmos reconnut la voix de Corneille Ardente. En cette brèche s'est engouffrée une fumerolle malade aussi fragile que lui. Il n'a pas su la repousser. Aujourd'hui, la Fumerolle se sent parasitée par lui autant que lui se sent parasité par elle... Leur équilibre, à tous deux, est compromis. Chacun essaye de retrouver son monde et sa liberté, mais ils sont enchainés l'un à l'autre. Parfois, la Fumerolle réagit, parce qu'elle se sent forte ou à l'inverse, contrariée. Cosmos se doit de se rendre dans le Monde Spirituel aussi souvent que possible, au risque d'épuiser la Fumerolle à présent liée à son esprit. Au risque de s'épuiser, lui. Et de mourir.

Son coeur se serra. Il se représenta mentalement l'image de la tête de loup blanche.

A présent, Cosmos n'est plus seulement Cosmos. Son esprit est double, en équilibre entre deux mondes, et chacun des deux est garant de son équilibre à lui. S'il en délaisse un ou en favorise un autre, il en subira les conséquences. Cosmos vit avec quelque chose en lui et se doit de l'accepter. D'apaiser et accueillir cette chose. Même s'il a peur. Même s'il a mal. Même s'il s'en veut.

Son coeur se serra davantage. A mesure que Corneille Ardente récitait les émotions, Cosmos prenait conscience de leur intensité en lui-même.

Son existence a pris un chemin inattendu et douloureux. Plus rien ne sera comme avant. Mais il s'adaptera.

Je l'aiderai.

Il y eut un silence.

Corneille Ardente, Chaman des Delaware, veux-tu nous laisser entre membres du Clan de Loup et retourner aux tiens ? J'ai à parler à la Princesse.

Cosmos entendit Corneille partir. Il y eut ensuite une discussion qui évoquait une petite tempête dans l'esprit embrumé de Cosmos. Il n'en comprit rien car les deux s'exprimaient en dialecte Huron. Il devinait, toutefois. Loutre voulait le garder auprès d'elle. Le Chaman trouvait cela dangereux. Une âme si tourmentée. Possédée.
Cosmos reconnut le nom de Phasme Suprême. Ce serait donc à elle de décider. Il dut user de toutes ses forces pour ne pas laisser l'envie de s'abandonner, au désespoir, à la mort peut-être, l'écraser. Il se rendormit, épuisé par ces efforts inédits.





Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? SakriPAN
Et un âge ? non
C'est quoi ton Avatar ? l'Avatar MDR
Comment t'as découvert l'île ? dans un rêve
Tu la trouves comment ? vraie
Dis, tu crois bien aux fées ? pour toujours
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty05.03.17 17:53

Spoiler:
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty21.05.17 13:01

Blood


Trucs

Surnom : L'Osselet (son premier surnom était la Sauvageonne, Lacerate a finalement proposé de le changer afin de ne pas creuser l'écart entre elle est les autres Perdus, mais certains l'appellent encore comme ça.)
Groupe : Garçons Perdus (ancienne Piccaninny)
Age : 11 ans
Rôle : Chasseuse


Grenat

Dans le ciel de sa peau, trois nuages laids, raides, trois nuages griffures, demeurent. Elle ne sait pas comment les recouvrir, les transformer, comment les rendre beaux. Comment les oublier.
Ce sont les dernières qui restent, des originelles. Celles dont elle ne connait pas la source. Elle se souvient de la douleur béante, du rouge qui bavait des plaies, elle se souvient. Mais elle ne se souvient pas de la main qui les a fait fleurir sur sa peau. Blood ne se souvient de rien. Rien que le rouge.

Ses doigts se serrent sur le silex finement taillé. Le silex finement taillé glisse sur la peau brune, l'effleure, la rassure, la prépare à la douleur douce. Puis s'enfonce, trace, et dans son sillage une traînée vermillon qui, dans ses yeux, est toujours gris. A part dans ses rêves. Il n'y a que dans ses rêves que Blood peut encore voir le rouge.
Le corps de Blood est toujours décoré. Couvert, recouvert, caché. Peintures de guerre. Peintures de survie. Sans son masque blanc et noir -  chaque jour un peu différent puisque Blood ne veut pas que tous les jours se ressemblent, Blood veut entendre le temps courir malgré la fixité -  sans le masque Blood se sent si nue et si faible. C'est son unique rempart, le dernier.
Les arabesques du silex racontent une nouvelle histoire sur son bras. Une histoire qui étouffe le silence des trois nuages griffures. Blood se la racontera à elle-même, en attendant de connaitre la seule qui importe, la seule qui demeure dans les ténèbres nues de l'Oubli. La sienne.

*

Blood dépose la carcasse de lapin devant la Réserve. Blood n'entre pas, Blood n'entre jamais. Blood n'est pas assez brave. Le masque empêchera que chacun puisse voir la honte, rouge, cuir ses joues.
Puisque Blood a peur. Trop peur pour être digne. Trop peur pour être fière.
L'ancien chef lui disait bien. Que vaut un chasseur qui a peur du sang ?
La carcasse de lapin est chaude encore, sa fourrure est douce, et son flanc à peine taché. Pourtant, les quelques gouttes ont suffi à faire trembler ses mains, à faire flancher son coeur. Des étoiles dansent encore dans ses yeux presque, rouges aussi.
L'ancien chef lui disait bien. Qu'elle ne pouvait pas être une vraie Piccaninny. Une vraie Peau-Rouge.

Lacerate sort de la Réserve. Elle a vu Blood déposer le lapin. Lacerate remarque comme les mâchoires sont serrées, comme les doigts s'agitent, comme le regard brûle. Lacerate a appris à voir derrière le masque. Elle félicite Blood, pas trop, juste assez pour que Blood se sente encore valeureuse, puis emporte le lapin. Lace n'est pas comme l'ancien chef. Blood voulait prouver à l'ancien chef qu'elle ne méritait pas son mépris. Blood veut prouver à la nouvelle cheffe qu'elle mérite son estime.
Alors Blood chasse, toujours. Avec son arc, avec son masque. Avec ses peaux de bête, les crânes qui coiffent sa tête, parfois. Avec son courage, toujours pulsant, son adresse, toujours aiguisée. Son acharnement, qui jamais ne s'épuise. Avec l'ombre de son frère qui court à ses côtés, l'ombre de sa mère qui frôle ses cheveux de sa main tendre, l'ombre de son père qui lui murmure qu'elle est forte, qu'elle est vaillante, et qu'il l'aime. Parfois, une autre ombre se greffe, celle du monstre griffu, de la Bête. Blood court plus vite, des éclats de rouge imaginaires raturent le paysage, des étincelles crépitent dans ses pupilles. Mais Blood court toujours. Blood chasse toujours.

La plupart du temps, elle pose les pièges. Elle tire sur les oiseaux, sur les poissons. Sur les rares bestioles dont le fluide de vie n'est pas sang, n'est pas rouge. Parfois, elle est obligée, obligée, d'être escortée par un autre Chasseur. Ou par Lacerate elle-même, qui ne lui a jamais parlé de honte ou de faiblesse, mais qui ne peut pas empêcher ces émois d'enfler le coeur de Blood dans ces moments-là. Elle vise, elle tire, elle rate rarement sa cible. Mais elle demeure à sa place, nichée dans un arbre, dissimulée derrière un rocher, ancrée dans la terre. Elle abaisse son arc et laisse celui qui l'accompagne rejoindre la proie qui vient de tomber, qui vient de mourir sous sa flèche. Elle ne peut pas s'approcher. Le masque ne la protège pas jusque là.





L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
Le Pays de Jamais est sa terre, depuis toujours et à jamais. Blood aime sa terre. A son arrivée au Grand Arbre, Blood n'était plus capable de regarder le paysage de l'île. Dans ce paysage respirait une horreur qu'elle ne pouvait tolérer. Peu à peu, sous le bouclier de patience et de bienveillance de celle qui serait sa Mère, Blood a appris à marcher, à sortir, à affronter. Pas l'horreur encore. Pas les souvenirs encore. Mais l'île, oui.




Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
Blood regrette sa mère, son frère, son père, son petit mustang et la chaleur de son tipi. Blood regrette un temps qui lui a été arraché. Mais par qui, quand, pourquoi ? Une tache écarlate couvre les souvenirs.


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
Blood respecte l'Esprit Soleil. Elle l'a toujours estimé, à l'image de son ancien chef, de son ancienne princesse. A présent, le respect est forcé, endetté, puisque c'est lui qui l'a sauvé. Blood supporte mal de devoir sa vie au Pan. La honte brûle deux fois plus, puisqu'à l'idée d'avoir abandonné sa tribu, disgrâce suprême d'un Piccaninny, s'ajoute celle de l'indignité : Blood ne peut embrasser ses sauveurs. Ils ne sont pas ses frères, pas complètement. Ce n'est pas son clan. Heureusement, Blood ne le dit pas. Seul son regard, derrière le masque épais, trahit le mur invisible qu'elle érige entre elle et les enfants de l'Arbre.
Les enfants de l'Arbre, eux, la voient comme une enfant sauvage, faite tout à la fois de calme et de tempête. Ils gardent en mémoire l'image de la fille de sang. Ils reconnaissent son talent de combattante, ils repèrent autant l'effroi dans ses prunelles, à la vue du sang frais – grâce à Lacerate, elle tolère maintenant le sang séché. Peut-être qu'ils s'en méfient. Il y a quelque chose d'agressif, en sourdine, chez Blood. On sait qu'elle peut frapper, défier, attaquer, si la perche est trop tendue. C'est une Piccaninny, quand même.

Quand Blood est arrivée, quand elle a recommencé à se lever, à manger, à parler, tout petit à petit, Blood a aussi recommencé à grandir. On avait enseigné à Blood l'importance du cycle de la vie. L'importance de laisser la nature accomplir son oeuvre perpétuelle. Et alors que son corps poussait, que ses muscles s'étoffaient, on l'a mis en garde. Ici, tu n'es pas chez les indigènes. Ici, les lois du Roi surpassent celles de la Nature. Ici, si tu grandis, tu péris. Alors Blood a caché la fracture de son âme derrière un masque plus épais encore, et Blood a retenu l'oeuvre de la Nature dans son propre corps. C'est un autre combat.

Quant à Hook, c'est un démon au visage pâle, aux larmes de fer, qui doit mourir.




Carmin

Sahale est rentré au village. Nashashuk aime ces moments où elle se retrouve seule avec son père. Des deux enfants nés de Grizzly Funeste et Oryx Intrépide, elle est la plus volontaire, la plus acharnée, peut-être la plus violente. Nashashuk aime la chasse, la bagarre. Nashashuk est attachée à l'honneur. Plus tard, Nashashuk veut massacrer des Visages Pâles, affronter des bêtes sauvages, verser le sang plus que les larmes. Son père lui a dit qu'elle pourrait choisir, être guerrière ou sqaw. Nashashuk a déjà choisi.

Plus haut, ton arc. Mesure ton souffle. Fixe ton regard. Entends le vent. Attends.

Nashashuk inspire, expire lentement. Chacun de ses sens écoute la respiration de la forêt. Nashashuk vise, relâche, la flèche fend l'air et s'enfonce dans la chair du cerf-lion. L'animal s'ébroue, rugit, enragé mais pas mort. Nashashuk encoche, les gestes sont souples, assurés, patients. Le tambour du coeur, pourtant, bat fort.
Une seconde flèche. Une troisième. L'animal cherche la source des dards de fer, mais ne voit pas les deux silhouettes tapies dans les fourrés. Un bon chasseur ne se montre pas.
C'est Grizzly Funeste qui abattra la créature. Nashashuk n'est pas encore prête. Elle fait taire l'orgueil en elle. Son père lui apprend cela aussi. Son père lui apprend toutes les choses qui la font grandir, chaque jour, en harmonie avec la vie qui pulse sous ses pieds, qui brille dans le ciel. Blood grandit forte et vivante, puisqu'elle apprend à se battre, à chasser, à respecter, à sentir, à voir, à écouter, à aimer. Blood serait devenue femme comme le faon devient cerf. Mais il y a eu la Bête.

*

C'était la nuit. C'était loin du village. Grizzly Funeste fait cela parfois. Il emmène sa sqaw et ses papooses au coeur de la jungle. Plus aucune distraction ne les éloigne alors de la connexion primale, l'essentielle, celle de Mère Nature. Plus aucun rempart ne les protège des bêtes, dont, Grizzly le rappelle, ils sont les égaux, jamais les maitres. C'est important. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, Blood sait entendre, voir, et se défendre.
Pas ce soir là, toutefois.

C'était la nuit. Que la Bête est venue. Elle peut s'en souvenir, mais pas longtemps. Si les souvenirs s'attardent, ils s'accrochent, lacèrent les parois de son crâne, font chanceler tout son corps et son âme, avec. Dans le ventre du sommeil, où tout est noir et béant, les souvenirs s'immiscent et s'incarnent. Alors elle voit le massacre. Les visages déchirés de son frère et sa mère. Le rouge qui gerbe sur la terre, les troncs, son visage à elle. Les griffes qui tailladent son buste, ses membres, arrachant les vêtements et la peau. Le rouge, le rouge, le rouge. Le rouge partout sur la Bête, énorme, monstrueuse, abominable, à l'odeur de mort.

C'était la nuit. Que Nashashuk s'est enfuie à la force de son désespoir, puisque son père lui a tout, tout appris pour qu'elle survive, et qu'elle survivra. Juste assez. Que Nashashuk, un sanglot coincé dans la gorge qui retient l'air de pénétrer ses poumons, galope comme le vent dans l'immensité noire de la forêt. Son petit mustang a fui la Bête. Peut-être est-il mort lui aussi. Chaque fragment de corps hurle une douleur innommable.
Que Nashashuk entend le souffle de la Bête, dans son dos.

C'était la nuit. Que les yeux brouillés de larmes, d'ombre et de rouge, Nashashuk percute une silhouette inconnue qui brise une course effrénée. Le Baron Forêt. Qui retient ses coups, recueille ses rugissements, calme l'orage qui secoue son être. Nashashuk continue de crier, de se débattre, même sans force, presque sans vie. Enduite de ce rouge qui semble infiltrer chaque pore, chaque interstice.
Elle beugle, elle glapit, sa voix s'éraille, elle n'est que furie.

IL VA ME TUER !! Lâche-moi, lâche-moi ! Il va me. Hoquet. Tuer... mon frère... ! et ma mère ! Tué mon père ! LÂCHE MOI ! LÂÂÂCHE MOIIIII !!!!  

Elle mord, frappe, attrape l'air pour s'extraire de l'étreinte qui l'oppresse, qui l'empêche de fuir. Et la Bête approche, elle l'entend, elle le sent.
La Bête est là. Son haleine chargée de fer étouffe Nashashuk, ses grognements enflamment son coeur, déchaine son épouvante. Elle va mourir. Elle meurt.

*

Ils l'ont appelé Blood. Ils l'ont appelé Blood parce qu'à son arrivée, elle était couverte de sang. De rouge. Ils l'ont accueilli. Ils l'ont sauvé. Il l'a sauvé. Au début, elle ne sortait pas. Ses yeux, que dans son affolement halluciné le Baron Forêt Sindri avait coloré de rouge, se fermaient sur le monde dès qu'il s'imposait à elle. Le monde abritait la Bête.
Blood n'avait pas de souvenir. Sous ses paupières closes, lorsqu'elle ôtait le couvercle qui recouvrait le passé enfoui, elle ne voyait rien d'autre que des éclairs de rouge. Blood sait que quelque chose s'est passé. Quelque chose d'horrible. C'est tout. Quand les paupières éclosent, les cris se taisent et les éclairs s'effacent, même le rouge des fruits mûrs et des pétales de rose a disparu.

Et peu à peu, tandis que la Mère des Chasseurs veillait sur ses jours et ses nuits, la vie est revenue en elle. Le tambour s'est adouci, les yeux se sont ouverts. Elle a pris part à l'aventure infinie des enfants de l'Arbre. Avec un masque, toujours, mais avec courage.
Pourtant Blood n'est pas chez elle ici. Ce n'est pas son peuple, ce n'est pas sa famille. Elle devrait rentrer. Elle devrait leur dire, aux siens, aux vrais siens. Savent-ils que trois de leurs frères sont morts ? Savent-ils qu'elle est vivante ? Je suis vivante. Je suis vivante ! M'apporterez-vous, vous, la chaleur d'un foyer, puisque le mien n'est plus ? M'aimerez-vous encore, alors que j'ai fui, alors que ne n'ai même plus de nom ? ...
Parfois, elle s'approche du village de l'Ours, tout doucement, comme quand elle chassait avec son père. Elle mesure son souffle et fixe son regard. Elle avance, pas après pas. Apeurée, exaltée, attirée. Le tambour intérieur s'agite. Mais toujours ses pas reculent avant de franchir la ligne imaginaire, puis se détournent, dérapent, détalent. Elle ne ressemble plus à une Chasseuse alors. Elle n'est rien d'autre que proie, poursuivie par les invisibles prédateurs que sont la honte et la peur.
De toutes façons, plus personne ne l'attend, là-bas.

Les enfants de l'Arbre la regardent bizarrement, tandis qu'elle tend son arc, qu'elle tresse ses bijoux, qu'elle rassemble sa collection d'os. Parfois, un élan étreint son coeur et la pousse à venir à eux. Ils sont braves et aimants à leur manière. Mais le souvenir de Sahale, de Grizzly, de ses rêves de grande guerrière, la retient. La crainte de l'Oubli la retient. Car si les fils de l'Esprit Soleil s'accommodent du vide de leur mémoire, Blood n'y arrive pas. Elle voudrait se souvenir. Elle voudrait comprendre. Elle voudrait connaitre son histoire, recoller les morceaux éclatés.
La tentation est ardente, bien sûr. Dans ces humeurs fragiles, Blood se prend à penser qu'elle devrait tout enterrer, se laisser aller à l'insouciance abyssale des Garçons Perdus. C'est ainsi qu'ils résistent à la douleur et au trépas, eux. Mais au fond d'elle-même, quelque chose la tire en arrière. Blood est une guerrière, et c'est contre les assauts tentateurs de l'Oubli avide que se mène son plus grand combat.

Elle ne le dira pas, jamais, qu'elle aurait voulu grandir. Quelle terreur d'avoir même oublié la face de celui qui, nos parents, a tué. Un jour, quand elle sera assez forte, les bouts éparpillés de ce visage se resoudront. Quand elle sera assez forte, elle l'affrontera dans sa mémoire. D'abord, survivre.

"Attends", Grizzly disait.



Vermillon

♐   Un masque de peinture sur le visage. Tous les jours il change, mais toujours il est noir et blanc. C'est Nadie, du temps où Nadie était femme, qui lui a enseigné l'art de la peinture du corps.

♐   Blood aime les peaux de bête, elle en porte toujours. Sa préférée est une peau de loup, mais elle ne l'a pas chassé, elle l'a accompagné dans la mort alors qu'un mal étrange le consumait. Elle porte aussi, encore, beaucoup de vêtements Piccaninny rapportés par les Garçons Perdus.

♐   Blood aime les ossements. Elle se coiffe souvent d'un crâne de lycaon. Elle aime recomposer des squelettes d'animaux et dort entouré d'os divers. Sa tenue est constellée d'ossements et ses armes sont toujours fabriqués à partir de morceaux de squelettes.

♐   Blood est rasée sur un côté de la tête. Au début, elle avait juste les cheveux arrachés, arrachés par la Bête qui la poursuivait. Après, elle a continué de se raser, comme les braves de sa tribu. Un peu pour faire comme Lacerate, aussi.

♐   Blood est la fille de Grizzly Funeste, mais elle croit que la Bête a tué son père, comme Grizzly pense que la Bête a tué sa fille. Blood ne se souvient plus du visage de la Bête. Il n'était pas humain, pas vraiment, ça, elle le sait.

♐   Blood ne voit pas la couleur rouge, ou que dans les cauchemars. Mais elle reconnait le sang. Le sang a une odeur.

♐   Le seul vêtement de Blanc que Blood a déjà porté, c'est un sweat-shirt dont l'imprimé représente une cage thoracique. Blood aime vraiment les os.

♐   Blood aime tresser des bracelets et des bijoux pour les cheveux. Elle en donne, parfois.

♐   Blood a deux plumes, noires et blanches, dans les cheveux.

♐   Blood aime les armes. Pas celles des Blancs, celles de son peuple. Son arc est son bien le plus précieux, aussi essentiel que son masque, que ses os. C'est son père qui l'a conçu. Dessus, gravés, des figures nobles d'ours et de lycaon, et puis des arabesques comme celles que Nadie lui a appris à tracer, comme celles dont elle orne sa peau dilacérée. Blood en prend soin. Elle taille ses flèches elle-même. Blood a peur, Blood a honte, oui, mais Blood sait se battre. Son père l'a aguerri. C'est Sharpy qui l'entraine maintenant, au tomahawk, au sabre, au couteau. Il dit qu'il ne faut pas gâcher ses capacités. Ainsi Sharpy regonfle un peu le coeur fier de la Sauvageonne.

♐   Blood aurait voulu devenir forte, devenir brave, devenir grande. Elle aurait capturé l'essence du lycaon, et d'ailleurs elle quête toujours la piste d'un lycaon. Elle aurait été une guerrière. Mais Blood doit rester enfant pour ne pas mourir. Alors Blood tente d'être une enfant guerrière. L'âme de Blood est toujours celle d'une Piccaninny, dans ses croyances, dans son lien à la terre, dans sa combativité obstinée. Blood ne se laissera pas abattre. Si la Bête ne l'a pas eu, rien ne l'aura.

♐   Il y a parfois quelque chose qui s'agite dans l'âme de Blood. Quelque chose de violent, de sanglant, qui semble la consumer. Cela lui donne envie de blesser, de mordre, même de... de tuer. Son regard se fige, assailli de flashs où défilent les mêmes images : elle-même qui saute, arrache, déchire, fait couler le sang. Ce ne sont que des images, heureusement. Que des rêves éveillés, qui laissent dans la bouche un goût de fer et dans le coeur une drôle d'impression. Elle se répète que ce n'est rien, il le faut, car l'ombre de la Bête n'est jamais loin.





Écarlate

Le visage de l'enfant est dur, les traits taillés, ses cheveux sont très longs et très noirs, sa peau brune, son corps vigoureux. Les yeux de l'enfant, rouges.
Ses pieds nus s'enfoncent dans la mousse soyeuse du Bois Joli. Son organisme est fatigué par les humeurs de la Pluie, mais cela ne trouble pas l'enfant. Le bleu est si contraire au rouge, il l'apaise, l'adoucit. Et même si les proies bleuissent aussi, l'enfant les repère toujours autant. L'enfant est une bonne chasseuse. Sa Cheffe l'a dit, sa Mère l'a dit.
Aujourd'hui, l'enfant chasse un blaireau. L'enfant Elle est seule. Elle espère supporter les possibles plaies qui sailliront sur la carcasse. Sinon, elle l'enveloppera vite dans un linge et l'offrira à un Chasseur à son retour. Ils savent, de toutes façons.

Le blaireau l'a repéré. Il détale, Blood le poursuit. Silencieuse comme une ombre, rapide comme un chat. Mesure ton souffle, fixe ton regard. Tu peux le faire.
Elle glisse sous une racine surélevée, enjambe un rocher, sa course est souple et légère. Ses yeux n'ont pas quitté la proie. Elle le voit se faufiler dans une sorte de clairière enveloppé d'arbres penchés, leurs branches étrangement enlacées. Un des lieux sacrés du Bois. Elle s'y engouffre à son tour. La chasse n'a rien d'impie, pour un Piccaninny.

Pourtant, quand elle pénètre le lieu, il est déjà profané. Deux petits corps gris jonchent le sol. L'odeur froide de la mort infiltre aussitôt ses narines, elle hoquette mais demeure. Un bruissement, juste à côté, tend ses muscles tout à coup. Sa tête pivote, elle s'accroupit, guette. Et s'approche silencieusement, prudente, féline.

Un pirate. Il est blessé, mais conscient, adossé à un tronc. Il a l'air malade. Il rigole faiblement en jouant avec une arme vernis de gris. De sang, donc. Blood déglutit. Des perles de sueur tapissent ses tempes, sous la crinière noire. Encore quelques pas...

Je t'ai vu, petit.

Parfois, on prend Blood pour un garçon. Blood rectifie toujours, mais aujourd'hui, sa voix est endormie quelque part dans sa gorge. Elle se redresse, tête et arc baissé, le corps droit comme une lance.

Ce sont tes petits copains ? Pas de réponse. Mon copain à moi en course un autre. J'espère qu'il m'a pas oublié. J'irai pas loin, avec ça.

Il exhibe son bras dégoulinant de gris. Les paupières de Blood papillonnent, l'étreinte de ses doigts contre l'arc se relâche. Tiens bon. Tu es une guerrière. Tiens bon.
L'autre se relève. Blood recule avec précipitation, bandant son arc.

Je vais rien te faire, petit. Moi ce que j'aime, c'est jouer avec les morts.

Les mots du pirate glacent son sang.
Il s'approche d'un des corps et se met à arracher les vêtements. Blood observe, tétanisée, pétrifiée. Il arrache, arrache, des petits bouts de tissu. Puis il sort un sabre court et, d'un coup sec, l'enfonce dans la peau de l'enfant. L'enfant ne bouge pas, il parait dormir. Blood, elle, tombe à genoux. Des bestioles invisibles grouillent sous la peau de son visage. Ça l'engourdit.

Regarde-moi ça. Si tendre. Paf, paf paf.

Chacun des paf s'illustre d'une nouvelle déchirure dans la chair de l'enfant. Le sabre embrasse la chair et la dépèce, morceau par morceau. Comme. Comme des griffes.
Éclat rouge. Blood est sûr d'en avoir vu un. Elle cligne des yeux, ses paupières brûlent.
Paf, paf, paf.
Les bestioles ne grouillent plus, elles s'embrasent.
Paf, paf, paf.
Un incendie intérieur grossit dans son estomac. Elle reconnait ce tambour-là, qui annonce les images sanglantes devant les yeux.
Paf, paf, paf.
Blood se redresse. Elle ne sent plus le contact de la terre, l'odeur de la forêt, l'extrémité de ses doigts.
Paf, paf, paf.
Elle ne sent plus la peur.
Paf, paf, paf.
Elle sent autre chose, de partout, une pulsion irrépressible, une soif.
Paf, paf, paf.
Tout est rouge.
Paf, paf, paf.
ELLE BONDIT.


*


Le reste, elle ne se souvient plus. Encore un souvenir englouti par la bouche de l'Oubli. Elle semble s'éveiller d'un sommeil opaque, étendue sur un corps poisseux. Un cadavre.
C'est le pirate, méconnaissable. Sa figure est défoncée de lacérations. Le sang recouvre presque chaque centimètre d'épiderme. Les vêtements, tailladés, sont imbibés. Une des orbites est vide. Plusieurs doigts manquent. Des touffes de cheveux et des dents s'éparpillent autour du crâne.

Dans sa bouche, le goût du fer. Le goût du. Sang !!
Blood se projette en arrière, haletante et gémissante. Ses bras sont couverts d'écarlate. Ses lèvres crachent des morceaux de chair. Sous ses ongles crasses, des morceaux de peau. A côté de la dépouille défigurée, massacrée, son couteau. Écarlate aussi. L'évidence creuse son sillage jusqu'à sa conscience.
Blood secoue la tête, les larmes coulent sur le maquillage, mais le sang l'a déjà gâté, de toutes façons. Elle se redresse, se cramponne à un tronc d'arbre. Elle vomit, vomit, vomit, des gerbes jaunes, vertes, rouges, puis plus rien que de l'eau. Son coeur tremble, son coeur cogne, ses tempes vrombissent. Son regard vermeil balaye les arbres millénaires, innondé de supplications muettes. Pardonnez-moi.

Elle s'enfuit alors, s'enfuit encore, en direction de la Rivière. Personne ne doit voir le rouge sur son corps. Personne ne doit savoir. Ce n'est pas tant le fait d'avoir tué un pirate qui provoque de tels sursauts dans son intérieur. C'est le souvenir, déjà flou mais cuisant encore, de cette sensation quand sa violence a éclaté, quand ses propres mains, ses propres dents ont défoncé la chair. Cette sensation de... d'euphorie. Les larmes jaillissent de plus belles, elles viennent saler la rivière.
Quand elle voit son reflet trembloter dans l'eau, qui emporte loin d'elle les souillures redevenues grises, Blood croit voir la Bête.

Mais non. Non. Blood n'est pas la Bête. Elle n'est pas la Bête, elle n'est pas la Bête.
Elle se le répète encore et encore, sans cesser de frotter ses bras et sa bouche, longtemps après que le sang fût lavé. Elle se sent comme possédée d'un mal. Maudite. Elle ne laissera plus jamais cette soif submerger son âme et salir son honneur. Elle ne deviendra jamais, jamais, Bête.



Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? SakriPAN
Et un âge ? toujours aussi jeune
C'est quoi ton Avatar  ? Une illustration de Loish que j'ai beaucoup retouché.
Comment t'as découvert l'île ? dans moi
Tu la trouves comment ? dans moi
Dis, tu crois bien aux fées ? AOWH
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty22.07.17 11:04

VENDREDI


Trucs

Surnom : La Canaille
Groupe : Bayou
Age : 18 ans
Rôle : Guédé


Ou se zanj dlo
kite m neye rèv pa m
an dayiva
n'on lanm k'ap boukle chive l

La maisonnette est toute tordue. Elle s'élève sur plusieurs étages et chaque étage semble vouloir connaitre une existence propre. Libre et insensée. Tordue.
La maisonnette est toute bariolée. Elle détonne dans le paysage verdâtre du Bayou. Du rouge, du jaune, du violet, et du bleu, beaucoup de bleu. On dirait qu'elle tire la langue aux arbres obscurs qui l'encerclent.
La maisonnette est toute encombrée. De babioles, de mobiles, de grigris accrochés aux murs et aux toitures. Ils sont en os ou en bambous, et ils représentent des crabes, des requins, des bateaux. Il y a des masques aussi. Beaucoup d'arrêtes de poisson. Tout est bancal, à la fois méticuleux et maladroit, on dirait l'oeuvre d'un enfant.

A l'intérieur de la maisonnette, tout est en bois sombre, gris. Mais chaque mur est submergé de fresques, de gribouillages, de symboles châtoyants. Certains se chevauchent, se recouvrent ou se suivent. Certains semblent raconter des histoires, d'autres sont indéchiffrables. Il y en a même des ridicules, des immatures, qui représentent des grosses dames ou des pénis mal faits. Les couleurs sont très vives et très diverses, et les paysages semblent bouger à mesure que les yeux les effleurent. Des vagues, des esquifs, encore des masques, encore des bâteaux – l'un revient toujours, et sur sa coque est écrit IMMAMOU –, mais il y a aussi des sirènes, et des papillons, et des soleils, et des îles, et des créatures imaginaires, et des forêts, et des squelettes, et des filles, et des planètes, et tant de choses encore.

L'escalier qui mène à l'étage est obstrué de dessins et de ce qui ressemble à des guirlandes, ou des queues de cerf-volant. Dans le bois des marches est encore gravé ce petit bateau grossier. IMMAMOU.
Dans la chambre principale aussi, il y a des fresques et des pendules et des mobiles partout, accrochés aux plafonds ou abandonnés sur le sol. Il y a aussi des bougies et des noms de filles incrustés dans le bois. Parfois, il y a des coeurs, ou des "mwen renmen ou"* à côté. Au milieu des toiles de peinture bigarrées, il y a un grand lit aux draps blancs.

La fille se redresse et glisse jusqu'au bord du lit. Ses gestes sont un peu pressés. Le garçon allume une sorte de pipe qu'il a bourrée avec de l'herbe. Il inspire, expire, et sa voix demande :

Pourquoi tu pars ?

La fille sourit vaguement mais ne le regarde pas. Elle enfile une tunique.

Tout le monde n'a pas la chance de passer sa vie à barbotter... Baron.

Le regard doré du garçon se trouble, il a un bref sourire sans joie. Il a l'air gêné, mais ça ne reste pas longtemps.

Je passe pas ma vie à barbotter...
C'est vrai. Tu barbottes, tu joues avec les tétards et les zombies, tu fumes de l'herbe et tu avales des champignons, tu bois, tu manges, tu dors, et puis tu danses ! Et tu couches avec toutes les filles.

Le garçon se redresse.

Je ne couche pas avec toutes les filles.

Elle se tourne vers lui et lui adresse un drôle de regard, un peu tendre mais pas que.

Tu fais ce que tu veux, Panzou. Je ne te demande rien. On s'amuse bien, c'est bien.
Mais arrête, je t'aime.

Elle se lève d'un coup, se dirige vers un miroir et se met à brosser sa chevelure crépue frénétiquement.

Bien sûr, Panzou, bien sûr. Tu m'aimes. Tu m'aimes comme tu as aimé toutes les autres. Comme tu en aimeras d'autres. Je sais que tu m'aimes. Je sais que tu as besoin de...
De quoi ? il a l'air plus irrité maintenant, mais c'est rare qu'il s'énerve.
De plus. Toujours plus. Ce n'est pas de ta faute, Panzou. Tu es né comme ça, j'imagine. Tu es le fils de Maman. Tu es fils de la mer. Le dernier, en plus. Tu ne peux pas te contenter de... D'une fille comme moi.

Elle se tourne vers lui. Il la fixe, il a l'air perdu. Il ne fume plus.

Tu ne comprends pas, pas vrai ? C'est pas grave. Je t'envie, tu vois. Toi, toi tu veux juste vivre, toi tu sais profiter de chaque instant, tu trouves toujours quelque chose à ressentir, c'est ta nature. Tu trouves le plaisir partout et tu le laisses grandir en toi. Tout ce qui t'importe, c'est de sentir des choses. Par ton corps, juste par ton corps. Par tous tes sens. Quand je te vois t'enfoncer dans l'eau des rivières ou dans tes délires aux champis, tu vois, j'ai jamais rien vu d'aussi libre. Rien ne te retient, rien ne te perturbe. Tu as de la chance. Tu sais ?

Il la fixe toujours, mais il ne répond pas.

Laisse tomber.
Mais qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi tu dramatises d'un seul coup ?
Sa a pral.

Il se lève, s'approche d'elle, la serre des deux bras.

Allez, arrête de parler de ça... Viens, on retourne dans le lit.
Oui hein, on va pas se mettre à parler, comme des adultes, quand même.

Panzou s'écarte d'un mouvement rageur et se dirige vers sa table de chevet. Il n'a pas aimé le sarcasme. Il n'aime pas le sarcasme. Il en sort une bouteille à demi-remplie d'un liquide brun.

Tu vas boire ?

Panzou ne dit rien, il décapsule la bouteille et boit une grande gorgée.

Le grand Baron Vendredi qui fuit le moindre petit conflit. Heureusement qu'il a toutes les réserves d'alcool qu'il veut. Si ça se trouve, tout le monde se moque de toi.

Il hausse les épaules.
C'est dur de dire s'il s'en fiche ou s'il fait semblant.

Tu t'en fous ? Comparé à tes frères...
Ne parle pas de mes frères. Tu les connais pas. Pourquoi tu parles de mes frères ? J'ai aucun problème avec eux, moi.

Panzou les aime, ses frères. Panzou recherche leur affection, toujours. A sa manière. Depuis qu'il est tout petit, Panzou aime ses frères.
La fille se tait à son tour. Ses yeux brillent. Panzou ne sait pas pourquoi. Il voudrait qu'elle parte maintenant.

Ta mère, qu'est-ce qu'elle dit ?
Quoi ? Ma mère ne dit rien. Elle me dit d'être heureux.
C'est vrai qu'elle t'apporte des filles, parfois ?

Il hausse les épaules. Pas vraiment pour dire "je sais pas", plutôt pour dire "c'est important ?".
Pour lui, pour Maman, ce n'est pas important.

Elle te couve trop.
Tu ne devrais pas critiquer Maman Brigitte.
Oui. Je sais ce qu'elle fait à ceux qui te font du mal. Je sais comme elle est puissante. Et tu l'es, toi aussi. Tu pourrais l'être. C'est juste que tu préfères danser, nager, te défoncer et baiser !!

L'amertume qui a grimpé dans ses mots le glace. De petites zébrures d'un bleu turquoise très vif lézardent sa peau caramel.

Je ne comprends pas ce que tu as. Tu n'as qu'à partir, si tu es si en colère.

La fille a une sorte de ricanement acide.

Oui, c'est ça. Je vais fuir. Comme toi, toujours. J'irai trouver du réconfort dans les bras d'un type, parce que j'ai un insatiable besoin d'affection, et puis on dansera, on boira, on rigolera, on se fera des bisous. Après il me sautera toute la nuit, et je vais jouir, alors je me sentirai vivante. Et le lendemain, je recommencerai, parce que j'aurais trop besoin de me sentir vivante, que ce besoin sera urgent, impérieux, que sans ça j'aurai l'impression que je vais imploser, que je vais crever. Tant pis si en moi, y a un pouvoir de fou dont je me sers pas, ni pour moi ni pour les autres, tant pis, puisque je veux juste jouir, jouir de tout mon être, dans l'eau, dans ma tête, dans le ventre d'une ...

Une porte claque.
Panzou est parti. Au passage, un grigri tombe du plafond et se brise par terre. La fille le ramasse, une larme se brise par terre aussi.
Elle court à la fenêtre. Panzou est sur la plateforme qui entoure la maison, et donne sur l'eau. Il se tient là, torse nu comme souvent, avec son vieux pantalon blanc qui lui serre la taille et les chevilles, avec ses dreadlocks bleues et ses tatouages luisants. Avec son air bête.

Tu sais ce que tu es ? dit la fille.

Il se tourne vers la fenêtre, la regarde, naïf, patient, et son expression semble vouloir incarner les prochains mots de la fille.

Tu n'es qu'un enfant.





Baron Vendredi court sur l'eau, dans le marigot qui enlace le Bayou. Des bandes de tétards et de poissons frétillent dans son sillage. Il les attire, comme ils l'attirent. Les vagues épousent ses pieds nus.




depi m fèt
m ap trennen vi m
n'on ke pwason
Simbi marye ak mwen
yon peny an lò
nan de grenn mo

- Sa maman l'a surnommé Panzou quand il était petit. Ça signifie "jeux d'enfants".

- Panzou est le dernier fils de Maman Brigitte. Sa maison biscornue et bariolée se situe non loin de celle de sa mère. Il a encore beaucoup besoin d'elle.

- Quand Panzou pleure, il pleure de très grosses larmes salées, qui peuvent remplir une baignoire.

- Panzou a les dents du bonheur comme tous ses frères.

- La peau se Panzou s'assèche très vite. Quand il s'échauffe sous l'effort ou la contrariété, elle se lézarde de fissures très fines d'un bleu clair extrêmement vif. La peau de Panzou est aussi ornée de multiples symboles entre le tatouage et la peinture. Il s'agit d'un sortilège de son frère Mardi, qui le force à demeurer dans l'enceinte de l'île. Sinon, Panzou irait dans le fond des mers et ne reviendrait plus.

- Panzou est le fils de l'esprit des eaux, Agwe. D'autres légendes parlent du dragon Léviathan ou du démon Jörmungandr. Ce sont des formes d'Agwe. Panzou est lié à toutes les eaux. Il est lié aux torrents, aux rivières, aux lacs et aux océans. Panzou ne se souvient pas de son père. Il pense à lui tout le temps. Il est obsédé par les bateaux.

- Panzou a hérité de beaucoup de superstitions des marins. Il a très peur des lapins, qui portent malheur. Même le mot lui fait peur.

- Panzou n'a jamais appris à léviter ou à faire marcher les morts. Il préfère nager.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?
ÉCRIRE ICI


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ? Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
ÉCRIRE ICI


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
ÉCRIRE ICI




Men yon pwèm
Lasirèn mo
W a ede m janbe chagren
an janm de bwa
n'on fèy papye

Panzou a -1 jour.
Dans le ventre de sa mère, il nage déjà, il rit déjà, la vie pulse déjà en lui avec une force digne des tempêtes. Il sent que le monde est prêt à l'accueillir en son sein, et qu'il va sortir du ventre de la mère pour se répandre dans celui de la mer. Maman Brigitte aussi le sent, et elle marche vers la côte, vers les vagues qui s'agitent, déjà. Les frères suivent, derrière elle. Elle avait prédit que ce serait ce jour-là.


Panzou a 0 jour.
Quand son petit corps est expulsé dans la mer qui vient lécher les cuisses de Maman Brigitte, l'eau infiltre aussitôt ses poumons et pénètre sa peau. Il devient bleu, tout bleu, d'un bleu sombre comme les profondeurs. Un rayon de soleil qui danse sur les flots se glisse sous sa paupière. Il crie, gigote, se noie, meurt et vit.
Des bans de poissons, des calamards, des requins, enveloppent le petit corps tout bleu, dont les larmes forment de grosses bulles luisantes. On dit qu'un grand serpent de mer apparait à son tour et tourne en cercle autour du petit corps bleu. Les légendes lui donnent beaucoup de noms. Maman Brigitte l'appelle Agwe.
Maman Brigitte s'est relevée, ses cuisses sont encore poissées d'un liquide bleu sombre que vient laver l'écume. Elle attire son enfant à elle et l'enveloppe d'un linge humide, même si l'enfant est déjà trempé. Il en a besoin. Elle attrape son petit poignet et ouvre la paume. A l'intérieur, un symbole a imprégné la peau. C'est un bateau. IMMAMOU.


Panzou a 7 ans.
Il vit dans une coquille. Une coquille imaginaire. Il est le dernier des enfants de Brigitte et s'il est la moule, Brigitte est son rocher. Elle le protège et l'aime comme tous ses fils, mais c'est le seul à être encore un petit, sa coquille est encore plus dure. Pour l'instant, Maman Brigitte le préserve des rituels, des réunions, des cérémonies. Il a parfois le droit de rester quand un client vient la voir dans son repère et Panzou remarque que le client a souvent une capuche. Il joue avec les zombies, avec les animaux, et avec les vagues. Surtout avec les vagues. Il peint, il peint beaucoup. Des bateaux. Panzou ne connait pas la douleur, ni l'effort, ni la peur, ni la peine. Sa coquille est efficace. Et quand on dit de Panzou qu'il est enfant du diable, et que la bouche de son père est la porte qui mène aux Enfers des chrétiens, et qu'il est né de la semence du chaos, Panzou a ce regard un peu vide, un peu naïf, et il ne laisse pas ces mots-là l'atteindre. Ce n'est pas important.
Demain, Maman Brigitte l'a prévenu, la coquille sera transportée dans un autre monde. Panzou a demandé une question. Est-ce qu'il y aura la mer ?
Maman Brigitte l'a regardé de ses yeux noirs, lui a baisé la joue de ses lèvres noires, et a répondu : oui.
Panzou a souri. Il a les dents du bonheur, lui aussi.





dra ble
a kouvri kè m
w'a tounen vwal ki fè vwayaje


Panzou a 12 ans.
Accroupi à la bordure de l'eau, juste à l'entrée du Bayou, il fixe la femme qui discute avec le grand Cham. Ses mains sont couvertes de boue, et chaque fois qu'il trempe un doigt dans l'eau, une nuée de têtards s'agglutine autour en frétillant. Sa peau est brune et ses cheveux sont mille nuances de bleu. On dirait des algues sèches qui caressent la peau nue de son torse, car ils sont longs quand il a 12 ans. Ses yeux sont deux morceaux des reflets du soleil qui scintillent sur l'eau. Ils vont de la berge à la femme et de la femme à la berge, un peu malgré lui.
La femme le fascine. Sa peau est aussi blanche que les yeux du vieil aveugle Patekwé. Il la fixe sans gêne, sans violence non plus. Elle l'attire. Elle le sait, et son rourire est enjôleur. On dirait qu'elle utilise ses gestes, son rire, son regard, sa chevelure, tout pour attirer le regard de Panzou.
Elle vient. Panzou détourne ses yeux soleil et s'approche un peu plus de l'eau. Des crevettes viennent chatouiller ses orteils.

Alors, il parait que tu es un Baron ?

Il acquiesce tranquillement. Il ne connait pas l'intensité sacrée du titre. Il ne connait pas grand chose encore, Panzou.
La femme approche encore. Panzou peut sentir son parfum, et il est très fleuri, très sucré, ça fait des rondes dans sa tête.

Ta mère n'est pas là ?

Il fait non de la tête. Maman Brigitte est en séance. Elle lui a dit "va voir ton père, Zouzou". Panzou a rejoint l'eau, alors.

Pourquoi tu es là ?

Qu'elle est belle, cette femme blanche. Les yeux soleil de Panzou la décortiquent lentement. Elle le voit, elle sourit, elle s'approche encore et son parfum de fleur semble vouloir rejeter l'astmophère poisseuse et salée du Bayou. Elle se baisse, et les yeux soleil se plaquent contre la courbe de ses seins. Ils ont du mal à s'en détacher.
On croirait qu'elle fait exprès.

Je suis venue chercher quelques ingrédients. Je travaille dans un endroit où on fa brique des rêves. Parfois, on a besoin d'un peu d'aide.

Il hausse un sourcil. Ses sourcils aussi sont bleus.

Ma mère dit que ce sont les esprits qui font les rêves. Ils nous font voir des choses. Ils nous parlent. Si je rêve de la mer, ou de la rivière, ou de la pluie, alors c'est mon père qui me parle.

Il sourit, révélant ses dents écartées.

Si tu es le dernier des fils... Tu es l'enfançon de celui qu'on nomme Léviathan. Le démon.

La main de Panzou s'enfonce dans la boue, ça fait des bulles. Les algues filandreusent ondulent.

Maman Brigitte dit que le mal n'existe pas, et que les démons et les esprits sont pareil. Elle appelle mon père Agwe, et c'est le protecteur des pêcheurs.
Des pêcheurs. Ha ha ha !

Elle rit en rejetant sa tête en arrière, et Panzou se met à rire aussi, même s'il ne sait pas pourquoi.

Tu es intelligent. Et tu es beau ! ajoute-t-elle en s'accroupissant à son tour, passant une main dans ses longues dreads couleur de ciel.

Intelligent, Panzou ne l'est pas tant. On dit plutôt l'inverse. Beau, il sait qu'il l'est, car ça, on le dit. Il sourit.

Veux-tu voir où je vis ? Elle sourit. Ses lèvres sont très rouges.
Je ne dois pas partir de là. Quand je suis loin du Bayou, et loin de l'eau, ma peau devient comme du papier.
Aussitôt ?
Non, mais c'est que j'oublie de rentrer. Et je n'ai pas de sens de...
De l'orientation.

Il hoche la tête. Il est un peu triste, au fond, il voudrait venir.
La femme blanche le sait.

Je te raccompagnerai. Dès ce soir. Allez, viens.

Elle dépose un baiser sur sa joue et le relève. Panzou abandonne ses tétards et suit la femme blanche.
Tandis qu'il s'en va, l'eau du Bayou semble tenter d'attraper ses pieds, mais il ne remarque pas.





La chambre est rouge, comme le manteau de Dimanche, comme les lèvres de la femme. Panzou n'est pas très à l'aise. Sous la chambre, il a vu plein de Blancs allongés sur des couches, qui fumaient et parlaient tout seuls. L'odeur était agréable, mais ne ressemble pas à ce que Panzou connait. La femme blanche a fermé la porte.

Tu as déjà touché une femme, petit baron ?

Elle dégraphe sa robe, et Panzou, debout, la regarde sans rien dire. Dans la pénombre, sa propre peau semble très sombre. Presque bleue.

Je suis sûre que tu aimerais. N'est-ce pas, petit baron ?

Il n'y a jamais pensé, Panzou. Mais c'est vrai, c'est vrai que ses yeux avalent le corps de la femme blanche. Est-ce que ça veut dire qu'il a envie de la toucher ? Il ne se sent plus très bien. Il a soif. Il fait claquer sa langue dans sa bouche.

Tu as soif ? Attends...

Elle lui tend une petite bouteille de liquide jaune, avec des bulles. Panzou boit une gorgée, tousse et crachotte en rigolant.

C'est quoi ?
Du champagne. Il parait que ton père adore le champagne.

C'est vrai, Maman lui a dit.

Maintenant, je vais te faire essayer autre chose.

Pendant que Panzou finit toute la bouteille, parce que comme son père, il adore ça, la femme blanche sort une longue flûte.

C'est quoi ?
Une pipe. C'est ça qui inspire les rêves. Du moins, certains rêves.

Elle s'occupe de la pipe, et pendant ce temps Panzou s'allonge sur le lit, en étoile de mer. C'est toujours comme ça qu'il dort, en étoile de mer. Il se sent bien, même s'il a de plus en plus chaud.

...
Quand la fumée entre en lui, quelque chose s'effondre à l'intérieur. Ça ne fait pas vraiment mal, en fait ça fait même du bien. C'est comme s'il se débarassait de sa peau, comme les crabes. Il se sent monter tout seul, c'est vertigineux et délicieux. Il est léger, et lisse, et nu. Oui, d'ailleurs, il est nu, puisque la femme blanche a retiré son pantalon. Il y a encore une petite voix en lui qui dit "non" ! Mais ça devient dur de la distinguer, à travers la fumée.

La femme blanche parle et sa voix est grave, aigue, loin et près, la voix est comme la fumée et s'introduit partout dans lui. Panzou rit, un autre Panzou pleure, sous la fumée.

Tu aimes, ça ?

Quoi, ça ?
Ça, la fumée ?
Ça, le champagne ?
Ça, la main qui glisse sur la peau, qui gratte et ondule, comme une petite anguille. Non, pas comme une petite anguille. Les anguilles ne vont jamais jusque . Pourtant, ça l'électrise, Panzou, et d'ailleurs il hoquette, il ne sait même pas si ça fait du mal ou du bien. Un Panzou aime, un Panzou n'aime pas. La femme blanche rit et prononce des mots qui lui donnent chaud, toujours plus chaud, qui l'angoissent et l'assomment en même temps. Il respire de plus en plus vite, de plus en plus fort.
"Petit baron, laisse-toi faire petit baron, tu sais que tu en as envie petit baron, moi je le vois petit baron, regarde, regarde, comme ça se voit ! Je vais te montrer petit baron, tu vas connaitre le plaisir, tu verras comme tu aimeras, viens petit baron, viens en moi "...

La voix de la femme résonne si fort, et son corps est si vaste, si brûlant. Ou est-ce lui qui brûle ? Il se souvient de la brûlure de Dimanche, et c'est presque pareil.
La voix de la femme lui demande s'il veut ceci ou cela, et la voix est si douce, si suave, si pareille à la fumée. Elle touche, avance, absorbe, contrôle, donne et prend, donne tellement et prend tellement.
Il s'entend dire oui, de loin, comme si ce n'était pas lui. Il a l'impression qu'on a séparé son corps et son esprit. Ça hurle de joie et de terreur, très loin, très loin dans lui.

"Perit baron, comme tu es plein de vie... Comme tu es plein de force... Quelle énergie circule en toi, petit baron, je la veux, je veux la voir, donne-la moi, petit baron."

Les mots de la femme, et ses cris, ses soupirs, tout se mêle à la fumée et devient un manège qui tourne bien trop vite, où l'on n'a pas le temps de définir les contours des paysages et la gravite de ce qui se passe, on n'a pas le temps, ne restent que les sens, qui ne nous appartiennent plus. Il ne s'appartient plus.

Chacun des contacts de la femme l'enflamme, d'abord entre les jambes et puis dans tout le corps, jusque sous les ongles, jusque dans les paupières. Il ne sait pas ce que c'est, il n'a jamais vécu ça, et maintenant ça le dévore, ça prend possession de lui, comme un énorme appétit.

"N'aie pas peur, mon petit baron... Je ne te ferai rien de mal. Au contraire, mon petit baron. Je vais te faire ressentir des choses... oh, tu n'imagines pas. Laisse-toi faire, mon petit baron. Laisse-moi faire. "

Chacun des contacts le paralyse, le feu de son corps est comme un sarcophage, une chrysalide qui l'empêche de bouger. C'est une douleur extatique, une félicité insupportable. Et Panzou se consume, dans les bras blancs de la femme qui l'étouffe, l'envahit, et le transporte dans un monde où il se perd et s'oublie.
Parce que Panzou n'a pas le sens de l'orientation.
Il gémit un peu, il se crispe, il se cambre. Il a le souffle coupé.
Il pleure.
Il tremble.





Les soleils sont presque morts. Ils ne brillent plus dans les yeux de Panzou. Sa peau est craquelée, sèche comme le désert. De petites rivières douloureuses se sont creusées dedans, partout sur son corps, elles sont d'un bleu presque fluorescent.
Panzou git sur le lit. Il attend que la femme blanche revienne. Il attend le champagne, et la fumée, et même la main et la bouche et le corps tout entier maintenant. Il en a envie, il en a besoin. Chaque jour un peu plus. Ça fait quatre jours. Panzou devient gris. Tant pis. Ça ne fait pas mal.
Ce matin, il a joué avec un serpent qui est venue le voir. Il était si heureux. Le serpent lui a parlé de l'eau, et Panzou a voulu pleurer, mais lui n'a plus d'eau dans le corps. Le serpent lui a posé des questions, lui a caressé le front et les doigts, puis le serpent est parti, et Panzou a refermé ses soleils. Il a soif.

Quand les soleils se rouvrent, presque gris aussi, le monde est flou. Il entend des voix, à la porte. La femme blanche est là, et il l'appelle, mais sa voix à lui n'est rien qu'un souffle de poussière. Les autres voix vont et viennent, comme le ressac. Il entend des " tu te ne rends pas compte de ce que tu as fait " et des " regarde-le ". Il entend que le Bayou est déchainé, que Maman Brigitte n'a jamais été si menaçante, et dans son esprit se met à flotter le visage de sa mère, et comme il aimerait pouvoir pleurer. Il a remplacé les larmes par la fumée. Il entend que la femme blanche, elle, pleure, et hurle, tape du pied. Elle supplie d'une voix toute aigue : " Pitié, Moriko, arrête, pardonne-moi, Moriko, Moriko, ne fais pas ça ".
Panzou aimerait la consoler. Il saurait. Elle lui a appris à faire plaisir. C'est facile.

Le serpent revient à lui et Panzou sourit. Il y a visage, un visage à tête de mort. Il sent la fumée. On lui donne de l'eau, et il boit, boit toute l'eau. On lui dit de se lever. Quand il bouge, les craquelures se creusent et d'autres naissent. Ses cheveux sont devenus violets. Ça ne fait pas mal.
Panzou ne se souvient pas bien de la suite. Il se souvient vaguement que la femme à tête de mort l'a pris par la main et fait marcher, et que les serpents l'aimaient comme une mère. Que la vie est revenue en lui très vite quand ses pieds se sont enfoncés dans la mousse humide du Bayou. Que le visage de Maman Brigitte, en contemplant les rivières sur son corps, en écoutant la femme à tête de mort, exprimait une haine capable de fendre les montagnes et foudroyer un ciel sans nuage.
Que Maman alors, a maudit la femme blanche, et que Panzou l'a supplié, terrifié, mortifié. Que ses larmes ont innondé la maisonnette. Que Maman a exigé de Mardi qu'il dessine sur la peau de Panzou une marque indélébile et que Panzou a été incapable de quitter la maisonnette innondé. Pendant que Maman Brigitte allait trouver la femme blanche. Et Panzou cherchait la porte, la fenêtre, la trappe, mais la maisonnette n'avait rien de tout cela, en tous cas pas dans ses yeux que trompaient le sortilège de peau de Mardi. Et dans sa petite prison, seul et furieux, il hurlait, il implorait, il menaçait, car il l'aimait tant, la femme blanche, et il voulait encore qu'elle le touche, et qu'elle lui parle, et qu'elle l'emmène dans l'autre monde d'extase et de fumée, il en avait besoin, il l'aimait, il l'aimait ! Il en MOURRAIT !
...
Panzou avait tant pleuré qu'il s'était noyé, une fois de plus, et endormi dans les bras de son père.





Panzou a 18 ans.
Il cherche encore le monde d'extase et de fumée.
Il le cherche tous les jours.




Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? surfeur australien Sakripan
Et un âge ? non
C'est quoi ton Avatar ? Original de Bélériande alias Max alias Bellemamax alias Poulate alias Poulatou alias Pou alias Poupoupidou
Comment t'as découvert l'île ? *ouvre son crâne*
Tu la trouves comment ? magique
Dis, tu crois bien aux fées ? à tout
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty28.07.17 23:49






Bow tentait vainement de les retenir, mais la fièvre s'était emparée de Peter Pan. Quiconque aurait effleuré le bout de ses doigts aurait senti un petit courant électrique le parcourir. Ça n'aurait pas fait mal, mais c'était fort.
Ce n'était pas seulement du son excitation croissante. Il réagissait à son île comme à un organe, son corps était en ébullition car ce qui incarnait son esprit – le Pays de Jamais – grouillait présentement de choses importantes, des choses extraordinaires.

Je prends mon poignard. dit-il d'un ton assuré en glissant l'arme à sa ceinture de résine. Et aussi ma flûte. ajouta-t-il en accrochant cette seconde arme de l'autre côté.

Majesté, c'est de la folie. Vous ne savez même pas dans quoi vous vous lancez ! Imaginez seulement que... Mais précisément, il était bien plus sage que Peter n'imaginât rien du tout. Vous devriez arrêter tout cela avant qu'il ne soit trop tard.

Pauvre Bow, c'était bien là un domaine où tu ne pouvais le suivre et le chaperonner. Aucun de tes pièges, aucune de tes emprises ne pouvait officier là-bas. Dans ces mondes inaccessibles que seul l'Enfant Roi, l'Enfant Fée, pouvait fouler avant tant de facilité. Le danger était absolu pour toi, sans brèche, tu n'avais aucune arme et aucun pouvoir.

Peter Pan te fixa alors, l'expression presque perplexe.

Mais enfin, Bow. Il est déjà trop tard.

Et il prit la main d'Amnesia. Et il intima à Tinkerbell, qui ne songea même pas à résister car on ne résistait pas quand le roi prenait ce ton-là, de saupoudrer sa nouvelle favorite d'un bon dosage de poussière dorée. Et ils s'envolèrent.
Nul besoin de pensée heureuse, quand l'effervescence naissait des tréfonds plus pélagiques encore de l'âme. Il n'y avait d'autre pensée que la certitude d'assister bientôt à l'une des plus grande aventures dont l'Imaginaire ait jamais accouché.  


*



Le vent était particulièrement agité, il les ballottait avec force dans la nuit. Il chantait mais sa litanie transportait une violence étrange. Le vent était fiévreux, comme son ami.
L'Esprit Nuit marchait lentement sur la grande forêt, dispersant ses astres dans la voûte noire, et les Sylvains accompagnaient le vent en cadence. Ils aperçurent l'Esprit Lune, aussi, qui tournoyait dans le ciel et éventrait le paysage nocturne de son éclat blanc.
Pour impressionner la Dormeuse, Peter sorti sa flûte, sans cesser de zébrer l'air, et entama un petit air. L'Esprit dressa l'oreille et serpenta jusqu'à eux avant de danser allègrement autour de leurs deux petites silhouettes.

Ne le touche pas, regarde le simplement.

L'Esprit Lune s'accordait bien à Amnesia et Peter trouva cela joli.

Ils survolaient l'Océan à présent. Peter arrêta leur vol et ils lévitèrent à une centaine de mètres au dessus de la mer. L'Esprit les quitta car il comprit que quelque chose de mémorable et de puissant allait se dérouler. Les yeux de l'Enfant Roi scrutaient avec intensité les eaux sombres bercées par la houle. En se concentrant, on pouvait voir un petit endroit légèrement tourbillonnant. Des queues de sirènes jaillissaient parfois de l'écume et s'éloignaient en cercle, comme pour fuir un lieu inospitalier.

C'est ici, n'est-ce pas. C'est juste sous nos pieds.

Il tourna sa tête vers Amnesia. Leurs mains ne s'étaient pas lâchées.

Si ça se trouve, on va mourir.

Et ses yeux brillèrent, et ses dents de lait aussi, luisantes comme des morceaux de fumerolles.



Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty21.08.17 23:46

Grenouille


Trucs

Surnom : La Mèche
Groupe : Perdus
Age : 9 ans
Rôle : Éclaireur


Il pleut

Le véritable courage, c'est pas de pas avoir peur. Sans peur, pas de courage. Le véritable courage, c'est de se tenir face à sa peur et de la regarder dans les yeux.
Il la répète dans sa tête cette phrase, Grenouille. C'est un Peau-Rouge qui lui a dit. Tout le temps. Parce que Grenouille a peur, tout le temps.

Et le traite pas de lâche, toi, le traite pas de lâche. Il est pas lâche Grenouille. Il est courageux. Parce que c'est dur de vivre avec la Peur, tout le temps. Ça poisse, la Peur, ça s'infiltre partout, c'est du froid, du poison, la Peur ça peut être une seconde peau. Pour Grenouille, c'est une seconde peau.
Ne vas pas dire que les monstres, ça n'existe pas. Qu'est-ce que tu sais de ce qui existe, toi ? Ça existe des prisons pour enfants ? Ça existe des mamans qui disparaissent comme ça, d'un coup ? Ça existe des policiers qui tuent des vieux ? Ça existe tant de Mort, pour rien, pour rien du tout ? Ça existe, tu dirais ? Oui, ça existe. Grenouille était là.  
Alors puisque ça, ça existe, comment on fait pour pas avoir peur ? Puisque c'est ça le monde.

Te moque pas, te moque pas. Te moque pas parce qu'il sursaute au moindre bruit, qu'il claque des dents dès qu'une ombre est trop noire ou un son trop grinçant. Te moque pas quand il a le souffle qui tremble pendant les histoires qui font peur, même pas tant peur pour toi. Te moque pas quand il voit des trucs qui, dans tes yeux, n'existent pas. Dans ses yeux à lui, ça existe, et toi aussi tu aurais tellement peur. Si tu voyais des paysages, des visages, des voix, se transformer en cauchemars vivants, petit à petit, sous l'effet invincible de la Peur, parce que la Peur c'est puissant, c'est vorace, ça peut tout déformer, et ça peut dévorer les enfants, tu aurais tellement peur.  
Te moque pas quand il se pisse dessus, et quand il gémit dans son sommeil, et quand il pique des crises d'hystérie qui te font dire qu'il est fou en fait, et quand il reste tout figé de Peur pour des choses qui te paraissent rien. Y a jamais de rien pour Grenouille, y a la seconde peau.

Alors Grenouille tremble dans le fond de son lit et fuit les horreurs qui ne le lâchent jamais, jamais vraiment. Il dit rien, il parle pas Grenouille, même quand ses poumons sifflent de Peur, parce que y'a l'asthme, et que ses yeux débordent d'Horreur, parce que y'a les hallucinations, Grenouille il parle pas. Il va voir personne. Qu'est-ce qu'il peut dire, hein ? Y a rien à dire. Ça marchera pas de lui dire « ce n'est rien » ou « n'aie pas peur ». C'est trop gros, trop fort, trop [b]tout[b].
Il parle tout seul alors. Il récite des murmures très vite, comme des prières, des incantations secrètes. Peut-être que c'est sa protection. Te moque pas.
Et même quand il essaye d'affronter, ou de raisonner, de se dire que tout va bien, que c'est dans sa tête, ou que c'est juste le vent, ou que c'est lui qui imagine, c'est si difficile. De se convaincre, de se calmer, de garder son sang froid. C'est dur, c'est dur. Puisque la Peur finit toujours par saisir sa cheville en attendant de l'avaler. Tout cru.

Parfois, il se demande comment ils font les autres. Est-ce qu'ils affrontent des choses énormes et sombres aussi ? Est-ce qu'ils sentent le poids de l'angoisse dans leur ventre, au bout de leurs doigts, est-ce qu'ils ont la seconde peau ? Est-ce qu'ils se font grignoter par la Peur en secret ? Est-ce qu'il est le seul comme ça, à ressentir ça, tout le temps ? Pourquoi c'est si dur pour lui, pourquoi tout est plus dur. Pourquoi c'est jamais tranquille, jamais simple. Pourquoi la Peur revient toujours, comme si elle craignait qu'on l'oublie. Pourquoi il est pas comme les autres.
Ils ont l'air tellement plus forts, c'est vrai. C'est vrai.

Mais c'est pas grave, tu vois. C'est pas grave, Grenouille il se défendra. Avec ses petites armes. Comme troisième peau, il aura le costume de chat. Il est tout abîmé maintenant, mais c'est pas grave, Curve l'a rafistolé. Comme lui, rafistolé. Le costume est complet, optimisé, un costume d'aventurier. C'est une vraie panoplie. Avoir une panoplie, ça aide à avoir du courage.
C'est pas grave, il aura les figurines. Il en a plein maintenant. Des animaux, des chevaliers, des pompiers, des bonhommes de la vie normale. Il a une collection. C'est Tool qui les fait. Il lui a montré, et Grenouille peut en fabriquer tout seul maintenant, avec son petit canif, celui qu'un ami parti lui a donné. Beaucoup des amis de Grenouille sont partis. Les figurines sont en bois, parfois elles sont peintes. Il joue avec, tout le temps. Il confectionne des décors avec du papier et des bouts de bois. Il imagine des mondes. D'autres mondes que l'île, des mondes où on peut terrasser la Peur. Parfois il joue tout seul aussi, et il imagine qu'il est un héros des histoires de Jules Verne, parce qu'il adore Jules Verne. Il imagine qu'il est un aventurier. On peut être un aventurier même si on a peur.
C'est pas grave, il aura l'étoile. L'étoile de David. L'étoile de David de David. Même quand il aurait pu mourir de la garder, Grenouille l'a gardé. Et elle est toujours là maintenant. Sur son habit de chat, une couverture pour son cœur, et elle est belle son étoile. Elle a six branches, c'est pas toutes les étoiles, ça.

Et puis Grenouille, il est peut-être tout pâle, et tout fragile, et tout craintif, et si tu le regardes il détournera les yeux, n'empêche que Grenouille il est a survécu à une nuit sans fin, une chaleur qui fait mourir les plantes et une pluie qui noie une île. N'empêche que Grenouille l'endroit où il se sent le mieux au monde, c'est parmi les Monstres de la Contrée, parce qu'ils sont tout bizarres, tout déformés, et qu'ils sont pas si effrayants. Moins que d'autres monstres.
N'empêche que Grenouille il est encore là, avec la Peur qui lui court après et la Solitude qui appuie sur son corps comme une cape en plomb.
N'empêche que tu sais, son esprit est rempli de jolies choses, d'une imagination colorée que tu ne peux pas voir sous son teint gris, n'empêche qu'il rêve et joue encore, n'empêche que Grenouille est un petit miracle. Parce que les miracles aussi, ça existe. La preuve.

N'empêche.
N'empêche que Grenouille, un jour, la Peur a tellement hurlé dans ses oreilles qu'il s'est senti prêt à mourir pour qu'elle se taise, et qu'il est entré dans la bouche d'un Cauchemar.
Le Cauchemar, on l'appelle l'Autre, on l'appelle Runaan, et Grenouille est entré dans sa bouche.

C'est du courage, ça.



Il mouille

Grenouille court, et plus il court, plus son souffle est rauque, plus son cœur cogne contre ses côtes, mais ça, il a l'habitude. Ce qu'il ne connait pas, par contre, c'est les douleurs dans les os, ces affreuses douleurs dans les os, et la vision qui se trouble, d'ailleurs il ne voit plus ses mains, tandis qu'il court et court encore.

Le Labyrinthe se referme sur lui, c'est comme la gueule géante d'une plante carnivore géante, et sa Peur est tellement géante aussi. Il a laissé tomber l'épée, parce que ce qu'il fait le mieux Grenouille, c'est courir, et une épée sert à rien pour courir.
Il ne sait pas si l'Autre le poursuit, mais Grenouille voit encore son visage partout dans sa tête, c'est presque le visage de la Peur maintenant.

Il voit le Grand Arbre, à travers sa vision brouillée, dans son costume de chat tout déchiré, alors il sourit, et tandis qu'il sourit une dent tombe. C'est celle de devant. Grenouille continue de courir. Il sait pas depuis combien de temps, il a jamais été doué pour mesurer le temps.
Grenouille s'est sauvé. Il s'est sauvé tout seul.




Tu crois que ça existe, un enfant vieux ? Grenouille non plus, il pensait pas.
Sauf que quand il rentre chez lui, Grenouille n'est plus pareil. Grenouille n'est plus tout à fait un enfant. Parce que l'Autre lui a pris un morceau de jeunesse. Même les camps avaient pas réussi.
Alors Grenouille sera un enfant qui a de l’arthrite, un enfant qui voit plus bien de près, un enfant qui a les doigts qui tremblent, un enfant à qui il manque des dents, un enfant avec une grosse mèche de cheveux blancs. Il a même pas grandi, pourtant.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille devient fort aussi. Grenouille s'équipe. Il se fera plus surprendre. Il sera préparé, prêt à tout. Aux portes qui sursautent, aux grands qui trahissent, aux cris qui lacèrent, aux violences, aux pièges, à TOUT.
A partir de maintenant, Grenouille sera en armure. Son armure à lui. C'est Curve qui fabriquera son armure, parce que le courage de Grenouille a gonflé et que maintenant il ose demander. Il dit : je veux une armure. Alors Curve recoud son costume de chat, parce que Grenouille n'en veut pas un nouveau. Alors Curve lui confectionne une ceinture où Grenouille mettra toutes ses armes. Alors Curve lui offre un casque-tête de dinosaure et un sac-dos de dinosaure qui lui donneront de la force.
Et pour finir la transformation de Grenouille, Curve dit qu'il faut un dernier détail. Curve lui rase les côtés du crâne. On voit encore mieux sa mèche blanche. Elle l'appelle : « Petite Mèche ». Et Grenouille aime bien.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille est fort surtout. Il est copain avec les Monstres de la Contrée, Grenouille, et même s'il a peur de toi, peut-être que toi tu aurais peur des Monstres, tu vois. Grenouille se compare plus à toi. Grenouille a sa petite force aussi, et parfois elle est grande, elle est hyper grande. C'est juste que tu le verras pas.
Tu le verras lui, avec son armure de chat, son casque, son sac classe et ses gadgets importants, parcourir le Pays avec ses os qui craquent, parce que c'est toujours en dedans qu'il a mal Grenouille. Et c'est pas grave, il court encore, il brave encore, et parfois même il marche sur les mains. Alors il rit. Il rit depuis qu'il est cet enfant-là.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
ÉCRIRE ICI


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
ÉCRIRE ICI


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
ÉCRIRE ICI




Bout d'aventure


Avec la Sombre Aventure, Grenouille a perdu des dents, mais il a gagné des souvenirs. Ils reviennent dans des flashs qui secouent tout le corps. Il y en a un par branche, tu sais, son étoile a six branches.

Le premier souvenir c'est le plus chaud. C'est dommage parce que c'est aussi le plus vide. Dans ce souvenir il y a les osselets, les billes, la blouse de l'école, le cirque pour son anniversaire. Il n'y a pas de nom, puisque Peter Pan l'a pris, mais il y a ça  : Jojo.
Il y a les affiches placardées devant les parcs, les lieux publics, et même l'école de musique où il joue du violon. INTERDIT AUX JUIFS. Il y a son vieux professeur embarqué qui lui dit "tout va bien, ce n'est rien, on se voit demain". Et puis rien. Pas de demain pour le vieux professeur. Il y a les caillasses et les insultes lancées dans la cour de récré, youpin, youpin ! Il y a papa qu'il a déjà trop oublié, mais par contre il sait qu'il est horloger. Il y a David, David c'est son grand frère tu vois, qui se bagarre quand on injure Jojo.
Et Maman, Maman, avec ses robes d'été, et puis tout d'été tu sais, parce que Maman c'était l'été, même quand ses sourires étaient mouillées. Maman avec son accent polonais qui fait déraper les mots et qui se glisse jusque dans son rire. Maman qui l'appelle « petit miracle » parce que Jojo a survécu à une pneumonie quand il était têtard (c'est maman qui dit têtard).  Maman et ses yeux comme lui. Il y a beaucoup Maman, dans ce souvenir-là.

Puis, il y a l'étoile jaune. Comme il est fier, t'imagines pas. David est furieux, mais pour lui, c'est comme un cadeau.
Et le premier souvenir est déjà fini, tu vois il est court.


Le deuxième souvenir est très chaud aussi finalement, mais tu vois c'est pas la même chaleur. C'est la chaleur qui brûle et qui étouffe, celle qui rend tout plus dur.
Dans ce souvenir, Jojo a l'âge de raison.
Dans ce souvenir, il y a la porte qui sursaute sous les coups, et Maman qui ouvre à moitié en colère, à moitié en angoisse. Jojo reconnaît le policier, c'est celui qui fait des rondes en bas du quartier. Il a comme un autre visage aujourd'hui. C'est le premier visage que Jojo voit se déformer. Et c'est ce visage qui leur dit que cette fois  : «  les enfants aussi  ».
Dans ce souvenir, y a plus rien que de la hâte, et de la confusion, et de la brusquerie, et même de la violence, puisque Jojo ne se dépêche pas assez et que ça provoque des cris, déjà tant de cris, et que des cris comme ça c'est violent. Il demande ce qu'on va faire de Jules le chat, et personne lui répond, et il demande encore  «  Et Jules  ? Et Jules  ?  » et David lui hurle dessus alors, même David. C'est pas le moment Jojo, tu comprends pas que c'est pas le moment  ?!
Mais non, tu vois Jojo il comprend rien. Et toi non plus tu comprends rien, alors fais pas semblant.

Alors Jojo donne trois boites de pâté à Jules, au cas où ils reviendraient dans trois jours seulement. Maman s'est occupé des bagages. Ils ont droit à deux tricots et c'est tout, mais il fait tellement chaud de toutes façons.

Ne lâche pas la main, Jojo. elle dit Maman.

Jojo ne lâche pas.
Même en bas de l'immeuble, où tout le monde hurle et bouscule, où des vieux monsieurs pleurent, il lâche pas. Il demande une dernière fois pour Jules. Personne ne répond.
A la place, il y a la voix d'un policier qui crie de se dépêcher, et Jojo n'a jamais entendu un si féroce cri, et puis des cris des gens aux fenêtres qui disent «  Vermine  » et «  C'est injuste  » et tout se mélange dans un furieux manège de cris, et Jojo n'a jamais entendu autant de cris d'un coup. C'est de plus en plus dur de ne pas lâcher, tellement il y a de corps et de mouvements qui se dressent sur son passage, bientôt il ne voit plus le ciel, il n'y a plus que des valises, et des chapeaux, et des mains, tellement de mains qui s'agitent dans tous les sens. Son regard s'accroche aux vieux monsieurs qui pleurent, car ça aussi c'est la première fois, et puis David le tire en avant, et Papa le fait monter dans un bus. Le voisin, qui n'a pas de femme ni d'enfant parce que c'est un intellectuel, va dans l'autre bus.

Pourquoi on ne paye pas de ticket pour le bus  ?

Personne ne répond.
Tout ce qu'on entend, ce sont les cris, les cris.

C'est la première fois, aussi, que Jojo voit les adultes être si violents avec d'autres adultes. Il ne comprend pas que Papa se fasse frapper à l'épaule par un policier, il ne comprend pas surtout que Papa ne dise rien. Il le fixe d'un regard sévère, mais toujours sans lâcher, alors qu'ils descendent des bus et marchent en se dépêchant, toujours en se dépêchant.

Est-ce qu'ils vont reprendre mon étoile  ?

Personne ne répond.

On va où  ?

Personne ne répond.

Maman  ?

Personne ne répond.




Le pire, c'est pas la chaleur, c'est pas le bruit, tu sais, c'est l'odeur. Le Vélodrome d'Hiver, c'est pas pour l'été, et on est le 16 juillet 1942. Jojo arrête de poser des questions. C'est encore plus fatigant quand personne ne répond. David lui dit de pas se plaindre. Qu'ils vont pas chialer, quand même. Après tout, Jojo a l'âge de raison. Et puis, vaut mieux garder ses larmes, il fait trop soif pour les gâcher. David est fort, David est robuste. David a treize ans et il regarde les policiers dans leurs yeux, et il a rien besoin de dire. Les policiers baissent les yeux.
C'est là que David rencontre Elias.
Elias a douze ans. Il est déjà plus grand que David, pourtant. Il vit aussi tout près du Sacré-Coeur, mais moins près qu'eux, et Jojo est un peu fier alors.

C'est la première fois que Maman dit «  je ne peux pas  » quand Jojo lui demande de l'eau. C'est la première fois que personne ne peut l'aider quand ses bronches se coincent. C'est la première fois qu'il sent son père le serrer si fort. Mais la fièvre rend tout encore plus chaud et plus flou. Le souvenir s'arrête au nom qui résonne  dans tout le vélodrome d'été :

STARVINSKI.





Les trains.
C'est pas des trains normaux, tu vois, y a pas de siège, et puis surtout y a pas de lumière, y a pas d'air, et dedans, y a que des étoiles à six branches. Grenouille lâche pas. Tu te dis que ça dure une heure, ou deux heures comme ça, et que c'est déjà trop, et Grenouille se dit pareil, mais non, c'est trois jours. Trois jours. Et pendant trois jours, pas de lumière et pas d'air, alors la fièvre et l'asthme, alors y a des vieux qui se salissent, des hommes qui pleurent et un bébé qui meurt. Et Grenouille il a jamais vu la mort, tu sais, c'est la première fois.
Et quand les portes s'ouvrent, y a pas le temps de s'habituer à la lumière qui brûle les yeux et à l'air qui revient dans les poumons, pas le temps, puisque déjà ça crie, ça crie de partout et ça bouscule. C'est comme si on pouvait plus marcher normalement. Parler normalement. C'est comme si on était des animaux.


Le camp.
C'est un truc inimaginable le camp, on sait pas ce que c'est, le camp. C'est pas vraiment une prison, mais tu vois ça ressemble. C'est quoi ces blocs alors ? C'est pas des maisons, ça. Y a des clôtures et des gardes, et tellement d'ordres, c'est pas possible de tous les retenir, surtout quand les vieilles dames débitent du baratin yiddish dans les oreilles, sans arrêt. C'est épuisant ce baratin, qui se mêle aux cris ordonnés, aux ordres criés. Y a jamais, jamais de silence, jamais de tendresse, et on dirait que y en aura jamais plus.
Papa se prend un coup sur la tête quand il veut rester avec eux, et Maman pleure, le corps de Jojo est secoué contre le sien parce qu'elle le porte, parce qu'il a de la fièvre, parce que ça fait trois jours et parce que Papa part. Papa part parce que les hommes ne sont pas dans le même camp. David lance son regard contre le visage des policiers, mais ça ne marche plus si bien. Ça fait trois jours pour David aussi.
Et dans le camp, y a les couchettes rouillées, où on dort les uns sur les autres, et les repas sans rien dedans qui donnent soif, et les cheveux rasés pour les poux, et même pour rien parfois, et les punitions, les os qui percent, l'hygiène qui s'effiloche et les corps empalés sur les barbelets. Sur les barbelets !! Tu comprends ? Ça y est, la mort est là, c'est plus comme la première fois, elle est vieille ou jeune, elle est bruyante ou silenciense et elle est partout, ça s'appelle parfois du suicide. C'est partout, ça sent.
Et pourtant, y a pas les chambres encore, pas les fours encore, c'est pas un camp d'extermination, c'est rien qu'un camp de concentration, en France, en FRANCE, mais si les gens confondent autant, c'est que c'est pas bien si différent.
Et encore des bousculades, qui font de plus en plus mal tu sais, parce que quand c'est une bousculade ou deux bousculades, tu te dis que ça va encore, c'est juste énervant, mais quand tu te fais bousculer toutes les minutes de toutes les heures, c'est comme si ça t'arrachait la peau, et des cris encore, des cris, des cris, des cris !!!! Le silence est mort, puisque même quand les cris se taisent, leur écho résonne toujours dans la fièvre. Tous les matins, Maman se réveille en sursaut et le presse fort, et Jojo a l'impression de mourir, mais il lâche pas. Tu sais, il lâche pas.

Et quand Maman doit partir, il lâche pas. Ce sera le dernier à lâcher. Et tu peux pas imaginer comment c'est ce jour là. Ça fait déjà des jours et des jours qu'ils sont là et qu'ils deviennent des squelettes au regard trop brillant, ça fait des jours qu'ils meurent mais c'est jamais trop finalement. On sépare les mamans et les enfants. Tu imagines l'hystérie ? Tu imagines si on t'arrache ta maman, alors que t'as jamais, JAMAIS lâché ? Tu imagines, ça ?? Tu imagines comme Jojo pleure et hurle, même plus comme un humain, c'est tout son corps qui hurle, et il hurle encore quand le jet d'eau perce sa peau, entre dans sa gorge, éclate ses yeux. Et surtout il lâche pas, Jojo, et il faut trois policiers pour les séparer, avec les chiens et tout, Jojo et sa maman, trois policiers pour les séparer.
Alors Jojo lâche, puisque même David s'est fait plaquer au sol, puisque même Maman se fait emporter en criant « vis, vis petit miracle », puisque même Papa est déjà loin, puisqu'il est tout seul. Y a plus rien à tenir, et sa main se referme dans un vide qui l'avale tout entier.

C'est là que la Peur arrive pour de vrai. C'est quand y a plus de main à tenir, plus rien. Alors elle vient et elle avale, aussi.


Les camions, les trains, le camp.
Encore.
Encore plus loin.
Ça fait un mois, plus d'un mois, qu'il y a plus de parents. Tu connais un monde sans parents, toi ? C'est comme se sentir trop petit et trop grand en même temps. Tu sais comme ça creuse le ventre, presque avec une pelle tellement c'est violent.
Il y a un autre camp, où tous les enfants sont malades. La nourriture est en forme d'eau. Aujourd'hui, on doit repartir. Jojo a les yeux qui piquent, pas parce qu'il pleure,  parce qu'ils ont été réveillés à 5 heures.
Pendant le trajet, David et Elias parlent. Entre eux, ils s'appellent Kertész et Starvinski. Ça fait grand. Ils font exprès.

J'ai entendu le médecin parler avec l'infirmière. Les camps de Pologne, on en revient pas. Tu sais ce qu'ils font ? Ils nous brûlent. Nous, on peut nous prendre au travail, mais lui, il est trop petit.

Lui, c'est Jojo, mais Jojo répond pas, puisque Jojo parle plus depuis que Maman est partie.

Les enfants, ils les gardent pas. Surtout Jojo, avec son asthme. Alors j'ai eu une idée.

Là, David se penche et Jojo entend plus. De toutes façons, il s'endort.
Et dans le train, dans le train où on s'entasse comme des bêtes, parce que c'est un train pour bêtes, Jojo dort encore. Il peut dormir où il veut Jojo, c'est tellement facile, et parfois même David doit lui donner des claques pour le réveiller. Une femme avec un autre langage lui donne de l'eau, il dit pas merci parce qu'il parle plus. Elle l'appelle : "niebieskie oczy".

Et puis David lui parle et lui fait répeter. Quand on descend, tu vas sous le train. Tu te caches sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Jojo répète avec une voix sans vie.


Quand ils descendent, Jojo va sous le train. Tu n'imagines pas comment c'est, une masse de gens qui sont devenus presque fous à force d'avoir faim et mal et peur. Qui parlent tout seuls, qui griffent, qui ont les cheveux dans tous les sens, même les mamans. Qui se pressent hors des trains qui sentent comme les toilettes bouchés. Qui se cognent dessus sur le quai, sans savoir où aller, avec des gardes qui hurlent des mots comme des cailloux. Jojo tremble de tout son corps et étouffe ses gémissements. C'est épuisant ces cris, ça écorche toute la peau, jusqu'à laisser que la Peur. Il comprend aucun langage et devant lui, les chevilles de David ont disparu. Personne l'a vu dans la foule. Il s'agrippe au train, comme s'il voulait s'y fondre, et heureusement qu'il est bon en acrobatie.
Tu sais combien de temps il reste ? Parce que rien que ça c'est déjà dur. Il reste une nuit. Parce que Jojo reste là une nuit. Y a plus David et y a plus Elias, ya plus que lui et sa main vide. Il dort sur les rails, tu vois, avec des vêtements abandonnés autour de lui. On dirait un petit mort.

Après, le souvenir est tout écorné, mais Jojo revoit la valise. L'âge de raison lui permet encore de tenir dans une valise tu sais. T'as déjà été enfermé dans un minuscule endroit ? Jojo se fait enfermer dans une grande valise. Y'a encore moins d'air et de lumière que dans les trains, mais il aime bien, c'est bizarre. C'est Elias qui porte la valise, ça il en est sûr Jojo. Elias est grand pour son âge, il a été mis dans la file de gauche, celle qu'on garde, celle qui travaille. Elias s'occupe des bagages des arrivants. Il est venu chercher Jojo sur les rails. Pendant la nuit, un autre train est arrivé, mais personne n'a rien remarqué, puisque de loin Jojo est un tas de vêtements. C'était facile de mettre Jojo dans la valise.
Combien de jours dans la valise, tu dirais ? C'est facile, ça aussi, tu sais. Dormir, attendre, se taire, dormir. Les jours défilent dans la valise et Jojo ne voit que le visage d'Elias. Il ne ressemble plus à rien, Jojo, avec son visage qui se creuse, sa peau qui blémit, ses os qui saillent. Il est sale et pouilleux. Elias lui donne une vieille peluche moche qui pendouille. C'est une grenouille avec une langue qui pendouille aussi. Elias lui dit : "tu dois la protéger, c'est important". Tu y aurais cru, toi ? Jojo se dit que c'est de la connerie, mais un truc en lui y croit un peu.

Elle est juive la Grenouille ?

Combien de jours dans la valise, tu dirais. Combien de jours on petit tenir, même quand on rapetisse chaque nuit. Jojo peut pas te dire. Un jour, la valise tombe, la valise s'ouvre, la grenouille glisse et roule sur le sol. Jojo sort. Pour la grenouille.
Et ça crépite, tout à coup. C'est le cri d'un Allemand, l'aboiement d'un chien, y a pas de différence dans la tête de Grenouille. Dans la valise, tout était étouffé, alors maintenant tous les sons ont l'air trop fort, comme des claquements dans l'air. Jojo reste allongé sur le sol, comme quand il était sur les rails, de toutes façons ses jambes sont trop molles, et puis y a la Peur qui le plaque comme des bras. Tu sais ce qui est plus violent que la Peur, quand même ? La Rage. Les uniformes ont tellement de rage dans leur voix et même tout leur corps que tu peux pas battre ça, tu vois, même si tu veux jouer au héros, tu peux rien faire face à cette rage-là. Jojo fait rien, ils le redressent et il fait rien, ils le tiennent et il fait rien.

On crie, encore, un numéro maintenant. Elias arrive. Elias est un numéro. Jojo comprend lentement. On questionne Elias. Jojo a eu le temps de comprendre qu'il ne doit rien dire. Pas dire qu'il connait Elias. Rien dire.

Juif ? un uniforme demande.

Jojo fait non de la tête.
Un autre uniforme parle, même quand il parle on dirait un cri étouffé, et le premier uniforme baisse son pantalon. Jojo pleure un peu. Tout le monde regarde son zizi. L'uniforme a une grimace de dégoût et on balance Jojo vers Elias. Il tombe, parce que son pantalon n'est pas remonté. Rien que ça, tu sais, c'est tellement plein de violence.

Il a du échapper à son groupe. Il part vendredi au block 11.


Le reste est encore effacé, mais Jojo se souvient du pyjama et du baraquement. Et puis l'odeur, tu sais, encore pire que toutes les autres odeurs.

Qu'est-ce qui sent comme ça ? Elias, qu'est-ce qui sent comme ça ? il demande, alors qu'Elias l'entraine dans l'immense immense immense camp avec des maisons en bois.

Elias répond pas.
Les gens en pyjama font encore plus peur que les uniformes. Ils le regardent fort et ils ont l'air mort. Il y en a par terre, partout par terre, avec l'air encore plus mort. Plus mort que mort. Tu sais pas comme c'est horrible de marcher parmi eux, comme c'est comme dans ces rèves où on sait plus comment sortir.
C'est dur de se souvenir dans l'ordre après. Le feu brûle ses habits, pour désinfecter. Le jet d'eau glace sa peau, pour désinfecter. Le pyjama avec une nouvelle étoile. La tête rasée encore plus près. Le numéro, le sien, pour lui tout seul. Il commence comme Elias.

Jojo demande où est David. Il demande sans arrêt maintenant, à tout le monde. Il sait que s'il n'arrête pas, il n'y aura plus rien alors, il n'y aura plus que le vide. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David...

Et à force, tu sais quoi ? David arrive. Dans le baraquement, alors que c'est pas le sien, et Jojo s'agrippe à lui comme il s'est agrippé au train, à la grenouille, à la vie, il pleure toutes ses larmes et toute la douleur du monde revient en lui, comme si la tendresse a ouvert la porte.

T'inquiète pas mon Jojo, dans deux jours, tous les trois, on se tire.  


L'évasion.
La nuit sans David et sans Elias est la pire nuit. Mais il n'y a pas le choix. Il ne lui reste que la grenouille. On essaye de lui voler de la nourriture et de lui en donner aussi. Les adultes le collent, ils lui touchent le visage et les bras, parce qu'il n'y a plus d'enfant ici. Ils sont partis. Plein de gens lui demandent s'il a vu Mariuzs, Marek, Felix, Shmuel, Claude, Gretel, Martyna ou Jacob. Il répond pas. Il sait pas. Tu sais, même ça c'est comme une violence.

Ce qui choque le plus Jojo, c'est pas de dormir au milieu de plein de grands qu'il doit coller parce que y a pas la place, où les os qui se voient beaucoup sous leur peau, c'est l'appel. L'appel est plutôt la nuit que le matin. Un adulte l'aide à descendre du lit qui est haut et qui n'est même pas vraiment un lit. L'adulte est très gentil avec lui. C'est lui qui lui a donné du pain hier. Il n'a pas d'étoile, il a un triangle rose. Tu trouves ça joli ? Autant que l'étoile ? L'appel commence. Il faut rester debout les mains sur la tête. Il faut rester comme ça, des heures. Tu images, des heures ? Jojo a les bras qui tremblent, les jambes aussi, parce que ça fait des jours qu'il était recroquevillé dans une valise en plus. Il tient plus. Il y a des adultes autour de lui qui tombent et personne les ramasse. Il y a même une dame. Voir une dame tomber c'est une énorme violence. Tu vas croire qu'il s'habitue mais non, un trou s'habitue pas à être creusé tu vois, il devient juste plus profond. Et ça creuse encore, puisqu'un uniforme vient et que son pistolet tire dans la dame, qui est pas loin de Jojo, de sorte que cette image là elle s'incruste dans les yeux de Jojo pour l'éternité.

Le soir, Jojo à plein d'images incrustées. Il y a les femmes qui sortent du docteur avec des cloques sur la peau ou des visages déformées. Il y a Triangle Rose qui se fait battre et battre et battre parce qu'il a fait tomber une grosse pierre tout près du pied d'un uniforme. Il y a les corps étalés par terre et Jojo imagine que ce sont des bateaux et que le sol est la mer. Il y a les malades qui crachent du sang et qui veulent pas aller à l'Infirmerie, parce que dans le camp l'Infirmerie soigne pas. C'est pour ça qu'il y va pas, parce que Triangle Rose lui a dit. Même si ses poumons sifflent et que son numero le gratte.

La nuit, Triangle Rose le serre fort, et il s'endort.

Le matin, il y a l'appel, et Jojo tient encore moins. Peut-être parce qu'il a de la fièvre, et des boutons, et des frissons, et qu'il tousse. Il faut se retenir pourtant, Triangle Rose lui a dit. Les uniformes ont peur des maladies.

C'est le midi qu'il y a l'évasion. Comme cadeau, Triangle Rose lui a donné son triangle, parce qu'il n'a rien d'autre. Jojo sait qu'il va mourir pour ça mais Triangle Rose a dit : ce n'est pas grave.

Jojo est le premier à passer. Elias est le deuxième. David est le troisième, et David ne passe pas. David se fait attraper. David hurle : "DÉGAGEZ ! DÉGAGE JOJO ! KERTESZ, N'OUBLIE PAS TA PROMESSE !". Et Jojo se débat, dans les bras d'Elias, il hurle et pleure, plus fort que les aboiements des chiens, plus fort que les hauts-parleurs, et David disparait, tu vois, il disparait pendant qu'Elias le traine, le force, le sauve. Il disparait.




L'errance.
Jojo est comme sa grenouille, il est en chiffon. T'imagines, un humain en chiffon. Il parle plus. Il a plus de larmes, plus d'expression. Ses pieds saignent de marcher, les cloquent éclatent, et Elias doit le porter. Ils dorment dans des fermes, dans des champs, dans la merde. Ils mangent rien. Jojo tousse encore, Jojo est presque mort. Elias a trouvé des habits, grâce à son travail avec les bagages, mais Jojo a gardé l'étoile jaune et le triangle rose. Il s'arrête souvent pour vomir. Il s'effondre. Est-ce qu'un pistolet tirera sur lui ?

Une église, une voiture, une grande maison. Jojo est trop presque mort pour comprendre. Elias l'a porté tout le long. Elias est tellement courageux qu'on dirait presque plus un enfant. Elias l'accompagne à l'orphelinat. La grande maison, c'est un orphelinat.
Les femmes à l'intérieur ont l'accent de maman, et si Jojo avait des larmes ça le ferait pleurer. Jojo dit rien. Il ne comprend pas, de toutes façons. Elias reste avec lui tout le temps. Jusqu'à ce qu'il guérisse, parce que Jojo a le typhus.
La vie revient dans Jojo, et ça fait mal partout.

Tu n'es plus juif. Ta maman n'a pas l'accent de Pologne. Ta maman est morte. Ton papa est mort. Tout est mort. L'ancien Jojo aussi.
Ne montre pas ton zizi. Non, tu ne peux pas garder ton étoile. Allons, elle est laide, elle est si laide, pourquoi tu pleures ? Non, c'est trop dangereux. Jojo la gardera quand même. Dans sa semelle, bien cachée, bien trésorée.

Jojo s'en fout d'être juir, Jojo s'en fout de tout, parce que y a David, y a David qui est resté là-bas vous comprenez, et David va mourir, un pistolet dans la tête, David va mourir du typhus, si David fait tomber une grosse pierre au pied d'un uniforme, DAVID !!!

— Je vais le chercher.

C'est Elias qui dit ça, une nuit, au fond des lits.

Je viens avec toi.

Mais Elias refuse, Elias a fait une promesse, et quand Jojo dit qu'il s'en fout de mourir, Elias s'énerve comme jamais il s'est énervé, Elias sort Jojo de son lit et le plaque contre le mur, Elias lui dit : Ne dis jamais ce que tu es ! Ne reviens jamais là-bas ! Alors, dis-moi, tu es juif ?
Alors Jojo dit non, et Elias le bouscule, alors tu es juif ? Non ! ALORS TU ES JUIF ?? NON !!!

Alors Elias part, et Jojo use sa réserve secrète de larmes.

L'orphelinat est comme le camp, la chaleur qui crame remplacée par le froid qui mord. Les enfants sont durs, et cruels, et mesquins, parce qu'ils sont mangés par le chagrin.
Jojo est celui qui ne parle pas. Les plus grands font la loi, ils se vengent contre la vie. Jojo subit des offenses qu'il ignorait possible. Des offenses qui vont loin. Loin jusque dans les culottes, tu vois. Mais Jojo se laisse faire. Il attend David. Elias a dit qu'il reviendrait vite. Jojo marque les jours, sur le mur derrière son lit. Rien n'a plus d'importance à part ça, tu vois.

Des centaines de jours.


L'envol.
Sans la fée, Jojo serait peut-être jamais parti. Mais c'est elle qui vient sur son lit. Elle vient sur son bras, elle vient sur son numéro, et même sa lumière avale les chiffres. Jojo se réveille alors, et il suit la lumière jusqu'à la fenêtre. Il y a déjà d'autres enfants. Jojo n'arrive pas à bien voir Peter Pan.
Ça ne l'étonne pas que Peter Pan existe. Il a déjà vu des morts marcher.
Jojo est le seul, pourtant, qui ne veut pas venir. Il doit rester ici. C'est Elias qui l'a dit. Il doit rester ici et attendre David. Attendre Maman, puisque Maman viendra le chercher, puisque l'été revient toujours.
Mais tu sais, les promesses de merveilles grattent sa volonté. C'est qu'il fait si froid ici, et l'île du ciel a l'air chaude. Il tangue. Il a peur. Peur de louper l'été. Peter promet. Ne t'en fais pas. Tu reviendras. Ce n'est qu'un voyage. Ça ne durera pas si longtemps. Tu sais, il y a des fées. Des vraies fées.

Alors Jojo pose ses pieds sur le rebord de la fenêtre. Il dit oui. A une condition. On va chercher un bout d'été, rien qu'un. On va chercher David. Et Elias, aussi. Il lui faut du courage tu sais, à Jojo, parce que Peter Pan c'est pas n'importe quoi, et que ça fait des centaines de jours que sa voix n'est pas sortie. Mais il dit ça, il le dit et d'ailleurs il raconte tout à Peter Pan maintenant, tout tout tout, pendant que les autres enfants jouent dans les airs, et le visage de Peter Pan est dur, il est triste et tremblant, et Jojo tremble aussi, sans aucune pensée heureuse dans la tête. Peter Pan lui prend la main.

On va les sauver. On va sauver tous les enfants.

Il n'ose pas demander pour Triangle Rose. De toutes façons, il est forcément mort.

Jojo n'arrive presque pas à voler. Peter Pan lui dit de s'accrocher à son étoile. Il fait froid dans le ciel, mais c'est un bon froid, un froid qui rosit les joues, et Jojo hurle. Il hurle !!! JE SUIS JOJO ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JOJO !!!!!!

Jojo ne sait plus où est le camp, mais Peter Pan renifle l'odeur de la douleur. Après, Jojo ne sait plus.
Il se souvient de son coeur qui explose quand il revoit le visage d'Elias, le visage tout maigre et vieux d'Elias, sans cheveux et sans force, et Jojo lui fonce dessus, il aurait peut-être pas du, et il le serre, plus fort que la main de Maman, plus fort que la grenouille, plus fort que TOUT.

Alors seulement il demande. Et David. Et David. Où est David. Où est David. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David.
Et cette fois, il n'y a pas de réponse.
Il n'y a pas de réponse.
Pas de réponse.
Où est David.
Pas de réponse.
S'il vous plait.
Où est David.
Non, non, attendez, David.
Elias le serre à son tour, tellement fort aussi, et l'intérieur de Grenouille explose en entier, et son corps est secoué de sanglots sans larmes, de sanglots sans bruit, tant la douleur est comme une lame.



Unique au monde


 Le costume
Curve, qui est une Raccommodeuse, a cousu des morceaux de tissu sur les trous et des poches un peu partout, et une grosse poche dans la queue. Elle a cousu un cœur sur l'épaule. Elle a cousu son étoile sur le cœur.
Dans les poches : de la nourriture, des aiguilles, un couteau-suisse, des pansements.

La ceinture
C'est une ceinture de pirate que Curve a transformé en ceinture d'aventurier. Elle est grosse et plein de choses y sont accrochées.
A la ceinture : un lance-pierre, une boussole, une longue vue, une flasque, son canif.

Le sac à dos à piquants
Si Grenouille se roule en boule contre le sol, on peut croire qu'il est un gros hérisson.
Dans le sac : une corde avec un grappin, de la nourriture pour lui, de la nourriture pour les animaux, des allumettes, des bandages, une petite cape, un masque à gaz, des lunettes, des figurines, des chaussettes, des cartes, des trouvailles.

Le casque dinosaure
Offert par Curve aussi.
Dans le casque : sa mèche.

 






Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ?  JEUNE
C'est quoi ton Avatar  ? Max et les Maximonstres et Max tout court.
Comment t'as découvert l'île ? par miracle
Tu la trouves comment ? miraculeuse
Dis, tu crois bien aux fées ? c'est une seconde famille.
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty22.08.17 22:04

Grenouille


Trucs

Surnom : La Mèche
Groupe : Perdus
Age : 9 ans
Rôle : Éclaireur


Il pleut

Le véritable courage, c'est pas de pas avoir peur. Sans peur, pas de courage. Le véritable courage, c'est de se tenir face à sa peur et de la regarder dans les yeux.
Il la répète dans sa tête cette phrase, Grenouille. C'est un Peau-Rouge qui lui a dit. Tout le temps. Parce que Grenouille a peur, tout le temps.

Et le traite pas de lâche, toi, le traite pas de lâche. Il est pas lâche Grenouille. Il est courageux. Parce que c'est dur de vivre avec la Peur, tout le temps. Ça poisse, la Peur, ça s'infiltre partout, c'est du froid, du poison, la Peur ça peut être une seconde peau. Pour Grenouille, c'est une seconde peau.
Ne vas pas dire que les monstres, ça n'existe pas. Qu'est-ce que tu sais de ce qui existe, toi ? Ça existe des prisons pour enfants ? Ça existe des mamans qui disparaissent comme ça, d'un coup ? Ça existe des policiers qui tuent des vieux ? Ça existe tant de Mort, pour rien, pour rien du tout ? Ça existe, tu dirais ? Oui, ça existe. Grenouille était là.  
Alors puisque ça, ça existe, comment on fait pour pas avoir peur ? Puisque c'est ça le monde.

Te moque pas, te moque pas. Te moque pas parce qu'il sursaute au moindre bruit, qu'il claque des dents dès qu'une ombre est trop noire ou un son trop grinçant. Te moque pas quand il a le souffle qui tremble pendant les histoires qui font peur, même pas tant peur pour toi. Te moque pas quand il voit des trucs qui, dans tes yeux, n'existent pas. Dans ses yeux à lui, ça existe, et toi aussi tu aurais tellement peur. Si tu voyais des paysages, des visages, des voix, se transformer en cauchemars vivants, petit à petit, sous l'effet invincible de la Peur, parce que la Peur c'est puissant, c'est vorace, ça peut tout déformer, et ça peut dévorer les enfants, tu aurais tellement peur.  
Te moque pas quand il se pisse dessus, et quand il gémit dans son sommeil, et quand il pique des crises d'hystérie qui te font dire qu'il est fou en fait, et quand il reste tout figé de Peur pour des choses qui te paraissent rien. Y a jamais de rien pour Grenouille, y a la seconde peau.

Alors Grenouille tremble dans le fond de son lit et fuit les horreurs qui ne le lâchent jamais, jamais vraiment. Il dit rien, il parle pas Grenouille, même quand ses poumons sifflent de Peur, parce que y'a l'asthme, et que ses yeux débordent d'Horreur, parce que y'a les hallucinations, Grenouille il parle pas. Il va voir personne. Qu'est-ce qu'il peut dire, hein ? Y a rien à dire. Ça marchera pas de lui dire « ce n'est rien » ou « n'aie pas peur ». C'est trop gros, trop fort, trop tout[b].
Il parle tout seul alors. Il récite des murmures très vite, comme des prières, des incantations secrètes. Peut-être que c'est sa protection. Te moque pas.
Et même quand il essaye d'affronter, ou de raisonner, de se dire que tout va bien, que c'est dans sa tête, ou que c'est juste le vent, ou que c'est lui qui imagine, c'est si difficile. De se convaincre, de se calmer, de garder son sang froid. C'est dur, c'est dur. Puisque la Peur finit toujours par saisir sa cheville en attendant de l'avaler. Tout cru.

Parfois, il se demande comment ils font les autres. Est-ce qu'ils affrontent des choses énormes et sombres aussi ? Est-ce qu'ils sentent le poids de l'angoisse dans leur ventre, au bout de leurs doigts, est-ce qu'ils ont la seconde peau ? Est-ce qu'ils se font grignoter par la Peur en secret ? Est-ce qu'il est le seul comme ça, à ressentir ça, tout le temps ? Pourquoi c'est si dur pour lui, pourquoi tout est plus dur. Pourquoi c'est jamais tranquille, jamais simple. Pourquoi la Peur revient toujours, comme si elle craignait qu'on l'oublie. Pourquoi il est pas comme les autres.
Ils ont l'air tellement plus forts, c'est vrai. C'est vrai.

Mais c'est pas grave, tu vois. C'est pas grave, Grenouille il se défendra. Avec ses petites armes. Comme troisième peau, il aura le costume de chat. Il est tout abîmé maintenant, mais c'est pas grave, Curve l'a rafistolé. Comme lui, rafistolé.
C'est pas grave, il aura les figurines. Il en a plein maintenant. Des animaux, des chevaliers, des pompiers, des bonhommes de la vie normale. Il a une collection. Grenouille peut en fabriquer tout seul maintenant, avec son petit canif, celui qu'un ami parti lui a donné. Beaucoup des amis de Grenouille sont partis. Les figurines sont en bois, parfois elles sont peintes. Il s'amuse avec, tout le temps. Il confectionne des décors avec du papier et des bouts de bois. Il imagine des mondes. D'autres mondes que l'île, des mondes où on peut terrasser la Peur. Parfois il joue tout seul aussi, et il imagine qu'il est un héros des histoires de Jules Verne, parce qu'il adore Jules Verne. Il imagine qu'il est un aventurier. On peut être un aventurier même si on a peur.
C'est pas grave, il aura l'étoile. L'étoile de David. L'étoile de David de David. Même quand il aurait pu mourir de la garder, Grenouille l'a gardé. Et elle est toujours là maintenant. Sur son habit de chat, une couverture pour son cœur, et elle est belle son étoile. Elle a six branches, c'est pas toutes les étoiles, ça.

Et puis Grenouille, il est peut-être tout pâle, et tout fragile, et tout craintif, et si tu le regardes il détournera les yeux, n'empêche que Grenouille il a survécu à une nuit sans fin, une chaleur qui fait mourir les plantes et une pluie qui noie une île. Il a survécu aux barbelés du Monde Ordinaire.
N'empêche que Grenouille il est encore là, avec la Peur qui lui court après et la Solitude qui appuie sur son corps comme une cape en plomb.
N'empêche que tu sais, son esprit est rempli de jolies choses, d'une imagination colorée que tu ne peux pas voir sous son teint gris, n'empêche qu'il rêve et joue encore, n'empêche que Grenouille est un petit miracle. Parce que les miracles aussi, ça existe. La preuve.

N'empêche.
N'empêche que Grenouille, un jour y a pas si longtemps, la Peur a tellement hurlé dans ses oreilles qu'il s'est senti prêt à mourir pour qu'elle se taise, et qu'il est entré dans la bouche d'un Cauchemar.
Le Cauchemar, on l'appelle l'Autre, on l'appelle Runaan, et Grenouille est entré dans sa bouche.

C'est du courage, ça.



Il mouille

Grenouille court, et plus il court, plus son souffle est rauque, plus son cœur cogne contre ses côtes, mais ça, il a l'habitude. Ce qu'il ne connait pas, par contre, c'est les douleurs dans les os, ces affreuses douleurs dans les os, et la vision qui se trouble, d'ailleurs il ne voit plus ses mains, tandis qu'il court et court encore.

Le Labyrinthe se referme sur lui, c'est comme la gueule géante d'une plante carnivore géante, et sa Peur est tellement géante aussi. Il a laissé tomber l'épée, parce que ce qu'il fait le mieux Grenouille, c'est courir, et une épée sert à rien pour courir.
Il ne sait pas si l'Autre le poursuit, mais Grenouille voit encore son visage partout dans sa tête, c'est presque le visage de la Peur maintenant.

Il voit le Grand Arbre, à travers sa vision brouillée, dans son costume de chat tout déchiré, alors il sourit, et tandis qu'il sourit une dent tombe. C'est celle de devant. Grenouille continue de courir, des dents continuent de tomber. Il sait pas depuis combien de temps, il a jamais été doué pour mesurer le temps.

Grenouille s'est sauvé. Il s'est sauvé tout seul.




Tu crois que ça existe, un enfant vieux ? Grenouille non plus, il pensait pas.
Sauf que quand il rentre chez lui, Grenouille n'est plus pareil. Grenouille n'est plus tout à fait un enfant. Parce que l'Autre lui a pris un morceau de jeunesse. Même les camps avaient pas réussi.
Alors Grenouille sera un enfant qui a de l’arthrite, un enfant qui voit plus bien de près, un enfant qui a les doigts qui tremblent, un enfant à qui il manque des dents, un enfant avec une grosse mèche de cheveux blancs. Il a même pas grandi, pourtant.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille devient fort aussi. Grenouille s'équipe. Il se fera plus surprendre. Il sera préparé, prêt à tout. Aux portes qui sursautent, aux grands qui trahissent, aux cris qui lacèrent, aux violences, aux pièges, à TOUT.
A partir de maintenant, Grenouille sera en armure. Son armure à lui. C'est Curve qui fabriquera son armure, parce que le courage de Grenouille a gonflé et que maintenant il ose demander. Il dit : je veux une armure. Alors Curve recoud son costume de chat, parce que Grenouille n'en veut pas un nouveau. Alors Curve lui confectionne une ceinture où Grenouille mettra toutes ses armes. Alors Curve lui offre un casque-tête de dinosaure et un sac-dos de dinosaure qui lui donneront de la force.
Et pour finir la transformation de Grenouille, Curve dit qu'il faut un dernier détail. Curve lui rase les côtés du crâne. On voit encore mieux sa mèche blanche. Elle l'appelle : « Petite Mèche ». Et Grenouille aime bien.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille est fort surtout. Il est copain avec les Monstres de la Contrée, Grenouille, et même s'il a peur de toi, peut-être que toi tu aurais peur des Monstres, tu vois. Grenouille se compare plus à toi. Grenouille a sa petite force aussi, et parfois elle est grande, elle est hyper grande. C'est juste que tu le verras pas.
Tu le verras lui, avec son armure de chat, son casque dinosaure, son sac classe et ses gadgets importants, parcourir le Pays avec les os qui craquent, parce que c'est toujours en dedans qu'il a mal Grenouille. Et c'est pas grave, il court encore, il brave encore, et parfois même il marche sur les mains pour rire. Alors il rit. Il rit depuis qu'il est cet enfant-là.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
ÉCRIRE ICI


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
ÉCRIRE ICI


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
ÉCRIRE ICI




Bout d'aventure


Avec la Sombre Aventure, Grenouille a perdu des dents, mais il a gagné des souvenirs. Ils reviennent dans des flashs qui secouent tout le corps. Il y en a un par branche, tu sais, son étoile a six branches.




Le premier souvenir


Le premier souvenir c'est le plus chaud. C'est dommage parce que c'est aussi le plus vide. Dans ce souvenir il y a les osselets, les billes, la blouse de l'école, le cirque pour son anniversaire. Il n'y a pas de nom, puisque Peter Pan l'a pris, mais il y a ça  : Jojo.
Il y a les affiches placardées devant les parcs, les lieux publics, et même l'école de musique où il joue du violon. INTERDIT AUX JUIFS. Il y a son vieux professeur embarqué qui lui dit "tout va bien, ce n'est rien, on se voit demain". Et puis rien. Pas de demain pour le vieux professeur. Il y a les caillasses et les insultes lancées dans la cour de récré, youpin, youpin ! Il y a papa qu'il a déjà trop oublié, mais par contre il sait qu'il est horloger. Il y a David, David c'est son grand frère tu vois, qui se bagarre quand on injure Jojo.
Et Maman, Maman, avec ses robes d'été, et puis tout d'été tu sais, parce que Maman c'était l'été, même quand ses sourires étaient mouillées. Maman avec son accent polonais qui fait déraper les mots et qui se glisse jusque dans son rire. Maman qui l'appelle « petit miracle » parce que Jojo a survécu à une pneumonie quand il était têtard (c'est maman qui dit têtard).  Maman et ses yeux comme lui. Il y a beaucoup Maman, dans ce souvenir-là.

Puis, il y a l'étoile jaune. Comme il est fier, t'imagines pas. David est furieux, mais pour lui c'est comme un cadeau.
Et le premier souvenir est déjà fini, tu vois il est court.



Le deuxième souvenir



Le deuxième souvenir est très chaud aussi finalement, mais tu vois c'est pas la même chaleur. C'est la chaleur qui brûle et qui étouffe, celle qui rend tout plus dur.
Dans ce souvenir, Jojo a l'âge de raison.
Dans ce souvenir, il y a la porte qui sursaute sous les coups, et Maman qui ouvre à moitié en colère, à moitié en angoisse. Jojo reconnaît le policier, c'est celui qui fait des rondes en bas du quartier. Il a comme un autre visage aujourd'hui. C'est le premier visage que Jojo voit se déformer. Et c'est ce visage qui leur dit que cette fois  : «  les enfants aussi  ».
Dans ce souvenir, y a plus rien que de la hâte, et de la confusion, et de la brusquerie, et même de la violence, puisque Jojo ne se dépêche pas assez et que ça provoque des cris, déjà tant de cris, et que des cris comme ça c'est violent. Il demande ce qu'on va faire de Jules le chat, et personne lui répond, et il demande encore  «  Et Jules  ? Et Jules  ?  » et David lui hurle dessus alors, même David. C'est pas le moment Jojo, tu comprends pas que c'est pas le moment  ?!
Mais non, tu vois Jojo il comprend rien. Et toi non plus tu comprends rien, alors fais pas semblant.

Alors Jojo donne trois boites de pâté à Jules, au cas où ils reviendraient dans trois jours seulement. Maman s'est occupé des bagages. Ils ont droit à deux tricots et c'est tout, mais il fait tellement chaud de toutes façons.

Ne lâche pas la main, Jojo. elle dit Maman.

Jojo ne lâche pas.
Même en bas de l'immeuble, où tout le monde hurle et bouscule, où des vieux monsieurs pleurent, il lâche pas. Il demande une dernière fois pour Jules. Personne ne répond.
A la place, il y a la voix d'un policier qui crie de se dépêcher, et Jojo n'a jamais entendu un si féroce cri, et puis des cris des gens aux fenêtres qui disent «  Vermine !!! » et «  C'est injuste !!! » et tout se mélange dans un furieux manège de cris, et Jojo n'a jamais entendu autant de cris d'un coup. C'est de plus en plus dur de ne pas lâcher, tellement il y a de corps et de mouvements qui se dressent sur son passage, bientôt il ne voit plus le ciel, il n'y a plus que des valises, et des chapeaux, et des mains, tellement de mains qui s'agitent dans tous les sens. Son regard s'accroche aux vieux monsieurs qui pleurent, car ça aussi c'est la première fois, et puis David le tire en avant, et Papa le fait monter dans un bus. Le voisin, qui n'a pas de femme ni d'enfant parce que c'est un intellectuel, va dans l'autre bus.

Pourquoi on ne paye pas de ticket pour le bus  ?

Personne ne répond.
Tout ce qu'on entend, ce sont les cris, les cris.

C'est la première fois, aussi, que Jojo voit les adultes être si violents avec d'autres adultes. Il ne comprend pas que Papa se fasse frapper à l'épaule par un policier, il ne comprend pas surtout que Papa ne dise rien. Il le fixe d'un regard sévère, mais toujours sans lâcher, alors qu'ils descendent des bus et marchent en se dépêchant, toujours en se dépêchant.

Est-ce qu'ils vont reprendre mon étoile  ?

Personne ne répond.

On va où  ?

Personne ne répond.

Maman  ?

Personne ne répond.




Le pire, c'est pas la chaleur, c'est pas le bruit, tu sais, c'est l'odeur. Le Vélodrome d'Hiver, c'est pas pour l'été, et on est le 16 juillet 1942. Jojo arrête de poser des questions. C'est encore plus fatigant quand personne ne répond. David lui dit de pas se plaindre. Qu'ils vont pas chialer, quand même. Après tout, Jojo a l'âge de raison. Et puis, vaut mieux garder ses larmes, il fait trop soif pour les gâcher. David est fort, David est robuste. David a treize ans et il regarde les policiers dans leurs yeux, et il a rien besoin de dire. Les policiers baissent les yeux.
C'est là que David rencontre Elias.
Elias a douze ans. Il est déjà plus grand que David, pourtant. Il vit aussi tout près du Sacré-Coeur, mais moins près qu'eux, et Jojo est un peu fier alors.

C'est la première fois que Maman dit «  je ne peux pas  » quand Jojo lui demande de l'eau. C'est la première fois que personne ne peut l'aider quand ses bronches se coincent. C'est la première fois qu'il sent son père le serrer si fort. Mais la fièvre rend tout encore plus chaud et plus flou. Le souvenir s'arrête au nom qui résonne  dans tout le vélodrome d'été :

[b]STARVINSKI.




Le troisième souvenir


Le troisième souvenir il commence par des trains.
C'est pas des trains normaux, tu vois, y a pas de siège, et puis surtout y a pas de lumière, y a pas d'air, et dedans, y a que des étoiles à six branches. Grenouille lâche pas. Tu te dis que ça dure une heure, ou deux heures comme ça, et que c'est déjà trop, et Grenouille se dit pareil, mais non, c'est trois jours. Trois jours. Et pendant trois jours, pas de lumière et pas d'air, alors la fièvre et l'asthme, alors y a des vieux qui se salissent, des hommes qui pleurent et un bébé qui meurt. Et Grenouille il a jamais vu la mort, tu sais, c'est la première fois.
Et quand les portes s'ouvrent, y a pas le temps de s'habituer à la lumière qui brûle les yeux et à l'air qui revient dans les poumons, pas le temps, puisque déjà ça crie, ça crie de partout et ça bouscule. C'est comme si on pouvait plus marcher normalement. Parler normalement. C'est comme si on était des animaux.


Le camp.
C'est un truc inimaginable le camp, on sait pas ce que c'est, le camp. C'est pas vraiment une prison, mais tu vois ça ressemble. C'est quoi ces blocs alors ? C'est pas des maisons, ça. Y a des clôtures et des gardes, et tellement d'ordres, c'est pas possible de tous les retenir, surtout quand les vieilles dames débitent du baratin yiddish dans les oreilles, sans arrêt. C'est épuisant ce baratin, qui se mêle aux cris ordonnés, aux ordres criés. Y a jamais, jamais de silence, jamais de tendresse, et on dirait que y en aura jamais plus.
Papa se prend un coup sur la tête quand il veut rester avec eux, et Maman pleure, le corps de Jojo est secoué contre le sien parce qu'elle le porte, parce qu'il a de la fièvre, parce que ça fait trois jours et parce que Papa part. Papa part parce que les hommes ne sont pas dans le même camp. David lance son regard contre le visage des policiers, mais ça ne marche plus si bien. Ça fait trois jours pour David aussi.
Et dans le camp, y a les couchettes rouillées, où on dort les uns sur les autres, et les repas sans rien dedans qui donnent soif, et les cheveux rasés pour les poux, et même pour rien parfois, et les punitions, les os qui percent, l'hygiène qui s'effiloche et les corps empalés sur les barbelets. Sur les barbelets !! Tu comprends ? Ça y est, la mort est là, c'est plus comme la première fois, elle est vieille ou jeune, elle est bruyante ou silenciense et elle est partout, ça s'appelle parfois du suicide. C'est partout, ça sent.
Et pourtant, y a pas les chambres encore, pas les fours encore, c'est pas un camp d'extermination, c'est rien qu'un camp de concentration, en France, en FRANCE, mais si les gens confondent autant, c'est que c'est pas bien si différent.
Et encore des bousculades, qui font de plus en plus mal tu sais, parce que quand c'est une bousculade ou deux bousculades, tu te dis que ça va encore, c'est juste énervant, mais quand tu te fais bousculer toutes les minutes de toutes les heures, c'est comme si ça t'arrachait la peau, et des cris encore, des cris, des cris, des cris !!!! Le silence est mort, puisque même quand les cris se taisent, leur écho résonne toujours dans la fièvre. Tous les matins, Maman se réveille en sursaut et le presse fort, et Jojo a l'impression de mourir, mais il lâche pas. Tu sais, il lâche pas.

Et quand Maman doit partir, il lâche pas. Ce sera le dernier à lâcher. Et tu peux pas imaginer comment c'est ce jour là. Ça fait déjà des jours et des jours qu'ils sont là et qu'ils deviennent des squelettes au regard trop brillant, ça fait des jours qu'ils meurent mais c'est jamais trop finalement. On sépare les mamans et les enfants. Tu imagines l'hystérie ? Tu imagines si on t'arrache ta maman, alors que t'as jamais, JAMAIS lâché ? Tu imagines, ça ?? Tu imagines comme Jojo pleure et hurle, même plus comme un humain, c'est tout son corps qui hurle, et il hurle encore quand le jet d'eau perce sa peau, entre dans sa gorge, éclate ses yeux. Et surtout il lâche pas, Jojo, et il faut trois policiers pour les séparer, avec les chiens et tout, Jojo et sa maman, trois policiers pour les séparer.
Alors Jojo lâche, puisque même David s'est fait plaquer au sol, puisque même Maman se fait emporter en criant « vis, vis petit miracle », puisque même Papa est déjà loin, puisqu'il est tout seul. Y a plus rien à tenir, et sa main se referme dans un vide qui l'avale tout entier.

C'est là que la Peur arrive pour de vrai. C'est quand y a plus de main à tenir, plus rien. Alors elle vient et elle avale, aussi.



Le quatrième souvenir



Les camions, les trains, le camp.
Encore.
Encore plus loin.
Tu continues de lire ?
Ça fait un mois, plus d'un mois, qu'il y a plus de parents. Tu connais un monde sans parents, toi ? C'est comme se sentir trop petit et trop grand en même temps. Tu sais comme ça creuse le ventre, presque avec une pelle tellement c'est violent.
Il y a un autre camp, où tous les enfants sont malades. La nourriture est en forme d'eau. Aujourd'hui, on doit repartir. Jojo a les yeux qui piquent, pas parce qu'il pleure,  parce qu'ils ont été réveillés à 5 heures.
Pendant le trajet, David et Elias parlent. Entre eux, ils s'appellent Kertész et Starvinski. Ça fait grand. Ils font exprès.

J'ai entendu le médecin parler avec l'infirmière. Les camps de Pologne, on en revient pas. Tu sais ce qu'ils font ? Ils nous brûlent. Nous, on peut nous prendre au travail, mais lui, il est trop petit.

Lui, c'est Jojo, mais Jojo répond pas, puisque Jojo parle plus depuis que Maman est partie.

Les enfants, ils les gardent pas. Surtout Jojo, avec son asthme. Alors j'ai eu une idée.

Là, David se penche et Jojo entend plus. De toutes façons, il s'endort.
Et dans le train, dans le train où on s'entasse comme des bêtes, parce que c'est un train pour bêtes, Jojo dort encore. Il peut dormir où il veut Jojo, c'est tellement facile, et parfois même David doit lui donner des claques pour le réveiller. Une femme avec un autre langage lui donne de l'eau, il dit pas merci parce qu'il parle plus. Elle l'appelle : "niebieskie oczy".

Et puis David lui parle et lui fait répeter. Quand on descend, tu vas sous le train. Tu te caches sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Jojo répète avec une voix sans vie.


Quand ils descendent, Jojo va sous le train. Tu n'imagines pas comment c'est, une masse de gens qui sont devenus presque fous à force d'avoir faim et mal et peur. Qui parlent tout seuls, qui griffent, qui ont les cheveux dans tous les sens, même les mamans. Qui se pressent hors des trains qui sentent comme les toilettes bouchés. Qui se cognent dessus sur le quai, sans savoir où aller, avec des gardes qui hurlent des mots comme des cailloux. Jojo tremble de tout son corps et étouffe ses gémissements. C'est épuisant ces cris, ça écorche toute la peau, jusqu'à laisser que la Peur. Il comprend aucun langage et devant lui, les chevilles de David ont disparu. Personne l'a vu dans la foule. Il s'agrippe au train, comme s'il voulait s'y fondre, et heureusement qu'il est bon en acrobatie.
Tu sais combien de temps il reste ? Parce que rien que ça c'est déjà dur. Il reste une nuit. Parce que Jojo reste là une nuit. Y a plus David et y a plus Elias, y a plus que lui et sa main vide. Il dort sur les rails, tu vois, avec des vêtements abandonnés autour de lui. On dirait un petit mort. Tu continues toujours de lire ?

Après, le souvenir est tout écorné, mais Jojo revoit la valise. L'âge de raison lui permet encore de tenir dans une valise tu sais. T'as déjà été enfermé dans un minuscule endroit ? Jojo se fait enfermer dans une grande valise. Y'a encore moins d'air et de lumière que dans les trains, mais il aime bien, c'est bizarre. C'est Elias qui porte la valise, ça il en est sûr Jojo. Elias est grand pour son âge, il a été mis dans la file de gauche, celle qu'on garde, celle qui travaille. Elias s'occupe des bagages des arrivants. Il est venu chercher Jojo sur les rails. Pendant la nuit, un autre train est arrivé, mais personne n'a rien remarqué, puisque de loin Jojo est un tas de vêtements. C'était facile de mettre Jojo dans la valise.
Combien de jours dans la valise, tu dirais ? C'est facile, ça aussi, tu sais. Dormir, attendre, se taire, dormir. Les jours défilent dans la valise et Jojo ne voit que le visage d'Elias. Il ne ressemble plus à rien, Jojo, avec son visage qui se creuse, sa peau qui blêmit, ses os qui saillent. Il est sale et pouilleux. Elias lui donne une vieille peluche moche qui pendouille. C'est une grenouille avec une langue qui pendouille aussi. Elias lui dit : "tu dois la protéger, c'est important". Tu y aurais cru, toi ? Jojo se dit que c'est de la connerie, mais un truc en lui y croit un peu.

Elle est juive la Grenouille ?

Combien de jours dans la valise, tu dirais. Combien de jours on peut tenir, même quand on rapetisse chaque nuit. Jojo peut pas te dire. Un jour, la valise tombe, la valise s'ouvre, la grenouille glisse et roule sur le sol. Jojo sort. Pour la grenouille.
Et ça crépite, tout à coup. C'est le cri d'un Allemand, l'aboiement d'un chien, y a pas de différence dans la tête de Grenouille. Dans la valise, tout était étouffé, alors maintenant tous les sons ont l'air trop fort, comme des claquements dans l'air. Jojo reste allongé sur le sol, comme quand il était sur les rails, de toutes façons ses jambes sont trop molles, et puis y a la Peur qui le plaque comme des bras tendus. Tu sais ce qui est plus violent que la Peur, quand même ? La Rage. Les uniformes ont tellement de rage dans leur voix et même tout leur corps que tu peux pas battre ça, tu vois, même si tu veux jouer au héros, tu peux rien faire face à cette rage-là. Jojo fait rien, ils le redressent sur ses pieds mous et il fait rien, ils le tiennent par ses épaules maigres et il fait rien.

On crie, encore, un numéro maintenant. Elias arrive. Elias est un numéro. Jojo comprend lentement. On questionne Elias. Jojo a eu le temps de comprendre qu'il ne doit rien dire. Pas dire qu'il connait Elias. Rien dire.

Juif ? un uniforme demande.

Jojo fait non de la tête.
Un autre uniforme parle, même quand il parle on dirait un cri étouffé, et le premier uniforme baisse son pantalon. Jojo pleure un peu. Tout le monde regarde son zizi. L'uniforme a une grimace de dégoût et on balance Jojo vers Elias. Il tombe, parce que son pantalon n'est pas remonté. Rien que ça, tu sais, c'est tellement plein de violence.

Il a du échapper à son groupe. Il part vendredi au block 11.


Le reste est encore effacé, mais Jojo se souvient du pyjama et du baraquement. Et puis l'odeur, tu sais, encore pire que toutes les autres odeurs.

Qu'est-ce qui sent comme ça ? Elias, qu'est-ce qui sent comme ça ? il demande, alors qu'Elias l'entraine dans l'immense immense immense camp avec des maisons en bois.

Elias répond pas.
Les gens en pyjama font encore plus peur que les uniformes. Ils le regardent fort et ils ont l'air mort. Il y en a par terre, partout par terre, avec l'air encore plus mort. Plus mort que mort. Tu sais pas comme c'est horrible de marcher parmi eux, comme c'est comme dans ces rèves où on sait plus comment sortir.
C'est dur de se souvenir dans l'ordre après. Le feu brûle ses habits, pour désinfecter. Le jet d'eau glace sa peau, pour désinfecter. Le pyjama avec une nouvelle étoile. La tête rasée encore plus près. Le numéro, le sien, pour lui tout seul. Il commence comme Elias.

Jojo demande où est David. Il demande sans arrêt maintenant, à tout le monde. Il sait que s'il n'arrête pas, il n'y aura plus rien alors, il n'y aura plus que le vide. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David...

Et à force, tu sais quoi ? David arrive. Dans le baraquement, alors que c'est pas le sien, et Jojo s'agrippe à lui comme il s'est agrippé au train, à la grenouille, à la vie, il pleure toutes ses larmes et toute la douleur du monde revient en lui, comme si la tendresse a ouvert la porte.

T'inquiète pas mon Jojo, dans deux jours, tous les trois, on se tire.  

Tous les trois, on se tire.




Le cinquième souvenir



La nuit sans David et sans Elias est la pire nuit. Mais il n'y a pas le choix. Il ne lui reste que la grenouille. On essaye de lui voler de la nourriture et de lui en donner aussi. Les adultes le collent, ils lui touchent le visage et les bras, parce qu'il n'y a plus d'enfant ici. Ils sont partis. Plein de gens lui demandent s'il a vu Mariuzs, Marek, Felix, Shmuel, Claude, Gretel, Martyna ou Jacob. Il répond pas. Il sait pas. Tu sais, même ça c'est comme une violence.

Ce qui choque le plus Jojo, c'est pas de dormir au milieu de plein de grands qu'il doit coller parce que y a pas la place, où les os qui se voient beaucoup sous leur peau, c'est l'appel. L'appel est plutôt la nuit que le matin. Un adulte l'aide à descendre du lit qui est haut et qui n'est même pas vraiment un lit. L'adulte est très gentil avec lui. C'est lui qui lui a donné du pain hier. Il n'a pas d'étoile, il a un triangle rose. Tu trouves ça joli ? Autant que l'étoile ? L'appel commence. Il faut rester debout les mains sur la tête. Il faut rester comme ça, des heures. Tu images, des heures ? Jojo a les bras qui tremblent, les jambes aussi, parce que ça fait des jours qu'il était recroquevillé dans une valise en plus. Il tient plus. Il y a des adultes autour de lui qui tombent et personne les ramasse. Il y a même une dame. Voir une dame tomber c'est une énorme violence. Tu vas croire qu'il s'habitue mais non, un trou s'habitue pas à être creusé tu vois, il devient juste plus profond. Et ça creuse encore, puisqu'un uniforme vient et que son pistolet tire dans la dame, qui est pas loin de Jojo, de sorte que cette image là elle s'incruste dans les yeux de Jojo pour l'éternité.

Le soir, Jojo à plein d'images incrustées. Il y a les femmes qui sortent du docteur avec des croûtes sur la peau ou des visages déformées. Il y a Triangle Rose qui se fait battre et battre et battre parce qu'il a fait tomber une grosse pierre tout près du pied d'un uniforme. Il y a les corps étalés par terre et Jojo imagine que ce sont des bateaux et que le sol est la mer. Il y a les malades qui crachent du sang et qui veulent pas aller à l'Infirmerie, parce que dans le camp l'Infirmerie soigne pas. C'est pour ça qu'il y va pas, parce que Triangle Rose lui a dit. Même si ses poumons sifflent et que son numero le gratte.

La nuit, Triangle Rose le serre fort, et il s'endort.

Le matin, il y a l'appel, et Jojo tient encore moins. Peut-être parce qu'il a de la fièvre, et des boutons, et des frissons, et qu'il tousse. Il faut se retenir pourtant, Triangle Rose lui a dit. Les uniformes ont peur des maladies.

C'est le midi qu'il y a l'évasion. Comme cadeau, Triangle Rose lui a donné son triangle, parce qu'il n'a rien d'autre. Jojo sait qu'il va mourir pour ça mais Triangle Rose a dit : ce n'est pas grave.

Jojo est le premier à passer. Elias est le deuxième. David est le troisième, et David ne passe pas. David se fait attraper. David hurle : "DÉGAGEZ ! DÉGAGE JOJO ! KERTESZ, N'OUBLIE PAS TA PROMESSE !". Et Jojo se débat, dans les bras d'Elias, il hurle et pleure, plus fort que les aboiements des chiens, plus fort que les hauts-parleurs, et David disparait, tu vois, il disparait pendant qu'Elias le traine, le force, le sauve. Il disparait.




L'errance.
Jojo est comme sa grenouille, il est en chiffon. T'imagines, un humain en chiffon. Il parle plus. Il a plus de larmes, plus d'expression. Ses pieds saignent de marcher, les cloques éclatent, et Elias doit le porter. Ils dorment dans des fermes, dans des champs, dans la merde. Ils mangent rien. Jojo tousse encore, Jojo est presque mort. Elias a trouvé des habits, grâce à son travail avec les bagages, mais Jojo a gardé l'étoile jaune et le triangle rose. Il s'arrête souvent pour vomir. Il s'effondre. Est-ce qu'un pistolet tirera sur lui ?

Une église, une voiture, une grande maison. Jojo est trop presque mort pour comprendre. Elias l'a porté tout le long. Elias est tellement courageux qu'on dirait presque plus un enfant. Elias l'accompagne à l'orphelinat. La grande maison, c'est un orphelinat.
Les femmes à l'intérieur ont l'accent de maman, et si Jojo avait des larmes ça le ferait pleurer. Jojo dit rien. Il ne comprend pas, de toutes façons. Elias reste avec lui tout le temps. Jusqu'à ce qu'il guérisse, parce que Jojo a le typhus.
La vie revient dans Jojo, et ça fait mal partout.

Tu n'es plus juif. Ta maman n'a pas l'accent de Pologne. Ta maman est morte. Ton papa est mort. Tout est mort. L'ancien Jojo aussi.
Ne montre pas ton zizi. Non, tu ne peux pas garder ton étoile. Allons, elle est laide, elle est si laide, pourquoi tu pleures ? Non, c'est trop dangereux. Jojo la gardera quand même. Dans sa semelle, bien cachée, bien trésorée.

Jojo s'en fout d'être juir, Jojo s'en fout de tout, parce que y a David, y a David qui est resté là-bas vous comprenez, et David va mourir, un pistolet dans la tête, David va mourir du typhus, si David fait tomber une grosse pierre au pied d'un uniforme, DAVID !!

— Je vais le chercher.

C'est Elias qui dit ça, une nuit, au fond des lits.

Je viens avec toi.

Mais Elias refuse, Elias a fait une promesse, et quand Jojo dit qu'il s'en fout de mourir, Elias s'énerve comme jamais il s'est énervé, Elias sort Jojo de son lit et le plaque contre le mur, Elias lui dit : Ne dis jamais ce que tu es ! Ne reviens jamais là-bas ! Alors, dis-moi, tu es juif ?
Alors Jojo dit non, et Elias le bouscule, alors tu es juif ? Non ! ALORS TU ES JUIF ?? NON !!!

Alors Elias part, et Jojo use sa réserve secrète de larmes.

L'orphelinat est comme le camp, la chaleur qui crame remplacée par le froid qui mord. Les enfants sont durs, et cruels, et mesquins, parce qu'ils sont mangés par le chagrin.
Jojo est celui qui ne parle pas. Les plus grands font la loi, ils se vengent contre la vie. Jojo subit des offenses qu'il ignorait possible. Des offenses qui vont loin. Loin jusque dans les culottes, tu vois. Mais Jojo se laisse faire. Il attend David. Elias a dit qu'il reviendrait vite. Jojo marque les jours, sur le mur derrière son lit. Rien n'a plus d'importance à part ça, tu vois.

Des centaines de jours.



Le sixième souvenir



L'envol.
Sans la fée, Jojo serait peut-être jamais parti. Mais c'est elle qui vient sur son lit. Elle vient sur son bras, elle vient sur son numéro, et même sa lumière avale les chiffres. Jojo se réveille alors, et il suit la lumière jusqu'à la fenêtre. Il y a déjà d'autres enfants. Jojo n'arrive pas à bien voir Peter Pan.
Ça ne l'étonne pas que Peter Pan existe. Il a déjà vu des morts marcher.
Jojo est le seul, pourtant, qui ne veut pas venir. Il doit rester ici. C'est Elias qui l'a dit. Il doit rester ici et attendre David. Attendre Maman, puisque Maman viendra le chercher, puisque l'été revient toujours.
Mais tu sais, les promesses de merveilles grattent sa volonté. C'est qu'il fait si froid ici, et l'île du ciel a l'air chaude. Il tangue. Il a peur. Peur de louper l'été. Peter promet. Ne t'en fais pas. Tu reviendras. Ce n'est qu'un voyage. Ça ne durera pas si longtemps. Tu sais, il y a des fées. Des vraies fées.

Alors Jojo pose ses pieds sur le rebord de la fenêtre. Il dit oui. A une condition. On va chercher un bout d'été, rien qu'un. On va chercher David. Et Elias, aussi. Il lui faut du courage tu sais, à Jojo, parce que Peter Pan c'est pas n'importe quoi, et que ça fait des centaines de jours que sa voix n'est pas sortie. Mais il dit ça, il le dit et d'ailleurs il raconte tout à Peter Pan maintenant, tout tout tout, ça veut plus s'arrêter, pendant que les autres enfants jouent dans les airs. Et le visage de Peter Pan est dur, il est triste et tremblant, et Jojo tremble aussi, sans aucune pensée heureuse dans la tête. Peter Pan lui prend la main.

On va les sauver. On va sauver tous les enfants.

Il n'ose pas demander pour Triangle Rose. De toutes façons, il est forcément mort.

Jojo n'arrive presque pas à voler. Peter Pan lui dit de s'accrocher à son étoile. Il fait froid dans le ciel, mais c'est un bon froid, un froid qui rosit les joues, et Jojo hurle. Il hurle !!! JE SUIS JOJO ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JOJO !!!!!!

Jojo ne sait plus où est le camp, mais Peter Pan renifle l'odeur de la douleur. Après, Jojo ne sait plus.
Il se souvient de son coeur qui explose quand il revoit le visage d'Elias, le visage tout maigre et vieilli d'Elias, sans cheveux et sans force, et Jojo lui fonce dessus, il aurait peut-être pas du, et il le serre, plus fort que la main de Maman, plus fort que la grenouille, plus fort que TOUT.

Alors seulement il demande. Et David. Et David. Où est David. Où est David. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David.
Et cette fois, il n'y a pas de réponse.
Il n'y a pas de réponse.
Pas de réponse.
Où est David.
Pas de réponse.
S'il vous plait.
Où est David.
Non, non, attendez, David.
Elias le serre à son tour, tellement fort aussi, et l'intérieur de Grenouille explose en entier, et son corps est secoué de sanglots sans larmes, de sanglots sans bruit, tant la douleur est comme une lame.

A quoi ça sert, à quoi ça sert d'être un miracle.



Unique au monde


 LA PANOPLIE DE GRENOUILLE :
Le costume
Curve, qui est une Raccommodeuse, a cousu des morceaux de tissu sur les trous et des poches un peu partout, et une grosse poche dans la queue. Elle a cousu un cœur sur l'épaule. Elle a cousu son étoile sur le cœur.
Dans les poches : de la nourriture, des aiguilles, un couteau-suisse, des pansements.

La ceinture
C'est une ceinture de pirate que Curve a transformé en ceinture d'aventurier. Elle est grosse et plein de choses y sont accrochées.
A la ceinture : un lance-pierre, une boussole, une longue vue, une flasque, son canif.

Le sac à dos à piquants
Si Grenouille se roule en boule contre le sol, on peut croire qu'il est un gros hérisson.
Dans le sac : une corde avec un grappin, de la nourriture pour lui, de la nourriture pour les animaux, des allumettes, des bandages, une petite cape, un masque à gaz, des lunettes, des figurines, des chaussettes, des cartes, des trouvailles.

Le casque dinosaure
Offert par Curve aussi.
Dans le casque : sa mèche.


 LES GOÛTS DE GRENOUILLE :

Les figurines
Il en a toujours sur lui, et Tool lui a appris à les fabriquer.









Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ?  JEUNE
C'est quoi ton Avatar  ? Max et les Maximonstres et Max tout court.
Comment t'as découvert l'île ? par miracle
Tu la trouves comment ? miraculeuse
Dis, tu crois bien aux fées ? c'est une seconde famille.
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty22.08.17 23:52

Voilà la fiche ! Elle n'est pas finie et je pense que je me suis mal relu, j'ajouterai ou retirerai peut-être des choses mais tu as le principal et je ferai une meilleure mise en forme. J'espère que ça te plaira malgré la longueur :smile:
Dis moi si y a un souci.

Grenouille


Trucs

Surnom : La Mèche
Groupe : Perdus
Age : 9 ans
Rôle : Éclaireur


Il pleut

Le véritable courage, c'est pas de pas avoir peur. Sans peur, pas de courage. Le véritable courage, c'est de se tenir face à sa peur et de la regarder dans les yeux.
Il la répète dans sa tête cette phrase, Grenouille. C'est un Peau-Rouge qui lui a dit. Tout le temps. Parce que Grenouille a peur, tout le temps.

Et le traite pas de lâche, toi, le traite pas de lâche. Il est pas lâche Grenouille. Il est courageux. Parce que c'est dur de vivre avec la Peur, tout le temps. Ça poisse, la Peur, ça s'infiltre partout, c'est du froid, du poison, la Peur ça peut être une seconde peau. Pour Grenouille, c'est une seconde peau.
Ne vas pas dire que les monstres, ça n'existe pas. Qu'est-ce que tu sais de ce qui existe, toi ? Ça existe des prisons pour enfants ? Ça existe des mamans qui disparaissent comme ça, d'un coup ? Ça existe des policiers qui tuent des vieux ? Ça existe tant de Mort, pour rien, pour rien du tout ? Ça existe, tu dirais ? Oui, ça existe. Grenouille était là.  
Alors puisque ça, ça existe, comment on fait pour pas avoir peur ? Puisque c'est ça le monde.

Te moque pas, te moque pas. Te moque pas parce qu'il sursaute au moindre bruit, qu'il claque des dents dès qu'une ombre est trop noire ou un son trop grinçant. Te moque pas quand il a le souffle qui tremble pendant les histoires qui font peur, même pas tant peur pour toi. Te moque pas quand il voit des trucs qui, dans tes yeux, n'existent pas. Dans ses yeux à lui, ça existe, et toi aussi tu aurais tellement peur. Si tu voyais des paysages, des visages, des voix, se transformer en cauchemars vivants, petit à petit, sous l'effet invincible de la Peur, parce que la Peur c'est puissant, c'est vorace, ça peut tout déformer, et ça peut dévorer les enfants, tu aurais tellement peur.  
Te moque pas quand il se pisse dessus, et quand il gémit dans son sommeil, et quand il pique des crises d'hystérie qui te font dire qu'il est fou en fait, et quand il reste tout figé de Peur pour des choses qui te paraissent rien. Y a jamais de rien pour Grenouille, y a la seconde peau.

Alors Grenouille tremble dans le fond de son lit et fuit les horreurs qui ne le lâchent jamais, jamais vraiment. Il dit rien, il parle pas Grenouille, même quand ses poumons sifflent de Peur, parce que y'a l'asthme, et que ses yeux débordent d'Horreur, parce que y'a les hallucinations, Grenouille il parle pas. Il va voir personne. Qu'est-ce qu'il peut dire, hein ? Y a rien à dire. Ça marchera pas de lui dire « ce n'est rien » ou « n'aie pas peur ». C'est trop gros, trop fort, trop tout.
Il parle tout seul alors. Il récite des murmures très vite, comme des prières, des incantations secrètes. Peut-être que c'est sa protection. Te moque pas.
Et même quand il essaye d'affronter, ou de raisonner, de se dire que tout va bien, que c'est dans sa tête, ou que c'est juste le vent, ou que c'est lui qui imagine, c'est si difficile. De se convaincre, de se calmer, de garder son sang froid. C'est dur, c'est dur. Puisque la Peur finit toujours par saisir sa cheville en attendant de l'avaler. Tout cru.

Parfois, il se demande comment ils font les autres. Est-ce qu'ils affrontent des choses énormes et sombres aussi ? Est-ce qu'ils sentent le poids de l'angoisse dans leur ventre, au bout de leurs doigts, est-ce qu'ils ont la seconde peau ? Est-ce qu'ils se font grignoter par la Peur en secret ? Est-ce qu'il est le seul comme ça, à ressentir ça, tout le temps ? Pourquoi c'est si dur pour lui, pourquoi tout est plus dur. Pourquoi c'est jamais tranquille, jamais simple. Pourquoi la Peur revient toujours, comme si elle craignait qu'on l'oublie. Pourquoi il est pas comme les autres.
Ils ont l'air tellement plus forts, c'est vrai. C'est vrai.

Mais c'est pas grave, tu vois. C'est pas grave, Grenouille il se défendra. Avec ses petites armes. Comme troisième peau, il aura le costume de chat. Il est tout abîmé maintenant, mais c'est pas grave, Curve l'a rafistolé. Comme lui, rafistolé.
C'est pas grave, il aura les figurines. Il en a plein maintenant. Des animaux, des chevaliers, des pompiers, des bonhommes de la vie normale. Il a une collection. Grenouille peut en fabriquer tout seul maintenant, avec son petit canif, celui qu'un ami parti lui a donné. Beaucoup des amis de Grenouille sont partis. Les figurines sont en bois, parfois elles sont peintes. Il s'amuse avec, tout le temps. Il confectionne des décors avec du papier et des bouts de bois. Il imagine des mondes. D'autres mondes que l'île, des mondes où on peut terrasser la Peur. Parfois il joue tout seul aussi, et il imagine qu'il est un héros des histoires de Jules Verne, parce qu'il adore Jules Verne. Il imagine qu'il est un aventurier. On peut être un aventurier même si on a peur.
C'est pas grave, il aura l'étoile. L'étoile de David. L'étoile de David de David. Même quand il aurait pu mourir de la garder, Grenouille l'a gardé. Et elle est toujours là maintenant. Sur son habit de chat, une couverture pour son cœur, et elle est belle son étoile. Elle a six branches, c'est pas toutes les étoiles, ça.

Et puis Grenouille, il est peut-être tout pâle, et tout fragile, et tout craintif, et si tu le regardes il détournera les yeux, n'empêche que Grenouille il a survécu à une nuit sans fin, une chaleur qui fait mourir les plantes et une pluie qui noie une île. Il a survécu aux barbelés du Monde Ordinaire.
N'empêche que Grenouille il est encore là, avec la Peur qui lui court après et la Solitude qui appuie sur son corps comme une cape en plomb.
N'empêche que tu sais, son esprit est rempli de jolies choses, d'une imagination colorée que tu ne peux pas voir sous son teint gris, n'empêche qu'il rêve et joue encore, n'empêche que Grenouille est un petit miracle. Parce que les miracles aussi, ça existe. La preuve.

N'empêche.
N'empêche que Grenouille, un jour y a pas si longtemps, la Peur a tellement hurlé dans ses oreilles qu'il s'est senti prêt à mourir pour qu'elle se taise, et qu'il est entré dans la bouche d'un Cauchemar.
Le Cauchemar, on l'appelle l'Autre, on l'appelle Runaan, et Grenouille est entré dans sa bouche.

C'est du courage, ça.



Unique au monde


 LA PANOPLIE DE GRENOUILLE :
Le costume
Curve, qui est une Raccommodeuse, a cousu des morceaux de tissu sur les trous et des poches un peu partout, et une grosse poche dans la queue. Elle a cousu un cœur sur l'épaule. Elle a cousu son étoile sur le cœur.
Dans les poches : de la nourriture, des aiguilles, un couteau-suisse, des pansements.

La ceinture
C'est une ceinture de pirate que Curve a transformé en ceinture d'aventurier. Elle est grosse et plein de choses y sont accrochées.
A la ceinture : un lance-pierre, une boussole, une longue vue, une flasque, son canif.

Le sac à dos à piquants
Si Grenouille se roule en boule contre le sol, on peut croire qu'il est un gros hérisson.
Dans le sac : une corde avec un grappin, de la nourriture pour lui, de la nourriture pour les animaux, des allumettes, des bandages, une petite cape, un masque à gaz, des lunettes, des figurines, des chaussettes, des cartes, des trouvailles.

Le casque dinosaure
Offert par Curve aussi.
Dans le casque : sa mèche.


 LES GOÛTS DE GRENOUILLE :

Les figurines
Il en a toujours sur lui, et Tool lui a appris à les fabriquer.


[U.C.]




Il mouille

Grenouille court, et plus il court, plus son souffle est rauque, plus son cœur cogne contre ses côtes, mais ça, il a l'habitude. Ce qu'il ne connait pas, par contre, c'est les douleurs dans les os, ces affreuses douleurs dans les os, et la vision qui se trouble, d'ailleurs il ne voit plus ses mains, tandis qu'il court et court encore.

Le Labyrinthe se referme sur lui, c'est comme la gueule géante d'une plante carnivore géante, et sa Peur est tellement géante aussi. Il a laissé tomber l'épée, parce que ce qu'il fait le mieux Grenouille, c'est courir, et une épée sert à rien pour courir.
Il ne sait pas si l'Autre le poursuit, mais Grenouille voit encore son visage partout dans sa tête, c'est presque le visage de la Peur maintenant.

Il voit le Grand Arbre, à travers sa vision brouillée, dans son costume de chat tout déchiré, alors il sourit, et tandis qu'il sourit une dent tombe. C'est celle de devant. Grenouille continue de courir, des dents continuent de tomber. Il sait pas depuis combien de temps, il a jamais été doué pour mesurer le temps.

Grenouille s'est sauvé. Il s'est sauvé tout seul.




Tu crois que ça existe, un enfant vieux ? Grenouille non plus, il pensait pas.
Sauf que quand il rentre chez lui, Grenouille n'est plus pareil. Grenouille n'est plus tout à fait un enfant. Parce que l'Autre lui a pris un morceau de jeunesse. Même les camps avaient pas réussi.
Alors Grenouille sera un enfant qui a de l’arthrite, un enfant qui voit plus bien de près, un enfant qui a les doigts qui tremblent, un enfant à qui il manque des dents, un enfant avec une grosse mèche de cheveux blancs. Il a même pas grandi, pourtant.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille devient fort aussi. Grenouille s'équipe. Il se fera plus surprendre. Il sera préparé, prêt à tout. Aux portes qui sursautent, aux grands qui trahissent, aux cris qui lacèrent, aux violences, aux pièges, à TOUT.
A partir de maintenant, Grenouille sera en armure. Son armure à lui. C'est Curve qui fabriquera son armure, parce que le courage de Grenouille a gonflé et que maintenant il ose demander. Il dit : je veux une armure. Alors Curve recoud son costume de chat, parce que Grenouille n'en veut pas un nouveau. Alors Curve lui confectionne une ceinture où Grenouille mettra toutes ses armes. Alors Curve lui offre un casque-tête de dinosaure et un sac-dos de dinosaure qui lui donneront de la force.
Et pour finir la transformation de Grenouille, Curve dit qu'il faut un dernier détail. Curve lui rase les côtés du crâne. On voit encore mieux sa mèche blanche. Elle l'appelle : « Petite Mèche ». Et Grenouille aime bien.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille est fort surtout. Il est copain avec les Monstres de la Contrée, Grenouille, et même s'il a peur de toi, peut-être que toi tu aurais peur des Monstres, tu vois. Grenouille se compare plus à toi. Grenouille a sa petite force aussi, et parfois elle est grande, elle est hyper grande. C'est juste que tu le verras pas.
Tu le verras lui, avec son armure de chat, son casque dinosaure, son sac classe et ses gadgets importants, parcourir le Pays avec les os qui craquent, parce que c'est toujours en dedans qu'il a mal Grenouille. Et c'est pas grave, il court encore, il brave encore, et parfois même il marche sur les mains pour rire. Alors il rit. Il rit depuis qu'il est cet enfant-là.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
ÉCRIRE ICI


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
ÉCRIRE ICI


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
ÉCRIRE ICI




Bout d'aventure


Avec la Sombre Aventure, Grenouille a perdu des dents, mais il a gagné des souvenirs. Ils reviennent dans des flashs qui secouent tout le corps. Il y en a un par branche, tu sais, son étoile a six branches.




Le premier souvenir


Le premier souvenir c'est le plus chaud. C'est dommage parce que c'est aussi le plus vide. Dans ce souvenir il y a les osselets, les billes, la blouse de l'école, le cirque pour son anniversaire. Il n'y a pas de nom, puisque Peter Pan l'a pris, mais il y a ça  : Jojo.
Il y a les affiches placardées devant les parcs, les lieux publics, et même l'école de musique où il joue du violon. INTERDIT AUX JUIFS. Il y a son vieux professeur embarqué qui lui dit "tout va bien, ce n'est rien, on se voit demain". Et puis rien. Pas de demain pour le vieux professeur. Il y a les caillasses et les insultes lancées dans la cour de récré, youpin, youpin ! Il y a papa qu'il a déjà trop oublié, mais par contre il sait qu'il est horloger. Il y a David, David c'est son grand frère tu vois, qui se bagarre quand on injure Jojo.
Et Maman, Maman, avec ses robes d'été, et puis tout d'été tu sais, parce que Maman c'était l'été, même quand ses sourires étaient mouillées. Maman avec son accent polonais qui fait déraper les mots et qui se glisse jusque dans son rire. Maman qui l'appelle « petit miracle » parce que Jojo a survécu à une pneumonie quand il était têtard (c'est maman qui dit têtard).  Maman et ses yeux comme lui. Il y a beaucoup Maman, dans ce souvenir-là.

Puis, il y a l'étoile jaune. Comme il est fier, t'imagines pas. David est furieux, mais pour lui c'est comme un cadeau.
Et le premier souvenir est déjà fini, tu vois il est court.



Le deuxième souvenir



Le deuxième souvenir est très chaud aussi finalement, mais tu vois c'est pas la même chaleur. C'est la chaleur qui brûle et qui étouffe, celle qui rend tout plus dur.
Dans ce souvenir, Jojo a l'âge de raison.
Dans ce souvenir, il y a la porte qui sursaute sous les coups, et Maman qui ouvre à moitié en colère, à moitié en angoisse. Jojo reconnaît le policier, c'est celui qui fait des rondes en bas du quartier. Il a comme un autre visage aujourd'hui. C'est le premier visage que Jojo voit se déformer. Et c'est ce visage qui leur dit que cette fois  : «  les enfants aussi  ».
Dans ce souvenir, y a plus rien que de la hâte, et de la confusion, et de la brusquerie, et même de la violence, puisque Jojo ne se dépêche pas assez et que ça provoque des cris, déjà tant de cris, et que des cris comme ça c'est violent. Il demande ce qu'on va faire de Jules le chat, et personne lui répond, et il demande encore  «  Et Jules  ? Et Jules  ?  » et David lui hurle dessus alors, même David. C'est pas le moment Jojo, tu comprends pas que c'est pas le moment  ?!
Mais non, tu vois Jojo il comprend rien. Et toi non plus tu comprends rien, alors fais pas semblant.

Alors Jojo donne trois boites de pâté à Jules, au cas où ils reviendraient dans trois jours seulement. Maman s'est occupé des bagages. Ils ont droit à deux tricots et c'est tout, mais il fait tellement chaud de toutes façons.

Ne lâche pas la main, Jojo. elle dit Maman.

Jojo ne lâche pas.
Même en bas de l'immeuble, où tout le monde hurle et bouscule, où des vieux monsieurs pleurent, il lâche pas. Il demande une dernière fois pour Jules. Personne ne répond.
A la place, il y a la voix d'un policier qui crie de se dépêcher, et Jojo n'a jamais entendu un si féroce cri, et puis des cris des gens aux fenêtres qui disent «  Vermine !!! » et «  C'est injuste !!! » et tout se mélange dans un furieux manège de cris, et Jojo n'a jamais entendu autant de cris d'un coup. C'est de plus en plus dur de ne pas lâcher, tellement il y a de corps et de mouvements qui se dressent sur son passage, bientôt il ne voit plus le ciel, il n'y a plus que des valises, et des chapeaux, et des mains, tellement de mains qui s'agitent dans tous les sens. Son regard s'accroche aux vieux monsieurs qui pleurent, car ça aussi c'est la première fois, et puis David le tire en avant, et Papa le fait monter dans un bus. Le voisin, qui n'a pas de femme ni d'enfant parce que c'est un intellectuel, va dans l'autre bus.

Pourquoi on ne paye pas de ticket pour le bus  ?

Personne ne répond.
Tout ce qu'on entend, ce sont les cris, les cris.

C'est la première fois, aussi, que Jojo voit les adultes être si violents avec d'autres adultes. Il ne comprend pas que Papa se fasse frapper à l'épaule par un policier, il ne comprend pas surtout que Papa ne dise rien. Il le fixe d'un regard sévère, mais toujours sans lâcher, alors qu'ils descendent des bus et marchent en se dépêchant, toujours en se dépêchant.

Est-ce qu'ils vont reprendre mon étoile  ?

Personne ne répond.

On va où  ?

Personne ne répond.

Maman  ?

Personne ne répond.




Le pire, c'est pas la chaleur, c'est pas le bruit, tu sais, c'est l'odeur. Le Vélodrome d'Hiver, c'est pas pour l'été, et on est le 16 juillet 1942. Jojo arrête de poser des questions. C'est encore plus fatigant quand personne ne répond. David lui dit de pas se plaindre. Qu'ils vont pas chialer, quand même. Après tout, Jojo a l'âge de raison. Et puis, vaut mieux garder ses larmes, il fait trop soif pour les gâcher. David est fort, David est robuste. David a treize ans et il regarde les policiers dans leurs yeux, et il a rien besoin de dire. Les policiers baissent les yeux.
C'est là que David rencontre Elias.
Elias a douze ans. Il est déjà plus grand que David, pourtant. Il vit aussi tout près du Sacré-Coeur, mais moins près qu'eux, et Jojo est un peu fier alors.

C'est la première fois que Maman dit «  je ne peux pas  » quand Jojo lui demande de l'eau. C'est la première fois que personne ne peut l'aider quand ses bronches se coincent. C'est la première fois qu'il sent son père le serrer si fort. Mais la fièvre rend tout encore plus chaud et plus flou. Le souvenir s'arrête au nom qui résonne  dans tout le vélodrome d'été :

STARVINSKI.



Le troisième souvenir


Le troisième souvenir il commence par des trains.
C'est pas des trains normaux, tu vois, y a pas de siège, et puis surtout y a pas de lumière, y a pas d'air, et dedans, y a que des étoiles à six branches. Grenouille lâche pas. Tu te dis que ça dure une heure, ou deux heures comme ça, et que c'est déjà trop, et Grenouille se dit pareil, mais non, c'est trois jours. Trois jours. Et pendant trois jours, pas de lumière et pas d'air, alors la fièvre et l'asthme, alors y a des vieux qui se salissent, des hommes qui pleurent et un bébé qui meurt. Et Grenouille il a jamais vu la mort, tu sais, c'est la première fois.
Et quand les portes s'ouvrent, y a pas le temps de s'habituer à la lumière qui brûle les yeux et à l'air qui revient dans les poumons, pas le temps, puisque déjà ça crie, ça crie de partout et ça bouscule. C'est comme si on pouvait plus marcher normalement. Parler normalement. C'est comme si on était des animaux.


Le camp.
C'est un truc inimaginable le camp, on sait pas ce que c'est, le camp. C'est pas vraiment une prison, mais tu vois ça ressemble. C'est quoi ces blocs alors ? C'est pas des maisons, ça. Y a des clôtures et des gardes, et tellement d'ordres, c'est pas possible de tous les retenir, surtout quand les vieilles dames débitent du baratin yiddish dans les oreilles, sans arrêt. C'est épuisant ce baratin, qui se mêle aux cris ordonnés, aux ordres criés. Y a jamais, jamais de silence, jamais de tendresse, et on dirait que y en aura jamais plus.
Papa se prend un coup sur la tête quand il veut rester avec eux, et Maman pleure, le corps de Jojo est secoué contre le sien parce qu'elle le porte, parce qu'il a de la fièvre, parce que ça fait trois jours et parce que Papa part. Papa part parce que les hommes ne sont pas dans le même camp. David lance son regard contre le visage des policiers, mais ça ne marche plus si bien. Ça fait trois jours pour David aussi.
Et dans le camp, y a les couchettes rouillées, où on dort les uns sur les autres, et les repas sans rien dedans qui donnent soif, et les cheveux rasés pour les poux, et même pour rien parfois, et les punitions, les os qui percent, l'hygiène qui s'effiloche et les corps empalés sur les barbelets. Sur les barbelets !! Tu comprends ? Ça y est, la mort est là, c'est plus comme la première fois, elle est vieille ou jeune, elle est bruyante ou silenciense et elle est partout, ça s'appelle parfois du suicide. C'est partout, ça sent.
Et pourtant, y a pas les chambres encore, pas les fours encore, c'est pas un camp d'extermination, c'est rien qu'un camp de concentration, en France, en FRANCE, mais si les gens confondent autant, c'est que c'est pas bien si différent.
Et encore des bousculades, qui font de plus en plus mal tu sais, parce que quand c'est une bousculade ou deux bousculades, tu te dis que ça va encore, c'est juste énervant, mais quand tu te fais bousculer toutes les minutes de toutes les heures, c'est comme si ça t'arrachait la peau, et des cris encore, des cris, des cris, des cris !!!! Le silence est mort, puisque même quand les cris se taisent, leur écho résonne toujours dans la fièvre. Tous les matins, Maman se réveille en sursaut et le presse fort, et Jojo a l'impression de mourir, mais il lâche pas. Tu sais, il lâche pas.

Et quand Maman doit partir, il lâche pas. Ce sera le dernier à lâcher. Et tu peux pas imaginer comment c'est ce jour là. Ça fait déjà des jours et des jours qu'ils sont là et qu'ils deviennent des squelettes au regard trop brillant, ça fait des jours qu'ils meurent mais c'est jamais trop finalement. On sépare les mamans et les enfants. Tu imagines l'hystérie ? Tu imagines si on t'arrache ta maman, alors que t'as jamais, JAMAIS lâché ? Tu imagines, ça ?? Tu imagines comme Jojo pleure et hurle, même plus comme un humain, c'est tout son corps qui hurle, et il hurle encore quand le jet d'eau perce sa peau, entre dans sa gorge, éclate ses yeux. Et surtout il lâche pas, Jojo, et il faut trois policiers pour les séparer, avec les chiens et tout, Jojo et sa maman, trois policiers pour les séparer.
Alors Jojo lâche, puisque même David s'est fait plaquer au sol, puisque même Maman se fait emporter en criant « vis, vis petit miracle », puisque même Papa est déjà loin, puisqu'il est tout seul. Y a plus rien à tenir, et sa main se referme dans un vide qui l'avale tout entier.

C'est là que la Peur arrive pour de vrai. C'est quand y a plus de main à tenir, plus rien. Alors elle vient et elle avale, aussi.



Le quatrième souvenir



Les camions, les trains, le camp.
Encore.
Encore plus loin.
Tu continues de lire ?
Ça fait un mois, plus d'un mois, qu'il y a plus de parents. Tu connais un monde sans parents, toi ? C'est comme se sentir trop petit et trop grand en même temps. Tu sais comme ça creuse le ventre, presque avec une pelle tellement c'est violent.
Il y a un autre camp, où tous les enfants sont malades. La nourriture est en forme d'eau. Aujourd'hui, on doit repartir. Jojo a les yeux qui piquent, pas parce qu'il pleure,  parce qu'ils ont été réveillés à 5 heures.
Pendant le trajet, David et Elias parlent. Entre eux, ils s'appellent Kertész et Starvinski. Ça fait grand. Ils font exprès.

J'ai entendu le médecin parler avec l'infirmière. Les camps de Pologne, on en revient pas. Tu sais ce qu'ils font ? Ils nous brûlent. Nous, on peut nous prendre au travail, mais lui, il est trop petit.

Lui, c'est Jojo, mais Jojo répond pas, puisque Jojo parle plus depuis que Maman est partie.

Les enfants, ils les gardent pas. Surtout Jojo, avec son asthme. Alors j'ai eu une idée.

Là, David se penche et Jojo entend plus. De toutes façons, il s'endort.
Et dans le train, dans le train où on s'entasse comme des bêtes, parce que c'est un train pour bêtes, Jojo dort encore. Il peut dormir où il veut Jojo, c'est tellement facile, et parfois même David doit lui donner des claques pour le réveiller. Une femme avec un autre langage lui donne de l'eau, il dit pas merci parce qu'il parle plus. Elle l'appelle : "niebieskie oczy".

Et puis David lui parle et lui fait répeter. Quand on descend, tu vas sous le train. Tu te caches sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Jojo répète avec une voix sans vie.


Quand ils descendent, Jojo va sous le train. Tu n'imagines pas comment c'est, une masse de gens qui sont devenus presque fous à force d'avoir faim et mal et peur. Qui parlent tout seuls, qui griffent, qui ont les cheveux dans tous les sens, même les mamans. Qui se pressent hors des trains qui sentent comme les toilettes bouchés. Qui se cognent dessus sur le quai, sans savoir où aller, avec des gardes qui hurlent des mots comme des cailloux. Jojo tremble de tout son corps et étouffe ses gémissements. C'est épuisant ces cris, ça écorche toute la peau, jusqu'à laisser que la Peur. Il comprend aucun langage et devant lui, les chevilles de David ont disparu. Personne l'a vu dans la foule. Il s'agrippe au train, comme s'il voulait s'y fondre, et heureusement qu'il est bon en acrobatie.
Tu sais combien de temps il reste ? Parce que rien que ça c'est déjà dur. Il reste une nuit. Parce que Jojo reste là une nuit. Y a plus David et y a plus Elias, y a plus que lui et sa main vide. Il dort sur les rails, tu vois, avec des vêtements abandonnés autour de lui. On dirait un petit mort. Tu continues toujours de lire ?

Après, le souvenir est tout écorné, mais Jojo revoit la valise. L'âge de raison lui permet encore de tenir dans une valise tu sais. T'as déjà été enfermé dans un minuscule endroit ? Jojo se fait enfermer dans une grande valise. Y'a encore moins d'air et de lumière que dans les trains, mais il aime bien, c'est bizarre. C'est Elias qui porte la valise, ça il en est sûr Jojo. Elias est grand pour son âge, il a été mis dans la file de gauche, celle qu'on garde, celle qui travaille. Elias s'occupe des bagages des arrivants. Il est venu chercher Jojo sur les rails. Pendant la nuit, un autre train est arrivé, mais personne n'a rien remarqué, puisque de loin Jojo est un tas de vêtements. C'était facile de mettre Jojo dans la valise.
Combien de jours dans la valise, tu dirais ? C'est facile, ça aussi, tu sais. Dormir, attendre, se taire, dormir. Les jours défilent dans la valise et Jojo ne voit que le visage d'Elias. Il ne ressemble plus à rien, Jojo, avec son visage qui se creuse, sa peau qui blêmit, ses os qui saillent. Il est sale et pouilleux. Elias lui donne une vieille peluche moche qui pendouille. C'est une grenouille avec une langue qui pendouille aussi. Elias lui dit : "tu dois la protéger, c'est important". Tu y aurais cru, toi ? Jojo se dit que c'est de la connerie, mais un truc en lui y croit un peu.

Elle est juive la Grenouille ?

Combien de jours dans la valise, tu dirais. Combien de jours on peut tenir, même quand on rapetisse chaque nuit. Jojo peut pas te dire. Un jour, la valise tombe, la valise s'ouvre, la grenouille glisse et roule sur le sol. Jojo sort. Pour la grenouille.
Et ça crépite, tout à coup. C'est le cri d'un Allemand, l'aboiement d'un chien, y a pas de différence dans la tête de Grenouille. Dans la valise, tout était étouffé, alors maintenant tous les sons ont l'air trop fort, comme des claquements dans l'air. Jojo reste allongé sur le sol, comme quand il était sur les rails, de toutes façons ses jambes sont trop molles, et puis y a la Peur qui le plaque comme des bras tendus. Tu sais ce qui est plus violent que la Peur, quand même ? La Rage. Les uniformes ont tellement de rage dans leur voix et même tout leur corps que tu peux pas battre ça, tu vois, même si tu veux jouer au héros, tu peux rien faire face à cette rage-là. Jojo fait rien, ils le redressent sur ses pieds mous et il fait rien, ils le tiennent par ses épaules maigres et il fait rien.

On crie, encore, un numéro maintenant. Elias arrive. Elias est un numéro. Jojo comprend lentement. On questionne Elias. Jojo a eu le temps de comprendre qu'il ne doit rien dire. Pas dire qu'il connait Elias. Rien dire.

Juif ? un uniforme demande.

Jojo fait non de la tête.
Un autre uniforme parle, même quand il parle on dirait un cri étouffé, et le premier uniforme baisse son pantalon. Jojo pleure un peu. Tout le monde regarde son zizi. L'uniforme a une grimace de dégoût et on balance Jojo vers Elias. Il tombe, parce que son pantalon n'est pas remonté. Rien que ça, tu sais, c'est tellement plein de violence.

Il a du échapper à son groupe. Il part vendredi au block 11.


Le reste est encore effacé, mais Jojo se souvient du pyjama et du baraquement. Et puis l'odeur, tu sais, encore pire que toutes les autres odeurs.

Qu'est-ce qui sent comme ça ? Elias, qu'est-ce qui sent comme ça ? il demande, alors qu'Elias l'entraine dans l'immense immense immense camp avec des maisons en bois.

Elias répond pas.
Les gens en pyjama font encore plus peur que les uniformes. Ils le regardent fort et ils ont l'air mort. Il y en a par terre, partout par terre, avec l'air encore plus mort. Plus mort que mort. Tu sais pas comme c'est horrible de marcher parmi eux, comme c'est comme dans ces rèves où on sait plus comment sortir.
C'est dur de se souvenir dans l'ordre après. Le feu brûle ses habits, pour désinfecter. Le jet d'eau glace sa peau, pour désinfecter. Le pyjama avec une nouvelle étoile. La tête rasée encore plus près. Le numéro, le sien, pour lui tout seul. Il commence comme Elias.

Jojo demande où est David. Il demande sans arrêt maintenant, à tout le monde. Il sait que s'il n'arrête pas, il n'y aura plus rien alors, il n'y aura plus que le vide. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David...

Et à force, tu sais quoi ? David arrive. Dans le baraquement, alors que c'est pas le sien, et Jojo s'agrippe à lui comme il s'est agrippé au train, à la grenouille, à la vie, il pleure toutes ses larmes et toute la douleur du monde revient en lui, comme si la tendresse a ouvert la porte.

T'inquiète pas mon Jojo, dans deux jours, tous les trois, on se tire.  

Tous les trois, on se tire.




Le cinquième souvenir



La nuit sans David et sans Elias est la pire nuit. Mais il n'y a pas le choix. Il ne lui reste que la grenouille. On essaye de lui voler de la nourriture et de lui en donner aussi. Les adultes le collent, ils lui touchent le visage et les bras, parce qu'il n'y a plus d'enfant ici. Ils sont partis. Plein de gens lui demandent s'il a vu Mariuzs, Marek, Felix, Shmuel, Claude, Gretel, Martyna ou Jacob. Il répond pas. Il sait pas. Tu sais, même ça c'est comme une violence.

Ce qui choque le plus Jojo, c'est pas de dormir au milieu de plein de grands qu'il doit coller parce que y a pas la place, où les os qui se voient beaucoup sous leur peau, c'est l'appel. L'appel est plutôt la nuit que le matin. Un adulte l'aide à descendre du lit qui est haut et qui n'est même pas vraiment un lit. L'adulte est très gentil avec lui. C'est lui qui lui a donné du pain hier. Il n'a pas d'étoile, il a un triangle rose. Tu trouves ça joli ? Autant que l'étoile ? L'appel commence. Il faut rester debout les mains sur la tête. Il faut rester comme ça, des heures. Tu images, des heures ? Jojo a les bras qui tremblent, les jambes aussi, parce que ça fait des jours qu'il était recroquevillé dans une valise en plus. Il tient plus. Il y a des adultes autour de lui qui tombent et personne les ramasse. Il y a même une dame. Voir une dame tomber c'est une énorme violence. Tu vas croire qu'il s'habitue mais non, un trou s'habitue pas à être creusé tu vois, il devient juste plus profond. Et ça creuse encore, puisqu'un uniforme vient et que son pistolet tire dans la dame, qui est pas loin de Jojo, de sorte que cette image là elle s'incruste dans les yeux de Jojo pour l'éternité.

Le soir, Jojo à plein d'images incrustées. Il y a les femmes qui sortent du docteur avec des croûtes sur la peau ou des visages déformées. Il y a Triangle Rose qui se fait battre et battre et battre parce qu'il a fait tomber une grosse pierre tout près du pied d'un uniforme. Il y a les corps étalés par terre et Jojo imagine que ce sont des bateaux et que le sol est la mer. Il y a les malades qui crachent du sang et qui veulent pas aller à l'Infirmerie, parce que dans le camp l'Infirmerie soigne pas. C'est pour ça qu'il y va pas, parce que Triangle Rose lui a dit. Même si ses poumons sifflent et que son numero le gratte.

La nuit, Triangle Rose le serre fort, et il s'endort.

Le matin, il y a l'appel, et Jojo tient encore moins. Peut-être parce qu'il a de la fièvre, et des boutons, et des frissons, et qu'il tousse. Il faut se retenir pourtant, Triangle Rose lui a dit. Les uniformes ont peur des maladies.

C'est le midi qu'il y a l'évasion. Comme cadeau, Triangle Rose lui a donné son triangle, parce qu'il n'a rien d'autre. Jojo sait qu'il va mourir pour ça mais Triangle Rose a dit : ce n'est pas grave.

Jojo est le premier à passer. Elias est le deuxième. David est le troisième, et David ne passe pas. David se fait attraper. David hurle : "DÉGAGEZ ! DÉGAGE JOJO ! KERTESZ, N'OUBLIE PAS TA PROMESSE !". Et Jojo se débat, dans les bras d'Elias, il hurle et pleure, plus fort que les aboiements des chiens, plus fort que les hauts-parleurs, et David disparait, tu vois, il disparait pendant qu'Elias le traine, le force, le sauve. Il disparait.




L'errance.
Jojo est comme sa grenouille, il est en chiffon. T'imagines, un humain en chiffon. Il parle plus. Il a plus de larmes, plus d'expression. Ses pieds saignent de marcher, les cloques éclatent, et Elias doit le porter. Ils dorment dans des fermes, dans des champs, dans la merde. Ils mangent rien. Jojo tousse encore, Jojo est presque mort. Elias a trouvé des habits, grâce à son travail avec les bagages, mais Jojo a gardé l'étoile jaune et le triangle rose. Il s'arrête souvent pour vomir. Il s'effondre. Est-ce qu'un pistolet tirera sur lui ?

Une église, une voiture, une grande maison. Jojo est trop presque mort pour comprendre. Elias l'a porté tout le long. Elias est tellement courageux qu'on dirait presque plus un enfant. Elias l'accompagne à l'orphelinat. La grande maison, c'est un orphelinat.
Les femmes à l'intérieur ont l'accent de maman, et si Jojo avait des larmes ça le ferait pleurer. Jojo dit rien. Il ne comprend pas, de toutes façons. Elias reste avec lui tout le temps. Jusqu'à ce qu'il guérisse, parce que Jojo a le typhus.
La vie revient dans Jojo, et ça fait mal partout.

Tu n'es plus juif. Ta maman n'a pas l'accent de Pologne. Ta maman est morte. Ton papa est mort. Tout est mort. L'ancien Jojo aussi.
Ne montre pas ton zizi. Non, tu ne peux pas garder ton étoile. Allons, elle est laide, elle est si laide, pourquoi tu pleures ? Non, c'est trop dangereux. Jojo la gardera quand même. Dans sa semelle, bien cachée, bien trésorée.

Jojo s'en fout d'être juir, Jojo s'en fout de tout, parce que y a David, y a David qui est resté là-bas vous comprenez, et David va mourir, un pistolet dans la tête, David va mourir du typhus, si David fait tomber une grosse pierre au pied d'un uniforme, DAVID !!

— Je vais le chercher.

C'est Elias qui dit ça, une nuit, au fond des lits.

Je viens avec toi.

Mais Elias refuse, Elias a fait une promesse, et quand Jojo dit qu'il s'en fout de mourir, Elias s'énerve comme jamais il s'est énervé, Elias sort Jojo de son lit et le plaque contre le mur, Elias lui dit : Ne dis jamais ce que tu es ! Ne reviens jamais là-bas ! Alors, dis-moi, tu es juif ?
Alors Jojo dit non, et Elias le bouscule, alors tu es juif ? Non ! ALORS TU ES JUIF ?? NON !!!

Alors Elias part, et Jojo use sa réserve secrète de larmes.

L'orphelinat est comme le camp, la chaleur qui crame remplacée par le froid qui mord. Les enfants sont durs, et cruels, et mesquins, parce qu'ils sont mangés par le chagrin.
Jojo est celui qui ne parle pas. Les plus grands font la loi, ils se vengent contre la vie. Jojo subit des offenses qu'il ignorait possible. Des offenses qui vont loin. Loin jusque dans les culottes, tu vois. Mais Jojo se laisse faire. Il attend David. Elias a dit qu'il reviendrait vite. Jojo marque les jours, sur le mur derrière son lit. Rien n'a plus d'importance à part ça, tu vois.

Des centaines de jours.



Le sixième souvenir



L'envol.
Sans la fée, Jojo serait peut-être jamais parti. Mais c'est elle qui vient sur son lit. Elle vient sur son bras, elle vient sur son numéro, et même sa lumière avale les chiffres. Jojo se réveille alors, et il suit la lumière jusqu'à la fenêtre. Il y a déjà d'autres enfants. Jojo n'arrive pas à bien voir Peter Pan.
Ça ne l'étonne pas que Peter Pan existe. Il a déjà vu des morts marcher.
Jojo est le seul, pourtant, qui ne veut pas venir. Il doit rester ici. C'est Elias qui l'a dit. Il doit rester ici et attendre David. Attendre Maman, puisque Maman viendra le chercher, puisque l'été revient toujours.
Mais tu sais, les promesses de merveilles grattent sa volonté. C'est qu'il fait si froid ici, et l'île du ciel a l'air chaude. Il tangue. Il a peur. Peur de louper l'été. Peter promet. Ne t'en fais pas. Tu reviendras. Ce n'est qu'un voyage. Ça ne durera pas si longtemps. Tu sais, il y a des fées. Des vraies fées.

Alors Jojo pose ses pieds sur le rebord de la fenêtre. Il dit oui. A une condition. On va chercher un bout d'été, rien qu'un. On va chercher David. Et Elias, aussi. Il lui faut du courage tu sais, à Jojo, parce que Peter Pan c'est pas n'importe quoi, et que ça fait des centaines de jours que sa voix n'est pas sortie. Mais il dit ça, il le dit et d'ailleurs il raconte tout à Peter Pan maintenant, tout tout tout, ça veut plus s'arrêter, pendant que les autres enfants jouent dans les airs. Et le visage de Peter Pan est dur, il est triste et tremblant, et Jojo tremble aussi, sans aucune pensée heureuse dans la tête. Peter Pan lui prend la main.

On va les sauver. On va sauver tous les enfants.

Il n'ose pas demander pour Triangle Rose. De toutes façons, il est forcément mort.

Jojo n'arrive presque pas à voler. Peter Pan lui dit de s'accrocher à son étoile. Il fait froid dans le ciel, mais c'est un bon froid, un froid qui rosit les joues, et Jojo hurle. Il hurle !!! JE SUIS JOJO ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JOJO !!!!!!

Jojo ne sait plus où est le camp, mais Peter Pan renifle l'odeur de la douleur. Après, Jojo ne sait plus.
Il se souvient de son coeur qui explose quand il revoit le visage d'Elias, le visage tout maigre et vieilli d'Elias, sans cheveux et sans force, et Jojo lui fonce dessus, il aurait peut-être pas du, et il le serre, plus fort que la main de Maman, plus fort que la grenouille, plus fort que TOUT.

Alors seulement il demande. Et David. Et David. Où est David. Où est David. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David.
Et cette fois, il n'y a pas de réponse.
Il n'y a pas de réponse.
Pas de réponse.
Où est David.
Pas de réponse.
S'il vous plait.
Où est David.
Non, non, attendez, David.
Elias le serre à son tour, tellement fort aussi, et l'intérieur de Grenouille explose en entier, et son corps est secoué de sanglots sans larmes, de sanglots sans bruit, tant la douleur est comme une lame.

A quoi ça sert, à quoi ça sert d'être un miracle.




Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ?  JEUNE
C'est quoi ton Avatar  ? Max et les Maximonstres et Max tout court.
Comment t'as découvert l'île ? par miracle
Tu la trouves comment ? miraculeuse
Dis, tu crois bien aux fées ? c'est une seconde famille.
Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Petit roi du monde
Petit roi du monde

☽ Artifice ☾

ADMIN


✘ CONTES : 182
✘ AGE DU PERSO : 112 ans

j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty23.08.17 18:50

Grenouille


Trucs

Surnom : La Mèche
Groupe : Perdus
Age : 9 ans
Rôle : Éclaireur


Il pleut

Le véritable courage, ce n'est pas d'être peur. Sans peur, pas de courage. Le véritable courage, c'est de se tenir face à sa peur et de la regarder dans les yeux.
Il la répète dans sa tête cette phrase, Grenouille. C'est un Peau-Rouge qui lui a dit. Tout le temps. Parce que Grenouille a peur, tout le temps.

Et le traite pas de lâche, toi, le traite pas de lâche. Il est pas lâche Grenouille. Il est courageux. Parce que c'est dur de vivre avec la Peur, tout le temps. Ça poisse, la Peur, ça s'infiltre partout, c'est du froid, du poison, la Peur ça peut être une seconde peau. Pour Grenouille, c'est une seconde peau.
Ne vas pas dire que les monstres, ça n'existe pas. Qu'est-ce que tu sais de ce qui existe, toi ? Ça existe des prisons pour enfants ? Ça existe des mamans qui disparaissent comme ça, d'un coup ? Ça existe des policiers qui tuent des vieux ? Ça existe tant de Mort, pour rien, pour rien du tout ? Ça existe, tu dirais ? Oui, ça existe. Grenouille était là.  
Alors puisque ça, ça existe, comment on fait pour pas avoir peur ? Puisque c'est ça le monde.

Te moque pas, te moque pas. Te moque pas parce qu'il sursaute au moindre bruit, qu'il claque des dents dès qu'une ombre est trop noire ou un son trop grinçant. Te moque pas quand il a le souffle qui tremble pendant les histoires qui font peur, même pas si peur que ça pour toi. Te moque pas quand il voit des trucs qui, dans tes yeux, n'existent pas. Dans ses yeux à lui, ça existe, et toi aussi tu aurais tellement peur. Si tu voyais des paysages, des visages, des voix, se transformer en cauchemars vivants, petit à petit, sous l'effet invincible de la Peur, parce que la Peur c'est puissant, c'est vorace, ça peut tout déformer, et ça peut dévorer les enfants, tu aurais tellement peur.  
Te moque pas quand il se pisse dessus, et quand il gémit dans son sommeil, et quand il pique des crises d'hystérie qui te font dire qu'il est fou en fait, et quand il reste tout figé de Peur pour des choses qui te paraissent rien. Y a jamais de rien pour Grenouille, y a la seconde peau.

Alors Grenouille tremble dans le fond de son lit et fuit les horreurs qui ne le lâchent jamais, jamais vraiment. Il dit rien, il parle pas Grenouille, même quand ses poumons sifflent de Peur, parce que y'a l'asthme, et que ses yeux débordent d'Horreur, parce que y'a les hallucinations, Grenouille il parle pas. Il va voir personne. Qu'est-ce qu'il peut dire, hein ? Y a rien à dire. Ça marchera pas de lui dire « ce n'est rien » ou « n'aie pas peur ». C'est trop gros, trop fort, trop tout.
Il parle tout seul alors. Il récite des murmures très vite, comme des prières, des incantations secrètes. Peut-être que c'est sa protection. Te moque pas.
Et même quand il essaye d'affronter, ou de raisonner, de se dire que tout va bien, que c'est dans sa tête, ou que c'est juste le vent, ou que c'est lui qui imagine, c'est si difficile. De se convaincre, de se calmer, de garder son sang tout froid. C'est dur, c'est dur. Puisque la Peur finit toujours par saisir sa cheville en attendant de l'avaler. Tout cru.

Y en a qui disent qu'il est un peu fou Grenouille, mais c'est parce qu'il a parlé de David. Il a dit à d'autres qu'il l'avait vu, son frère, son grand frère, un fantôme qui apparaît sans prévenir et disparaît jamais complètement. Maintenant il en parle plus, de toutes façons personne le croit, les autres ils comprennent pas, et quand il voit David la Peur se mêle à la Joie, la Chaleur se mêle au Froid. Il sait bien que c'est pas normal, il a passé l'âge de raison après tout, mais la crevasse dans lui a l'air moins profonde quand David est là. Mine de rien.
Quand Grenouille voit les autres fantômes, qui sont presque toujours des enfants, il n'y a plus rien que la Peur par contre. Rien que la Peur et ce sentiment encombrant, tellement lourd, un sentiment en métal de honte, puisque Grenouille se sent coupable d'être en chair et en respiration, lui.

Parfois, il se demande comment ils font les autres. Est-ce qu'ils affrontent des choses énormes et sombres aussi ? Est-ce qu'ils sentent le poids de l'angoisse dans leur ventre, au bout de leurs doigts, est-ce qu'ils ont la seconde peau ? Est-ce qu'ils se font grignoter par la Peur en secret ? Est-ce qu'il est le seul comme ça, à ressentir ça, tout le temps ? Pourquoi c'est si dur pour lui, pourquoi tout est plus dur. Pourquoi c'est jamais tranquille, jamais simple. Pourquoi la Peur revient toujours, comme si elle craignait qu'on l'oublie. Pourquoi il est pas comme les autres.
Ils ont l'air tellement plus forts, c'est vrai. C'est vrai.

Mais c'est pas grave, tu vois. C'est pas grave, Grenouille il se défendra. Avec ses petites armes. Comme troisième peau, il aura le costume de chat. Il est tout abîmé maintenant, mais c'est pas grave, Curve l'a rafistolé. Comme lui, rafistolé.
C'est pas grave, il aura les figurines. Il en a plein, tu sais. Des animaux, des chevaliers, des pompiers, des bonhommes de la vie normale. Il a une collection. Il s'amuse avec, tout le temps. Il confectionne des décors avec du papier et des bouts de bois, des vraies maquettes très détaillées. Il imagine des mondes. D'autres mondes que l'île, des mondes où on peut terrasser la Peur. Parfois il joue tout seul aussi, et il imagine qu'il est un héros des histoires de Jules Verne, parce qu'il adore Jules Verne. Il imagine qu'il est un aventurier. On peut être un aventurier même si on a peur.
C'est pas grave, il aura l'étoile. L'étoile de David. L'étoile de David de David. Même quand il aurait pu mourir de la garder, Grenouille l'a gardé. Et elle est toujours là maintenant. Sur son habit de chat, une couverture pour son cœur, et elle est belle son étoile. Elle a six branches, c'est pas toutes les étoiles, ça.

Et puis Grenouille, il est peut-être tout pâle, et tout fragile, et tout craintif, et si tu le regardes il détournera les yeux, n'empêche que Grenouille il a survécu à une nuit sans fin, une chaleur qui fait mourir les plantes et une pluie qui noie une île. Il a survécu aux barbelés du Monde Ordinaire.
N'empêche que Grenouille il est encore là, avec la Peur qui lui court après et la Solitude qui appuie sur son corps comme une cape en plomb.
N'empêche que tu sais, son esprit est rempli de jolies choses, d'une imagination colorée que tu ne peux pas voir sous son teint gris, n'empêche qu'il rêve et joue encore, n'empêche que Grenouille est un petit miracle. Parce que les miracles aussi, ça existe. La preuve.

N'empêche.
N'empêche que Grenouille, un jour y a pas si longtemps, la Peur a tellement hurlé dans ses oreilles qu'il s'est senti prêt à mourir pour qu'elle se taise, et qu'il est entré dans la bouche d'un Cauchemar.
Le Cauchemar, on l'appelle l'Autre, on l'appelle Runaan, et Grenouille est entré dans sa bouche.

C'est du courage, ça.



Unique au monde


 LA PANOPLIE DE GRENOUILLE :
Le costume de chat
Curve, qui est une Raccommodeuse, a cousu des morceaux de tissu sur les trous et des poches un peu partout, et une grosse poche dans la queue. Elle a cousu un cœur sur l'épaule. Elle a cousu son étoile sur le cœur.
Dans les poches : de la nourriture, des aiguilles, un couteau-suisse, des pansements.

La ceinture d'aventurier
C'est une ceinture de pirate que Curve a transformé en ceinture d'aventurier. Elle est grosse et plein de choses y sont accrochées.
A la ceinture : un lance-pierre, une boussole, une longue vue, une flasque, son canif.

Le sac à dos à piquants
Si Grenouille se roule en boule contre le sol, on peut croire qu'il est un gros hérisson.
Dans le sac : une corde avec un grappin, de la nourriture pour lui, de la nourriture pour les animaux, des allumettes, des bandages, une petite cape, un masque à gaz, des lunettes, des figurines, des chaussettes, des cartes, des trouvailles.

Le casque dinosaure
Offert par Curve aussi.
Dans le casque : sa mèche.


 LES GOÛTS DE GRENOUILLE :

Les figurines
Il en a toujours sur lui, et Tool lui a appris à les fabriquer.
Grenouille peut en fabriquer tout seul maintenant, avec son petit canif, celui qu'un ami parti lui a donné. Beaucoup des amis de Grenouille sont partis. Les figurines sont en bois, parfois elles sont peintes.


[U.C.]
→ Ajouter :
- origine du nom
- voit le fantôme de David
- ne supporte pas qu'on touche à ses affaires
- lunettes crées par Nasty pour voir de près




Il mouille

C'est grand la bouche d'un Cauchemar. Ça n'en finit pas.

Grenouille court, et plus il court, plus son souffle est rauque, plus son cœur cogne contre ses côtes, mais ça, il a l'habitude. Ce qu'il ne connait pas, par contre, c'est les douleurs dans les os, ces affreuses douleurs dans les os, et la vision qui se trouble, d'ailleurs il ne voit plus ses mains, tandis qu'il court et court encore.

Le Labyrinthe se referme sur lui, c'est comme la gueule géante d'une plante carnivore géante, et sa Peur est tellement géante aussi. Il a laissé tomber l'épée, parce que ce qu'il fait le mieux Grenouille, c'est courir, et une épée sert à rien pour courir.
Il ne sait pas si l'Autre le poursuit, mais Grenouille voit encore son visage partout dans sa tête, c'est presque le visage de la Peur maintenant.

Il voit le Grand Arbre, à travers sa vision brouillée, dans son costume de chat tout déchiré, alors il sourit, et tandis qu'il sourit une dent tombe. C'est celle de devant. Grenouille continue de courir, des dents continuent de tomber. Il sait pas depuis combien de temps, il a jamais été doué pour mesurer le temps.

Grenouille s'est sauvé. Il s'est sauvé tout seul.




Tu crois que ça existe, un enfant vieux ? Grenouille non plus, il pensait pas.
Sauf que quand il rentre chez lui, au Grand Arbre qui est devenu son chez lui, Grenouille n'est plus pareil. Grenouille n'est plus tout à fait un enfant. Parce que l'Autre lui a pris un morceau de jeunesse. Même les camps avaient pas réussi.
Alors Grenouille sera un enfant qui a de l’arthrite, un enfant qui voit plus bien de près, un enfant qui a les doigts qui tremblent, un enfant à qui il manque des dents, un enfant avec une grosse mèche de cheveux blancs. Il a même pas grandi, pourtant.

Grenouille devient cet enfant-là et ne change pas tant, c'est l'enfant qui respire mal alors il lui faut inspirer des plantes à l'Infirmerie, qui tombe malade facilement parce que son corps est pas très résistant, qui est extrêmement, extrêmement pudique, qui ne veut pas qu'on le touche. Qui dessine beaucoup et qui ne montre pas ses dessins. Qui a des tics, des petits tics. Qui voit son fantôme, toujours.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille devient fort aussi. Grenouille s'équipe. Il se fera plus surprendre. Il sera préparé, prêt à tout. Aux portes qui sursautent, aux grands qui trahissent, aux cris qui lacèrent, aux violences, aux pièges, aux imprévus, à TOUT.
A partir de maintenant, Grenouille sera en armure. Son armure à lui. C'est Curve qui fabriquera son armure, parce que le courage de Grenouille a gonflé et que maintenant il ose demander. Il dit : je veux une armure.
Alors Curve trouve qu'il a du caractère et recoud son costume de chat, parce que Grenouille n'en veut pas un nouveau et que ça lui suffit comme armure. Il aura une ceinture, un casque, un sac avec des piques, il aura une panoplie et les panoplies, ça donne du courage.
Et pour finir la transformation de Grenouille, Curve dit qu'il faut un dernier détail. Curve lui rase les côtés du crâne. On voit encore mieux sa mèche blanche. Elle l'appelle : « Petite Mèche ». Et Grenouille aime bien.

Grenouille aura du caractère, Grenouille dira « non » quand il ne veut pas. Il dira « non » quand on le tape, quand on l'insulte, et un encore plus gros « NON » quand on touche à ses affaires, parce que ça il supporte vraiment pas. Il aura une mini voix, mais il aura une voix. Il se défendra.

Grenouille devient cet enfant-là, mais Grenouille est fort surtout. Il est copain avec les Monstres de la Contrée, Grenouille, et même s'il a peur de toi, peut-être que toi tu aurais peur des Monstres, tu vois. Grenouille se compare plus à toi. Grenouille a sa petite force aussi, et parfois elle est grande, elle est hyper grande. C'est juste que tu le verras pas.
Tu le verras lui, avec son armure de chat, son casque dinosaure, son sac piquant et ses gadgets importants, parcourir le Pays avec les os qui craquent, parce que c'est toujours en dedans qu'il a mal Grenouille. Et c'est pas grave, il court encore, il brave encore, et parfois même il marche sur les mains pour rire. Alors il rit.
Il rit depuis qu'il est cet enfant-là.




L'île

Comment vis-tu ton séjour à Never Never Land ? Que représente ce lieu pour toi ?  
ÉCRIRE ICI


Regrettes-tu ta vie d'avant ? Voudrais-tu pouvoir retourner dans le monde ordinaire ?  Si tu n'en as jamais connu d'autre, désirerais-tu une autre vie ? L'autre monde te fait-il envie ?
ÉCRIRE ICI


Comment vois-tu Peter Pan ? Quels sont tes sentiments envers lui ? A l'inverse, que ressens-tu pour le capitaine Hook ?
ÉCRIRE ICI




Bout d'aventure


Avec la Sombre Aventure, Grenouille a perdu des dents, mais il a gagné des souvenirs. Ils reviennent dans des flashs qui secouent tout le corps. Ils sont de plus en plus durs, mais s'il te plait lis jusqu'au bout. Il le mérite, Grenouille. Il y a un souvenir par branche, tu sais, son étoile a six branches.




Le premier souvenir


Le premier souvenir c'est le plus chaud. C'est dommage parce que c'est aussi le plus vide. Dans ce souvenir il y a les osselets, les billes, la blouse à l'école, le cirque pour son anniversaire. Il n'y a pas de nom, puisque Peter Pan l'a pris, mais il y a ça  : Jojo.
Puis il y a les affiches placardées devant les parcs, les lieux publics, et même l'école de musique où il joue du violon. INTERDIT AUX JUIFS. Il y a son vieux professeur embarqué qui lui dit "tout va bien, ce n'est rien, on se voit demain". Et puis rien. Pas de demain pour le vieux professeur. Il y a les caillasses et les insultes lancées dans la cour de récré, youpin, youpin ! Il y a papa qu'il a déjà trop oublié, mais par contre il sait qu'il est horloger. Il y a David, David c'est son grand frère tu vois, qui se bagarre quand on injure Jojo.
Et Maman, Maman, avec ses robes d'été, et puis tout d'été tu sais, parce que Maman c'était l'été, même quand ses sourires étaient mouillées. Maman avec son accent polonais qui fait déraper les mots et qui se glisse jusque dans son rire. Maman qui l'appelle « petit miracle » parce que Jojo a survécu à une pneumonie quand il était têtard (c'est maman qui dit têtard).  Maman et ses yeux comme lui. Il y a beaucoup Maman, dans ce souvenir-là.

Puis, il y a l'étoile jaune. Comme il est fier, t'imagines pas. David est furieux, mais pour lui c'est comme un cadeau.
Et le premier souvenir est déjà fini, tu vois il est court.





Le deuxième souvenir



Le deuxième souvenir est très chaud aussi finalement, mais tu vois c'est pas la même chaleur. C'est la chaleur qui brûle et qui étouffe, celle qui rend tout plus dur.
Dans ce souvenir, Jojo a l'âge de raison.
Dans ce souvenir, il y a la porte qui sursaute sous les coups, et Maman qui ouvre à moitié en colère, à moitié en angoisse. Jojo reconnaît le policier, c'est celui qui fait des rondes en bas du quartier. Il a comme un autre visage aujourd'hui. C'est le premier visage que Jojo voit se déformer. Et c'est ce visage qui leur dit que cette fois  : «  les enfants aussi  ».
Dans ce souvenir, y a plus rien que de la hâte, et de la confusion, et de la brusquerie, et même de la violence, puisque Jojo ne se dépêche pas assez et que ça provoque des cris, déjà tant de cris, et que des cris comme ça c'est violent. Il demande ce qu'on va faire de Jules le chat, et personne lui répond, et il demande encore  «  Et Jules  ? Et Jules  ?  » et David lui hurle dessus alors, même David. C'est pas le moment Jojo, tu comprends pas que c'est pas le moment  ?!
Mais non, tu vois Jojo il comprend rien. Et toi non plus tu comprends rien, alors fais pas semblant.

Alors Jojo donne trois boites de pâté à Jules, au cas où ils reviendraient dans trois jours seulement. Maman s'est occupée des bagages. Ils ont droit à deux tricots et c'est tout, mais il fait tellement chaud de toutes façons.

Ne lâche pas la main, Jojo. elle dit Maman.

Jojo ne lâche pas.
Même en bas de l'immeuble, où tout le monde hurle et bouscule, où des vieux monsieurs pleurent, il lâche pas. Il demande une dernière fois pour Jules. Personne ne répond.
A la place, il y a la voix d'un policier qui crie de se dépêcher, et Jojo n'a jamais entendu un si féroce cri, et puis des cris des gens aux fenêtres qui disent «  Vermine !!! » et «  C'est injuste !!! » et tout se mélange dans un furieux manège de cris, et Jojo n'a jamais entendu autant de cris d'un coup. C'est de plus en plus dur de ne pas lâcher, tellement il y a de corps et de mouvements qui se dressent sur son passage, bientôt il ne voit plus le ciel, il n'y a plus que des valises, et des chapeaux, et des mains, tellement de mains qui s'agitent dans tous les sens. Son regard s'accroche aux vieux monsieurs qui pleurent, car ça aussi c'est la première fois, et puis David le tire en avant, et Papa le fait monter dans un bus. Le voisin, qui n'a pas de femme ni d'enfant parce que c'est un intellectuel, va dans l'autre bus. Les deux sont remplis de gens qui ont l'air très perdu.

Pourquoi on ne paye pas de ticket pour le bus  ?

Personne ne répond.
Tout ce qu'on entend, ce sont les cris, les cris.

C'est la première fois, aussi, que Jojo voit les adultes être si violents avec d'autres adultes. Il ne comprend pas que Papa se fasse frapper à l'épaule par un policier, il ne comprend pas surtout que Papa ne dise rien. Il le fixe d'un regard sévère, mais toujours sans lâcher, alors qu'ils descendent des bus et marchent en se dépêchant, toujours en se dépêchant.

Est-ce qu'ils vont reprendre mon étoile  ?

Personne ne répond.

On va où  ?

Personne ne répond.

Maman  ?

Personne ne répond.




Le pire, c'est pas la chaleur, c'est pas le bruit, tu sais, c'est l'odeur. Le Vélodrome d'Hiver, c'est pas pour l'été, et on est le 16 juillet 1942. Jojo arrête de poser des questions. C'est encore plus fatigant quand personne ne répond. David lui dit de pas se plaindre. Qu'ils vont pas chialer, quand même. Après tout, Jojo a l'âge de raison. Et puis, vaut mieux garder ses larmes, il fait trop soif pour les gâcher. David est fort, David est robuste. David a treize ans et il regarde les policiers dans leurs yeux, et il a rien besoin de dire. Les policiers baissent les yeux.
C'est là que David rencontre Elias.
Elias a douze ans. Il est déjà plus grand que David, pourtant. Il vit aussi tout près du Sacré-Coeur, mais moins près qu'eux, et Jojo est un peu fier alors.

C'est la première fois que Maman dit «  je ne peux pas  » quand Jojo lui demande de l'eau. C'est la première fois que personne ne peut l'aider quand ses bronches se coincent. C'est la première fois qu'il sent son père le serrer si fort. Mais la fièvre rend tout encore plus chaud et plus flou. Le souvenir s'arrête au nom qui résonne  dans tout le vélodrome d'été :


STARVINSKI.


C'est le nom de Jojo.





Le troisième souvenir


Les trains.
Le troisième souvenir il commence par des trains.
C'est pas des trains normaux, tu vois, y a pas de siège, et puis surtout y a pas de lumière, y a pas d'air, et dedans que des étoiles à six branches. Grenouille lâche pas. Tu te dis que ça dure une heure, ou deux heures comme ça, et que c'est déjà trop, et Grenouille se dit pareil, mais non, c'est trois jours. Trois jours. Et pendant trois jours, pas de lumière et pas d'air, alors la fièvre et l'asthme, alors y a des vieux qui se salissent, des hommes qui pleurent et un bébé qui meurt. Et Grenouille il a jamais vu la mort, tu sais, c'est la première fois.
Et quand les portes s'ouvrent, y a pas le temps de s'habituer à la lumière qui brûle les yeux et à l'air qui revient dans les poumons, pas le temps, puisque déjà ça crie, ça crie de partout et ça bouscule. C'est comme si on pouvait plus marcher normalement. Parler normalement. C'est comme si on était des animaux.


Le camp.
C'est un truc inimaginable le camp, on sait pas ce que c'est, le camp. C'est pas vraiment une prison, mais tu vois ça ressemble. C'est quoi ces blocs alors ? C'est pas des maisons, ça. Y a des clôtures et des gardes, des chiens, et tellement d'ordres, c'est pas possible de tous les retenir, surtout quand les vieilles dames débitent du baratin yiddish dans les oreilles, sans arrêt. C'est épuisant ce baratin, qui se mêle aux cris ordonnés, aux ordres criés. Y a jamais, jamais de silence, jamais de tendresse, et on dirait que y en aura jamais plus.
Papa se prend un coup sur la tête quand il veut rester avec eux, et Maman pleure, le corps de Jojo est secoué contre le sien parce qu'elle le porte, parce qu'il a de la fièvre, parce que ça fait trois jours et parce que Papa part. Papa part parce que les hommes ne sont pas dans le même camp. David lance son regard contre le visage des policiers, mais ça ne marche plus si bien. Ça fait trois jours pour David aussi.

Et dans le camp, y a les couchettes rouillées, où on dort les uns sur les autres, et les repas sans rien dedans qui donnent soif, et les cheveux rasés pour les poux, et même pour rien parfois, et les punitions, les os qui percent, l'hygiène qui s'effiloche et les corps empalés sur les barbelés. Sur les barbelés !! Tu comprends ? Ça y est, la mort est là, c'est plus comme la première fois, elle est vieille ou jeune, elle est bruyante ou silencieuse et elle est partout, ça s'appelle parfois du suicide. C'est partout, ça sent.
Et pourtant, y a pas les chambres encore, pas les fours encore, c'est pas un camp d'extermination, c'est rien qu'un camp de concentration, en France, en FRANCE, mais si les gens confondent autant, c'est que c'est pas bien si différent.
Et encore des bousculades, qui font de plus en plus mal tu sais, parce que quand c'est une bousculade ou deux bousculades, tu te dis que ça va encore, c'est juste énervant, mais quand tu te fais bousculer toutes les minutes de toutes les heures, c'est comme si ça t'arrachait la peau, et des cris encore, des cris, des cris, des cris !!!! Le silence est mort, puisque même quand les cris se taisent, leur écho résonne toujours dans la fièvre. Tous les matins, Maman se réveille en sursaut et le presse fort, et Jojo a l'impression de mourir, mais il lâche pas. Tu sais, il lâche pas.

Et quand Maman doit partir, il lâche pas. Ce sera le dernier à lâcher. Et tu peux pas imaginer comment c'est ce jour là. Ça fait déjà des jours et des jours qu'ils sont là et qu'ils deviennent des squelettes au regard trop brillant, ça fait des jours qu'ils meurent mais c'est jamais trop finalement. On sépare les mamans et les enfants. Tu imagines l'hystérie ? Tu imagines si on t'arrache ta maman, alors que t'as jamais, JAMAIS lâché ? Tu imagines, ça ?? Tu imagines comme Jojo pleure et hurle, même plus comme un humain, c'est tout son corps qui hurle, et il hurle encore quand le jet d'eau perce sa peau, entre dans sa gorge, éclate ses yeux. Et surtout il lâche pas, Jojo, et il faut trois policiers pour les séparer, avec les chiens et tout, Jojo et sa maman, trois policiers pour les séparer.
Alors Jojo lâche, puisque même David s'est fait plaquer au sol, puisque même Maman se fait emporter en criant « vis, vis petit miracle », puisque même Papa est déjà loin, puisqu'il est tout seul. Y a plus rien à tenir, et sa main se referme dans un vide qui l'avale tout entier.

C'est là que la Peur arrive pour de vrai. C'est quand y a plus de main à tenir, plus rien. Alors elle vient et elle avale, aussi.





Le quatrième souvenir



Les camions, les trains, le camp.
Encore.
Encore plus loin.
Tu continues de lire ?
Ça fait un mois, plus d'un mois, qu'il y a plus de parents. Tu connais un monde sans parents, toi ? C'est comme se sentir trop petit et trop grand en même temps. Tu sais comme ça creuse le ventre, presque avec une pelle tellement c'est violent.
Il y a un autre camp, il s'appelle Drancy, où tous les enfants sont malades. La nourriture est en forme d'eau. Aujourd'hui, on doit repartir. Jojo a les yeux qui piquent, pas parce qu'il pleure,  parce qu'ils ont été réveillés à 5 heures.
Pendant le trajet dans le camion qui saute, David et Elias parlent. Entre eux, ils s'appellent Kertész et Starvinski. Ça fait grand. Ils font exprès.

J'ai entendu le médecin parler avec l'infirmière. Les camps de Pologne, on en revient pas. Tu sais ce qu'ils font ? Ils nous brûlent. Nous, on peut nous prendre au travail, mais lui, il est trop petit.

Lui, c'est Jojo, mais Jojo répond pas, puisque Jojo parle plus depuis que Maman est partie.

Les enfants, ils les gardent pas. Surtout Jojo, avec son asthme. Alors voilà ce qu'on va faire.

Là, David se penche et Jojo entend plus. De toutes façons, il s'endort.
Et dans le train, dans le train où on s'entasse comme des bêtes, parce que c'est un train pour bêtes, Jojo dort encore. Il peut dormir où il veut Jojo, c'est tellement facile, et parfois même David doit lui donner des claques pour le réveiller. Une femme avec un autre langage lui donne de l'eau, il dit pas merci parce qu'il parle plus. Elle l'appelle : "niebieskie oczy".

Et puis David lui parle et lui fait répéter. Quand on descend, tu vas sous le train. Tu te caches sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Quand on descend, tu vas sous le train. Jojo répète avec une voix sans vie.


Quand ils descendent, Jojo va sous le train. Tu n'imagines pas comment c'est, une masse de gens qui sont devenus presque fous à force d'avoir faim et mal et peur. Qui parlent tout seuls, qui griffent, qui ont les cheveux dans tous les sens, même les mamans. Qui se pressent hors des trains qui sentent comme les toilettes bouchés, après un trajet qui ne finissait pas. Qui se cognent dessus sur le quai, sans savoir où aller, avec des gardes qui hurlent des mots comme des cailloux.
Jojo tremble de tout son corps et étouffe ses gémissements. C'est épuisant ces cris, ça écorche toute la peau, jusqu'à laisser que la Peur. Il comprend aucun langage et devant lui, les chevilles de David ont disparu. Personne l'a vu dans la foule, Jojo. Il s'agrippe au train, comme s'il voulait s'y fondre, et heureusement qu'il est bon en acrobatie.
Tu sais combien de temps il reste ? Parce que rien que ça c'est déjà dur. Parce que Jojo reste là une nuit. Y a plus David et y a plus Elias, y a plus que lui et sa main vide. Il dort sur les rails, tu vois, avec des vêtements abandonnés autour de lui. On dirait un petit mort. Tu continues toujours de lire ?

Après, le souvenir est tout écorné, mais Jojo revoit la valise. L'âge de raison lui permet encore de tenir dans une valise tu sais. T'as déjà été enfermé dans un minuscule endroit ? Jojo se fait enfermer dans une grande valise. Y'a encore moins d'air et de lumière que dans les trains, mais il aime bien, c'est bizarre. C'est Elias qui porte la valise, ça il en est sûr Jojo. Elias est grand pour son âge, il a été mis dans la file de gauche, celle qu'on garde, celle qui travaille. Elias s'occupe des bagages des arrivants. Il est venu chercher Jojo sur les rails. Pendant la nuit, un autre train est arrivé, mais personne n'a rien remarqué, puisque de loin Jojo est un tas de vêtements. C'était facile de mettre Jojo dans la valise.
Combien de jours dans la valise, tu dirais ? C'est facile, ça aussi, tu sais. Dormir, attendre, se taire, dormir. Les jours défilent dans la valise et Jojo ne voit que le visage d'Elias. Il ne ressemble plus à rien, Jojo, avec son visage qui se creuse, sa peau qui blêmit, ses os qui saillent. Il est sale et pouilleux. Elias lui donne une vieille peluche moche qui pendouille. C'est une grenouille. Elias lui dit : "tu dois la protéger, c'est important". Tu y aurais cru, toi ? Jojo se dit que c'est de la connerie, mais un truc en lui y croit un peu.

Elle est juive la Grenouille ?

Combien de jours dans la valise, tu dirais. Combien de jours on peut tenir, même quand on rapetisse chaque nuit. Jojo peut pas te dire.
Puis un jour, la valise tombe, la valise s'ouvre, la grenouille glisse et roule sur le sol. Jojo sort. Pour la grenouille. Il rampe, ça tire sur tous ses muscles dégonflés.
Et ça crépite, tout à coup. C'est le cri d'un Allemand, l'aboiement d'un chien, y a pas de différence dans la tête de Grenouille. Dans la valise, tout était étouffé, alors maintenant tous les sons ont l'air trop fort, comme des claquements dans l'air. Jojo reste allongé sur le plancher, comme quand il était sur les rails, de toutes façons ses jambes sont trop molles, et puis y a la Peur qui le plaque comme des bras tendus. Tu sais ce qui est plus violent que la Peur, malgré tout ? La Rage. Les uniformes ont tellement de rage dans leur voix et même tout leur corps que tu peux pas battre ça, tu vois, même si tu veux jouer au héros, tu peux rien faire face à cette rage-là. Jojo fait rien, ils le redressent sur ses pieds mous et il fait rien, ils le tiennent par ses épaules maigres et il fait rien.

On crie, encore, un numéro maintenant. Elias arrive. Elias est un numéro. Jojo comprend lentement. On questionne Elias. Jojo a eu le temps de comprendre qu'il ne doit rien dire. Pas dire qu'il connait Elias. Rien dire.

Juif ? un uniforme demande.

Jojo fait non de la tête.
Un autre uniforme parle, même quand il parle on dirait un cri étouffé, et le premier uniforme baisse son pantalon. Jojo pleure un peu. Tout le monde regarde son zizi. L'uniforme a une grimace de dégoût et on balance Jojo vers Elias. Il tombe, parce que son pantalon n'est pas remonté. Rien que ça, tu sais, c'est tellement plein de violence.

Il a du échapper à son groupe. Il part vendredi au block 11. dit un uniforme en français, avec un accent grésillant.




Le reste est encore effacé, mais Jojo se souvient du pyjama rayé et du baraquement plein de gens. Et puis l'odeur, tu sais, encore pire que toutes les autres odeurs.

Qu'est-ce qui sent comme ça ? Elias, qu'est-ce qui sent comme ça ? il demande, alors qu'Elias l'entraine dans l'immense immense immense camp avec des maisons en bois.

Elias répond pas.
Elias doit pas savoir que c'est un miracle que la voix de Jojo sorte encore.
Les gens en pyjama font encore plus peur que les uniformes. Ils le regardent fort et ils ont l'air mort. Il y en a par terre, partout par terre, avec l'air encore plus mort. Plus mort que mort. Tu sais pas comme c'est horrible de marcher parmi eux, comme c'est comme dans ces rêves où on sait plus comment sortir.
C'est dur de se souvenir dans l'ordre après. Le feu brûle ses habits, pour désinfecter. Le jet d'eau glace sa peau, pour désinfecter. ALLEZ ALLEZ ALLEZ. Les cris ont repris, les bousculades ont recommencé. C'est toujours de la violence.
Le pyjama avec une nouvelle étoile. La tête rasée encore plus près. Le numéro, le sien, pour lui tout seul, en plein milieu du bras. Il commence comme Elias. Et ce numéro, c'est beaucoup de violence encore.

Jojo demande où est David. Il demande sans arrêt maintenant, à tout le monde. Il sait que s'il s'arrête, il n'y aura plus rien alors, il n'y aura plus que le vide. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David...

Sa voix s'éraille mais tient bon.
Et à force, tu sais quoi ? Un petit miracle. David arrive. Dans le baraquement, alors que c'est pas le sien, et Jojo s'agrippe à lui comme il s'est agrippé au train, à la grenouille, à la vie, il pleure toutes ses larmes, et toute la douleur du monde revient en lui comme si la tendresse avait ouvert la porte.

T'inquiète pas mon Jojo, dans deux jours, tous les trois, on se tire.  

Tous les trois, on se tire.





Le cinquième souvenir



La nuit sans David et sans Elias est la pire nuit. Mais il n'y a pas le choix, ils sont loin la nuit. Il ne lui reste que la grenouille. On essaye de lui voler de la nourriture et de lui en donner aussi. Les adultes le collent, ils lui touchent le visage et les bras, parce qu'il n'y a plus d'enfant ici. Ils sont partis. Plein de gens lui demandent s'il a vu Mariuzs, Marek, Felix, Shmuel, Claude, Gretel, Martyna ou Jacob. Il répond pas. Il sait pas. Tu sais, même ça c'est comme une violence.

Ce qui choque le plus Jojo, c'est pas de dormir au milieu de plein de grands qu'il doit coller parce que y a pas la place, où les os qui se voient beaucoup sous leur peau... C'est l'appel. Le lendemain.
L'appel est plutôt la nuit que le matin tellement c'est tôt. Un adulte l'aide à descendre du lit qui est haut et qui n'est même pas vraiment un lit. L'adulte est très gentil avec lui. C'est lui qui lui a donné du pain hier. Il n'a pas d'étoile, il a un triangle rose. Tu trouves ça joli ? Autant que l'étoile ? L'appel commence. Il faut rester debout les mains sur la tête. Il faut rester comme ça, des heures. Tu imagines, des heures ? Jojo a les bras qui tremblent, les jambes aussi, parce que ça fait des jours qu'il était recroquevillé dans une valise en plus. Il tient plus. Il y a des adultes autour de lui qui tombent et personne les ramasse. Il y a même une dame. Voir une dame tomber c'est une énorme violence. Tu vas croire qu'il s'habitue mais non, un trou s'habitue pas à être creusé tu vois, il devient juste plus profond. Et ça creuse encore, puisqu'un uniforme vient et que son pistolet tire dans la dame, qui est pas loin de Jojo, de sorte que cette image là elle s'incruste dans les yeux de Jojo pour l'éternité.

Le soir, Jojo à plein d'images incrustées. Il y a les femmes qui sortent du docteur avec des croûtes sur la peau ou des visages déformées. Il y a Triangle Rose qui se fait battre et battre et battre parce qu'il a fait tomber une grosse pierre tout près du pied d'un uniforme. Il y a les corps étalés par terre et Jojo imagine que ce sont des bateaux et que le sol est la mer, la mer morte. Il y a les malades qui crachent du sang et qui veulent pas aller à l'Infirmerie, parce que dans le camp l'Infirmerie soigne pas. L'Infirmerie envoie aux douches qui tuent. C'est pour ça qu'il y va pas, parce que Triangle Rose lui a dit. Même si ses poumons sifflent et que son numéro le gratte.

La nuit, Triangle Rose le serre fort, et il s'endort.

Le matin, il y a l'appel encore, et Jojo tient encore moins. Peut-être parce qu'il a de la fièvre, et des plaques, et des frissons, et qu'il tousse. Il faut se retenir pourtant, Triangle Rose lui a dit. Les uniformes ont peur des maladies.

C'est le midi qu'il y a l'évasion. Comme cadeau, Triangle Rose lui a donné son triangle, parce qu'il n'a rien d'autre. Jojo sait qu'il va mourir pour ça mais Triangle Rose a dit : ce n'est pas grave.

Jojo est le premier à passer. Elias est le deuxième. David est le troisième, et David ne passe pas. David se fait attraper. Jojo regarde le chien sur David, Jojo regarde de l'autre côté des barbelés et toute l'horreur du monde est dans ses yeux.
David hurle : "DÉGAGEZ ! DÉGAGE JOJO ! KERTESZ, N'OUBLIE PAS TA PROMESSE !!". Et Jojo se débat, dans les bras d'Elias, il hurle et pleure, plus fort que les aboiements des chiens, plus fort que les hauts-parleurs, et David disparait, tu vois, il disparait pendant qu'Elias traine Jojo, le force, le sauve. Il disparait.




L'errance.
Jojo est comme sa grenouille, il est en chiffon. T'imagines, un humain en chiffon. Il parle plus. Il a plus de larmes, plus d'expression. Ses pieds saignent de marcher, les cloques éclatent, et Elias doit le porter. Ils dorment dans des fermes, dans des champs, dans la merde. Ils mangent rien. Jojo tousse encore, Jojo est presque mort. Elias a trouvé des habits, grâce à son travail avec les bagages, mais Jojo a gardé l'étoile jaune et le triangle rose. Il s'arrête souvent pour vomir. Il s'effondre. Est-ce qu'un pistolet tirera sur lui ?

Une église, une voiture, une grande maison. Jojo est trop presque mort pour comprendre. Elias l'a porté tout le long. Elias est tellement courageux qu'on dirait quasiment plus un enfant. Elias l'accompagne à l'orphelinat. La grande maison, c'est un orphelinat.
Les femmes à l'intérieur ont l'accent de maman, et si Jojo avait des larmes ça le ferait pleurer. Jojo dit rien. Il ne comprend pas, de toutes façons. Elias reste avec lui tout le temps. Jusqu'à ce qu'il guérisse, parce que Jojo a le typhus.
La vie revient dans Jojo, et ça fait mal partout.
On dit que Jojo a la rage de vivre.

Il y a un prêtre qui est venu au cas où la rage de vivre ne serait pas assez forte. C'est lui qui rend Jojo tout transparent, pour le protéger.
Tu n'es plus juif. Ta maman n'a pas l'accent de Pologne. Ta maman est morte. Ton papa est mort. Tout est mort. L'ancien Jojo aussi.
Ne montre pas ton zizi. Non, tu ne peux pas garder ton étoile. Allons, elle est laide, elle est si laide, pourquoi tu pleures ? Non, c'est trop dangereux.

Jojo la gardera quand même. Dans sa semelle, bien cachée, bien trésorée.
On dit que Jojo a la rage de vivre.

Jojo s'en fout d'être juif, Jojo s'en fout de tout, parce que y a David, y a David qui est resté là-bas vous comprenez, et David va mourir, un pistolet dans la tête, David va mourir du typhus, et si David fait tomber une grosse pierre au pied d'un uniforme, DAVID !!!

— Je vais le chercher.

C'est Elias qui dit ça, une nuit, au fond des lits.

Je viens avec toi.

Mais Elias refuse, Elias a fait une promesse, et quand Jojo dit qu'il s'en fout de mourir, Elias s'énerve comme jamais il s'est énervé, Elias sort Jojo de son lit et le plaque contre le mur, Elias lui dit : Tu n'as pas le droit de mourir !! Tu dois toujours fuir, et toujours te cacher, et toujours vivre ! Ne dis jamais ce que tu es ! Ne reviens jamais là-bas !! … Alors, dis-moi, tu es juif ?
Alors Jojo dit non, et Elias le bouscule plus fort : alors tu es juif ???
Non !
ALORS TU ES JUIF ??
NON !!!

Alors Elias part, et Jojo use sa réserve secrète de larmes.
Tu lis encore ?




L'orphelinat est comme le camp, la chaleur qui crame remplacée par le froid qui mord. Les enfants sont durs, et cruels, et mesquins, parce qu'ils sont mangés par le chagrin.
Jojo est celui qui ne parle pas. Les plus grands font la loi, ils se vengent contre la vie. Jojo subit des offenses qu'il ignorait possible. Des offenses qui vont loin. Loin jusque dans les culottes. Tu te dis que c'est pas possible, hein, autant d'atteintes pour un seul enfant, une seule peau, mais si c'est possible. C'est quand y a tellement d'atteintes qu'on parle de miracle. Alors, tu liras jusqu'au bout ?
Et Jojo se laisse faire. Il attend David. Elias a dit qu'il reviendrait vite. Jojo marque les jours, sur le mur derrière son lit. Rien n'a plus d'importance à part ça, tu vois.

Des centaines de jours.
On dit que Jojo a la rage de vivre.




Le sixième souvenir



L'envol.
Sans la fée, Jojo serait peut-être jamais parti. Mais c'est elle qui vient sur son lit. Elle vient sur son bras, elle vient sur son numéro, et même sa lumière est si forte qu'elle avale les chiffres pendant quelques secondes. Jojo se réveille alors, et il suit la lumière jusqu'à la fenêtre. Il y a déjà d'autres enfants, qui s'exclament de tous les côtés. Jojo n'arrive pas à bien voir Peter Pan.
Ça ne l'étonne pas que Peter Pan existe. Il a déjà vu des morts marcher.
Jojo est le seul, pourtant, qui ne veut pas venir. Il doit rester ici. C'est Elias qui l'a dit. Il doit rester ici et attendre David. Attendre Maman, puisque Maman viendra le chercher, puisque l'été revient toujours.
Mais tu sais, les promesses de merveilles grattent sa volonté. C'est qu'il fait si froid ici, et l'île du ciel a l'air ensoleillée. Il tangue. Il a peur. Peur de louper l'été. Peter Pan promet. Ne t'en fais pas. Tu reviendras. Ce n'est qu'un voyage. Ça ne durera pas si longtemps. Tu sais, il y a des fées. Des vraies fées.

Alors Jojo pose ses pieds sur le rebord de la fenêtre. Il dit oui. A une condition. On va chercher un bout d'été, rien qu'un. On va chercher David. Et Elias, aussi. Il lui faut du courage tu sais, à Jojo, parce que Peter Pan c'est pas n'importe quoi on lui lance pas des conditions comme ça, et que ça fait des centaines de jours que sa voix n'est pas sortie. Mais il dit ça, il le dit et d'ailleurs il raconte tout à Peter Pan maintenant, tout tout tout, ça veut plus s'arrêter, pendant que les autres enfants jouent dans les airs. Et le visage de Peter Pan est dur, il est triste et tremblant, et Jojo tremble aussi, sans aucune pensée heureuse dans la tête.
Peter Pan lui prend la main.

On va les sauver. On va sauver tous les enfants.

Il n'ose pas demander pour Triangle Rose. De toutes façons, il est forcément mort.

Jojo n'arrive presque pas à voler. Peter Pan lui dit de s'accrocher à son étoile jaune. Il fait froid dans le ciel, mais c'est un bon froid, un froid qui rosit les joues, et Jojo hurle. Il hurle !!!
JE SUIS JOJO ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JUIF ! JE SUIS JOJO !!!!!!




Jojo ne sait plus où est le camp, mais Peter Pan renifle l'odeur de la douleur d'enfant. Après, Jojo ne sait plus tout.
Il se souvient de son coeur qui explose quand il revoit le visage d'Elias, le visage tout maigre et vieilli d'Elias, sans cheveux et sans force, et Jojo lui fonce dessus, il aurait peut-être pas du, et il le serre, plus fort que la main de Maman, plus fort que la grenouille, plus fort que TOUT.
Ça dure un peu longtemps parce qu'il a peur qu'Elias ne soit plus là quand il s'écartera.

Alors seulement il demande. Et David. Et David. Où est David. Où est David. Où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David où est David.
Et cette fois, il n'y a pas de réponse.
Il n'y a pas de réponse.
Pas de réponse.
Où est David.
Pas de réponse.
S'il vous plait.
Où est David.
Non, non, attendez, David.
Elias le serre à son tour, tellement fort aussi, et l'intérieur de Grenouille explose en entier, et son corps est secoué de sanglots sans larmes, de sanglots sans bruit, tant la douleur est comme une lame.


A quoi ça sert, à quoi ça sert d'être un miracle.



Invisible pour les yeux

T'as un Pseudo ? Sakripan
Et un âge ?  JEUNE
C'est quoi ton Avatar  ? Max et les Maximonstres et Max tout court.
Comment t'as découvert l'île ? par miracle
Tu la trouves comment ? miraculeuse
Dis, tu crois bien aux fées ? c'est une seconde famille.


Revenir en haut Aller en bas
https://brouillondepan.forumactif.org
Contenu sponsorisé




j'ai faim Empty
MessageSujet: Re: j'ai faim   j'ai faim Empty

Revenir en haut Aller en bas
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 2Aller à la page : 1, 2  Suivant

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
 :: Faire Naufrage :: Gais, innocents et sans coeur.-